- XI -
Les premiers fils.
Maintenant que le Grand Théâtre étincelait de propreté, Arsène pouvait à nouveau se baigner dans l'art. Mais à une place bien différente de celle d'avant. Elle flottait de joie au-dessus du sol de sa nouvelle vie.
FAUST – Arsène : Tu sais bien qu'il ne s'agit pas là d'amusements. Je me consacre au tumulte, aux jouissances les plus douloureuses, à l'amour qui sent la haine, à la paix qui sent le désespoir. Mon sein, guéri de l'ardeur de la science, ne sera désormais fermé à aucune douleur : et ce qui est le partage de l'humanité tout entière, je veux le concentrer au plus profond de mon être, je veux, par mon esprit, atteindre ce qu'il y a de plus élevé et de plus secret ; je veux entasser dans mon cœur tout le bien et tout le mal qu'elle contient, et me gonflant comme elle, me briser aussi de même.
Arsène répétait ses répliques en tournant en rond sur la scène. Tous les comédiens faisaient de même, dessinant des cercles d'humains parlant, scandant, récitant, tête baissée vers le sols, sourcils froncés par la concentration. Le brouhaha des voix superposées emplissait la pièce tout entière. Des accords de murmures et de vives exclamations, parfois dissonants.
Sans savoir pourquoi, cette réplique ne voulait pas entrer dans sa tête déjà pleine de théâtre. Et pourtant, ce n'était pas faute de la trouver belle ! Mais les mots s'emmêlaient, changeaient de place comme si son cerveau était une zone glissante. La jeune fille s'arrêta, cela ne servait à rien de persister comme ça, il fallait qu'elle s'aère la tête. En cessant sa marche elle avait bousculé l'ordre, mis un point dans la suite de mots incandescents. Ce fut à son tour d'être bousculée.
« -Oh pardon, vraiment, désolée, je ne voulais pas...
-Toutes mes excuses demoiselle ! répondit immédiatement une grande silhouette à tête blonde. Si je puis vous conseiller, au vu du mouvement général, il n'est pas favorable de s'arrêter en plein milieu de la scène.
-Oui, je suis tout à fait d'accord, mais je crois que j'ai dû laisser ma tête un peu plus loin.
-J'espère que vous la retrouverez vite ! s'exclama-t-il en riant.
-Moi de même.
-Vous jouez Faust, n'est-ce pas ?
-Oui, c'est moi, mais on ne pourrait pas se tutoyer ?
-Si, bien sûr. Quel rôle palpitant !
-Et toi ? Tu as lequel ?
-Marguerite.
-Vraiment ? interrogea Arsène, interloquée.
-Bien sûr que non !
-Mais cela aurait pu être original !
-C'est bien vrai. Sinon je suis Siebel, un petit rôle dans la scène de la taverne. Et je sers également d'ombre là où il faudra du monde, ça me plaît bien. »
Il était étrange pour Arsène d'avoir changé de place. Elle n'était plus l'ombre. Elle se voyait radicalement placée au centre, et loin d'en être triste, un sentiment de gêne lui nouait parfois le ventre. Un peu déboussolée, elle tentait de se raccrocher de son mieux à ce qu'elle connaissait. C'était la raison pour laquelle sa salopette de travail ne l'avait pas quittée. Il lui restait encore trois boulons dans la poche qui tintaient familièrement quand ses pas devenaient plus appuyés.
On tapa dans les mains. Le directeur se trouvait au bout de la salle. Les comédiens cessèrent leurs exercices aux allures incantatoires et se rassemblèrent. Enfin était venu le moment où il feraient la connaissance du metteur en scène. Arsène priait de toutes ses forces pour que ce ne soit pas un vieux despote conservateur, réfractaire à toute idée de modernité. Elle ne voulait pas son Faust entravé sous les fioritures de l'excès et de la lourdeur.
Les bras croisés sur un haut ample, le regard joueur et les cheveux couleur sang, le metteur en scène ne laissait pas insensible. Il s'approcha. A chacun de ses immenses pas on avait l'impression qu'il se briserait en deux. Une fois devant la scène, il dévisagea tous les comédiens, le sourire aux lèvres. Arsène frissonna quand elle croisa son regard. Il eut l'air de penser quelque chose, ou peut-être n'était-ce que la tension émanant de ce curieux personnage. Il prit la parole.
« -Bonjour à tous. Comme vous l'avez deviné je ne suis pas là pour m'occuper du ménage ou des décors – à ces mots, ses yeux couleur orage avaient glissé sur Arsène.
Il est hors de question que vous m'appeliez 'monsieur' ou quoique ce soit, moi c'est Carmin. Ensemble on va monter un spectacle que j'espère fantastique, je tiens un minimum à ma réputation. Ne vous inquiétez pas, je compte bien apprendre à vous connaître un peu. » Il laissa un temps de pause avant de reprendre.
« -Je suis votre métier à tisser. Je veux voir les fils de vos êtres qui se nouent, qui s'entortillent. Je veux un tissage humain. Ca va être sympa. »
Rhòs, qui jouait le second rôle principal de la pièce, Méphistophélès, semblait fuir Arsène comme la peste. Cette dernière ne comprenait pas vraiment l'intérêt de ce jeu puéril puisqu'elles seraient de toute façon amenées à jouer ensemble. Beaucoup.
La jeune fille aux cheveux d'or exerçait son charme en se pavanant d'acteur en acteur, comme une abeille va sur chaque fleur pour produire son miel. Celui de Rhòs était invisible à ceux qui rentrait dans son jeu, mais il luisait derrière elle, en une trace baveuse sur le sol.
Carmin avait passé un temps, assis dans un fauteuil proche de la scène, à observer les comédiens. Ils n'avaient reçu aucune consigne, mais s'étaient tous remis très vite à répéter leurs textes. Puis, leurs esprits qui demandaient de la distraction s'étaient dissipés, et ils s'arrêtaient parfois, s'asseyaient, discutaient, repartaient. Carmin se délectait du naturel de leur comportement. Il observait, dans les détails.
Les rôles avaient déjà été attribués selon le directeur, et le metteur en scène s’enquérait de leur justesse. Plus tard, il s'entretiendrait avec chaque comédien.
Au milieu de la matinée, Carmin se leva et arpenta la salle. Il se décida à converser individuellement avec chaque comédien. Ce fut Rhòs qu'il appela la première, dans un tumulte de romarin et d'éclats de rire mielleux.
Vint le tour d'Arsène. Carmin avait son regard étrangement plongé dans celui, intimidé, de la jeune fille.
« -Bienvenue dans la jungle de la comédie, petite. » Cette dénomination fit tiquer Arsène.
« -Ça ne te plaît pas, continua-t-il, que je t'appelle comme ça, hein ? Mais ça se voit que tu n'es pas d'ici. Ou du moins pas habituée à ce rôle, si je puis dire. Ne reste pas muette, je n'ai pas prévu de faire un monologue !
-En toute honnêteté, vous m'intimidez. »
Le rire du metteur en scène le fit basculer en l'arrière.
« -Moi ? Vraiment ? Mais voyons, il n'y a pas de quoi. Et si c'est la couleur qui impressionne, imagine-moi chauve.
-Ce serait sans doute bien plus perturbant.
-Je n'avais pas pensé à cela. Et sinon, pourquoi es-tu là ?
-Pardon ? Là ?
-Oui.
-Parce que vous m'avez demandé de venir m'entretenir avec vous.
-Non, non, ce n'est pas ce que je veux dire. Pourquoi te voilà, promise à la scène ?
-Parce que j'ai été recrutée.
-Ne sois donc pas si timide, on le voit bien que tu n'est pas censée avoir accès au métier de comédien. Raconte-moi. »
Arsène fut prise de court, et vérifia, par réflexe, si ses mains étaient encore noires de cambouis.
« -Je rêve d'être comédienne, le directeur était d'accord pour me prendre dans la troupe. Voilà. On peut changer de sujet ?
-Ça te met mal à l'aise que je te rappelle tout ça ?
-Oui.
-D'ailleurs, quelqu'un te regarde du coin de l’œil depuis avant. Serait-ce un admirateur ? »
A ces mots, la jeune fille se retourna et aperçut le regard de Rhòs se faufiler jusqu'à quelqu'un d'autre.
« -C'est juste une personne qui préférerais ne pas me voir ici, mais plutôt au sous-sol, au milieu des câbles.
-La jalousie, quelle histoire. Et vous voilà chanceuses, c'est vous qui avez rôles principaux !
-C'est donc sérieux ? Je vais jouer Faust ?
-Oui. un large sourire traça une brèche presque effrayante sur le visage du jeune homme.
-Non mais ce n'est pas possible, je ne peux pas...
-Tais-toi et prends confiance. Si tu as ce rôle, ce n'est pas pour rien alors fais ce que tu peux pour l'honorer.
-Soit. Je vais essayer.
-Je ne te demande pas d'essayer, tu vas le faire. Et je te préviens, j'ai beau avoir un grand attachement pour mes comédiens, je ne suis pas un tendre petit agneau.
J'ai le sentiment qu'on va souvent se croiser. Allez, je ne vais pas te retenir plus longtemps. A bientôt Arsène ! »
Arsène se leva en même temps que haussait l'estime qu'elle avait pour ce personnage. Elle retourna à son travail sans cesser de remuer ses pensées.
°
Les répliques fusèrent, d'abord hasardeuses. Mais on recommençait, on recommençait encore, jusqu'à ce que ce soit mieux. Un peu mieux seulement, pas encore parfait.
« Parle plus fort ! Plus fort ! On entend pas. Non, toujours rien. Tu es enrouée, un peu fragile au niveau de la gorge ? Eh bien tu surpasses ou alors tu dégages, mais je veux tout beaucoup plus fort. »
Plus fort la voix, plus fort les corps. Il fallait presque ingurgiter le texte, le digérer pour n'en saisir que la précision, le distillat le plus pur et l'offrir sur un plateau de mots qui enfin avaient trouvé leur sens.
« Non, c'est creux, je m'emmerde. Mets-nous de la vie ! Je veux pas de réponse, je veux que tu me montres ce que tu peux faire. »
Les mêmes phrases, les mêmes mots se répétaient sans arrêt, avec d'infimes variations. Un ton plus haut ou plus bas, plus de silence, plus vite ou avec des mots écorchés. Ils martelaient la scène comme les pas des comédiens. Les bruits de corps sur le bois, vibrants d'énergie. D'ailleurs ils s'épuisaient peu à peu, forçaient sur leurs yeux pour les garder grands ouverts, tiraient ce qu'ils pouvaient de leurs muscles pour jusqu'à la fin, tenter d'accorder de l'éclat à leur travail.
Il leur fallait avoir l'impression de ressortir de là les flancs écorchés par les branchages épineux et emmêlés du travail de comédien. Leurs pas se devaient d'être terriblement lourds jusqu'à leur sommeil. Ils recommenceraient demain.
°
Arsène, complètement exténuée, rejoignit sa tablée d'amis au réfectoire. Ils semblaient l'attendre avec impatience, des yeux écarquilles et de grands sourires, excepté Alcin, qui affichait une moue étrange lui étant propre et qui exprimait une sympathique curiosité.
« -Alors Faust, interrogea vivement Jaffe, ça s'est passé comment ?
-Laissez-moi m'asseoir et boire un verre d'eau d'abord.
-Oh, j'imagine que c'est plutôt un remontant qu'il te faudrait !
-Une goutte d'alcool et je tombe à la renverse et reste inerte jusqu'à la fin de mes jours.
-Il a dû être traumatisant ce metteur en scène, avança Nash, d'un ton suspicieux.
-Laisse-moi deviner, il a de petites lunettes rondes ?
-Ah ça, commença Arsène après avoir vidé d'une traite son verre, c'est un drôle de spécimen.
-Je crois bien qu'il est traumatisant.
-Non, mais exténuant.
-Tu regrettes tes machines ?
-Sérieusement Alcin ? Ce que j'ai fait toute ma vie contre mon idéal ?
-Ah mais on peut être déçu de la réalité.
-C'est vrai.
-Pas de référence littéraire s'il-te-plaît, Arsène ! s'écria rapidement Jaffe.
-Dommage, j'en avais en tête. Bon du coup, ce metteur en scène est un petit jeune qui s'appelle Carmin et qui honore merveilleusement bien son prénom par la couleur de ses cheveux. Et disons qu'il m'a l'air assez enflammé.
-Encore un passionné jusqu'à la moelle.
-Je ne te le fais pas dire ! »
Virevoltante, la jeune fille continua le récit de sa journée. Alcin étant de corvée ce soir-là, il dut partir au courant de la conversation qui s'éternisait joyeusement. Une fois tous repus de mots, Arsène, portée par sa bonne humeur, alla offrir de l'aide en cuisine. C'est avec étonnement qu'elle surprit une conversation entre Rhòs et Alcin.
« -Tu veux quoi ? commença ce dernier après avoir relevé le regard insistant de cette personne qu'il exécrait.
-Quoi ?
-Toi, tu veux quoi ?
-Pourquoi tu me demandes à moi ?
-Si je te demande à toi c'est que je veux ta réponse.
-La mienne ?
-Oui, pas celle du mec là-bas, pas celle de mon frère, la tienne.
-Pour en faire quoi ? »
Il soupira.
« -Je ne sais pas encore.
-La considérer ?
-Oui, certainement.
-Et ?
-Et peut-être en faire un bouquet de fleurs ou l'étaler sur une tartine de beurre.
-Ah oui ?
-Oui.
-J'aime bien.
-Ah. Et donc ?
-Quoi ?
-La réponse ?
-Laquelle ?
-Tu veux quoi ?
-Je ne sais pas, ça dépend des jours, ça dépend des moments.
-Quels moments ?
-Ceux où je respire plus fort que d'autres.
-Tu respires beaucoup, toi ? »
L'effort pour contrôler son énervement lui fit manquer une marche de la conversation, et trébucha sur un peu de confusion.
« -Hein ?
-Non pardon, c'était bête comme question.
-Oui un peu.
-Voilà.
-C'est étrange, non ?
-De quoi ?
-Toi, moi, parler, ici. »
Elle balaya la cuisine du regard.
« -C'est vrai.
-Ça te fait quoi ?
-Ça me dégoûte. Je ne t'apprécie pas.
-Pourquoi ?
-Tu veux que je te dise ?
-Oui, sans doute.
-Tu n'as pas l'air certaine.
-Non, c'est vrai que je ne le suis pas.
-Tes yeux verts me dérangent. Tu me fais penser à un serpent.
-T'as déjà vu un serpent ?
-Oui, moi je ne suis pas né ici, j'ai vu l'extérieur quand j'étais petit.
-Et donc des serpents ?
-Et donc des serpents.
-Et ça fait quoi ?
-J'aime pas ça. Tu fais croire que tu es une perle rare derrière tes cheveux dorés, mais en fait tu fais pourrir les choses.
-Ah oui ?
-Oui. Tu les corromps. Tu prétends embellir le monde mais tu ne fais que le rendre plus hypocrite.
-Ah bon.
-T'aimes ça ?
-Quoi donc ?
-Détruire les autres ?
-Je les fais réaliser qui ils sont.
-Tu aimes ça ?
-Oui.
-J'aimerais que tu disparaisses.
-Tu n'as qu'à fermer les yeux.
-Si seulement il n'y avait que mes yeux à fermer ! »
Alcin se détourna un moment vers la vaisselle qui égouttait dans l'évier, et continua de l'essuyer.
« -Moi j'aime bien tes yeux, repris Rhòs.
-Super.
-Et j'aime bien plus que tes yeux, j'aime bien comment ton visage est fait. J'aime bien ton air taciturne. J'aime bien l'assortiment de ta petite bouche avec tes yeux bleu métal.
-Qu'est-ce que tu racontes ?
-Ce que je pense.
-Tu essaies de me mettre dans ta poche ?
-Je n'aime pas quand mes poches sont vides.
-Mets-y des cailloux, ça te fera peut-être redescendre sur terre, ça ferait peut-être descendre ton estime de toi-même.
-En plus tu es drôle. Tu sais que tu me plais, toi. C'est étonnant pour quelqu'un qui n'est qu'un éclairagiste.
-Je ne marche pas à ton petit jeu. Mais le problème, c'est que ça fonctionne sur beaucoup. Et même si tu n'avais ni bouche ni langue, tu aurais toujours des yeux pour les asservir.
-Tu fais semblant de ne pas succomber à mes qualités. Mais je sais que là – elle touche son abdomen avec son index – c'est en train de fondre. »
Alcin lâcha un rire plein d'amertume et répondit.
« -Tu finis par te mentir à toi-même.
-Ah oui ?
-Oui.
-Viens contre moi.
-Pardon ?
-Tu as bien comprise.
-Oui, mais non. Certainement pas. Jamais. Je me frotte pas aux serpents.
-Tu as peur de la morsure ?
-Non, fit-il en reposant le torchon, c'est juste que toi, t'es un serpent dégueulasse dont le venin dégouline et se répand tout autour de toi, et il en englue tout. » Cette fois, il la regardait droit dans les yeux.
« On dirait du miel mais en fait c'est le pire des poisons. T'es pire qu'une épidémie de peste. Tu rends les âmes verdâtres de pourriture parce que tu sais les plier, les consumer de l'intérieur avec tes belles paroles. Le monde n'est pas à toi, et on a toujours trouvé un remède aux pires fléaux. Alors casse-toi. Dégage, t'approche plus de personne et encore moins des vrais humains. Tu sais, ceux qui sont beaux à l'intérieur et qui en irradient tout autour d'eux. Ils sont beaux parce qu'ils respirent la vie. Toi tu le prétends mais tu ne suscites que la mort. Retourne danser sur des charbons ardents avec le diable. Dégage. »
Rhòs resta plantée là quelques courts instants tandis qu'Alcin reprenait sa tâche. Elle se détourna sans un mot et traça vers le couloir, ses pas martelant le sol. Celle qui avait assisté à la scène se détacha du mur, rejoignit son ami et l'aida à achever cette interminable vaisselle. Le bruit de l'eau qui s'écoulait résonnait dans la grande cuisine. Ne sachant quoi ajouter, Alcin se contenta de lui lancer un regard amical et plein de compréhension.
°
Dans le silence glaçant, les yeux du grand monsieur étaient posés sur elle. Le masque dont les cornes se perdaient dans l'obscurité dévoilait un regard vide. Jamais elle n'avait vu de nuit aussi noire. D'où sortait-il ? Pourquoi la surplombait-il de toute sa hauteur ?
Un rire se fit entendre et cherchant son origine, Arsène tourna la tête. Ils étaient tous là. Le visage de Tyran disparaissait sous les cascades de perles et les parures dorées tandis que les yeux aveugles d'Hybris pleuraient encore un sang d'encre.
La jeune fille reconnut les mains osseuses d'Imposteur sur ses épaules. Il l'enlaçait et lui murmura quelques mots. Blessure. Ce contact brûlait sa peau. Le geste aurait pourtant pu être tendre.
Les murmures ne cessèrent pas et Arsène réalisa qu'elle aussi avait mêlé sa voix. Elle hurla pour le silence, silence qui l'ignora. Imposteur resserra son emprise sur la peau rougie qui gardait les traces de ses ongles. Ses mains glissèrent sur le cou de la jeune fille, puis sur son ventre. On aurait dit qu'il voulait prendre place dans son corps. Arsène se débattait. Non. Non. Laisse-moi !
Ses poings tentèrent d'atteindre ce monstre immatériel. Contre toute attente, il s'évapora et Arsène se retrouva seule, enveloppée du manteau de cette épaisse nuit. Elle distingua au loin une musique. Celle-ci prit de l'ampleur, se dispersa dans l'espace pour l'occuper tout entier. On pouvait reconnaître le Boléro de Ravel.
Sur le rythme marqué, ils arrivèrent les uns après les autres. Des gens, tous masqués, avançaient pas par pas avec leur démarche arquée, à l'unisson. Il défilaient.
Arsène y vit l'homme au casque à cornes. C'est d'un œil effrayé qu'elle regardait ce spectacle incongru.
Devant elle se pavanaient des plumes colorées, des crinières, de grands visages de bois, d'autres de perles ou d'acier. Des visages lisses ou ravagés par les reliefs, de faux visages défigurés. Ils marchaient, tournaient, dansaient, fêtaient une fête qui n'existait que pour eux. Une fête étrange, aux allures de rite funéraire.
La musique prit d'étranges accents, devint dissonante, irrégulière, tantôt insupportablement forte, tantôt presque inaudible. Les corps eux aussi perdaient leur peu de naturel. Leurs membres se tordaient dans des angles incroyables, leurs os se voûtaient et craquaient sous l'effort.
Ils continuèrent cependant leur terrible marche. Ils avaient déformé le peu d'humanité qu'ils possédaient. Alors que leur ronde ne cessait pas, l'homme au masque à corne se détacha du groupe et s'arrêta devant Arsène.
« -Tu ne veux pas te joindre à nous ?
-Non, pas vraiment...
-Oh, c'est dommage tu pourrais, pourtant. Prends un masque.
-Pourquoi faire ?
-Ici, tu ne voleras le rôle de personne. Tu auras ta place parmi les imposteurs.
-Qui êtes-vous ?
-Personne. Prends un masque.
-Non !
-PRENDS UN MASQUE ! »
En hurlant cela, il avait soudainement rapproché sa face pour fixer Arsène avec ses yeux vides, ses yeux de mort. La respiration de la jeune fille s’accéléra, elle tremblait, avait peur.
Il tendit violemment ses mains vers elle, vers son visage. Il lui attrapa le crâne et y planta ses ongles comme pour lui voler son visage. Alors qu'elle sentait perler du sang, l'homme s'arrêta en plein action. Comme des automates, les autres masqués s'approchèrent, se regroupèrent autour d'eux. Tout devint confus. Le silence et le bruit se mêlèrent, la notion d'espace disparût, la nuit se fut trop noire. De l'air. Que meurent tous ces visages. Menteurs. Crevez les masques.
Après ce que tu as dit de ce chapitre, j’ai presque des remords à t’écrire ce qui suit.
Arsène va rejoindre ses amis à leur table, complètement épuisée, et un instant après, elle est virevoltante ? Ça me semble un peu contradictoire.<br /> Quant au dialogue entre Rhòs et Alcin, je le trouve un peu long. Je veux dire qu’il y a trop de répliques qui ne mènent nulle part. Je pense que même en coupant dedans, tu peux exprimer la réticence de Rhòs à dire ce qu’elle veut, quel est son but ; d’autre part, si Rhòs cherche à séduire Alcin, ou simplement à le mettre dans son lit, même si elle est assez directe, elle devrait jouer de son charme, envoyer des regards aguicheurs, minauder, bref, se mettre en valeur.
Je peux comprendre que tu aimes Faust et que tu veuilles faire un parallèle entre cette pièce de théâtre et ton histoire, mais de là à faire jouer les rôles de Faust et Méphisto par des femmes… Ça ne me paraît pas très crédible, même avec un metteur en scène un peu excentrique. D’ailleurs, je trouve que ce n’est pas non plus très vraisemblable qu’Arsène joue d’emblée un des rôles principaux, même si elle est douée.<br /> Quand les comédiens répètent sous la direction du metteur en scène, vu les remarques qu’il fait, on dirait vraiment qu’il s’adresse à des débutants. Pourtant, il me semble qu’Arsène est la seule à l’être.
Coquilles et remarques :
tête baissée vers le sols [le sol]
Sans savoir pourquoi, cette réplique ne voulait pas entrer dans sa tête [Erreur de syntaxe. Je propose : « Sans qu’elle sache pourquoi ».]
où il feraient la connaissance du metteur en scène [ils]
Comme vous l'avez deviné je ne suis pas là pour m'occuper du ménage ou des décors [Il faudrait ajouter une virgule après « deviné ».]
Celui de Rhòs était invisible à ceux qui rentrait dans son jeu [rentraient]
Puis, leurs esprits qui demandaient de la distraction [La virgule après « Puis » ralentit inutilement la lecture.]
Le rire du metteur en scène le fit basculer en l'arrière [en arrière]
on le voit bien que tu n'est pas censée avoir accès au métier de comédien [tu n’es pas]
C'est juste une personne qui préférerais ne pas me voir ici [préférerait]
c'est vous qui avez rôles principaux ! [les rôles]
Oui. un large sourire traça une brèche presque effrayante sur le visage du jeune homme. [Il faudrait passer à la ligne après « Oui » et mettre une majuscule à « Un ».]
Arsène se leva en même temps que haussait l'estime [Ici, « haussait » ne convient pas ; je propose « augmentait » ou « grandissait ».]
Eh bien tu surpasses ou alors tu dégages [« tu surpasses » n’est pas très clair ; je propose « tu te surpasses » ou « tu dépasses ça ».]
tenter d'accorder de l'éclat à leur travail [Je dirais apporter ou donner plutôt qu’accorder.]
des yeux écarquilles et de grands sourires [écarquillés]
Pas de référence littéraire s'il-te-plaît [s’il te plaît]
avança Nash, d'un ton suspicieux [J’enlèverais la virgule.]
L'effort pour contrôler son énervement lui fit manquer une marche de la conversation, et trébucha sur un peu de confusion. [Cette phrase me paraît un peu bancale. Je propose : « de la conversation et trébucher » ou « de la conversation, et il trébucha ».]
Moi j'aime bien tes yeux, repris Rhòs [reprit]
Tu as bien comprise. [Tu m’as]
Un rire se fit entendre et cherchant son origine, Arsène tourna la tête. [Il faudrait mettre « cherchant son origine » entre deux virgules.]
Pourquoi faire ? [Pour quoi faire (« pour quoi » en deux mots) ; ça veut dire « pour faire quoi ? »]
et Arsène réalisa qu'elle aussi avait mêlé sa voix [s’aperçut (plutôt que réalisa) / je dirais « y avait mêlé »]
Il défilaient [Ils]
l'homme s'arrêta en plein action [pleine]
l'homme au masque à corne se détacha du groupe [à cornes]
Le silence et le bruit se mêlèrent, la notion d'espace disparût [disparut]
la nuit se fut trop noire [se fit]