Le visage d’Holly s’assombrit. Elle ne supporte pas l’idée que l’on porte atteinte à la mémoire de Vicky. Elle était l’une des meilleures amies d’Holly et elle restera l’amour de ma vie. Sa disparition nous a toute deux très fortement bouleversées.
Quelques années plus tard, après mon avortement et des années de célibat, je suis tombée sous le charme de Vicky. Elle m’a offert les plus belles années de ma vie et nous aurions dû finir notre vie ensemble. Juste avant qu’elle ne tombe malade, nous avions évoqué l’envie d’avoir un bébé, qui ne me serait pas enlevé. Nous avions entamé le parcours préliminaires de la PMA quand les examens ont révélé une anomalie. Et là, tout est allé très vite : la chirurgie a révélé un problème bien plus étendu. Je passe sur les détails médicaux. Vicky s’est battue, et pour moi, elle ne pouvait que s’en sortir, puisque le diagnostic annoncé plus quatre-vingts pourcents de chance de guérison. Mais elle n’a pas eu le droit à ce scénario. Ses derniers mois de vie ont été de la torture malgré l’aide médicale. Je suis, évidemment, restée auprès d’elle jusqu’au bout. Holly aussi nous a beaucoup soutenu. Elle me laissait pleurer dans ses bras à chaque fois que je n’étais pas à proximité de Vicky.
« − Te souviens-tu de la morgue ? »
La voix du monstre me sort de mes réflexions. L’ectophage est une entité qui mange les fantômes. La légende dit que quiconque le croise ne pourra plus jamais se rappeler des souvenirs heureux qui sont liés à un défunt. Il ancre les pires souvenirs dans notre mémoire, si bien que l’on en vient à ne plus être en paix avec les défunts et qu’ils nous pourrissent notre vie terrestre, un peu comme une vengeance. Un tsunami de panique me submerge. Et tout à coup, je revis bien trop clairement le corps inanimé de la femme que j’aime lors des derniers adieux. Sa chevelure terne, son teint gris et surtout de masque de souffrance sur son visage que la mort n’a pas effacé. Une sueur froide trempe mon dos. Je frissonne, claque des dents. Je dois partir vite. La distance pour quitter ce lieu n’est pas si longue. Allez active-toi, Gwen ! J’essaie de convaincre mon corps de bouger. Sans résultat. Holly intervint.
« − Gwen, partons, tu en as assez fait. Je m’inquiète pour toi ! Mon idée n’est pas si judicieuse. Je suis désolée.
− Elle ne peut pas partir tant elle veut écouter la voix de ses fantômes. Même leurs hurlements. Hi, hi, hi. Et moi, je mange.
Holly se lève de toute sa petite taille. Son visage affiche un air partagé entre colère et crainte.
− Ça va, la leçon est retenue. Nous ne viendrons plus dans les lieux abandonnés. Arrêtez tout de suite de nous torturer. Ces pleurs sonnent bien trop réels.
− Chouette, il y a de quoi manger chez toi aussi ! Quel buffet savoureux ! »