Fidelis ut canem
Devise des agents du Service d'Enquête du Consortium SpecieZ
Cité-Etat d'Oumane
Dimanche 9 janvier 2033 ou An 3 de la Transhumanité… simple question de perspective.
Mon system-sommeil beugue quand mon strappho vibre en mode maxi. Le périphérique interfacé vrombit autour de mon poignet, avec la frénésie enragée d’un sale cabot recouvert de puces. Un stimulus agaçant et interminable, qui sortirait du coma n’importe quelle momie. Un jour, il faudra que je parvienne à retirer cette saloperie, histoire de dormir tranquille, du moins peut-être. J’ouvre un œil, la paupière de l’autre préfère pour le moment jouer la rebelle. Ce n'est pas grave, j'ai l'habitude, et de toute manière, je ne suis pas d'humeur à combattre les caprices de la nature. A quoi bon mener une bataille perdue d'avance.
Je ne sais pas quelle heure il peut bien être, mais la lumière qui filtre avec peine de l’extérieur, indique que le soleil a déjà pointé son nez, et depuis longtemps. Le strappho continue de vibrer et plus fort. Le jour de mon repos mensuel, l'attaque ne manque pas d'audace, ni de fourberie. Je me retourne sur le dos tout en chassant le drap qui me recouvre. Je porte encore mes fringues de la veille, y compris mes chaussures. Je sens l'air froid et sec de la pièce. La climatisation tourne à plein régime. Je bénis mes privilèges et regrette aussitôt ce blasphème, comme à chaque fois.
Mon œil droit décide enfin de s’ouvrir. Ravi d’avoir recouvré la vue, je redresse ma tête tout en calant ma nuque à l’aide de mon oreiller.
" Fais chier !
— Vos toilettes fonctionnent Monsieur. "
Déjà à l’œuvre toi. Je ne t'ai pourtant rien demandé. Saloperie de machine !
Mon servCom vient de s’activer en me hurlant dans les oreilles. Incartade facilitée par la fonction "sens de l'humour" de son programme. Une suppression, en bonne et due forme, du surplus de lignes de code comiques améliorerait nos relations. Mais la manœuvre semble “IMPOSSIBLE”, en dépit de mes demandes de plus en plus fiévreuses au près des services techniques du Conso. Et en trois exemplaires s'il vous plaît. Je dois me résigner. Machinalement, j'approche mon poignet de ma bouche pour dicter au bracelet mes consignes matinales. Ce n'est pas nécessaire, mais au saut du lit on n'est pas toujours cohérent.
" Merci Tom. Donne moi plutôt l’heure s’il te plaît et moins fort je te prie.
— Il est 07 : 38 : 26 Monsieur", me répond-il, sans réduire les décibels.
En mode parano, je me hasarderais à croire que le truc est fiché dans mon ciboulot. Mais on m'a déjà certifié que non. Le volume des nanos hauts-parleurs de mon strappho fournit pourtant le minimum. Ces foutus ordinateurs serviles finissent toujours pas se dérégler. Tom vient d’inscrire une série de chiffres en orange sur le mur me faisant face. Je peux voir les secondes s’égrener. 27, 28, 29, 30, 31. Les numéros s'affichent flous sur mes rétines de myope. Le vrombissement du bracelet cesse enfin. Suis-je réveillé pour autant ? Je n'en sais trop rien à vrai dire. Je serais plus dans une sorte de post-sommeil. Malgré mon état, je ne souhaite pas me rendormir. Je ne veux pas revivre un autre cataclysme.
Durant la nuit j'ai dû courir au moins deux marathons, mon corps avoisine la souplesse d'un tronc d’arbre, et un troupeau d’éléphants danse la java sous mon scalp. Ma bouche poisse et mes yeux souffrent des coups portés par un million d'aiguilles filant à trois cent mille kilomètres seconde. Pourtant, la veille, trop fatigué, je me suis couché tôt. Si j’en crois mes souvenirs. Mais il y a de quoi avoir de sérieux doutes, vu que mon cerveau, ce matin, frise les capacités d’une mauvaise marmelade, sans sucre.
Voilà à quoi se résume mon existence, depuis la fin de mon coma. Une vie de proD dans une ville moche et ennuyeuse, dormir à peine et bosser sans compter ses heures. Je suis devenu un gentil petit citoyen productif utile. Bientôt trois ans que cela dure. L’Algorithme a décidé pour moi. Mais chut ! Surtout ne pas se plaindre. Je ne tiens pas à perdre le peu qu'il me reste. La déchéance, c'est pas pour moi. Se contenter de ce que l'on a, est, paraît-il, l'apanage des sages. Alors on accepte et on fait avec.
Certes, j’aurais pu tirer avantage de mon statut et de mes privilèges. Traîner mes guêtres dans les boîtes à hôtesses des zones orange du secteur six. Me lever une ou deux péripates, profiter d’un relaX dans un narcobar select pour touriste. Assister à une holoprojection dans un ciné de la place. Mais je ne garde rien des détails de ma soirée. D’ailleurs, si ça se trouve, j'ai fait tout cela, et dans le même ordre. À part pour les putes, puisque mon lit tutoie le vide intersidéral. J’en conclus que cette forme olympique résulte du tranZ que j’ai eu l’excellente idée d’ingurgiter, quelques heures avant de m’affaler dans mon plumard. J’ai dû ensuite m'enfoncer dans un bad trip, dont je conserve les séquelles, à défaut des souvenirs. C'est ça le vrai problème avec les médocs, les effets secondaires. Pour ce qui est des souvenirs, de toute façon, il ne m’en reste plus beaucoup.
Je m’assois au bord du lit et active mon cerveau en mode survie. Il me faut un plan. Primo, miction. Deuzio, ablutions. Tertio, décoction. Je souffle pour me motiver.
“Allez, feu !
— Vous ne possédez pas de cheminée Monsieur, hurle de nouveau Tom, comme pour me provoquer.
Quel comique ! Je pourrais me faire un paquet de ren avec toi mon petit Tom.
— Non Tom, tu as raison. Prépare-moi la douche, température du matin et passe la pièce en mode jour.
— Bien Monsieur.
— Puis tu me prépares un café. Long. Goût extra-fort s’il te plaît.
— Bien Monsieur.
— Tom.
— Oui Monsieur.
— Parle moins fort.
— Je suis déjà au volume minimum Monsieur.
— Bon alors ferme la !
— Bien Monsieur. "
Je soulage ma vessie avec délice quand le strapphone vrombit pour la deuxième fois. Je décide de rester concentré sur mon plan initial. La posture m’apparaît fâcheuse, mon poignet vibre très fort. Primo : check.
La douche carrelée brille par son étroitesse. Le carrelage auto-nettoyant et thermochromique s’affiche bleu, fonctionnalité parfaitement inutile mais ça met de la couleur. La flotte à 41 degrés termine de me réveiller en douceur. À chaque fois, les pouvoirs de l'eau chaude me surprennent, même quand elle dégage une horrible odeur de chlore et de produits désinfectants. La faïence finit de virer à l’orange vif.
J'affronte enfin le miroir au-dessus de mon lavabo et je peine à distinguer mon reflet encore flou. La veille, avant de m’affaler comme un paquet de linge sale, j’ai gardé mes vêtements, mais retiré mes lentilles photochromiques. Elles me scrutent sans passion, dans leur étui posé sur l'étroite tablette murale, petites méduses en silicone baignant dans une solution isotonique. Avec délicatesse, je les pêche du bout de mon index droit pour les ficher sur chacune de mes mirettes. Avec le café elles m’aideront à voir plus clair. Mon visage m’apparaît net. Peau cireuse, yeux bleus trop pâles, cheveux blancs coupés “high and tight”, barbe de trois jours proche des sept, aussi blanche que mon épiderme.
Mon pauvre, en voilà une tronche de déterré !
Il reste à me préparer pour mon bain de soleil quotidien. Je ne recherche pas une quelconque coquetterie, mais plutôt à ménager ma santé. Une question de survie à long terme. Un instinct de conservation exacerbé. C'est la vie. Je me tartine de crème solaire indice 50, une bonne dose de dioxyde de titane et d’oxyde de zinc. L’éclairage fournit son minimum, pourtant je luis comme une luciole en pleine saison des amours. Deuzio : check
Les stores japonais, et les filtres anti UV collés sur les vitres de mon chez-moi, m’autorisent à rester aussi nu que le jour de ma naissance. Je vis seul alors j'en profite. Pendant que je prenais ma douche, la chambre s'est transformée en salon. Le lit a accouché de petits canapés en skaï jaune et le meuble de chevet s'est mué en une table basse carrée. La cuisine escamotable s'est déployée, en même temps que les arômes de café.
Une tasse fumante m’attend, sous le bec verseur de la machine Huawei aux formes élégantes. Le dernier modèle bon marché pour proD intermédiaires. Sorti des usines robotisées flambant neuves du secteur neuf, il équipe déjà la moitié des appartements de la zone deux, là où je réside. Je prends le temps d’humer le breuvage, comme un alcool prestigieux, puis je contemple, un court moment, la belle mousse brunâtre qui recouvre le liquide. J’en bois une gorgée, brûlante, légèrement amère, délicieuse. Les pouvoirs du café me fascinent tout autant que ceux de l'eau chaude. Tertio : check
“Tom, programme TV”. Je lui passe la commande, en prenant place à la petite table comptoir qui trône au centre de la grande pièce.
Le mur blanc qui me contemple, s’illumine sans agresser mes rétines. Je déguste ma deuxième gorgée de pur arabica, sensé avoir été récolté au Costa-Rica, mais provenant en réalité d’une usine de synthétisation bio chinoise. On ne produit plus de café en Amérique Centrale depuis au moins dix ans. Un champignon parasite y a fait preuve d’une excessive gourmandise. Mais sur un packaging c'est vendeur et comme tout le monde s'en fout, ça passe.
Le présentateur surgit en gros plan. Lucius Velcro possède des mâchoires trop carrées et des dents blanches comme un nuage de haute altitude. Son bronzage est aussi criard que sa cravate. Il se dandine à la manière d'un diarrhéique à bout de souffle, devant une liste de noms qui défile sans fin. Les derniers élus du jeu “Tous sur Mars”, heureux ayants droit d’un voyage sans retour vers la planète rouge. Le programme tourne en boucle, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, depuis deux ans. Dernière lubie d’un Consortium qui a fait de la colonisation martienne une priorité. Lucius Velcro n'a pas besoin de dormir, c'est un hologramme. Quelques lignes de code générées par l'Algorithme pour vendre du rêve.
Panem et circenses.
" Tom, lance China Global s’il te plaît. Volume 5. Version française. Filtrage maximum. Revue de presse internationale et locale. Cinq minutes. Merci.
— Bien monsieur. Monsieur préfère un présentateur en particulier ?
— Non. Je te laisse choisir. "
Une présentatrice 3D, aux traits asiatiques et au brushing aussi impeccable que son sourire, susurre les infos du jour. Son imposant hologramme s’avance et recouvre une partie de la table. L'illusion est parfaite, pour un peu elle saisirait ma tasse. Décidément, Tom a tendance à voir les choses en grand ce matin.
“POLITIQUE. Les combats continuent de faire rage dans Las Vegas, tandis que les dernières poches de résistance tenues par la RSE, sont reprises une à une par les forces armées des Etats Confédérés de l’Ouest. La grande offensive voulue par la République Suprématiste Etatsunienne, et son président autoproclamé Donald Trump, est un échec. Les ECO sont en passe de contrôler le bassin des Rocheuses.
ECONOMIE. Les tensions sont encore vives entre SpecieZ et AmaZing, après la collision de deux icetankers au large du Groënland. Jos Bezeff accuse son rival, Nels Kumo, d’user de méthodes criminelles pour s’assurer le monopole du commerce des icebergs. Jos Bezeff qualifie l’accident survenu la semaine dernière de véritable acte de piraterie, et certifie être en possession d’images satellites ultra haute définition, montrant le navire de SpecieZ éperonnant de façon délibérée l’icetanker d’AmaZing.
PEOPLE. Notre bien aimé chancelier, a annoncé vouloir assister à la IIIe conférence astrophysique d’Oumane. Pour des raisons évidentes de sécurité, la date de déplacement ne peut être divulguée, mais le congrès débutera vendredi prochain. L’intégralité de son discours est accessible sur sa chaîne Youku.
SPORT. Roger Fidelsky remporte pour la quatorzième fois consécutive la coupe du monde Fortnite. Comme toujours il s’est débarrassé de ses 99 concurrents sans aucune difficulté. Il commencera demain une tournée holographique sur tous les continents pour présenter son trophée. ”
Une métisse d'âge mûre, toujours en 3D, remplace la présentatrice chinoise. Son accent nasillard et sa vitesse d’élocution indiquent, sans l’ombre d’un doute, qu’elle est Oumanaise. Elle est beaucoup trop maquillée. Tom l'a choisie pour les infos locales. Comme pour de nombreuses autres choses, mon servCom croit connaître mes goûts. Bien sûr il se trompe, même si dans certaines situations il me donne l’impression de pouvoir lire dans mes pensées. Il a pris la peine de réduire son hologramme. Tout danger semble écarté, ma tasse de café est en sécurité. Je peux me détendre.
"CULTURE. Ce lundi 10 janvier, la salle Ylad Amun accueillera l’hologramme du champion du monde Fornite. Cet événement culturel majeur commencera dès 13 : 00 : 00 et se terminera à 21 : 00 : 00.
SANTE. L’épidémie de dengue hémorragique continue de sévir dans le territoire de Jimu. Les morts se comptent par centaines. Désormais en état de catastrophe sanitaire, la région indépendante du nord, appelle à l’aide notre belle cité, pour que de nouveaux vaccins lui soient envoyés d’urgence.
SOCIAL. Le représentant des Vrais Natifs du Pays regrette de ne pas avoir été consultés au sujet de l’organisation du IIIe congrés d’astrophysique qui se tiendra à Oumane ce week-end. Il prévient que certaines actions seront prévues en marge de cet événement.
FAIT DIVERS. Ce matin…"
L’estasi dell’oro retentit et coupe net l’oumanaise. J’adore cette sonnerie. C'est une vieille musique. J'ai besoin de ce fil d’Ariane dans le labyrinthe de ma mémoire. J’aime m’y suspendre. Elle me rappelle mon enfance, avant la guerre et tout le reste. Quand mes parents étaient encore en vie et que Natacha allait mieux.
" Qui appelle ?
— Monsieur Perada, Monsieur. Pour la troisième fois depuis ce matin.
— OK. Mets les infos en pause. Déploie un deuxième écran. Volume 3. Caméra éteinte. Passe-le moi en 2D.
L’affreux visage mélancolique et angoissé d’Angelo surgit. Sa chevelure rousse hirsute, ultime trace visible d’une prétendue ascendance irlandaise, est coiffée à la façon habituelle, à l’aide d’un pétard. Ses yeux zigzaguent aux quatre coins de son écran, comme s’il cherche son curseur. Ses joues forment des boules aussi grosses que celles d’un trompettiste en plein solo. Il a pris beaucoup de poids ces trois dernières années.
Le Conso sait comment s'y prendre pour conserver ses ouailles.
— Waldo qu’est-ce que tu fous ? Je ne te vois pas. Allume ta caméra bordel !
— Tu es sûr ? Je bois un mazout à poil dans ma cuisine. "
Il marque un silence. Je le vois lever les yeux vers le ciel, comme pour compter ses sourcils qui deviennent de plus en plus drus avec l’âge. Il ressemble à un grand-duc au plumage roux. Mais il se dégage également de sa physionomie quelque chose de visqueux, de reptilien. Je ne sais pas si cela provient de sa bouche sans lèvres, ou de sa peau trop grasse, mais sous l’effet grossissant de sa caméra, il tient aussi de l’iguane. Je dois bien l'admettre, il m’arrive d’avoir certains a priori quant à son apparence physique. Que voulez-vous, on a tous des défauts. J’esquisse un sourire. Heureusement que j'ai opté pour la 2D.
" Je viens de me lever Angelo, car tu m’as gentiment réveillé. J’ai la tête dans le cirage pour ne pas dire ailleurs. Je bois un café devant ma revue de presse matinale, je lui réponds plus sérieusement cette fois.
— Alors tu es au courant ?
— Des menaces habituelles des bouffeurs de racines ?
— Non. Pas ça. Du type qui s’est fait griller devant Le Fidèle cette nuit.
— Je n’étais pas encore arrivé là. J’attendais ton appel.
Pour la seconde fois il compte ses sourcils.
— Il faut que tu y ailles tout de suite. C’est toi qui es sur le coup, m’annonce-t-il.
Pourquoi moi ?
— Dou-ce-ment.
Je prends le temps de détacher chaque syllabe, comme si je m’adresse à un enfant un peu lent.
— Explique-moi le truc, parce que là ça va trop vite. C’est qui ce macchabée au juste ?
— Abel Monrivaje, ingénieur quantique, astrophysicien, président du congrès d’astrophysique et responsable du programme de lancement vers Mars. Il travaillait pour SpecieZ et…
Je l'interromps.
— Et l’Algorithme leur a soufflé que c’est à moi d’assurer la supervision de l’enquête. Louées soient les Datas ! A leurs ordres ! Mais pourquoi si vite ? Le type était une sommité de la science, un proD de statut majeur, avec un CV aussi long que l'Human Genome Project. D’accord ! Mais avant de dépêcher un Renifleur, ne peut-on pas attendre les premiers retours de l’investigation initiale, comme on le fait d’habitude ? Qu’on laisse d’abord faire le Guoanbu. Les chinois sont-ils au courant ?
— Je ne t’appelle pas pour te demander ton avis Waldo. Je t’appelle pour te signifier qu’une mission t’est confiée. "
Calme-toi Ducon, c'est dimanche !
Je déteste Angelo Perada, c'est une merde de la pire espèce. Je ne le dis pas à haute voix, il ne faut pas exagérer, mais je le pense très fort, et c'est suffisant pour qu'il l'entende. En tant que responsable du Service d’Enquête du Consortium SpecieZ, Angelo Perada me tient lieu de supérieur. C'est un mal nécessaire. Sacro-sainte hiérarchie. Il m’a intégré au SEC durant mon coma, sans me demander mon avis, pour me sauver la vie. Il aime à me le rappeler. "Je lui suis redevable". Grâce à cela, le Groupe a accepté de me soigner. Je ne suis pas dupe. Ce n’est pas une fleur. Le Conso n'en fait jamais, pour quiconque. Angelo encore moins. C'est juste le remboursement d’une vieille dette. Depuis, il s'estime débarrassé d'une obligation. Voilà un des nombreux points qui colore la toile de nos désaccords. D'ailleurs nous n'en parlons pas. Le bougre rechigne aux échanges virils et franches discussions. Surtout quand il a tort.
— J’ai quand même le droit de te demander dans quoi je m’engage. Surtout lorsque je ne comprends pas pourquoi on fait appel à moi. C’est une simple question de principe.
— Depuis quand as-tu des principes ? me coupe t-il en fixant la caméra avec intensité.
Il me désarçonne. Me rabattre le caquet de la sorte, voilà bien un comportement inhabituel de sa part. J'ai toujours maintenu un ascendant psychologique sur Angelo. Une espèce d’accord tacite entre nous. Ça date de la guerre de Partition, quand que je lui ai sauvé la vie. Ou devrais-je plutôt dire épargné, puisque je ne l'ai pas tué. Sa réflexion me refile un mauvais goût sur la langue.
— Je ne te parle pas de principes, je te parle de procédure. Tu as toutes les autorisations au moins, dis-je plutôt vexé, en sachant que cela ne suffirait pas à reprendre le dessus.
Il me cueille à froid, alors que je fonctionne plutôt comme un diesel. Il me faut un peu de temps pour réchauffer l’air de mes cylindres. Bien sûr que j’en détiens des principes. J’en possède au moins un : boire mon café tranquille à poil au saut du lit loin des emmerdeurs.
— De quelle procédure tu me parles Waldo ? La nôtre ou la leur ? Parce ce que quand les pontifes du Conso t’appellent à 6 heures du matin pour te dire de placer leur meilleur Renifleur sur un coup, il n’y a plus de formalité qui vaille. Ils s’en foutent de la méthode, je m’en fous et tu vas t’en foutre aussi. Ce qu'ils veulent ce sont des résultats. C’est cet appel le document officiel, et l’autorisation tu l’as. Merci donc d'arrêter de me poser des questions pour le moment et de te rendre dans le secteur quatre. Tu y es attendu.
Moi, le meilleur Renifleur. C'est une blague !
J’éclate de rire et le tout s'emballe pour finir en quinte de toux. Je m'étouffe à moitié.
— Qu’est-ce qui te prend ? me demande t-il, sans masquer son air courroucé.
J'ai du mal à reprendre mon souffle.
— Ne m’en veux pas. C’est juste que tu as dit “meilleur Renifleur” alors je ris. Tu sais bien que c’est faux. Le Consortium aussi. Quant à l’Algorithme n’en parlons même pas. Mes états de service n’ont jamais plaidé en ma faveur donc pourquoi moi ?
— Parce que c’est toi qu’ils veulent, c’est tout. Donc tu t’exécutes.
— Fidelis ut canem n’est-ce pas. Fidèle comme un chien !
— Oui. Et s’il le faut jusqu’à la mort, Renifleur. N’oublie pas Natacha !
Son regard énervé d’hibou obèse ne me lâche plus.
Voilà, c'est mieux comme ça. Plus conforme aux usages.
Un chantage bien exercé fonctionne toujours. Je viens de perdre la partie.
— D’accord. Qui est en charge ? demandé-je.
— Lena Dwarcolovna du MSE.
— Connais pas.
— Normal elle débarque. De belles références dans son dossier. Une ruskof du FSB refilée au Guoanbu il y a trois ans. La dame est une augmenT de niveau 1. Plutôt bien notée.
— Et son positionnement vis-à-vis du Conso ? fais-je, en massant mon front qui redevient douloureux.
— Elle est neutre. Tu pourras compter sur sa collaboration.
— Elle sait qu’elle va avoir un Renifleur dans les pattes ?
— Je n’en sais foutrement rien mais elle va vite être au parfum de toute façon. Waldo il faut qu’t’y ailles. Mais de grâce reste à ta place et surtout ne fait pas de vagues.
— Oui c’est bon j’ai compris.
— Louées soient les Datas, clame-t-il.
— Nous rendons grâce au Consortium, je lui réponds, plus par réflexe que par conviction.
Il n’entend pas ma réponse. Il s’est déjà déconnecté. L’écran de droite reprend ses aises. Les images des infos du jour continuent de défiler en boucle. On voit une dizaine d’abrutis du VNP brandir des banderoles réclamant des “DISCUTIONS IMEDIATES” et des “TABLES RANDES AVEC LES OTORITES CAMPETENTES”. Putain, ces mecs puent tellement la connerie, qu’ils ne savent même pas activer la une correction orthographique.
Un bouffeur de racines reste un bouffeur de racines !
— Tom. Volume 5 s’il te plaît.
"FAIT DIVERS. Ce matin le corps sans vie d’un homme a été retrouvé devant l’hôtel Le Fidèle. D’après les premières constatations, l’individu aurait été victime d’une attaque cérébrale. "
Avec cette histoire mon café, devenu tiédasse, ne m'excite plus. Il n’existe rien de pire qu’un caoua à la mauvaise température, surtout quand c’est du synthétique. Cette boisson ne délivre ses pouvoirs que lorsqu’elle est chaude. Bon sang, je bois un cru du Costa Rica tout de même.
J’aime les exercices de persuasion mentale. Encore môme j’ai lu quelque part qu’on peut leurrer son cerveau. À moins que ce soit le contraire. Ma mémoire me joue des tours depuis l'accident. En revanche, avec le temps je me suis rendu compte que certaines substances réussissent beaucoup mieux que toutes ces conneries d’autosuggestion. Je sais qu’aujourd’hui, sans mon café, mon cortex me rappellerait sans cesse que je ne suis qu’une larve amorphe manquant de sommeil.
J’ordonne donc à Tom de me lancer un nouveau café, tout en sachant pertinemment que cela ne suffira pas. Il me faudra quelque chose de nettement plus corsé et sans traîner.
C’est très chouette, j’adore le côté sarcastique ! :)
Tout au long de la lecture :
«Son vrombissement incessant sortirait du coma n’importe quelle momie.» → Hihihi, c’est très bien trouvé !
«J’ouvre un œil, la paupière de l’autre préfère pour le moment jouer la rebelle.» → Ça aussi, c’est bien trouvé.^^
«En mode parano, je me hasarderais à dire que le truc est fiché dans mon ciboulot. Mais on m'a déjà certifié que non.»→ C’est une précision très intéressante, je trouve, ça nous permet d’imaginer plus précisément comment il entend Tom. En fait, ça nous oblige en quelque sorte à ressentir nous aussi cette sensation bizarre.
«Mais il y a de quoi avoir de sérieux doutes, vu que mon cerveau, ce matin, frise les capacités d’une mauvaise marmelade. Avec le sucre en moins.» → J’adore tes comparaisons, je trouve qu’elles sont très originales et très parlantes !^^
«Depuis la fin de mon coma, mon existence se résume à ça.» → Ici, je n’ai pas bien compris de quel genre de coma il s’agissait… Est-ce que l’on en saura plus par la suite ?
«— Vous ne possédez pas de cheminée Monsieur, hurla de nouveau Tom, comme pour me provoquer.» → Hihihi, j’aime bien Tom, il est drôle. C’est vrai qu’on dirait une provocation, c’est étonnant pour une machine...
«La posture m’apparaît fâcheuse, mon poignait vibre très fort.» → Il me semble que c’est «poignet».
«La douche carrelée brille par son étroitesse.» → Haha, tu m’as surpris, je ne m’attendais pas à cette fin de phrase...^^
«Elles me scrutent sans passion, dans leur étui posé sur le lavabo, petites méduses en silicone baignant dans une solution isotonique.» → J’adore cette description, ça fait presque peur, alors que c’est des lentilles de contact…:)
«Je déguste ma deuxième gorgée de pur arabica, sensé avoir été récolté au Costa-Rica, mais provenant d’une usine de synthétisation bio chinoise. On ne produit plus de café en Amérique Centrale depuis au moins dix ans. Un champignon parasite y a fait preuve d’une excessive gourmandise.» → J’adore ces précisions, je trouve intéressant de voir une évolution du monde que nous connaissons.
«Tout danger semble écarté, ma tasse de café est en sécurité.» → Hihihi.^^
«Sa chevelure rousse hirsute, ultime trace visible d’une prétendue ascendance irlandaise, est coiffée à la façon habituelle, à l’aide d’un pétard. Ses yeux zigzaguent aux quatre coins de son écran, comme s’il cherche son curseur. Ses joues forment des boules aussi grosses que celles d’un trompettiste en plein solo. Il a pris beaucoup de poids ces trois dernières années.»
→ J’adore le pétard, pareil qu’avant, on ne s’y attend pas...^^
→ Est-ce que, par concordance de temps, ce ne serait pas «comme s’il cherchait son curseur» ?
«Ses joues forment des boules aussi grosses que celles d’un trompettiste en plein solo. Il a pris beaucoup de poids ces trois dernières années.» → L’enchaînement de ces deux phrases m’a un peu stoppé dans ma lecture, personnellement, je les lierais entre elles. Je mettrais peut-être «Ses joues forment des boules aussi grosses que celles d’un trompettiste en plein solo. Il faut dire qu’il a pris beaucoup de poids ces trois dernières années.» Mais après, ce n’est que mon avis, peut-être que tu n’es pas du tout d’accord avec moi…:)
«Je ne sais pas si cela provient de sa bouche sans lèvres, ou de sa peau trop grasse, mais sous l’effet grossissant de sa caméra, il tient aussi de l’iguane. Je dois bien l'admettre, il m’arrive d’avoir quelques a priori quant à son apparence physique.» → Héhéhé, décidément, j’aime beaucoup l’humour de ton personnage...^^
J’aime bien la relation entre Angelo et le personnage principal, je trouve qu’elle est bien développée. Et il est difficile de dire si son supérieur est un personnage positif ou négatif, ce qui, je trouve, rend leur lien encore plus intéressant.
«[…] la guerre de Partition.» → Oh, mais qu’est-ce donc ? J’espère que l’on en saura plus par la suite…:)
«Parce ce que quand les pontifes du Conso t’appelles à 6 heures du matin pour te dire de placer leur meilleur Renifleur sur un coup, il n’y a plus de formalité qui vaille.» → Ce ne serait pas «t’appellent» ?
«Son regard énervé d’hibou obèse ne me lâche plus.» → Hihihi...^^
Voilà, voilà, j’ai fini, désolé si c’était long…
A bientôt, j’ai hâte de lire la suite !^^
J'aime beaucoup, on rentre très vite dans l'histoire. On trouve un petit côté polar des années 50 mâtiné d'anticipation. J'aime bien le style.
Je vais lire la suite.