VII. L'OMBRE ÉVAPORÉE

Arthus évita la lanterne de justesse.

            — Je crois que tu ferais mieux de me ranger dans ton sac, proposa Augustin à son jeune propriétaire.

            — Alors, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ? On n’a pas toute la nuit, râla l’éclaireur.

            Arthus fourra le livre dans sa besace et, d’un pas mal assuré, entreprit de sortir de la citrourbaine. Malheureusement, il loupa le marchepied. Pour la deuxième fois de la journée, il chuta lamentablement avec un cri qu’il aurait voulu moins aigu. À plat ventre sur les pavés mouillés, Arthus grimaça, moins de douleur que de honte. L’anxiété lui faisait vraiment perdre tous ses moyens. 

            Quand il rouvrit les yeux, le monde autour de lui n’était plus qu’un épais brouillard. Cela ne pouvait avoir qu’une seule signification : il avait perdu ses bésicles ! Arthus se mit alors à tâter la route du bout des doigts dans l’espoir de leur mettre la main dessus. Sans elles, il se cognerait à tous les murs qu’il croiserait sur son chemin.

            L’obscurité se dissipa légèrement quand l’éclaireur abaissa sa lanterne à quelques centimètres de sa joue.

            — J’imagine que c’est ce que tu cherches... dit-il en lui tendant ses verres.

            Arthus les chaussa avec un soupir de soulagement.

            — Merci.

            En se relevant, il se cogna contre la lampe à huile qui pendait au bout de la perche. Il finit par s’excuser, aussi maladroitement qu’il était tombé.

            Désespéré par ce spectacle affligeant, l’éclaireur commençait à s'impatienter :

            — Bon, est-ce qu’on peut y aller maintenant ?

            Bien au chaud sous son épaisse cape de laine, la petite silhouette tourna immédiatement les talons en laissant à Arthus le soin de la suivre. Le garçon jeta un dernier regard par-dessus son épaule. Une brume épaisse s’était levée, l’empêchant de deviner la route par laquelle la citrouille était arrivée. S’il ne voulait pas être avalé par cette purée de pois mouvante, il valait mieux qu’il presse le pas.

            Heureusement, l’éclaireur s’était arrêté quelques mètres plus loin. À ses pieds, la route s’enfonçait dans des douves emplies d’une eau noire et fumante. Arthus jaugea le majestueux portail en pierre qui trônait de l’autre côté du fossé. Au-dessus de la clef d’arc, il reconnut les six étendards des clans du royaume. Chaque drapeau était cousu dans le tartan traditionnel d’une famille de mages : le jaune pour la famille des Illusionnistes, le bleu pour celle des Élémentaires, le vert pour celle des Alchimistes, le rouge pour les Distordeurs, le marron pour les Mentalistes et enfin, le noir pour les Pandonums.

            Sous les étendards, encadré par deux flambeaux, Arthus remarqua un étrange visage sculpté. Mi-homme, mi-animal, le masque de pierre arborait deux énormes cornes de bouc. Les pourtours de sa bouche, béante et menaçante, donnaient naissance à une épaisse barbe en feuilles de lierre qui s’emmêlait avec le reste de sa chevelure bouclées.

            — Fosgail an doras ! déclama soudain l’éclaireur.

            Le faciès pétrifié s’anima tout à coup dans un bâillement désinvolte.

            — Présente-moi notre visiteur, réclama-t-il d’une voix endormie.

            Des hennissements, sans doute provenant des écuries, firent sursauter Arthus.

            — Carron ! Cesse de parler si fort ! Tu vas réveiller tout le château... réclama l’accompagnateur d’Arthus.

            — Alors ? Qui est-ce ? insista le masque sans prêter la moindre attention à sa demande.

            — Ce n’est pas un invité. C’est un nouvel assistant.

            — Un sans pouvoir ? Ça, pour une surprise ! C’est tout à fait inattendu ! fit-il dans un regain d’énergie qui surprit Arthus. Depuis quand n’avons-nous pas accueilli de don à rien en ces murs ?

            — Tu le sais très bien et ce n’est pas le moment d’en parler. Ouvre la porte, s’impatienta la silhouette.

            — Maintenant que tu le dis, je me souviens très clairement avoir abaissé le pont-levis à une gamine boudeuse et colérique il y a de ça, quoi, quatre ans ? répondit le visage avec malice.

            L’éclaireur grogna.

            Se pouvait-il que cette silhouette encapuchonnée soit la fillette en question ? Si l’hypothèse d’Arthus était bonne, cela signifiait qu’elle était une Don à rien. Le garçon n’aurait jamais pensé rencontrer un autre sans pouvoir aussi rapidement après son arrivée au Magistère.

            — Le temps passe si vite quand on s’amuse, tu ne trouves pas Ewen ? fit Carron, un soupçon de provocation dans la voix.

            Arthus avait vu juste. Ce petit éclaireur grincheux était un sans pouvoir !

            — Parle pour toi ! le rabroua-t-elle. Ouvre cette porte avant que les grognards qui se cachent dans le brouillard ne nous attrapent !

            — Les quoi ? hoqueta Arthus.

            — C’est hors de question, se renfrogna le bouc humain.

            — Comment ça, c’est hors de question ? répéta Ewen.

            — Je suis le gardien de ce château et, en tant que gardien, la reine compte sur moi pour ne pas laisser entrer n’importe qui. Allons, décline l’identité de ce Don à rien !

            — Comment t’appelles-tu ? marmonna-elle à l’intention d’Arthus sans se retourner.

            — Arthus... Arthus Pumpkin. C’est quoi des grognards ?

            — Arthus Pumkin ! énonça distinctement la jeune fille, sans prendre la peine de répondre à sa question. Ouvre-nous. Maintenant !

            — Non.

            — Mais enfin, Carron ! cria Ewen.

            Arthus se retourna et découvrit avec effroi que la brume avait déjà fait disparaître la citrouille. Il ne savait pas si son imagination lui jouait un mauvais tour mais il lui semblait percevoir des grognements. Peu importe ce qui se cachait dans ces ténèbres, il n’avait pas envie de faire sa connaissance.

            — Je suis une vieille personne et il se pourrait bien, qu’en tant que telle, j’ai un certain penchant pour la politesse, assura le masque.

            — Carron, ouvre-nous la porte... s’il te plaît, concéda enfin Ewen.

            — Non, fit-il à nouveau.

            — Mais ?! protesta-t-elle en tapant du pied.

            Le masque éclata d’un rire guttural.

            — Voyons ! Je plaisante ! Après vous...

            Avec un bruit de chaînes et de poulies, le pont-levis s’abaissa et la herse qui fermait encore le passage se souleva. Ewen et Arthus traversèrent la passerelle sans plus attendre. Elle fut relevée immédiatement après leur passage, pour le plus grand soulagement d’Arthus.

            — Tu ne laisses pas entrer la citrouille ? demanda-t-il. Elle semblait tellement épuisée après ce long voyage... Et puis, ces grognards...

            — Tu as envie de lui laisser ton lit ? le coupa Ewen avant de reprendre sur un ton un peu moins méprisant : Fais-moi confiance, même ces horribles créatures ne prendront pas le risque de s’approcher de trop près du carrosse. Je ne sais pas qui élève les citrourbaines, mais elles sont toutes affreusement affectueuses. Ne t’en fait donc pas. Elle ne risque rien.

            Arthus eut une pensée émue pour sa mère.

            — Je vais te conduire jusqu’au dortoir des garçons, lança la jeune fille. Suis -moi, ne traîne pas.

            Derrière les remparts, Arthus découvrit enfin Peebles.

            C’était une petite ville fortifiée dont les maisons, toutes tordues, possédaient une échoppe au rez-de-chaussée surplombée de colombages. Au moment où Ewen et Arthus passèrent devant la première bâtisse, la lanterne fixée au chambranle de sa porte s’éclaira. À l’intérieur, une lueur bleutée ondulait gracieusement.

            — Un feu follet domestique..., s’extasia Arthus, sans quitter des yeux la flammèche qui s’éteignit immédiatement après son passage, juste avant que la suivante ne prenne le relais.

            Arthus était ébahi. Les mages de la capitale avaient réussi à concevoir un système d’éclairage public capable de se mettre en marche au passage d’un riverain !

            Soudain, il s’arrêta net. Sa mâchoire se décrocha sous l’effet de la surprise. Il n’en croyait pas ses yeux. D’énormes ballons flottaient au-dessus des petites baraques. Il secoua la tête et se frotta les yeux. En réalité, ces grosses montgolfières n’étaient pas tout à fait déconnectées des habitations. Elles étaient amarrées à leur maison mère par des coursives et aux escaliers en bois biscornus, formant de véritables annexes recouvertes de briques et de tuiles. Certaines demeures ne possédaient qu’une ou deux excroissances de ce genre mais d’autres pas moins cinq ou six, au point que Peebles ressemblait à un énorme pied de pleurotes !

            — Je t’ai dit de ne pas traîner ! cria Ewen.

            Arthus se remit en marche, les yeux rivés sur ces drôles de satellites, talonnant du mieux qu’il put sa guide, peu encline à commenter la visite. Une seule et unique ruelle serpentait au milieu de cette incroyable champignonnière et, bientôt, elle se transforma en un escalier étroit et escarpé. Après plusieurs minutes d’ascension, Ewen et Arthus se présentèrent devant une porte en bois aux larges charnières métalliques. La jeune fille s’empara de l’anneau en fer qui ornait l’un des deux battants et tira de toutes ses forces. Un souffle chaud caressa immédiatement le visage d’Arthus.

            Ils étaient enfin arrivés au magistère.

            Devant lui s’étendait une galerie aux proportions d’une cathédrale. Soutenant le plafond, des piliers en pierre se rejoignaient en de magnifiques ogives florales. Au cœur de ces fleurs monumentales pendait un lustre conique composé de plusieurs couronnes de bougies et, entre ces luminaires, de longs fanions aux couleurs des clans étaient suspendus.

            Quand elle eût refermé la porte, Ewen devança à nouveau Arthus qui mit un instant avant de lui emboîter le pas. Il ne parvenait plus à quitter des yeux les fresques qu’il venait de découvrir au-dessus des voûtes. Arthus ne tarda pas à comprendre que chacune de ces peintures illustrait un évènement fondateur d’un clan.

            Du côté droit, il y avait d’abord la chimère des Illusionnistes, étrange lion doté d’une seconde tête de bouc et à la queue de serpent. On racontait que cette créature avait été créée par un mage du clan au cours d’une partie de chasse afin d’éloigner un sanglier agressif qui avait acculé la monture d’une reine. Arthus découvrit aussi la licorne des Alchimistes dont la corne, réduite en poudre et versée dans la coupe de vin d’un puissant Magistre, lui avait révélé que son breuvage était empoisonné. Il ne tarda pas non plus à reconnaître le labyrinthe des Mentalistes, symbole des pensées dans lesquelles ces mages déambulaient sans jamais se perdre.

            Sur le mur de gauche, Arthus vit également l’étoile des Élémentaires dont chacune des cinq branches figurait un élément : l’air, le feu, l’eau, la terre et la magie. Un peu plus loin, il reconnut le marteau et l’enclume des Distordeurs, mages capables de déformer les lois physiques aussi facilement qu’un maréchal ferrant pouvait modeler un fer à cheval. Finalement, il entr'aperçut l’éclipse du clan des Pandonums. Ces mages, très craints, pouvaient s’emparer du don d’un autre, comme la lune vole son éclat au soleil l’espace d’un instant.

            À force de garder le nez en l’air, Arthus en oublia ses pieds et faillit bien trébucher sur un renflement du tapis qu’il parcourait. Celui-ci courait jusqu’au fond de la salle où trônait une massive cheminée. À sa grande surprise, Arthus découvrit, juste au-dessus du chambranle, le visage de Carron taillé dans la pierre. Il voulut demander à Ewen si le gardien du magistère avait son portrait sculpté dans toutes les pièces du château et s’il pouvait en prendre possession à sa guise, mais elle s’était déjà engouffrée sous une arche, discrètement dissimulée dans un renfoncement. Le garçon jeta un dernier regard au bouc humain qui répondit à son interrogation muette par un clin d’œil complice.

            Après avoir gravit les marches d’un escalier à vis, Arthus et Ewen arrivèrent dans un étroit couloir flanqué d’une dizaine de petites portes en bois. La jeune fille s’arrêta devant la dernière porte et, pour la première fois, daigna abaisser la capuche de sa cape.

            Arthus découvrit alors une jeune fille d’au moins trois ans son aînée. Sa peau, halée, mettait en valeur le vert presque transparent de ses yeux en amande. Ses cheveux, d’un brun chatoyant, étaient tressés négligemment et quelques mèches s’en détachaient. 

            — Voici ton dortoir. Tu le partageras avec les autres garçons sans pouvoir. Tu n’y trouveras personne ce soir car tous les Dons à rien sont réquisitionnés pour...

            Ewen sembla hésiter.

            — Un conseil des Magistres spécial, dit-elle finalement.

            Ewen s’exprimait avec beaucoup d’assurance. Sans l’intervention de Carron, Arthus n’aurait jamais pu deviner qu’elle était une sans pouvoir. Son port de tête, altier, excluait d’emblée la possibilité qu’elle porte un tel fardeau. Rien à voir avec l’attitude d’Arthus dont le corps tout entier semblait s’excuser d’exister. Quelles sortes de brimades et de moqueries avait-elle subi pour s’endurcir à ce point ? s’interrogea Arthus.

            — Je viendrai te chercher demain à la première heure. Tiens-toi prêt. Bonne nuit !

            Quand Arthus pénétra dans le dortoir, un frisson lui glaça immédiatement le sang. À en juger par l’odeur de cendres froide, le feu s’était éteint depuis plusieurs heures déjà. Arthus s’avança prudemment au centre de la chambrée, éclairée par les seules torches du couloir. Le dortoir était circulaire et meublé sommairement. Les quatre couchages étaient organisés de sorte à ce que les pieds des lits soient tous orientés vers l’âtre de la cheminée. Un haut vitrail filtrait jalousement les rayons lunaires.

            Le sac d’Arthus se mit alors à remuer.

            — Est-il possible de me sortir de là ?

            Augustin !

            Arthus s’assit sur le seul lit qui n’était pas fait et écarta l’ouverture de sa sacoche pour faciliter le passage de son nouveau compagnon. Celui-ci se glissa jusqu’à la sortie puis se mit à sautiller sur le matelas comme pour en apprécier la densité.

            — Hum... fit-il. Cela manque un peu de confort !

            Arthus regarda autour de lui et ne put qu’être d’accord avec lui.

            — Raconte-moi, continua le livre, qui était la jeune fille qui nous a mené jusqu’ici ?

            Le garçon lui raconta comment, grâce à Carron, il avait découvert qu’elle s’appelait Ewen et qu’elle était une sans pouvoir.

            — Elle avait l’air bigrement de mauvais poil, fit l’artificium.

            Arthus acquiesça.

            — Augustin, tu savais que cela faisait cinq ans qu’aucun Don à rien n’était venu s’installer à Castlerock ? Le dernier sans pouvoir à être arrivé au Magistère est Ewen.

            L’artificium répondit par la négative.

            — La seule information que je possède au sujet de ce château, dit-il, c’est un plan détaillé de toute la bibliothèque. Savais-tu que ton grand-père avait travaillé ici avant d’ouvrir sa petite librairie à Wintertown ? Nul doute que c’était un homme très organisé !

            — Je l’ignorais, assura Arthus.

            Soudain, une ombre fut projetée sur le sol. Sur le pas de la porte, Arthus découvrit une silhouette difforme. Il fronça un peu les yeux. Il s’agissait d’un petit singe blanc bossu, pas plus haut qu’un bambin. Il avait de petites oreilles taillées en pointes et de grands yeux, aussi bleus que deux saphirs. Il tenait par un pan un énorme sac de buches, balancé sur son épaule.

            — Veuillez m’excuser, dit la créature en baissant la tête. Je venais simplement nourrir le feu.

            À ces mots, le singe posa son gros baluchon au sol, en sortit trois grosses buches mais avant qu’il ne puisse les jeter dans le foyer, l’une d’entre elles lui glissa des pattes et tomba sur le dallage. La créature se confondit en excuses et Arthus s’approcha pour l’aider.

            — Ce n’est pas grave, ne t’inquiète pas. Je m’appelle Arthus, dit-il.

            Le petit singe le regarda avec curiosité avant de détourner les yeux.

            — Charbon. Je suis Charbon, répéta finalement le singe en se relevant.

            Arthus observa le tas de bois que l’animal charriait dans son sac.

            — Personne ne t’aide à transporter tout ce bois ? demanda Arthus en le regardant rallumer les braises.

            — Non, c’est mon travail. Je suis le Domovoï du château.

            — Le Domovoï ?

            — Oui, je suis un esprit protecteur du foyer, expliqua le petit singe.

            — Oh, je vois.

            Arthus observa Charbon s’affairer. La créature boitait.

            — Tout ce bois doit être bien lourd à porter... fit Arthus. Quand on y pense, c’est un peu ridicule.

            — Quoi donc ? demanda timidement le petit singe.

            — Et bien... hésita Arthus, un Élémentaire pourrait allumer les cheminées de tout le château en un claquement de doigts. Pourquoi te force-t-on à accomplir cette besogne ? Chez moi...

            Arthus suspendit la fin de sa phrase. Avait-il encore un chez lui ?

            — Chez moi, reprit-il, c’est ma sœur Catriona qui se charge d’allumer le foyer.

            Charbon considéra Arthus comme s’il venait de formuler une pensée parfaitement incongrue.

            — J’imagine qu’ici, à Castlerock, les mages n’aiment pas gaspiller leur magie, répondit le Domovoï en haussant les épaules.

            — Laisse-moi t’aider, proposa Arthus en se dirigeant vers le tas de bois.

            — Non, ce n’est pas ton rôle ! Et puis, qu’est-ce qu’on dirait ?

            Arthus réfléchit un instant. Ses yeux s’illuminèrent.

            — Peut-être que tu peux me montrer le chemin des cuisines ? Je n’ai pas mangé depuis ce midi. Je pourrai en profiter pour alléger ta charge jusque-là ? Enfin... Si tu es d’accord ?

            Charbon esquissa un sourire entendu.

 ***

            Charbon trottinait d’un pas habitué dans un dédale de couloirs et d’escaliers biscornus. Arthus pensa que retrouver son chemin ne serait pas chose aisée quand l’heure serait venue pour lui de regagner son dortoir.

            Une odeur de graisse, d’ail et d’épices embaumait l’air. Les cuisines ne devaient plus être très loin, pensa-t-il.

            — Charbon, si je comprends bien, tu es une sorte de Broonie mais d’où viens-tu ? demanda Arthus.

            — Je n’ai rien à voir avec ses coquins de lutins ! répondit le petit singe. Je viens du royaume de Russie. Je suis arrivée à Castlerock il y a douze ans. Le bateau qui nous emmenait en Amérique, mon maître et moi, a fait naufrage. Les vagues ont poussé mon corps sur une petite plage au nord du royaume. C’est un mage qui travaille ici qui m’a trouvé. Il m’a recueilli et offert cet emploi. Tu vois, là-bas ? demanda tout à coup Charbon.

            Il pointait du doigt le soubassement d’une porte par lequel poudrait de la lumière.

            — Ce sont les cuisines, expliqua-t-il. Tu peux t’adresser sans crainte à Moira, la cuisinière. Elle te donnera de quoi manger.

            — Merci, fit Arthus en rendant à Charbon les quelques buches qu’il avait tenu à porter.

            — C’est à moi de te remercier, répondit le petit singe.

            Arthus l’observa qui s’en allait en claudiquant, son gros ballot de bois dans le dos.

            Il s’apprêtait à toquer à la porte des cuisines, mais le bruit d’une porte qui tournait sur ses gonds à l’autre bout du couloir lui fit suspendre son geste. Au même moment, la flamme de l’une des torches du couloir s’éteignit, comme balayée par le souffle d’un géant. Les lieux étaient plongés dans une pénombre inquiétante. C’est alors que des pas résonnèrent sur les pavés avant de s’immobiliser.

            La tête rentrée dans les épaules et les yeux froncés, Arthus ne cessait de se demander s'il devait se cacher ou s’enfuir. Ce ping-pong de pensées laissait son esprit indécis. Ses pieds, quant à eux, restaient immobiles, comme s’ils étaient englués dans de la marmelade. Il trouva la force de tourner la tête et distingua finalement la silhouette d’un mage. Son visage était entièrement dissimulé sous la capuche de sa longue cape. Une mauvaise odeur de vase parvint aux narines d’Arthus.

            C’est alors que la porte des cuisines s’ouvrit en libérant un intense faisceau de lumière. L’indésirable présence d’Arthus venait d’être mise à jour ! Le mage tourna brusquement la tête et lui offrit la vision d’un œil cerné, barré d’une longue cicatrice.

— Tu m’as fait une peur bleue ! s’exclama la femme qui sortait des cuisines. Qui es-tu et pourquoi diable restes-tu planté là ?

            — J-je... bégaya Arthus en jetant un œil dans le couloir.

            La torche brûlait à nouveau et la silhouette encapuchonnée avait disparu.

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