VII. La jolie dame de Jérusalem

Notes de l’auteur : 2 Samuel chapitres 11 et 12 : David s'éprend d'une femme qui prend son bain. Il la fait venir, couche avec elle et la met enceinte. Il s'arrange pour faire tuer son mari à la guerre, puis il l'épouse. Dieu punit David en faisant mourir l'enfant.
La mort de Kileab n'est pas racontée dans le deuxième livre de Samuel, j'ai pris la liberté de la placer à ce moment-ci.

Je voulais organiser une petite fête, pour célébrer mes quarante ans. David n’est pas là, mais peu importe. Egla et moi avions commencé à préparer des gâteaux. Achinoam, Haggith et Abithal ont accepté de venir et m’ont demandé ce que je souhaitais comme cadeaux. Elles sont beaucoup plus cordiales avec moi au fur et à mesure que le temps passe. Je n’ai pas d’enfants, je ne peux donc pas leur faire ombrage.

Malheureusement, Kileab vient de mourir. Abigail est dévastée. C’était son unique fils, il avait à peine vingt ans. Achinoam est auprès d’elle pour la consoler. C’est elle qui la connaît le mieux, après tout. J’espère qu’elle saura apaiser sa douleur.

 

* * *

 

Je viens de voir David. Il est rentré, et il ne nous en a pas soufflé mot. Il laisse Abigail dans le chagrin, sans s’attrister de la perte de son fils. Il est sur le toit, en train de regarder Dieu-sait-quoi, en tout cas la scène a l’air passionnante. J’ai voulu le rejoindre, mais le temps de monter les escaliers, il avait disparu. Le spectacle qu’il regardait ? La voisine qui prend son bain. Quel pervers ! N’a-t-il pas déjà assez de femmes comme cela ?

 

J’ai revu David. Il sort d’une chambre en compagnie de la femme de tout-à-l'heure. Aucun doute possible sur ce qu’ils viennent de faire ensemble.

Abithal, qui se trouvait avec moi, elle a blêmi. Je lui ai demandé si elle connaissait la femme.

- Il s’agit de Bethsabée, m’a-t-elle répondu. Fille d’Éliam et femme d’Urie le Hittite.

- Tu veux dire qu’elle est déjà mariée ?

Elle a acquiescé, et je suis à présent tout aussi horrifiée qu’elle. Nous sommes témoins d’un adultère. Qu’allons-nous bien pouvoir faire ? Nous n’allons tout de même pas les dénoncer et les faire lapider ! D’ordinaire, nous aurions demandé conseil à Abigail ; mais Abithal et moi nous sommes accordées pour lui épargner ce tracas supplémentaire. Nous parlerons à David… Du moins, si nous le croisons de nouveau.

 

* * *

 

Des éclats de voix. Le prophète Nathan est venu voir David. Il l’a sermonné avec colère. J’ai entendu une des phrases qu’il lui a assénées :

- Je vais faire sortir de ta propre famille le malheur contre toi, et je vais prendre sous tes yeux tes propres femmes pour les donner à un autre, qui couchera au grand jour avec elles !

Que s’est-il… Que s’est-il passé ? Est-ce au sujet de l’adultère avec Bethsabée ? David a-t-il irrémédiablement déplu à l’Éternel ? Je me souviens encore de ce moment, lorsque j’étais enfant, lors de la faute de papa, lorsque Samuel lui annonçait le châtiment divin. J’ai l’impression de revivre ce moment atroce. Le péché de mon époux va-t-il retomber sur nos têtes ?

 

Alors que j’écrivais, j’ai entendu un bruit derrière ma porte. Je l’ai ouverte et je suis tombée sur une très belle femme qui me rappelait vaguement quelqu’un. J’ai mis quelques secondes avant de la reconnaître. C’était Bethsabée.

- Qu’est-ce que tu fais ici ?

- Bonjour, chère belle-sœur, a-t-elle répondu avec politesse. Je m’appelle Bethsabée, fille d’Éliam.

- Mikal, fille de Saul. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de belle-sœur ?

Je dois sûrement lui paraître grossière, mais le choc était trop grand de voir devant moi l’amante clandestine de mon mari.

- David m’a prise hier soir pour épouse. Nous sommes donc belles-sœurs, n’est-ce pas ?

Je suis tombée des nues. Alors comme ça, mon mari épouse des femmes sans même nous les présenter ?

- Eh bien, enchantée, ai-je réussi à répondre. Mais n’étais-tu pas déjà mariée ?

- Mon époux est mort à la guerre voici un mois. La période de deuil est terminée à présent, et David m’a fait chercher.

Mort à la guerre ? Quel heureux hasard ! Elle porte une large robe, avec une ceinture, juste le genre de tenue qu’il faut pour cacher un ventre qui commence à s’arrondir. Cela fait trois ou quatre mois, je ne sais plus, que David l’a connue pour la première fois. Juste le temps qu’il faut pour se rendre compte d’une grossesse, se débarrasser du mari gênant et laisser un délai respectable avant un remariage.

Je ne peux m’empêcher de faire le lien avec les malédictions proférées par Nathan. David a couché avec la femme d’un autre, l’a mise enceinte et s’est arrangé pour faire tuer son mari. Dieu va-t-il punir David en lui faisant subir la même chose ? Est-ce qu’un homme va s’introduire dans la maison pour nous violer toutes les huit ? Je pense un instant à Palthi, mais il ne ferait jamais une chose pareille. Est-ce que l’histoire de papa va se répéter ? Est-ce que David a perdu toute grâce aux yeux du Seigneur ? Est-ce que nous allons être récupérées par le prochain roi d’Israël ?

 

* * *

 

Cela fait six mois que Bethsabée vit chez nous, et sans vouloir être médisante, sa compagnie n’est pas agréable du tout. Elle est la favorite de David, qui passe beaucoup de temps auprès d’elle. Au lieu d’accepter humblement ces faveurs, elle lève la tête et nous regarde de haut. Ou bien est-ce moi qui m’imagine des choses parce que je suis jalouse ?

En terme de malheurs, pour l’instant, nous n’avons été frappées d’aucune épidémie ni invasion. Simplement, le premier-né de Bethsabée est mort. David est dévasté. Abigail, la si honnête Abigail, en est jalouse. Pour la mort de Kileab, il n’avait manifesté aucune tristesse.

 

* * *

 

J’en ai assez de cette ambiance malsaine. Je suis partie rendre visite à Mérab. Son mari Adriel est venu pour prier auprès de l’Arche d’Alliance, et pour faire découvrir Jérusalem à ses fils. Je peux ainsi la voir sans quitter la ville. Je préfère mille fois la tente de ma sœur, surpeuplée de gamins, à l’atmosphère étouffante des quartiers de mes belles-sœurs.

J’ai joué aux dames avec elle, j’ai fait danser sa fille, j’ai offert une toupie à son plus jeune fils. Nous avons discuté, nous nous sommes remémorées l’ancien temps, l’époque où nous étions deux jeunes filles attendant le mariage. Nous avons tressé des couronnes de fleurs, je l’ai aidée à terminer un gilet pour son fils aîné, elle m’a préparé une tisane qui favorise la fertilité. Nous avons brûlé de l’encens, prié toutes les deux côte à côte, pour nos familles, nos maris, les quelques frères qui nous restent. J’aimerais qu’Adriel et elle restent éternellement à Jérusalem.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez