Vrai ou pas vrai ?

Guillaume sort du bâtiment avec une grosse veste de protection de moto et son casque sous le bras, au même moment Émilie sort de cours accompagnée d'Élise, la binoclarde. Valentin les rejoint, tout frétillant dans ses habits blancs. Guillaume met sa main libre sur l'épaule d'Émilie, amicalement.

– Oh, Émilie, je voulais te remercier d'avoir consolé Solène cette nuit, c'était sympa de ta part.

– Elle était triste ? Quel désespoir que la vie ne puisse pas épargner une jeune fille si douce... s'emballe Valentin – je suis peiné pour elle, j'espère qu'elle va mieux ?

– Et comment qu'elle va mieux ?! Elle fait du ménage dans mon appartement pour se détendre... ironise Guillaume.

– Je la comprends, fait Élise, moi aussi, je range quand j'ai besoin d'évacuer !

– C'est très purifiant comme activité, confirme Valentin, tu as entendu Émilie ?

– Oui, j'ai entendu Valentin, Solène a toujours été assez maniaque ce n'est pas vraiment une révélation pour moi, réplique Émilie.

– C'est merveilleux, ça, une femme qui prend soin de la maison pour se faire du bien à elle-même, s'extasie encore Valentin, c'est d'une douceur délicieuse de profiter d'un environnement sain pour mettre de l'ordre dans...

– Bon, je vous laisse les jeunes, je vais voir le nettoyage zen que ma sœur a fait chez moi ! conclut Guillaume d'un signe de main.

***

À son retour, Solène saute dans les bras de son frère, encore encombré de son casque et de sa veste de motard :

– J'ai pas eu le temps de tout ranger avant que t'arrives, c'était un tel foutoir ici, heureusement que je suis venue passer quelques jours chez toi pour arranger ça, pas vrai ?

Derrière eux, tout sourire, un studio étincelant de propreté, avec une organisation digne des catalogues ikéa - vrai, ou pas vrai ? - en fermant les yeux Guillaume se fait une cartographie mentale de ce qu'était son appartement avant l'arrivée de la tornade de sa sœur, puis il les rouvre pour revenir à la réalité : même son canapé est désormais recouvert d'une mignonne nappe fleurie – vrai ou pas vrai ? -

Solène dégage son étreinte sans arrêter de sourire, et enchaîne en ouvrant le congélateur avec une fierté scintillante :

– J'ai quand même eu le temps d'acheter des glaces, t'aimes le parfum barbapapa, pas vrai ?

– Vrai, j'aime bien la barbapapa, répond Guillaume, mais t'as fait quoi des échantillons de carottes de banquise australe que je stockais dans le congélo ?

– les glaçons sales dans le tupperware gribouillé au marker ?

– Ceux-là mêmes !

– Ah, t'en fais pas je t'ai tout mis dans un carton pour que tu les rapportes au bureau, on ne t'a jamais expliqué que c'était malsain de ramener du boulot à la maison ? Quand on rentre, c'est pour déconnecter à 100 %...

Aux paroles de sa sœur Guillaume déglutit difficilement, sa pomme d'Adam se rétracte dans un couinement disgracieux, et se donne un coup de casque de moto sur la tête – vrai ou pas vrai ? - il cligne des yeux, puis les écarquille, l'air ahuri.

Enjoignant les actes aux mots, Solène désigne un é-nor-me carton dans lequel sont rangé, pêle-mêle, les appareils enregistreurs, les feuilles de brouillon, les études imprimées sur feuilles volantes agrafées, les livres scientifiques annotés avec des post-it qui dépassent de partout, et – en fouillant – elle lui ressort les précieux échantillons, complètement fondus, avec quelques "morceaux" surnageant dans de l'eau trouble.

– C'est bien réel, dit-il à voix haute, comme pour s'en convaincre lui-même, et je viens d'assister à la fonte de la banquise, le réchauffement climatique s'appelle Solène et c'est ma sœur.

– Tu te souviens quand Papa nous faisait voir les films de Jacques Demy ? enchaîne Solène en sautant du coq à l'âne avec un vif enthousiasme en décalage avec la mine défaite de son frère.

Guillaume ne répond pas, elle poursuit :

– Je suis passée louer le DVD des demoiselles de Rochefort pour le regarder ensemble ce soir sur le canapé avec la glace. Jacques Perrin est vraiment trop mignon dedans !!! On va passer une super soirée, pas vrai ?

Guillaume s'effondre en se laissant couler dans son canapé - vrai ou pas vrai ? - et Solène lui apporte une pleine coupe de glace rose fluo.

***

Devant les demoiselles de Rochefort, sur le canapé à fleurs, avec une barquette de glace dans les mains, Solène s'extasie :

– Tu as vu comme Maxance est beau ? C'est complètement mon style... il est terriblement romantique.

Sur le petit écran cathodique branché à un gros lecteur DVD, l'iconique marin blond de la comédie musicale de 1967, cherche son idéal féminin avec nonchalance et en musique :

"Je l'ai cherchée partout, j'ai fait le tour du monde
De Venise à Java de Manille à Angkor
De Jeanne à Victoria de Vénus en Joconde
Je ne l'ai pas trouvée et je la cherche encore

Je ne connais rien d'elle et pourtant, je la vois
J'ai inventé son nom, j'ai entendu sa voix
J'ai dessiné son corps et j'ai peint son visage
Son portrait et l'amour ne font plus qu'une image"

– Dommage que l'acteur qui joue Maxance aille sur ses 70 ans... raille Guillaume.

– Oh, rien que ce matin, j'ai croisé un mec du lycée qui ressemblait à Jacques Perrin – JEUNE – comme deux gouttes d'eau... c'est peut-être un signe du destin, ça ?! Insiste Solène, vexée.

– Hm, si tu le dis.

– Il n'était pas terrible au lycée, d'ailleurs, il avait les dents très en avant, il a dû porter un appareil depuis le lycée et il a un certain charme maintenant, fait Solène la mine rêveuse, avec le menton sur ses mains croisées.

– T'es mignonne comme ça, observe Guillaume, en souriant.

– Il s'appelait... euh... ? Valentin, je crois ! Tu t'en souviens, Guillaume ?

– Non, avoue-t-il franchement.