Vinland

Pleine lune, le bateau se balançait sous les étoiles. Le jeune Erik n’arrivait pas à dormir et était couché sur le pont en observant les étoiles, c’était sa première expédition en mer et il était peu confiant.

- Erik ! Va te coucher ! On arrive au village dès demain matin, tu dois être prêt ! commanda son père, le chef de leur village, Ragnar.

- Je n’arrive pas à dormir père, j’ai peur de me faire tuer !

- Tu es faible ! Autant physiquement que mentalement ! Tu es un déchet pour notre village ! gronda Ragnar d’une voix forte qui résonna dans les environs.

- Chef ! Terre en vue ! alerta un des compagnons de Ragnar depuis le haut du mât.

- Parfait ! Et toi, tu as intérêt à être prêt pour le raid ! dit-il en pointant Erik du doigt.

Quelques heures plus tard, le navire s’enfonça dans la plage de cailloux et tous les guerriers descendirent, ils étaient recouverts de peaux de bêtes, d’armures en métal et en cuir ainsi que de casques à cornes.

Une fois que tous eurent touché le sol, Ragnar prit la tête et ordonna à tous de se mettre en route. Ils lui obéirent rapidement et se turent pour ne pas faire de bruit.

Pendant près de deux heures, le groupe avait marché et ils avaient finalement atteint le haut d’une colline, ce qui leur permettait d’observer le village ennemi. Ce village était grand, une quinzaine de maisons, un temple sans doute dédié à Odin ou à Thor, et une grande bâtisse, sûrement la maison du chef.

- Nous attaquerons à l’aube, indiqua Ragnar à voix basse.

- Oui chef ! répondirent tous les Vikings en cœur à l’exception d'Erik, tétanisé.

Environ une demi-heure plus tard, le soleil commençait à se lever et avait illuminé la colline. À ce moment, plusieurs barbares prirent des arcs et encochèrent des flèches dont la pointe fut allumée. Ragnar se leva, détacha une corne de sa ceinture et porta le bout à sa bouche avant de souffler. Le son sortant de la corne ressemblait au cri d’un dragon, au moment même où il se manifesta, toutes les flèches enflammées fusèrent dans le ciel pour toucher plusieurs maisonnettes qui prirent presque instantanément feu. Quelques secondes plus tard, les compagnons de Ragnar commencèrent à courir vers les maisons d’où sortaient des villageois affolés.

- Tuez les hommes et les enfants ! Enlevez les femmes et volez les richesses ! Par Odin ! gueula Ragnar en se lançant lui-même dans les flammes.

Les cris et l’odeur du sang emplissaient l’air et empêchaient Erik de bouger le moindre muscle. Soudain, plusieurs hommes sortirent de la maison du chef, ils étaient habillés de la même façon que les attaquants, mais ils n’avaient qu’une corne sur leurs casques. Ils se mirent à protéger les villageois sans défense qui ne pouvaient que fuir ou gémir en voyant les Vikings ennemis arriver sur eux. Mais les hommes aux ordres de Ragnar bénéficiaient de l’effet de surprise et ils prirent rapidement le dessus sur leurs adversaires, les éliminant, un a un.

Une fois la menace éliminée, Ragnar ordonna qu’on rassemble toutes les femmes et les richesses au centre du village, puis il se tourna vers son fils.

- Pfff… Incapable, va vider les maisons, c’est visiblement la seule chose que tu peux faire.

- Ou…Oui…p…Père !

Erik se releva et partit en direction de la maison du chef à toute allure, sachant que les punitions de son père étaient bien pires que de devoir achever un ou deux Vikings.

Il entra en poussant la porte faite de sapin et arriva dans un hall richement décoré, la maison était visiblement séparée en plusieurs pièces. Il entra dans la deuxième, c’était une pièce à vivres, avec une grande marmite sur le feu et une table imposante qui trônait au milieu.

De cette salle, on pouvait entrer dans quatre autres, Erik prit sa hache et ouvra la première porte avec appréhension, une chambre vide avec seulement quelques lits. Il ouvrit la deuxième porte, un garde-manger avec énormément de vivres et de vins. Troisième pièce : une grande bibliothèque avec un bureau couvert de parchemins de toute sorte, Erik s’en rapprocha prudemment et fit une rapide lecture. C’était incroyable ! Ces parchemins parlaient d’une terre inconnue, la terre des dieux et du vin : Vinland.

Erik emporta les parchemins en les enfournant dans sa besace en peau de bête.

Enfin, il s’approcha de la dernière porte. Il s’apprêtait à l’ouvrir lorsqu’il entendit des gémissements, son corps se crispa et commença à trembler. Il allait devoir… Tuer quelqu’un.

Il se résigna et mit un grand coup de pied dans la porte qui claqua contre le mur, c’était une chambre faiblement éclairée par des bougies et un feu en son centre. À l’opposé de la porte se trouvait un grand lit surplombé par des têtes de lions, de loups, et d’un ours. Erik s’approcha doucement en pointant sa hache vers le lit. Mais avant qu’il ne l’atteigne, un grand cri vint le surprendre, il se retourna juste à temps pour voir l’épée du chef du village arrivé sur lui. Il l’esquiva de peu en tombant au sol et fit un grand mouvement de bras avec sa hache, ce qui trancha la gorge de l’homme qui vint s’écrouler sur lui dans un grand fracas.

Une femme se leva dans le lit et vit son homme au sol dans une mare de sang, elle se mit à crier. Erik réussit à sortir de sous le cadavre et pointa son arme sur la femme qui tentait de cacher son corps avec les draps, Erik tremblait de tout son corps et n’arrivait pas à cesser de regarder l’homme qu’il avait tué, il avait pris une vie !

Son père entra et vit la scène qui se déroulait sous ses yeux avec un regard déconcerté, puis il se mit à sourire à pleines dents avant de s’approcher de son fils. Il lui frappa l’épaule en disant :

- Bravo fils, tu es enfin devenu un homme ! Pour te récompenser, cette femme sera à toi ! dit-il en pointant la femme de la main, cette dernière frissonnante d’horreur et de peur.

- P… Père…. J’ai… Pris une vie…

Ragnar arrêta de sourire lorsqu’il entendit les paroles de son fils.

- Ce Viking était un ennemi, il t’aurait tué si tu ne l’avais pas fait avant !

- M… Mais…

- Il suffit ! emmène cette femme, on retourne au bateau avec le butin !

-  Oui Père…

Erik reprit son calme de son mieux et s’approcha de la femme qui commençait à pleurer en serrant son drap contre sa douce peau. Il lui prit le bras et la fit se lever. Elle lâcha son drap et elle ne put le reprendre, elle fut menée dehors ou toutes les femmes avaient été attachées au niveau des poignets et du cou, des baillons enserraient leurs bouches.

La femme du chef recommença à pleurer de peur et de honte, son corps était à la vue de tous, et elle avait été promise à l’homme qui avait tué son mari.

Les Vikings se séparèrent entre l’avant et l’arrière de la chaîne humaine et commencèrent à retourner au navire en emportant richesses et femmes. Erik, s’était enfin calmé et était parti voir son père, Ragnar. En arrivant près de lui, il l’appela pour lui montrer le parchemin parlant de la terre de Vinland.

Le chef des Vikings observa et lut le parchemin avec de plus en plus d’intérêt, puis une fois qu’il eut fini sa lecture, il commença à rire. Il prit sa corne pour appeler ses hommes et commença :

- Changement de plan ! Nous repartons pour le village ! Nous allons nous préparer pour un grand voyage vers l’extrémité de ce monde !

- Bouaaaah ! gueulèrent à l’unisson les nombreux guerriers.

- Et ce sera Erik, mon fils, qui nous guidera en mer !

- Quoi ? protesta Harold, ce n’est qu’un gamin ! Il n’a même pas combattu lors du raid !

- Tu protestes contre mes ordres ? Tu veux me combattre ? Si tu gagnes, tu deviendras le nouveau chef !

Harold commença à suer à grosses gouttes en voyant son commandant dégainer sa lame, mais il se mit malgré tout en position, il n’avait pas le choix. S’il abandonnait, il serait exclu et considéré comme déserteur.

Les deux combattants se faisant face, l’un maniait une longue épée noire semblant être forgé en acier de Völundir (la plus grande et prestigieuse forge des nains), l’autre maniant une hache de guerre que le sang avait coloré en rouge. Les deux adversaires se regardaient dans les yeux, puis Ragnar fit un bond en avant en armant son épée, Harold fit un demi-cercle avec sa hache, ce qui la fit se scinder en plusieurs morceaux relié par des chaines de métal, le fouet s’enroula autour de la lame du chef viking et Harold envoya Ragnar percuter un rocher, mais au moment de frapper la pierre, Ragnar se remit sur ses pieds et tira le fouet pour faire venir Harold a lui. Ce dernier fut projeté vers son adversaire qui le frappa au crâne avec la garde de son épée, Harold s’effondra dans la neige. Ragnar démêla son épée et l’abattit sur le challenger qui ne put éviter la lame, évanouit.

Peu de temps après la fin du combat, le groupe reprit sa marche, prirent le bateau et arrivèrent deux jours plus tard dans leurs villages, de nombreux villageois vinrent les accueillirent et les aider à décharger les femmes et les richesses pillées.

Les femmes furent distribuées aux jeunes vikings comme des marchandises. Elles serviraient sûrement comme esclaves et les plus dociles et intégrés pourraient rejoindre la tribu en tant que femme libre.

Une semaine plus tard, tout était prêt pour le grand voyage vers la terre du vin. Les calles des cinq drakkars étaient remplies de vivres, d’eau douce et d’alcool, les Vikings qui avaient embarqué étaient au nombre de cent-six, certains avait pris leurs femmes ou leurs enfants avec eux. Et dès l’aube, les navires de guerre se mirent en route.

Les premiers jours de voyages furent simples, ils se contentaient de suivre les côtes avec pour but d’arriver au royaume le plus à l’Ouest. Une fois arrivé, ils partirent en ligne droite vers l’Ouest. La majorité pensait que c’était impossible qu’une telle terre de paradis existe et beaucoup étaient persuadés qu'Erik allait rapidement vouloir rebrousser chemin. Mais le jeune homme était bien déterminé à aller au bout de ce voyage. De plus, c’était la première fois que son père lui faisait confiance et lui donnait un pouvoir de commandement.

Au bout de seulement deux semaines en mer, tous les Vikings étaient démoralisés, et la plupart se contentaient de rester sur le pont à regarder dans le vide, d’autres essayaient de s’amuser comme il le pouvait, faisant de la baignade dans l’océan ou de la sculpture sur les tonneaux d’alcool. Le quatorzième jour du voyage, l’homme qui veillait en haut du mât sonna la cloche d’alerte en criant :

- Ile en vue ! Ile en vue ! Je répète, île en vue !

- Vraiment ? s’écrièrent tous les marins avec joie.

- À une heure, il y a une île !

- Que tous se préparent pour le débarquement ! cria Erik en faisant des signes à tous ses hommes.

Deux heures plus tard, ils arrivèrent sur l’île, mais tout était différent de leurs espérances, il n’y avait pas de plaines verdoyantes, de contrées inconnues regorgeant de richesses, il n’y avait que neige et glace à perte de vue, aucune vie ni animal ni végétale, rien que la mort. Et cela sur des kilomètres

- Erik tomba contre le sol, les larmes lui montaient aux yeux.

- Vous voyez ! Je vous avais dit que ce con allait nous mener à la mort ! s’écria un homme qui venait de descendre d’un des navires, il n’est pas digne de mener le groupe, et encore moins le village !

L’homme s’avança vers Erik, arrivé a à peine quelques mètres, il voulut donner un grand coup de pied dans la poitrine de son capitaine, mais sa tête disparut d’un coup, une traînée de sang vient couler sur la neige. Et l’un des bateaux explosa.

- Qu’est-ce qui se passe !?

- Regarder ! Là-bas !

Au loin, une étrange bête sortit des fourrés, elle était grande, au moins deux fois la taille d’un drakkar, une gueule pleine de dents acérées, et son corps était recouvert d’épines semblant être de l’acier.

- Un… Un dragon ! Ahhhh !

- Nous devons fuir !

- Mais comment ! Il peut détruire nos navires avant même qu’on ait remonté l’ancre !

Tous les Vikings étaient paniqués et tentaient de fuir dans toutes les directions, le dragon, quant à lui, arma sa queue et jeta à une vitesse effarante une pointe de sa queue qui vint toucher l’un des nombreux hommes qui s’écroula instantanément.

Erik s’était enfui et avait réussi à passer derrière le dragon sans se faire remarquer, il monta une petite colline derrière le monstre et sauta sur le dos de la bête qui rugit en agitant son corps dans tous les sens.

- C’est maintenant ou jamais ! Tuez-le ! cria Erik en tentant de traverser les écailles du dragon avec son arme.

Tous les hommes au service d’Erik commencèrent à courir vers le monstre, ils jetèrent un filet en acier pour l’immobiliser et ils ruèrent de coups de hache et d’épée. Plus de dix minutes après le début des hostilités, la bête poussa son dernier rugissement, les Vikings fêtèrent toute la nuit leur victoire et Erik gagna en confiance et en charisme, il gagna en ce jour le surnom d’Erik le rouge, référence aux sang de dragon qui avait tatoué sa chaire.

- Mais, commença l’un des guerriers, et si ce dragon était Fafnir ? Nous avons peut-être injurié Odin sans le savoir !

- Impossible !

- Il dit peut-être vrai…

Les inquiétudes se répandaient dans le groupe, mais Erik prit la parole :

- Vous racontez n’importe quoi ! Même si ce dragon est Fafnir, les dieux ne nous feront rien !

- Et pourquoi ça ?

- Selon la légende, Fafnir est devenu un dragon en cherchant à protéger son trésor, ce n’est pas une bénédiction d’Odin.

- Tu es sûr de toi ?

- Oui.

Les Vikings se turent peu à peu et reprirent finalement la fête, certains partirent explorer l’île à la recherche du fameux trésor de Fafnir, mais revinrent les mains vides.

Le lendemain, tous les guerriers mirent en pièces le dragon afin d’en rapporter écailles, chair et os, ces matériaux permettraient à leur tribu d’acquérir des armes et armures bien plus puissantes et résistantes.

Cela fait, tous embarquèrent, la confiance revigorée, pour se diriger vers l’Ouest, vers la terre du vin !

Encore une fois, le voyage ne fut pas très palpitant, et durant plus d’un mois, ils ne virent rien à l’horizon outre l’océan, quelques orages les dérangeaient parfois, mais malgré ça, ils s’ennuyaient à mort.

Près de deux mois après le début de leur longue aventure, un événement étrange eut lieu. Tous les jours, un ou deux Vikings disparaissaient mystérieusement, il n’y avait plus aucune trace d’eux, et ils n’allaient pas se jeter à l’eau, elle était trop froide pour ça. Soudain, en pleine journée, un cri vint sortir de l’ennui la totalité des marins, ils se tournèrent vers le lieu d’où provenait le cri et virent une gueule de dragon dévorer l’un de leurs compagnons.

Ce dragon était bien plus grand que Fafnir, il avait un grand corps enfoui sous l’eau avec un cou plus long qu’un sapin centenaire avec une tête de la taille d’un yack et une énorme gueule ressemblant à celle d’un pélican.

La bête termina de dévorer sa proie avant de se tourner vers les observateurs. Ses joues se gonflèrent comme des baudruches et il cracha un fin jet d’eau qui trancha le drakkar général en deux, les guerriers qui reçurent de l’eau sur eux furent brûlés jusqu’au troisième degré presque instantanément.

- attaquez ce monstre ! gueula Erik en armant lui-même son arc.

En quelques secondes, la créature mangeuse d’homme fut criblée de flèches, mais aucune ne parvint à traverser son épais cuir capable de résister aux plus puissants tourbillons. Plusieurs guerriers téméraires sautèrent à l’eau pour attaquer la créature au corps-à-corps, mais à peine furent-ils entrés dans l’eau qu’ils furent déchiquetés par la longue queue tranchante de la bête qui était jusque-là invisible depuis les ponts des navires.

La bête dévorait, tranchait, et brûlait de plus en plus de guerriers, tout semblait perdu, lorsque soudain, la créature eut un visage apeuré et elle s’enfuit sous l’eau. Erik donna l’ordre de rassembler tout ce qu’ils pouvaient sur le dernier drakkar intact. Sur les cent-six personnes partis à l’origine, il n’y avait plus que vingt-quatre survivants, dont sept blessés.

- Capitaine ! cria le veilleur du haut du mat, je vois une grande île droit devant nous ! C’est même un nouveau continent ! Je vois des forêts, des rivières, et aucune trace de neige !

Erik n’en cru pas ces oreilles, et son visage apeuré se transforma en un grand et radieux sourire

- Nous y sommes arrivées ! Enfin…

Erik tomba à la renverse et commença à pleurer. Il se releva et s’approcha de la proue du drakkar afin de voir la Vinland apparaître. L’île lui parut plus belle encore qu’en songe, le crépuscule rendait ce paysage encore plus idyllique.

Soudain, le ciel fut noir, c’était la pleine lune, le bateau se balançait sous les étoiles, Ragnar réveilla son fils en le frappant dans l'estomac, Erik cracha de la salive en se tenant le ventre.

- Incapable, on arrive dans une heure, réveille toi !