- VII -

Elle se releva un peu étourdie dans sa petite robe crasseuse. Un peu éblouie aussi, et surprise de voir comme autour d'elle tout était encore sombre. Ses yeux mirent un temps pour s'habituer. Pendant qu'elle reprenait ses esprits, elle percevait les notes d'un violon qu'elle qui lui était familier. La voix du violon, et la mélodie aussi. Curieuse, elle se laissa guider par la musique, à travers la forêt qui lui était familière, et lui piquait la plante de ses pieds nus comme pour rire. Le soleil était déjà levé quand elle arriva sur la place du village qui commençait tout juste à s'éveiller. Il n'y avait que deux personnes. Un vieil homme assis penché en lui-même sur une chaise et qui semblait dormir, et par terre, Ilann qui jouait toujours, les yeux mi-clos, en tailleur, à côté du vieux.

Ambre s'approcha doucement. Dans ses mains pleines de terre, elle prit les grosses mains plissées de son père.

Alors il se passa plusieurs choses à la fois. Ilann, sentant passer une ombre dans le matin encore gris, releva la tête et eut un coup au cœur en voyant la jeune fille accroupie, dans sa robe en lambeaux, avec ses pieds nus sur les dalles, et des cheveux qui lui tombaient emmêlés jusqu'au sol, tenir tendrement les mains du vieil homme. Le violon faillit lui échapper des mains et la musique s'arrêta net. Ambre sursauta, croisa le regard sidéré d'Ilann à quelques pas d'elle. Il y eut en elle un éclair de reconnaissance, puis un sourire, qu'Ilann ne lui rendit pas, puis elle reporta son attention sur son père en murmurant papa, papa, mais l'homme murmurait aussi, quelque chose d'inaudible qui lui faisait secouer la tête de droite à gauche. Ambre posa alors sa main fraiche sur sa joue, l'invitant à lever les yeux sur elle. Il croisa le regard de sa fille, ses yeux très noirs comme des pupilles toutes dilatées, sa peau pailletée de taches de rousseur, son air tendre et enjoué. Il se jeta dans ses bras au point de la faire basculer en arrière. Elle eut un éclat de rire étouffé le temps de retrouver son équilibre et reprit son étreinte. Le père riait aussi. Il riait en pleurant, mais c'était tout de même la première fois qu'Ambre entendait son père rire, et elle le serrait plus fort pour cela, pour le remercier d'être heureux qu'elle soit là.

Il faisait grand jour quand ils se furent rassasiés l'un de l'autre. Entendant les éclats, les villageois étaient sortis de chez eux, et tout heureux, ils accueillirent Ambre comme une vieille amie.

― Oups, attention à tes chaussures, ma grande, dit une dame en riant.

Elle venait de l'embrasser, et avait buté contre des chaussures fines à semelle plate posées au sol.

― Mets-les aux pieds, je ne sais pas ce qu'elles ont, les jeunes filles à vouloir toujours courir pieds nus !

― Euh...

Elle considéra les chaussures, mais n'osa croire qu'elles étaient pour elle. Au lieu de cela elle scrutait la foule.

― Il est parti se coucher, à mon avis.

Ambre fit volteface et se trouva nez à nez avec un grand gaillard à la tignasse ébouriffée.

― Quoi ?

― Ilann, le violoniste. C'est lui que tu cherches ?

― Je... oui.

― Je pense qu'il est parti se coucher. Reviens ce soir. Il habite en face. Et mets tes chaussures, je suis sûr qu'il les a déposées là pour toi.

Ambre tourna la tête vers la maison du cordonnier, remercia Sam, enfila les souliers qui lui allaient parfaitement, prit le bras de son père, et s'en alla par le sentier à travers la forêt.