VII

Par Jamreo

VII

 

Nous étions le troisième jour du Fragon, au second mois d'automne. Huit jours constituaient un cycle à l'intérieur d'un mois. Durant l'automne, un cycle commençait invariablement sur un jour du Fragon. Nous étions au début du troisième cycle ; ce qui nous amenait au troisième jour du Fragon. L'Ecole était traditionnellement fermée ce jour-là. Je pouvais ainsi rester cloîtrée chez moi, attentive aux murmures du parquet de l'étage supérieur, à veiller sur mon père. J'en concluais facilement s'il s'était cassé la figure, s'il faisait les cent pas dans sa chambre pour épuiser sa colère ou sortait dans le couloir pour regagner la salle à écrire.

J'avais rapidement englouti un morceau de pain gris, debout au pied de l'escalier sans prendre la peine d'ouvrir les volets. Puis je m'assis sur un coussin élimé, coincé entre l'escalier et un meuble taillé de lions et de corbeaux en chamaille dans le bois, grandioses, aux traits si fins qu'on pouvait les prendre pour des êtres véritables et figés dans la matière.

J'avais descendu de ma chambre des rouleaux de papier et mon calame ainsi que la petite bouteille d'encre, posée à mes pieds. J'allais mettre à profit cette nouvelle veille de malade pour travailler mon arithmétique.

A ce moment de mes résolutions, la porte s'ouvrit sur une Iris éméchée. Elle s'arrêta et me sourit d'un air absent. Je ne lui demandai même pas où elle avait passé la nuit, ces choses-là n'avaient pas d'importance et ne m'intéressaient pas. Du moins je voulais m'en persuader.

— Tiens ! Petite sœur. Qu'est-ce que tu fais là ? lança-t-elle.

— Je m'occupe de papa.

— Quoi ?

— Il a fait une petite rechute, expliquai-je en jetant un hochement de tête vers le plafond. Alors je reste là au cas où.

— Tu sais, y a moyen d'être une parfaite peste avec un peu de bonne volonté, dit-elle en s'asseyant près de moi.

Je me tournai vers elle. Elle avait un sourcil levé, interrogateur, l'autre rabattu sur une paupière qui lui écrasait l’œil.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Elle poussa un gloussement désabusé. Ses lèvres charnues et son menton creusé d'une rigole lui donnaient l'air d'un poisson hors de l'eau. Ces mêmes traits qui la rendaient belle et époustouflante pouvaient se retourner contre elle aussi sûrement qu'une mauvaise stratégie : tout ce qui lui donnait son charme et faisait de son minois une singularité de rêve menaçait constamment de se détruire sur un seul geste maladroit. Il lui suffisait de tordre la bouche pour que son visage devienne lourd, disgracieux.

Ma sœur était la fille des contraires.

— Je veux dire, petite sœur, martela-t-elle, qu'il serait peut-être temps de lui faire comprendre, à ce lourdaud. On n'est pas à son service. Ce n'est pas à lui de voler ta journée pour son petit confort personnel.

Une grimace laissa filer l'éclat de ses dents entre ses lèvres. Elle écarta les mains.

— Fais comme moi et sois un peu égoïste.

Elle voulut me prendre par les épaules mais je me détournai, les bras croisés.

— Ce que tu es ennuyeuse, Lisa.

— Pas ennuyeuse, contrai-je. Simplement plus intelligente que toi.

Je n'avais pas pu m'en empêcher et dus réprimer ce genre de demi-sourire sadique qui aurait certainement déplu, à elle comme à moi. Je n'avais pas spécialement un mauvais fond mais les lubies de ma sœur suffisaient à m'inspirer des méchancetés déconcertantes. J'en étais souvent la première surprise. Iris se laissa tomber contre un deuxième coussin, sur le dos - manquant de renverser mon encre - et posa ses bras en croix devant sa poitrine.

— Petite sœur, fredonnait-elle. Petite sœur, petite sœur. Si seulement tu me laissais t'apprendre.

— Pour être aussi malheureuse que toi ?

Elle ne répondit pas. Je n'entendis plus que ses profondes inspirations. Du coin de l’œil, j'observais ses mains croisées qui se soulevaient et retombaient en rythme, ses grands iris figés sur le plafond. Je me levai, rassemblai mes affaires, poussant un soupir d'exaspération. Le moment précis où le cœur de ma sœur s'accéléra fut presque palpable, horriblement concret autour de moi. Elle vrilla des yeux ronds sur moi.

— Lisa, dit-elle dans un souffle presque implorant.

Elle tenta vainement de me retenir, une main apathique posée sur mon poignet, comme si elle voulait me confier tout son malheur, mais je fis mine de n'avoir rien entendu.

— Lisa ! Oh, après tout, qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ?

La colère, la vexation, la moquerie étaient de retour. Cette brèche ouverte dans les défenses d'Iris s'était aussitôt refermée. Je ne répondis pas et m'installai à la table en lui tournant le dos.

Le soleil avait monté dans le ciel et brûlait ma nuque depuis la fenêtre.

Je relevai la tête, le calame entre les mains. Quelqu'un avait frappé au carreau. Plissant les yeux, je distinguai les joues rondes et les yeux pétillants d'Animi, encadrés de ses mains qu'il avait plaquées contre le verre pour voir à l'intérieur. Je lui souris. Une tache d'encre perla sur la mine pointue de mon calame et s'écrasa sur mes travaux. Je cherchai un buvard pour éponger mais n'en avais ramené aucun, donc optai pour un chiffon qui pendait à une cordelette décorée de rubans et de clochettes en bois. Sans doute pas destiné à être taché d'encre, mais je n'aurais qu'à prétendre que ce n'était pas moi. Animi toqua une deuxième fois, indécis. Je sifflai entre mes dents et levai une main pour l'inciter à la patience, puis me retournai vers les coussins. Iris y était toujours, endormie. Je fis un signe à la fenêtre pour faire comprendre à mon ami que je le rejoignais sous peu, tassai mon sac sous la table, cherchai dans les environs une cape que j'aurais pu revêtir par-dessus ma tunique délavée et trop grande pour moi, n'en vis aucune et haussai les épaules avant de regagner la porte à grandes enjambées.

Iris pourrait toujours s'occuper de notre paternel commun. Comme elle l'avait si bien dit elle-même, il y avait moyen d'être une parfaite peste avec un peu de bonne volonté.

— Salut ! Je suis venu te sauver de cette maison de fous.

— C'est trop aimable. Mais à quelle occasion ?

— Tu ne le sais pas ?

— Je devrais savoir quelque chose de particulier ?

Le visage d'Animi se fendit d'un sourire si enthousiaste que mon estomac se délesta de quelques talents de pierres. J'avais déjà essayé, au port, alors que j'assistais à une leçon d'Animi, de déplacer une caisse de bois et d'outils pesant un peu plus d'un talent, à en croire les bateliers qui m'avaient observée d'un œil critique et amusé. Sans succès, évidemment. On ne déplaçait pas un talent si facilement.

— Franchement Lisa, je t'en ai parlé hier. Tu ne t'en souviens pas ?

— Euh... non...

Ma rencontre avec Dionysos trois jours auparavant m'avait occupé l'esprit depuis lors, et si j'avais entendu ce qu'Animi m'avait dit, ma mémoire n'avait pas jugé bon d'en garder une trace. La présence de Dionysos, ses menaces suivies de son absence inexplicable m'obsédaient, au point que j'occultais le reste.

— De toute manière, comment as-tu fait pour rater l'annonce ? Je savais que tu ne sortais pas beaucoup, mais à ce point-là ! s'exclama Animi en me prenant par le bras.

Ce n'était même pas que je ne sortais pas beaucoup, mais j'avais tendance à traverser Penthos sans la voir. C'étaient des couleurs, des formes, des bâtiments et des gens. Je la connaissais sur le bout des doigts et avais parfois le sentiment qu'elle ne pouvait plus rien m'apprendre. Ce qui était une erreur : la ville sombre et labyrinthique, formée à flanc de colline et côtoyant herbes folles, rochers, étendues sablonneuses, était pleine de secrets et d'une histoire perdue. Même pour ceux qui croyaient la connaître sur le bout des doigts.

— Dans ce cas, disons que c'est une surprise, suggérai-je.

Nous longeâmes le chemin qui descendait vers Penthos, Animi piaillant joyeusement et me parlant de choses et d'autres que je n'écoutais pas. Il gigotait des bras pour me mimer une scène ou m'évoquer plus en détail ce qu'il expliquait, mais je suivais tout ceci comme si je m'étais trouvée à des lieues au-dessus de lui et que j'avais posé mon regard distant sur un décor et sur une vie que n'étaient pas miens. J'étais pourtant heureuse qu'il soit venu me rendre visite.

— Où est-ce qu'on va ? demandai-je au bout d'un moment.

Animi s'arrêta en pleine phrase. Je n'avais pas répondu à une seule de ses questions ni réagi à ses histoires et il avait maintenant une expression plus retenue et froide. Je trouvais cela logique de lui demander où il préférait se réfugier, discrètement, pour drainer deux ou trois gobelets d'alcool, passer le temps, s'ouvrir à d'autres sensations. C'était d'ordinaire à cela que ressemblaient ses excursions à demi-secrètes.

— Le Cageot renversé ? hasardai-je.

Je savais que c'était son endroit préféré. Pour être franche, j'étais beaucoup moins portée sur l'alcool que lui et n'éprouvais aucune envie particulière à me rendre là-bas, où on avait la fâcheuse manie de servir du vin chaud à toutes les occasions. Je n'aimais pas le vin chaud, je l'avais en horreur et lui trouvais une odeur insurmontable mais peu importait. Si ça pouvait faire plaisir à Animi.

— Mais non, me dit-il pourtant en me faisant bifurquer à droite.

Nous nous arrêtâmes près d'une place pavée de noir, la Place de la Forge. En face de l'établissement qui avait donné son nom au lieu, une tour érodée et couverte de plantes grimpantes arborait sur sa façade un tissu élimé où s'étalait une immense broderie de corbeau sur fond blanc, sali. La marque des châtelains.

Devant la forge, il y avait des charrettes emplies de métal et de sacs divers, tapissés de paille qui volait allègrement alors qu'un homme bossu les déchargeait. Le forgeron avait l'air aussi frêle qu'il n'était fort, pour porter tout cela sans broncher. Voyant que je le fixais, il m'adressa un salut.

— Bien le bon Jour du Fragon. Vous êtes venue pour le spectacle ? Il paraît que ce sera grandiose.

— Quel spectacle ?

Qu'avait-il voulu dire ? Il haussa les épaules et chargea un sac de toile sur son épaule. Je le suivis des yeux alors qu'il disparaissait à l'intérieur : l'entrée de l'atelier était une tache d'ombre où brillaient de nombreux outils. Un éclat orangé typique du fer en fusion crépitait au milieu de ces canines en métal. Quelque chose remua, des coups lancinants résonnèrent de chaque côté de la place en se réverbérant sur les pavés. Je suivais fébrilement les deux points blancs que représentaient les yeux de l'apprenti-forgeron penché sur son ouvrage. Le reste de son corps était invisible, dans le noir et la chaleur. La plainte haut-perchée de son enclume m'irritait, et je me détournai.

Animi avait traversé la place, maladroit, et se tenait en son centre. Oui, maladroit : ses épaules tremblotaient, ses mains se serraient et se desserraient, même ses jambes étaient moins assurées que d'habitude. On l'aurait cru malade d'une de ces infections que l'on disait rapportées des nomades, et qui voyait la naissance de dizaines de guérisseurs improvisés aux coins des rues. Je m'approchai.

— Bon sang, qu'est-ce que tu as ? lui demandai-je en le tirant en arrière.

Ses yeux vagues croisèrent les miens mais ne s'y attachèrent pas.

— Rien, je regardais juste ça.

Ça, c'était un piquet de bois fiché dans un trou. Le bois était vieux, poreux, et portait les traces de coups et d'éraflures. Un cercle de métal rouillé mais encore solide le couronnait. Il en pendait des arceaux. Je savais à quoi cela servait mais justement, cela n'avait plus servi depuis des siècles. On ne pratiquait plus la punition publique à Penthos. Les châtelains préféraient exécuter directement les fauteurs de trouble, sans leur faire subir le supplice de cette humiliation.

— Et alors ? dis-je.

— Regarde là-bas.

Je suivis des yeux le point qu'il m'indiquait. De l'autre côté de la place, fiché à une porte en bois par une dague, se trouvait un papier d'où ressortaient clairement des lettres tracées en rouge. Animi traversa la place. Je le suivis et les lettres se précisèrent à mesure que j'approchais, longues et effilées ; finalement je me plantai juste en dessous du message pour le lire :

 

« Au troisième jour du Fragon, cinq rêveurs seront montrés au peuple et soumis à son bon-vouloir. Quiconque voudra écouter les fables des rêveurs se rendra à la Place de la Forge à l'heure du zénith d'automne et sera libre trois heures durant de les punir pour leurs mensonges.

Quiconque voudra faire ses hommages aux châtelains mettra genou à terre devant la sœur du prince héritier.

Au nom de l'âge de Fer éternel, au nom des dieux perdus »

Une marque ovale et noire, barrée d'une silhouette de corbeau et d'un diadème sombre faisait office de signature au bas du message. C'était un arrêté seigneurial.

— Quoi... une humiliation publique ? C'est ça que tu veux me montrer ?

— C'est bientôt l'heure, répondit-il avec fièvre en prenant mes mains dans les siennes. Tu te rends compte ? Ça fait au moins cent ans que ça n'est plus arrivé... on va être les premiers depuis longtemps à y assister.

Choquée, je reculai. Était-ce bien Animi ? Je fouillai ce visage à la recherche d'une trace familière à laquelle se raccrocher, pour effacer ce nouveau lui qui se dévoilait d'un bloc. Je ne l'aurais jamais cru si avide, si... si semblable à la crasse, et à la violence qui imprégnait Penthos. Ça ne pouvait pas être lui, non.

— Animi, tentai-je de le raisonner. on ferait mieux de partir. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

Mais les premiers spectateurs commençaient à se masser autour de nous. Animi ne semblait pas m'avoir entendu et n'avait pas bougé. Je ne pouvais tout de même pas partir sans lui... je ne pouvais pas le laisser aux griffes des châtelains, ou ils implanteraient dans sa jolie tête des idées pourries jusqu'à la moelle. J'eus tout le loisir d'assister au rassemblement progressif de la population penthéenne sur la Place de la Forge. Ils s'étaient tous donné le mot, ou presque. Je reconnaissais ici et là des visages, la toge grise d'un Magister, la peau brune des bateliers, les avant-bras bariolés de couleurs indélébiles des teinturiers, l'odeur tenace du cuir bouilli qui suivait les tanneurs... ils arrivaient de tous côtés. Une senteur doucereuse flottait dans l'air car la plupart avaient apporté des paniers ou simplement des poignées de fruits, enfants, vieillards, jeunes gens rigolards ou plus solennels. Ils étaient impatients. Et moi, j'attendais au milieu d'eux, incapable de quitter la place. Animi et tant d'autres gardaient les yeux fixés vers le Sud, dont on voyait la silhouette rocheuse. A tout moment, la gamine des châtelains allait surgir de cette rue tordue qui venait du château, depuis la falaise à l'extrémité de l'enceinte.... à tout moment.

C'était une particularité des dirigeants : ils aimaient se faire attendre et désirer. Le soleil eut le temps de dériver encore un peu au-dessus de nous avant que le premier cri, le premier doigt tendu n'annonce l'arrivée des suppliciés. La foule s'agita et je me retrouvai plaquée contre Animi, le cou tendu.

Je ne voyais pas bien mais, parmi les têtes et les mains levées, pus distinguer une procession d'hommes et de femmes encadrés de quatre êtres en noir, musculeuses. Je suivis le mouvement de la marée humaine qui se tournait vers le spectacle.

Des grognements et des ordres criés aux gens de s'écarter pour laisser passer les prisonniers, créèrent frissons et murmures autour de nous. Enfin, la tension qui avait maintenu les corps dans une proximité insupportable, animés par leur curiosité morbide et déchaînée, se relâcha. Les dos qui me barraient la vue s'espacèrent pour m'offrir une vision plus dégagée de la place. Les prisonniers étaient attachés les uns aux autres à l'aide de fers passés à leurs poignets et à leurs chevilles. Les hommes en noir se chargèrent de les ancrer aux poteau central, sous le silence. Le doute faisait son chemin sur le visage de quelques spectateurs, et le malaise aussi. Ils n'étaient plus si certains d'apprécier les festivités qui s'annonçaient. Je me concentrai sur les hommes en noir : ils correspondaient à l'image que je me faisais des examinateurs... ils portaient des gants eu cuir, des bottes lacées jusqu'à mi-mollet, une demi-toge qui leur couvrait l'épaule droite, retenue par une attache en argent montrant le corbeau des châtelains. Leur mine était sombre et acérée. Ils gardaient constamment une main sur leur sarise, sorte de haute lance normalement réservée aux gardes, et couvaient d'un œil fixe une jeune fille que je n'avais jamais vue et qui finissait de marcher, d'un pas lent, pour se planter au centre de la place. Elle concentrait maintenant l'attention de chacun. L'air soulevait ses longs cheveux noirs et leur donnait presque l'allure et les mouvements souples d'un animal dégingandé. Elle portait juste au-dessus du front, soulignant ses sourcils marqués, un diadème en argent où passaient des reflets verts. Son regard parcourut le troupeau de Penthéens.

— C'est elle, murmura Animi.

— C'est elle !

Le cri fut repris, joyeux, adorateur. Les quatre hommes armés firent le mouvement de se regrouper autour d'elle en brandissant leur sarise, mais elle les dissuada d'un geste de la main.

— Peuple de Penthos, énonça-t-elle. Voilà trop longtemps que nous vous avons laissés de côté. Vous êtes notre sang et notre fierté. En ces temps troubles, nous ne l'avons pas oublié.

Sa voix n'était ni fluette, ni grave ; ni claire ni vraiment enrouée. C'était un son calme, onctueux, à l'intersection appréciable de tous les timbres de voix possibles et imaginables, et pourtant très singulier. Je n'avais jamais entendu cette voix mais savais que si je devais la réentendre un jour, je ne la confondrais pas.

Elle continua, le pourpre aux joues.

— Nous vous livrons aujourd'hui, en gage d'amitié et de fidélité à notre âge de Fer éternel, ces rêveurs impurs qui prétendent posséder la science des dieux. Le lien qui nous unissait au royaume des êtres suprêmes n'est plus ; ils l'ont voulu ainsi. Quiconque se proclame rêveur mérite un châtiment. C'est pourquoi nous condamnons ces prisonniers à être pendus jusqu'à ce que mort s'ensuive, ce soir, au bord du Lac près du rocher de Mats. Avant tout, nous vous les livrons. Ils ont ordre de vous conter leurs fables odieuses. Injures et blessures couleront à flot. Déversez en eux votre poison car ils ne font plus partie de notre société. Nous les rejetons.

Un tonnerre grondant répondit à sa tirade. Elle recula d'un pas sans laisser échapper un seul sourire. Elle me paraissait mal assortie à ce qui se déroulait autour d'elle, à toute cette ferveur, et au rôle glacial et purement mécanique que sa famille lui avait léguée. Le seigneur en titre n'avait pas daigné, ou pas osé se déplacer lui-même. Il n'avait pas envoyé son fils aîné, car ce serait encore prendre trop de risques. Restait la fille... dont personne n'avait besoin. Néanmoins c'était la première fois depuis fort longtemps que l'on voyait les traits d'un membre de la famille dirigeante. Personne ne savait à quoi le seigneur actuel ressemblait. Personne, mis à part peut-être ceux de la garde seigneuriale. La présence de cette jeune fille, toute ennuyée et distante qu'elle soit, provoquait des remous d'adoration. Les gens s'avançaient vers elle, redoublaient d'ardeur quand elle reculait, si bien qu'elle s'immobilisa et les laissa venir à elle, tenant d'une main levée les sarises à l'écart. On se bousculait, tombait à genoux devant elle, l'effleurait pour se porter chance, on s’agrippait à sa robe pour enfouir le visage dans son étoffe, pour la supplier, pleurer, lui attraper les mains en geignant des vœux de bonheur et de longévité. Les hommes en noir suivirent le remue-ménage sans d'abord intervenir, nerveux. Puis ils décidèrent subitement que les Penthées avaient franchi certaines limites intolérables, et donnèrent quelques coups dans le tas, avec le manche de leur arme.

J'étais dégoûtée. Dégoûtée, peut-être autant que ces pauvres âmes qui attendaient fixées au poteau de la bêtise et de l'ignorance, et remuaient l'idée de leur prochaine humiliation et de leur mort imminente. Voilà ce qu'on réservait aux rêveurs, illuminés qui avaient été assez fous pour confier à d'autres, peut-être à des amis, ce qu'ils avaient vu durant leur sommeil. Il ne fallait rien voir durant son sommeil. L'âge de Fer était notre fardeau à porter jusqu'à la fin des temps. Je gardais à l'esprit, et cela me faisait vomir, que j'aurais pu me trouver à leur place. J'aurais pu moi aussi être clouée devant l'attention vorace de ces nigauds... j'aurais pu, moi aussi, être condamnée à la pendaison pour le crime si effroyable d'avoir rêvé. Voilà ce que je risquais, voilà ce qui allait m'arriver un jour si je ne faisais pas attention.

J'avais au moins la satisfaction de n'avoir aperçu le visage d'aucun membre de ma famille dans la foule. Mes frères, ma sœur, eux n'avaient pas répondu à cet appel de masses. Mais ils étaient si nombreux à l'avoir fait...

Et ils avaient décidé pour moi. Je savais quel camp de la bataille il me fallait rejoindre, au détriment de tout ce que j'avais connu jusqu'à présent, et de tout ce que je pouvais perdre.

Ô Dionysos, formulai-je dans mon esprit. Que dois-je faire ? Dionysos, je vous en prie, ne me laissez pas seule. 

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Rimeko
Posté le 18/02/2015
Bonjour !
(comme promis, je passe lire ^^)
 
Les coquilles pour commencer :
-un meuble taillé de lions et de corbeaux en chamaille dans le bois" Pas sûre que ceci sit vraiment français...
-"— Qu'est-ce que tu veux dire ?" Petite erreur ^^
-"mon estomac se délesta de quelques talents de pierres. J'avais déjà essayé, au port, alors que j'assistais à une leçon d'Animi, de déplacer une caisse de bois et d'outils pesant un peu plus d'un talent, à en croire les bateliers qui m'avaient observée d'un œil critique et amusé. Sans succès, évidemment. On ne déplaçait pas un talent si facilement." Euh... rien compris, à part que le talent est une grande unité de mesure...
-"quatre êtres en noir, musculeuses" êtres est un nom masculin... à quoi se rapporte donc musculeuses ?
 
La fin est vraiment bien, la fille des châtelains, le dégoût de Lisa par rapport à l'humiliatin publique,et sa peur par rapport à ses rêves...
Vivement la suite :D
(par contre je me demande si tout le début, avec Iris, est vraiment utile;..)
Jamreo
Posté le 18/02/2015
Salut Rimeko, désolée du délai de réponse !
Merci pour tes relevés. Pour la troisième, tu n'as rien compris ? Qu'est-ce que tu n'as pas compris : ce que Lisa dit au sujet des talents, quelle est la situation ? En fait elle compare le poids qui s'enlève de son estomac à un poids de quelques talents. Bon, c'est peut-être mal fait.
Je suis contente que la fin t'ait plu en tout cas ! C'est un passage important ^^
Concernant ta toute dernière remarque, ne m'en veux pas surtout mais je suis un peu perplexe ^^'  disons qu'il ne s'agit pas d'un passage court, d'un paragraphe juste comme ça et que, dans ma tête, les relations familiales ont beaucoup d'importance dans cette histoire. Alors c'est un peu gênant. Si jamais tu veux préciser ce qui t'a ennuyée là-dedans, pour que je comprenne, n'hésite pas. ^^' 
Merci de ta lecture ! 
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