L’école de la Nuit est la pâle héritière d’une secte philosophique Rhonaise, aujourd’hui éteinte. À l’apogée de cette dernière, ses disciples savaient mêler l’imperium et la sophia avec brio. Ils brandissaient des flammes de volonté en plein cœur des curies et commandaient aux armées par la seule puissance de leur voix. Néanmoins, la secte restait soumise à l’insatiable temps. Malgré ses terribles arcanes, elle dépérit, mua, s’oublia et perdura sous une forme fantôme, boiteuse et incomprise que nous appelons nous, héritiers de son noble art, l’école de la Nuit. En vérité, celle-ci n’est qu’une ruine tapie dans les fougères voraces, vestiges d’une gloire et d’un orgueil trop lointain pour la mémoire mortelle. La Voilée, la Reine Astrale, en illustre l’une des réminiscences mutilées.
Les arcanes de la Nuit ne s’enseignent pas. Le terme « école » répond simplement à la vieille tradition Rhonaise qui dénommait ainsi ces sectes de pouvoir et de pensée. Tout n’est qu’intuition et échanges nébuleux entre les rares initiés. Nul ne sait comment procéder pour atteindre les sommets de jadis, ou plus sobrement apprendre et transmettre.
Toutefois, un maigre espoir persiste. Les kosmos orphelins. Certains d’entre eux, héritages des esprits brillants d’antan, errent en quelques lieux méconnus du monde. Les astronomes d’Ys les recherchent, les découvrent parfois ; mais trop rarement.
Croirais-tu tout cela, Faustus ?
Émilius me l’affirme.
Il s’est aussi étendu sur un tout autre sujet, avec le même aplomb, la même résolution dans sa certitude de la vérité.
La cité d’Ys regroupe la grande majorité des disciples de la Nuit. Ils y cultivent un fort esprit de sauvegarde des arcanes de la Nuit. Lorsque la présence de mon kosmos leur est apparue au cœur des Dorsales, Émilius a été envoyé remplir une mission d’escorte pour ma personne. Ainsi, il m’a sauvé en priorité lors de notre seconde escarmouche avec les bandits. Après avoir garanti ma sécurité, il est parti en quête de mes compagnons, les jugeant nécessaires à notre survie pour parcourir les derniers milles jusqu’à Ys.
Pardonne-moi de t’assommer d’une telle quantité d’informations, mais après avoir pris le temps de les méditer, il me parait crucial de te les transmettre. Toutefois, j’ai plus encore à te dévoiler.
Toujours selon Émilius, notre regrettée Pathie, à un très jeune âge, a vécu dans la cité d’Ys ; là, les arcanes de la Nuit se sont révélés à elle. Et sous la bienveillance des adeptes, elle les a cultivés à sa manière. Après un long séjour à Vale, elle y est venue une seconde fois, changée en bien des façons. Émilius ne put ou ne voulut pas m’en dire davantage. Toujours est-il qu’elle ne s’est pas attardée et a traversé seule les Dorsales jusqu’à Arpa. Émilius a étrangement décrit notre cité :
Arpa, le terme des philosophes
Il est à la fois curieux et amer de constater que tous ces éléments amènent bien plus de questions qu’ils n’y répondent. Émilius ne s’est pas davantage étendu sur ces sujets. En revanche, il m’a proposé de rester à Ys pour un temps, afin de rencontrer les adeptes de la Nuit, astronomes et protecteurs des Dorsales. Ma curiosité piquée à vif, j’ai malgré tout dû refuser.
— Je ne suis pas en voyage de plaisance à mon grand regret, lui ai-je répondu attristé. Je m’en vais à la Ville officialiser mon adoption par Titus Livius, un haut personnage de Vale, et rejoindre sa gent.
Mon compagnon cornu ne m’a pas caché sa déception. Je lui ai alors partagé mon désir intime de découvrir Ys et d’en apprendre plus sur l’école de la Nuit. Dans l’engouement et la fébrilité de l’instant, je lui ai promis de revenir, libre de mes engagements. Voilà bien une parole, qui dans la clarté de mon esprit reposé, me semble désormais bien difficile à tenir. Enfin, les Dieux en décideront de cela.
Comme il me tarde d’avoir de tes nouvelles, de profiter de tes avis aiguisés à la bonne critique pour démêler ce tourbillon d’éléments concernant la Nuit et Pathie. Fort heureusement, ma volonté sera exaucée sous peu, car nous nous trouvons en bordure d’Ys. La première partie de mon voyage jusqu’à Vale touche presque à son terme.
Sous la protection d’Émilius, nous avons repris notre périple à travers les Dorsales. Par sa simple présence, l’effort m’a paru plus aisé qu’il ne l’avait pu l’être auparavant. Nous avons cheminé à bon train, sans hésitation, à la poursuite du couchant. Selon Émilius, il n’était pas nécessaire à Quintus d’aller inspecter la route en amont. Le protecteur des Dorsales avait recours à ses propres artifices pour s’assurer notre sécurité.
Après quatre journées de marche haletante, nos pas nous avaient porté jusqu’au versant ouest des Dorsales. Passé le dernier col, la cité d’Ys s’est révélée à nous, dressée à même les contreforts de la montagne. Nous avons fait halte à l’écart, encore perchés dans les hauteurs.
Malgré la présence de mes compagnons, et tout particulièrement celle d’Émilius, je me sens toujours aussi seul. Voilà une nouvelle forme de solitude peu désirable, la solitude parmi les siens. Les jours passant, j’ai eu l’impression que mon âme s’écaillait ou s’effritait, que sais-je. Le souvenir du doux sommeil m’étreint le cœur à chaque pensée. Émilius m’assure que les arcanes de la Nuit ne sont pas responsables de ma condition. Alors pourquoi mon esprit ne cesse-t-il pas de fuir le repos ?
Une vérité se dessine et elle ne me plait guère. Jamais plus, je ne gouterai la saveur fantaisiste des songes. Jamais plus… Qu’est-ce que cela fait de moi, Faustus ? Que me restera-t-il d’humanité lorsque l’idée même de rêver échappera à mes sens ?
Pardonne-moi la tristesse de mes mots. Afin de t’épargner quelque peu, je verserai mes larmes parmi mes turbulentes étoiles.
Malgré ces troubles, mon cœur s’égaille d’un solide réconfort. Enfin, je vais être en mesure de t’envoyer mes lettres. La présente conclut l’épais paquet que je te prépare. Émilius m’a confié que les bureaux de poste d’Ys utilisent des aigles pour assurer la correspondance d’un bout à l’autre des Dorsales. J’espère que ma bourse ne s’allègera pas trop ; mon voyage jusqu’à Vale n’est pas encore terminé. Je profiterai de l’occasion pour informer Titus Livius de ma progression et des circonstances malheureuses qui m’ont ralenti. Il ne devrait pas en prendre ombrage. Toutefois, j’ai bien conscience que mon adoption s’inscrit dans le subtil jeu politique de la Ville. Rejoindre Vale au plus tôt demeure important.
Sur ces derniers mots plus enjoués, je te souhaite la plus agréable des lectures. Porte-toi bien. J’attends de tes nouvelles sur la route de Vale.
Bien à toi, mon frère. 21e jour du Solstice Jaune.
Cet Émilius ne m’inspire que moyennement confiance, je dois dire, mais c’est sans doute ma parano littéraire qui me joue des tours xD Je suis curieuse d’en savoir plus en tout cas. Quant au manque de sommeil, il n’affecte donc pas les capacités physiques et mentales de Scaevius, c’est ça ? Parce qu’il n’a pas l’air bien affecté. Très étrange, tout cela, je suis curieuse. En tout cas, la réflexion sur le rêve et l’humanité est très intéressante.
Quelques pinaillages :
« Rhonaise » : « rhonaise »
« rejoindre sa gent » : c’est peut-être parce que je suis habituée au latin mais quand on parle des familles en cours, on dit toujours « gens » (en prononçant à la latine).
« mon cœur s’égaille » : « s’égaie »
Et ils arrivent donc bientôt à Vale ! Hâte de découvrir la ville :3 (et curieuse de savoir la réaction de Faustus quand il verra débarquer un aigle messager dans ses jardinières xD)
À tout de suite pour une autre lettre ! :D
Merci beaucoup pour ton retour et le relevé des fautes qui traînent toujours et encore :).
C'est vrai qu'un aigle dans des jardinières, c'est une belle image :D !
En tout cas, je suis toujours happée par cette correspondance haha et son très beau style ! Le pauvre Faustus, je reçois ce type de lettres de la part d'un ami, je crois que je tombe dans les pommes :') j'espère qu'il aura le coeur bien accroché
C'est en revanche étrange qu'ils aient été initiés à la Nuit sans rien savoir, comment ça se fait ? Ça sera sans doute éclairé par la suite, mais ça fait bizarre qu'ils aient pas reçu de doctrine, d'histoire officielle ou ce genre de choses
Tu seras peut-être surprise par la décision que j'ai prise concernant la Ville ^^.
Comme dit dans la lettre, la Nuit est quelque chose qui s'enseigne assez difficilement, et fonctionne beaucoup à l'intuition. Autre point, pour Scaevius et Faustus, tout leur savoir sur la Nuit dépendait du bon vouloir de Pathie et de ses propres motivations. :)
Et puis pour d'autres choses, on en apprend davantage par la suite ;).
Après je dois concéder que toute cette partie mystique/magie de la Nuit, je la construis au fur et à mesure de l'écriture. Aujourd'hui, elle commence à être assez clair où j'en suis dans l'écriture. C'est sans doute aussi pour cette raison, qu'il y a un assez confus qui traîne et que je vais devoir revoir proprement à la correction. Mais je me dis que c'est quelque chose que je ne peux faire qu'après avoir fini le roman, une fois que j'ai l'ensemble des tenants et aboutissants dans le cadre de l'histoire de la Nuit.
Mais en cours d'écriture, j'essaye aussi de ne pas non plus faire n'importe quoi et de faire des voltes faces totalement incohérents x).
Merci beaucoup pour ton retour ! :)
A bientôt !
Au final je me dis que c’est un peu le truc qu’on ne saura peut-être jamais qu’en le devinant, à moins qu’un autre correspondant ne lui pose explicitement des questions sur le sujet ? (et pareil pour Pathie qui m’intrigue de plus en plus avec son voyage à Ys).
On a aussi la confirmation que Scaevius sort du lot, s’il a carrément le droit à son escorte personnelle ^^ Même si l’élément le plus surnaturel, c’est quand même son absence de sieste, qu’on donne un oreiller à ce pauvre garçon enfin !
Bref, cette lettre soulève pleins de questions, au point que j’ai du mal à les mettre par écrit, mais j’ai envie d’avoir des réponses et de lire la suite :D
J’ai juste relevé cette petite phrase sur laquelle j’ai un peu buté : « l’effort m’a paru plus aisé qu’il ne l’avait pu l’être auparavant ». Je crois que c’est parce que le L apostrophe devant « avait » est de trop (parce qu’il se réfère à la même chose que le « qu’ » ?), mais à vérifier !
Je vois que pour les lettres suivantes on change de destinataire, je vais aller zieuter ça de suite héhé
Pour Pathie nous en serons plus tout le long de la correspondance. Plus j'avance dans l'écriture et ma "planification", plus j'ai envie de faire du personnage une sorte de fil rouge dans l'intrigue principale liée aux deux frères. J'aime beaucoup l'idée qu'un personnage qui est mort, soit l'impact majeur dans les démêlés des personnages. Ca le rend d'autant plus "puissant" je trouve et fascinant. En tout cas c'est quelque chose que j'aimerai réussir à faire avec Pathie ^^.
Bien vu pour la phrase ! Il y a effectivement un soucis !
Merci beaucoup pour ton retour :).
Mais... j’ai toujours autant de questions. Pourquoi la cité d’Ys est-elle comme dissimulée ? Non pas recluse, mais si les pratiquants des Arcanes s’y regroupent, pourquoi en faire mystère ? Leur art ne parait pas être un secret. D’autant que Pathie la connaissait, alors, une fois encore, pourquoi jouer les cachottières ? Pour le/les protéger ? Hum…
Scaevius peut enfin envoyer son courrier à son frère. Mais en fermant le ballot qui lui est destiné, je me demande s’il ne va pas s’atteler à en commencer un autre. Puisqu’il mentionne vouloir informer le général des péripéties de son voyage, je me dis… pourquoi pas ?
Bon, me voilà dépitée. J’ai rattrapé mon retard et maintenant, je vais devoir attendre le prochain passage du facteur T.T. J’ai hâte de voir ce que tu nous réserves.
A bientôt pour la suite =D
Effectivement, l'art de la Nuit n'est pas un secret. Disons plutôt que c'est quelque chose de très peu connu, issu d'un art encore plus ancien et oublié. Finalement le secret se créée d'une certaine façon de lui-même par manque de transmission de génération en génération. Mais il n'y a rien de tabou en soi à son sujet. En revanche, le regroupement à la cité d'Ys de ses pratiquants a une raison fondé que l'on apprendra un peu plus tard ;). Bien que Scævius prenne la route vers Vale, nous allons avoir quelques nouvelles d'Ys qui approfondiront ces questions ;).
Effectivement, pour l'adresse à notre cher Imperator, tu vises juste une nouvelle fois ! :) Les destinataires vont s'étoffer.
Encore merci pour tes retours et toutes les questions que tu mets en évidence. Ca me permet d'avoir une belle vue sur la réflexion en cours de lecture, très utile pour la cohérence et cie :).
A très vite ! J'espère que la suite te plaira tout autant !
On en apprend un peu plus sur l'origine de cette magie mystérieuse, tout en se posant mille nouvelles questions : finalement, qui était réellement Pathie ? Pourquoi la ville d'Arpa est-elle le "terme des philosophes" ? Et, bon sang, pourquoi Scaevius ne dort-il plus ? Est-il donc moins humain que prévu ?
La lettre permet de rappeler l'objectif initial de Scaevius et d'esquisser des enjeux politiques... Pourquoi Titus Livius veut-il l'adopter, au final ? Est-ce qu'il a repéré quelque chose en Scaevius ? J'imagine qu'il ne s'agit pas simplement de philanthropie ?
Bref, vivement la suite !
Tu as fait un excellent résumé de tout ce qui est en suspens ! C'est exactement ça, on ferme un cycle, la première étape du voyage jusqu'à Vale avec une correspondance qui ne s'adressait qu'à Faustus et écrite unilatéralement. Je suis bien content que tu es perçue tout cela :).
Titus Livius philanthrope ? Hu hu hu ! :D
Je suis content que tu aies relevé Pathie dans tes questionnements. C'est, je pense, le personnage qui me tient le plus à cœur après Scævius. Et c'est aussi le personnage le plus complexe à écrire, car elle ne vit plus. Donc je ne peux que faire écho par témoignage.
Encore merci pour tes retours :). Ca chauffe le cœur et booste la motivation !
J'ai vraiment beaucoup aimé cette lettre, et ton écriture est toujours aussi belle et agréable à lire, comme un petit bout de rêve ^^ Cette lettre est parfaitement équilibrée entre les informations qui y sont disséminées et les sentiments de Scaevius, qui sont très touchants. J'ai beaucoup apprécié ta présentation de l'école de la Nuit (ma curiosité attendait d'en savoir plus depuis plusieurs lettres haha), très poétique. On en vient à ressentir une certaine frustration par rapport au fait que Scaevius doit repartir si vite... Et les enjeux politiques que tu introduis m'intriguent particulièrement. Je me demande bien où tu nous emmènes !
Pour mes notes de lecture :
- "la secte restait soumise à l’insatiable temps"
Je trouve la formulation "insatiable temps" moins fluide, moins naturelle que le reste.
- "Une vérité se dessine et elle ne me plait guère. Jamais plus, je ne gouterai la saveur fantaisiste des songes. Jamais plus… Qu’est-ce que cela fait de moi, Faustus ? Que me restera-t-il d’humanité lorsque l’idée même de rêver échappera à mes sens ?"
J'ai mis un peu de temps à comprendre ce paragraphe, dans le sens où je l'ai trouvé introduit de manière un peu abrupte. Pourquoi ne rêverait-il plus jamais ?
À bientôt ! :)
Merci beaucoup pour ton retour ! Je suis très rassuré que tu aies trouvé la lettre équilibrée, étant donné que c'était la première fois que je révélais vraiment des informations !
Il est toujours incapable de dormir, du coup, de pouvoir rêver. Mais je n'ai peut-être pas suffisamment appuyé le fait, d'où ton trouble. Je vais me le noter pour ma future phase de correction :).
Encore merci ! A bientôt :).