" Putain mets ton fichu orgueil de merde de côté ! Tu l'aimes, tu veux le garder alors dis-le lui !"
" Je compte sur toi pour venir lui dire au revoir demain."
Yann soupire.
- De quel droit me disent-elles ce que j'ai à faire ? Savent-elles seulement ce que je ressens ?
Il n'aurait pas dû venir. Il est tellement en colère après Gabriel qu'il se croit bien incapable de lui dire au revoir en souriant et impossible de le supplier de rester.
- Et puis quoi encore ?
Pour quelle raison être venu jusqu'ici ? Il ne le sait pas. Il craint sa propre réaction. Il a été tellement abasourdi par la nouvelle. La haine et la vexation ont suivies. Puis, il s'est maudit d'y avoir cru, d'avoir eu confiance si facilement. La peine et la douleur se sont posées par-dessus cette montagne de sentiments. Ce matin le tout se cogne dans sa tête, l'empêchant de savoir comment réagir.
Il est là depuis une bonne demi-heure lorsqu'il les voit entrer dans l'aérogare. Gabriel est pâle comme la mort et sa démarche hésitante et lente.
- Il a tout d'un zombie...
La sœur, elle, s'affaire très active à côté de lui. Ils ont l'air d'avancer dans des dimensions différentes.
Laurianne s'aperçoit de suite de sa présence, elle n'en montre pourtant aucun signes, occupée qu'elle est à discuter avec son compagnon. Erwan aussi l'aperçoit et ne manque pas de lui jeter un regard sombre avant de repartir seul vers le parking. La jeune femme s'éloigne de son frère en posant un œil insistant sur le réunionnais. Yann comprend qu'elle lui laisse le champ libre, pour quelques minutes tout au moins.
Comment réagir ? Que dire ? Il choisit de laisser les réactions de Gabriel décider de la marche à suivre.
Il s'approche lentement, Gabriel assis tête basse est le seul à ne pas l'avoir remarqué. Les cheveux devant les yeux, un teeshirt sans forme, un jean râpé et des baskets ouvertes, un look qui se veut décontracter et banal mais qui ne va pas du tout avec sa mine. À trois mètres à peine Yann s'arrête et reste là, muet.
Le brun finit par tourner la tête, sans doute s'est-il senti observé. À sa vue, tremblant, il se lève d'un bond.
La silhouette de Yann flotte devant lui, telle une apparition magique, le rouquin lui donne tant l'impression d'être fragile. Il a beau relever le menton et jouer le fier, la douleur déforme son expression.
Gabriel a honte.
A quoi ressemblent-ils ? Étonnés l'un et l'autre d'ignorer quoi dire et quoi faire.
Yann espère un mot, Gabriel a peur de parler. Une erreur et l'autre disparaît. Gabriel croyait ne jamais plus le revoir et désormais, après cette nuit, il se rend compte que "jamais" est une réalité bien terrifiante.
À cet instant, son Yann se trouve à porter de main. Pour Gabriel c'est presque trop beau. Si proche et en même temps si loin. Ils font face à un moment fragile qu'un rien peut stopper, comme on souffle une bougie.
Finalement Yann se décide à parler.
- Je ne suis pas assez faible pour te supplier et pas assez fort pour te pardonner.
- Je suis désolé.
- Si c'est tout ce que tu as à dire...
Il se détourne et fait mine de partir.
- Noon !
Gabriel est sur lui en trois enjambées, il se plaque contre son dos l'enserrant de toutes ses forces.
- Pourquoi je suis ici ? Tu veux savoir ? renifle Yann. J'espère comme un con, malgré tout ce que tu m'as fait !
- ...
- Lâche... lâche-moi ! le supplie Yann pour qui, il est exclu de pleurer.
Gabriel refuse de la tête, le serrant plus fort encore.
- Vois à quel point je suis idiot, je vais continuer à me blesser, jusqu'à ce que tu ais disparu, ajoute l'androgyne.
- ...
- Aller ça suffit maintenant lâche-moi ! Tu ne comprends pas ce que tu es en train de me faire ? !
- Ch'ais pas c'qui m'fait l'plus flipper, rester là loin d'tout ou t'perdre, avoue le parisien.
- Tu n'penses qu'a toi, lui envoie Yann. Qui va être seul quand tu seras partie ? Quoi que tu décides, ce ne sera pas toi.
Il l'a fait, il a écouté les conseils de Marie, mais Gabriel ne montre aucune nouvelle réaction.
- Gabriel, Erwan arrive, on y va, dépêche-toi de dire au revoir à ton ami.
Il se raidi au son de la voix de sa sœur mais ne lâche pas prise et Yann n'ose plus remuer. Il y a quelque chose de surprenant dans la force que Gabriel déploie tout-à-coup.
- Gabriel tu m'entends ? On va faire enregistrer les bagages et tu...
- Non !
Yann vibre contre le corps de son ami. A-t-il bien entendu ?
- Pardon ? l'interroge Laurianne.
- J'peux pas, souffle son frère sans plus de mouvement.
La main de Yann se referme alors doucement sur les siennes, un espoir ?
- Tu te fiches de moi ? Tu comptes faire quoi ? s'impatiente son aînée qui ne s'attendais quand même pas à un tel revirement.
- ...
- Je t'ai demandé ce que tu comptes faire ? crie-t-elle à présent. Nous faire rater cet avion ?
- Non, j'veux plus partir c'est tout !
- C'est tout ? Il ne veut plus partir et c'est tout ! C'est la meilleure ! Tu ne pouvais pas réagir avant ? Non, tu nous mets devant le fait accomplis et pire, tu fais souffrir les gens par ton indécision ! C'est vraiment lamentable Gabriel !
Sa sœur s'énerve, il prend peur et lâche Yann dont la main retombe mollement.
- Je, Je suis désolé.
- C'est tout ce qu'il sait dire ! Grogne Yann entre ses dents.
Gabriel recule et Yann se retourne, à deux pas de Laurianne, ils sont deux à présent à faire face à l'indécis.
- Gabriel, tu ne peux pas partir ou tu ne veux pas ? Si tu ne vas pas bien, j'ai ce qu'il faut pour que tu puisses dormir dans l'avion.
Yann ne dis rien.
- Ça n'a rien à voir ! Je l'aime !
(Silence)
Le réunionnais se mord la lèvre. Peut-il seulement croire en ce qui arrive là ?
- Qu'est-ce qui se passe ? Et qu'est ce qu'il fout là lui ?
Le retour d'Erwan, fait grincer les dents de Yann, il ne manquait plus que lui.
- Je m'en occupe, lui certifie sa compagne, sur un ton qui l'inquiète. Est-ce que tu peux amener à l'enregistrement, une partie des bagages, je te rejoins, ajoute-t-elle.
- Attend, il se passe quoi là ?
- Si j'ai bien compris Gabriel ne rentre pas avec nous.
- QUOI ? !
Il a crié si fort que Gabriel en a sursauté.
- C'est bien ça ? lui redemande sa sœur.
Il n'est plus très sûr, il bafouille, cherche Yann du regard, ce dernier à les yeux vides. Le rouquin blessé, attend le dénouement.
- Écoute, je suis passablement énervée là, j'ai besoin de réponses claires, Tu restes ou tu parts ?
Sa respiration s'accélère, il manque déjà d'air.
- Tu as l'air complètement à côté de la plaque, lui lance-t-elle. Et je m'inquiète pour toi mais tu as dix neuf ans, je ne vais rien décider à ta place !
Erwan, revient à la charge.
- Écoute c'est n'importe quoi ! C'est l'autre là, qui lui a mis ses idées en tête ! Gabriel, tu ne vois pas le mal que tu fais à ta sœur ? Ne nous complique pas la vie ! Cet espèce de dégénéré...
- Erwan vas t'occuper des bagages, s'il te plaît ! insiste-t-elle.
- Mais...
- J'me casse ! lâche enfin Gabriel, attrapant soudainement Yann par la main.
- Très bien casse-toi, on part sans toi alors !
Elle lui colle sa paume de main sur le torse, avec au creux, le billet d'avion.
- Si c'est vraiment ce que tu veux, voilà ton billet, change-le, rapidement, il est assuré. Nous, on s'en va. Je te préviens, ne vient pas pleurer après. Tu te démerdes !
Elle tourne les talons, Erwan hébété les toise à tour de rôle.
- Ha ouais comme ça ? Nan mais attend, on croit rêver là !
- Erwan on y va !
- Tu es content hein ? accuse-t-il le roux, avant de finalement tourner les talons.
*
Laurianne nerveuse tape du pied dans la file d'attente.
- Qu'est ce qui te prend ? Tu vas le laisser là ? Tu es sérieuse ?
- Laisse-moi gérer ça tu veux. Ça n'est plus un gamin, il est majeur, il est temps qu'il soit responsable. Je trouve franchement dommage qu'il agisse de la sorte, me faire croire qu'il vient, laisser son copain dans l'expectative pour ensuite lui imposer une souffrance gratuite. Ça n'est pas un comportement très adulte.
- Responsable ? C'est ce mec qui lui a tourné la tête, tu ne vas pas le défendre ? ! Tu crois que ton frère se rend compte de ce qui se passe ? Tu es vraiment trop romantique toi ! Ce gars là, le manipule ! Il a trouvé de la chaire fraiche, il est content. Tu vas le laisser gâcher la vie de ton frère ?
- Ça n'est qu'une question d'un ou deux mois, quand il rentrera, je lui imposerais de reprendre la FAC.
- Comment est-ce que tu peux être sûr qu'il va rentrer ?
- J'ai de bonnes oreilles, ils n'ont pas prévu de rester là.
- Ha bha très bien, tu étais au courant de quelque chose, c'est ça ? Et tu n'as pas trouvé utile de m'en informer, l'accuse Erwan, sidéré.
- Ça ne te regarde pas, c'est entre mon frère et moi !
- Ok d'accord, j'ai absolument rien à voir là dedans ! Bah oui, ça fait plaisir ! Y'a des années que je me le coltine ton frère ! Un weekend en amoureux sans lui c'est impossible parce que tu comprends, monsieur a des problèmes psychologiques. Et là d'un coup pouf ! Il part ! Là y'a pu de problèmes et même si y'en a, ça me regarde pas ! Y'a pas vingt minutes, il nous mobilisait pour une de ses crises dans la voiture et maintenant c'est pas grave, il est adulte ! Logique !
- Je n'te comprends pas, il ne se mettra plus entre nous, tu devrais être content ! Tu ne supportes pas son copain et c'est à lui qu'il incombera à présent de gérer les crises d'angoisses de Gabriel, vois ça comme une vengeance ! Pourquoi est-ce que ça t'énerve autant ? Alors qu'au final ça t'arrange !
- Laurianne, je te trouve assez injuste là, tu ne crois pas ? Je pige pas ton fonctionnement. Tu te bats depuis le début que je te connais pour rester avec lui, pour t'occuper de lui et là non. Et puis toi, tu étais peut-être préparée mais pas moi. Ça me tombe dessus en moins de vingt minutes ! Excuse-moi de poser des questions.
- Je suis désolée de ne t'avoir rien dit, tu détestes tellement Yann. Je ne souhaitais pas que tu t'en mêles. Je suis fatiguée, et s'il se repose ne serait-ce qu'un ou deux mois sur quelqu'un d'autre, je ne vais pas dire non. Bien je m'inquiète pour son avenir. Il faut aussi que j'accepte qu'il grandisse tu ne crois pas ?
- Et s'il lui arrivait quelque chose ? S'il ne revenait pas ? Bordel, il ne sait même pas cuire un œuf !
Il regrette de suite d'avoir parlé trop vite, en voyant des larmes dans les yeux de la femme qu'il aime.
- Chérie, excuse-moi.
- Je veux croire que ça va bien se passer, c'est tout.
- Je comprends, pardon. Quel petit idiot...
*
Leurs discussions pendant leurs onze heures d'avion iront encore bon train.
- C'est une décision qu'il devait prendre seul. S'il doit gâcher sa vie c'est son problème, je ne peux pas cautionner ça, affirmera-t-elle encore.
- Pourquoi ne pas refuser qu'il parte, puisque tu n'étais pas d'accord, justement !
- Je n'ai aucun pouvoir sur lui, aucun droit de l'empêcher de vivre sa vie et je voulais absolument qu'enfin, il s'en rende compte ! Qu'il sache qu'il reste maître de son destin, que quoi qu'il choisisse, même si je suis en colère, même si je ne suis pas d'accord, je l'aime et je ne l'abandonnerais pas. Il fallait qu'il se décide sans savoir, tu comprends ?
- Je ne suis pas certain que ce soit lui qui ait pris cette décision...
- Yann n'a absolument rien dit, il n'est venu que parce que je le lui ai demandé.
- Ha oui ? Ok... si tu penses que c'est mieux. Je reste certain que si tu avais dit un « non » catégorique, il serait parti avec nous.
- Je refuse qu'il me reproche cette décision, là il la prend seul ! Cette peur de l'abandon est devenue une vrai psychose, j'en suis à me demander s'il n'a pas cessé d'aller en cours pour rester cloitré avec nous à l'appartement.
- Tu vas m'accuser de bosser à la maison ?
- Hooo Erwan ! Qu'est-ce que tu vas chercher ? Évidement non !
- Ce Yann va bosser avec lui, il va le suivre partout, ça changera quoi ? Ça permute le problème sur quelqu'un d'autre c'est tout.
- Les choses n'évoluent pas en une seule fois, et malgré la présence de ce garçon, Gabriel a conscience, qu'il prend plus de risque en restant avec un mec qu'il connait à peine qu'en rentrant avec nous.
*
C'est bon, Gabriel n'a pas pris cet avion, pourtant en le suivant au pas de courses pour changer son billet, Yann n'a pas perçu la situation comme un succès. En réalité la réussite ce fut, quand il y a plus d'un mois, Gabriel acceptait de rester. Yann estime pour sa part, qu'hier, son copain a tout gâché. Ce matin, la situation ressemble plus à un rattrapage d'urgence, presque involontaire d'ailleurs. Cette victoire là, Yann l'avale de travers et elle lui reste coincée dans de la gorge. Marie dirait sûrement : " Tu n'es jamais content ! " Comment peut-on profiter, quand l'autre a vraiment failli se rétracter ? Quand en plus, on a l'impression d'être la cause d'une dissension dans la famille de l'intéressé ? Mais enfin qui l'a cherché au départ ? Qui l'a dragué dès le début ? Qui a refusé d'être de simples amis ? Qui lui a, enfin, mis ces idées d'amour et de ne pas se quitter en tête ? Yann enrage à l'intérieur.
- Et c'est de ma faute à présent ? Erwan m'a bien accusé non ?
" Tu es content hein ? " Cette phrase tourne dans sa tête depuis qu'ils ont quittés la salle d'embarquement.
Qui est l'égoïste ? Yann est fatigué d'avoir le rôle du chieur. C'est toujours pareil, avec Marie, avec Jean-François, avec ses propres parents aussi. En définitive même lorsqu'il fait les choses bien, il y a chaque fois un événement pour tourner la situation de telle manière qu'il sera, forcément, celui qui fout la merde.
Il devait être joyeux aujourd'hui, finalement il n'a même pas eu de baiser, pas de câlin, pas d'étreinte brulante, à penne des excuses du bout des lèvres et ce malaise qui le poursuit. Comment se comporter ? Il a presque l'impression de devoir remercier Gabriel, mais de quoi ? Il n'a rien réalisé d'extraordinaire, rien de plus que ce qu'il avait promis au départ non ?
Yann est blessé dans son amour propre, il a cru que Gabriel était suffisamment enflammé, pour ne plus se poser de questions ou tout au moins lui faire part de ses craintes. Il est en colère d'avoir été mis de côté pendant que son amant s'interrogeait, seul, sur leur avenir ainsi que pour son revirement de la veille. Même si en fin de compte, il reste, il semble qu'il y ait un fossé entre eux deux. Un abîme dont Yann ignorait jusqu'alors, l'existence, l'apprendre le déçoit et c'est douloureux.
*
À présent qu'ils ont quitté l'aéroport, Gabriel observe son amant de dos, il s'en veut. Yann est distant, ils n'ont pas échangé une parole depuis que Laurianne est partie. Il se sait responsable de la situation, s'il avait été un peu moins trouillard, cette scène n'aurait pas eu lieux. Il ignore quoi dire pour demander pardon. Puis la peur est toujours présente. Il se sent seul et déboussolé, malgré la présence de son chéri, il y a comme un troue dans le bas de son ventre. Pourtant Laurianne n'était pas assez en colère pour qu'il s'inquiète de leurs dernières phrases échangées, c'était de l'exaspération feinte. Il connait sa sœur par cœur.
À la sortie de l'aéroport, il s'est mis à pleuvoir, rien d'étonnant, le ciel ayant été gris dès l'aube. Le vent s'est levé davantage. En simple teeshirt, Gabriel est saisi, il a froid, il regrette d'avoir finalement remis blouson et pull dans son sac. Il est presque midi, la température ne doit pas être loin de vingt sept degrés, rien n'explique les raisons de sa frilosité du jour. Il grelote sans oser la moindre halte pour prendre un vêtement plus chaud dans sa valise. Yann avance très vite, déjà proprement agacé, pas la peine d'ajouter une lenteur supplémentaire à sa contrariété. Le brun accélère même un peu le pas jusqu'à atteint son rythme, pour le rejoindre afin de marcher à ses côtés.
Le visage de Yann est impénétrable. Il n'a nullement l'air de se préoccuper de la pluie, ni de rien d'autre que d'avancer. Il porte la guitare de son copain sur son dos et un des gros sacs sans difficulté visible, alors que Gabriel se traine avec sa valise. Son expression ne change nullement quand il se met enfin à parler.
- Une chance que je n'avais pas prévenu les parents de Marie de ton changement d'avis subit !
Cela sonne comme un reproche, Gabriel ne pense pas avoir vraiment changé d'avis, il hésite donc à rétorquer quelque chose. En définitive, après mure réflexion, il se tait. Cela vaut certainement mieux.
- Répondre, risquerais d'être mal pris. C'est p'têtre pas l'moment, considère-t-il.
Pendant leur marche vers le centre ville, il frôle plusieurs fois de ses doigts, ceux de Yann, espérant lui prendre la main. Celui-ci, bien que ne tentant pas d'éviter le contacte, ne le cherche pas non plus et ne répond pas à son attente.