Hésitante, mais désireuse d’offrir l’apaisement, Juliette décrivit un pas en avant.
— Tu ne pouvais pas savoir. Ce n’est pas grave.
— Bien sûr que c’est grave, grinça Edouard dans un rire sans joie, mort. Je comprends désormais l’obsession de ton père pour notre marché, et pourtant… Pourtant…
Quand sa voix s’essouffla à nouveau, la princesse s’agenouilla devant lui. Les mains tâtonnantes, figées en l’air, elle finit par les poser délicatement sur les genoux du prince. Celui-ci n’esquissa aucun mouvement pour la repousser.
— Pourtant, je ne peux pas honorer ma part du marché.
Juliette haussa un sourcil interrogateur.
— Mais pourquoi donc ? Je ne comprends pas. En quoi reculer la nuit de noces changerait quoi que ce soit ?
Un œil noisette apparut entre les doigts écartés du prince.
— On ne t’a pas expliqué en quoi consistait une nuit de noces, n’est-ce pas ? marmonna-t-il.
Elle secoua la tête.
Il soupira, et à cet instant, tout le poids du monde semblait reposer sur ses épaules.
— Je m’en doutais. Eh bien, la nuit de noces, c’est un moment pendant lequel les époux échangent des gestes… des étreintes… intimes. Ce sont ces… rapports qui permettent de concevoir un enfant, et dans notre cas un héritier au trône de Crystallide. Mais… Ces gestes…
La princesse ne put retenir un rictus amusé à l’écoute du prince qui cherchait les mots les plus neutres, qui respecteraient au mieux sa prétendue innocence.
— Ce n’est pas anodin, surtout quand les relations intimes sont… une première fois. Pour chacun des… partis. Des époux.
Les mots de Saphira sur le mariage résonnèrent alors dans son esprit, et Juliette hocha la tête, pensive.
— Cela peut changer une personne, à ton avis ?
Edouard découvrit un peu plus son visage, écartant les mains, laissant apparaitre son nez et une partie de sa bouche tordue dans une grimace dubitative.
— Je ne pense pas. Ou plutôt, je ne l’espère pas ?
Il pencha la tête de côté, comme s’il n’était pas certain de sa propre réponse, et Juliette ne put que lui offrir un sourire réconfortant, qui lui promettait qu’elle accueillerait cette réponse avec confiance.
— Alors, si tu en as besoin pour avoir un héritier et pour sécuriser ton royaume, faisons-le.
— Et aller à l’encontre de la promesse faite à ton père ?
Enfin, les mains du prince lâchèrent son visage et tombèrent contre ses flancs.
— Non, je ne peux pas briser ma promesse.
Les sourcils de blé de la princesse se froissèrent sur son front.
— J’avoue que je ne comprends pas bien pourquoi mon père a fait une promesse sur un acte qui ne le concerne pas.
Le prince marqua une pause, fixa son épouse l’air absent.
— Je suppose que c’était dans le but de protéger ton innocence. Cela part d’un bon sentiment.
— Mais si je choisis moi-même de l’entacher ?
Cette fois-ci, Edouard ouvrit de grands yeux, s’apprêta à répliquer, alors la princesse continua, déterminée :
— Les moyens qui ont été employés jusqu’à présent pour me protéger n’ont pas été très efficients. Certains même n’ont fait qu’empirer les choses, je crois.
Elle haussa les épaules avec une nonchalance qu’elle désirait convaincante. Ses lèvres se tordirent dans un rictus qui se voulait rassurant, mais portait une tristesse, une nostalgie profondément ancrées. Comme si elle s’adressait à un fantôme qui ne reviendrait jamais.
— Alors, je me dis que peut-être, je peux essayer de me protéger toute seule, pour une fois ?
— Mais…
— Edouard.
Juliette l’arrêta, serrant ses genoux dans la paume de sa main, un fin sourire, plein de confiance, perché sur les lèvres.
— Je suis maudite, et la malédiction fera son œuvre, peu importe ce que je fais. Et je suis fatiguée de protéger cette chose en moi que je n’ai pas désirée. Cette chose qu’on a décidé de préserver sans prendre en compte mes besoins, mes désirs. Alors, si tu as besoin d’une nuit de noces ce soir, je l’accepterais.
Le regard sombre du prince se brouilla d’incertitude.
— Tu ne peux pas accepter quelque chose que tu ne connais pas. Tu ne peux pas accepter quelque chose d’aussi… intime, impactant alors que tu ne sais pas exactement de quoi il s’agit, c’est…
— Si, je le peux, l’interrompit-elle encore. Parce que tu vas me l’expliquer. Du début jusqu’à la fin. Parce que je crois que je peux te faire confiance, je le sens. Comme…
Les mots moururent dans sa gorge, au souvenir d’un nom qu’elle ne devrait plus associer à la confiance.
Le prince secoua la tête néanmoins.
— Je ne sais pas si moi je peux accepter ton accord.
Un rire aérien s’envola et tourbillonna dans la pièce, avant que Juliette pose à nouveau le regard sur son époux.
— Toi aussi tu veux décider ce que je peux accepter ou pas, comme mon père ?
Une grimace contrite se dessina sur les lèvres pleines du prince.
— Non, bien sûr que non.
— Alors, vas-y. Explique-moi.
Le prince avala sa salive bruyamment, et lentement, se leva. Il tendit les mains vers son épouse qui comprit l’invitation et y déposa les siennes.
— D’abord, il est de coutume de s’étreindre. Enfin, oui. C’est une chose qui est censée être agréable.
Joignant le geste à la parole, il déposa les mains de la princesse sur ses épaules, et glissa ses propres mains derrière la taille de la jeune femme.
— Ensuite, chuchota-t-il, le plus doucement possible, souvent les époux s’embrassent sur la bouche, comme pour sceller le mariage.
Juliette soutint le regard interrogateur de son mari et hocha la tête avec le courage de celle qui ne sait pas.
Lentement, Edouard se pencha, et déposa ses lèvres sur la bouche de la jeune fille. Le toucher était chaud, humide et gluant, mais il ne dura pas.
Toutes les bougies s'éteignirent en chœur.
Inquiet, le jeune homme referma ses bras autour de la princesse et passa une main dans son dos, comme pour la protéger du danger invisible.
Les futurs roi et reine de Crystallide échangèrent un regard ahuri, avant que le prince ne reprenne, hésitant :
— Puis, il faut laisser nos mains découvrir le corps de l’autre. Pour apporter du réconfort, de la chaleur, du plaisir.
Une main remonta le long de son dos, se percha sur son épaule. Un doigt glissa sur sa nuque, lentement, langoureusement.
Un imposant fauteuil de satin bascula en arrière et frappa le sol dans un bruit sourd.
Juliette sentit alors une forte pression sur son crâne, comme si l'on compressait son cerveau pour en extraire les neurones un à un. Prisonnière des serres invisibles qui écrasaient sa tête, la princesse était figée dans le temps et l’espace.
— Mais qu’est-ce que… bafouilla le prince, balayant la pièce du regard, les yeux hagards.
— Je… ne sais pas. Je ne comprends pas.
Mais sans doute comprenait-elle.
— Continuons.
Les sourcils froncés et les mains vacillantes, le prince continua son voyage délicat et onirique sur le corps de son épouse.
La main du jeune homme monta, glissa et descendit dans le creux du décolleté, sur la poitrine, puis sur le ventre de Juliette.
Les vases sur les consoles et les miroirs qui habillaient les murs se brisèrent en mille morceaux.
Le prince sursauta, et regarda par-dessus son épaule, tout autour de lui. Il aperçut le fauteuil renversé, les miroirs brisés, les vases cassés, qu’il fixa longuement d’un air perplexe.
Entre ses bras, là où se tenait Juliette, plus rien.
La nouvelle reine de Crystallide s’était évanouie dans les ténèbres.
Un bruit de frottement attira son attention, et il fit brusquement volte-face.
Sur le lit, le corps d’une femme allongée se mouvait d’une manière étrange, tel un reptile, rampant et glissant, jusqu’à se tourner vers lui. Elle avait les cheveux d’un noir Néant.
— Par tous les dieux, mais qu’est-ce que…
Désemparé, il chercha du réconfort dans le regard abyssal de la femme du tableau, et il ouvrit grand la bouche :
— Adélaïde, c’est…
— Non.
Interloqué, il détourna la tête du tableau pour se concentrer sur le corps lascif allongé sur son lit. Dans la pénombre, il distinguait mal les formes de la femme, et sa voix lui avait semblé plus grave, plus sombre que celle de Juliette. Mais quand il fit face à la vue qui l’attendait, étrangement, il oublia toutes ses interrogations.
Tout en lui le poussait à avancer.
Un pas après l’autre.
Jusqu’à s’allonger aux côtés de cette apparition.
La jeune femme le captura de ses yeux clairs. Un sourire provocateur fendait ce visage en deux, et il baissa les yeux sur son corps.
Il voulait partir, prendre ses jambes à son cou, quitter la chambre.
Retrouver l’épouse qu’il avait tant désirée.
Mais ses membres l’ancraient dans ce lit, dans cette pièce, avec cette créature.
La lueur blafarde de la lune éclairait la peau laiteuse, plus pâle que la mort.
Sa bouche s’ouvrit dans un trou béant d’une blancheur spectrale, et la jeune femme ouvrit les bras.
Edouard, ébahi, resta longuement interdit devant cette invitation. Mais il ne tarda pas à céder, poussé par une force qu’il n’avait jamais ressentie auparavant, et se laissa couler dans les bras, qui s’enroulèrent autour de son cou comme des serpents meurtriers.
Il fallait un héritier, et s’il pouvait naître dans le plaisir, alors tout le monde n’en serait que plus heureux.
N’est-ce pas, petit prince ?
Le prince Edouard, enlisé dans le brouillard de son esprit inerte, se laissa aller à ses plaisirs les plus fous jusqu'à satiété, et se laissa tomber comme un animal mort sur celle qui aurait dû être son épouse.
Dos contre sa poitrine, le souffle haletant, la peau glaciale contre son derme enflammé le berçait lentement vers l’inconscience.
Quand il perçut le contact des doigts, légers comme les plumes, qui se promenaient sur son torse, ses paupières s’ouvrirent subitement, et il rencontra son propre regard vitreux dans le miroir au-dessus du lit perché au plafond. Dans le reflet, les mains semblaient venir de partout et nulle part, elles glissaient sur son torse, sur ses cuisses.
Tortueuses, tortionnaires.
Lentement, le prince sentit son corps renaître. Sa respiration s’accéléra, son sang devint lave en fusion. Il se tortilla sous les caresses qui devinrent griffures.
Puis, un étau enserra sa gorge.
Le souffle coupé, ses mains remontèrent par réflexe pour s’accrocher aux doigts qui empêchaient l’air d’entrer. Sa bouche s’ouvrait et se fermait sans qu’aucun son ne s’en échappe. Il était comme un poisson échoué sur une terre aride.
Enfin, une voix s’éleva dans les ténèbres.
Lourde, rocailleuse, elle résonna dans le silence, au milieu de ses suppliques étouffées.
— Regarde.
Dans l’impossibilité de bouger, il ne put que regarder droit devant lui, au-dessus de lui. Dans ses propres yeux révulsés, reflets parfaits de la terreur qui glaçait ses membres. Sa tête prenait une teinte violâtre inquiétante. Sans réfléchir, il se mit à gigoter, agiter ses jambes, tirer sur les doigts sauvagement enroulés autour de son cou.
Mais ceux-ci étaient comme ancrés dans sa peau.
— Qui… éructa-t-il.
— Regarde ce que tu es, reprit la voix sans âme. Pauvre bête.
Dans le miroir, il voyait le rouge consumer peu à peu ses pupilles, la couleur quitter son visage, et il se débattit de plus belle.
— Non, je…
Un rire métallique, caverneux retentit derrière lui.
Enfin, les doigts lâchèrent son cou, se posèrent sur ses épaules, nonchalamment.
Edouard put prendre une longue inspiration douloureuse, qui brûla sa trachée, mais l’emplit de soulagement. Mais à peine fut-il libéré qu’il sentit comme deux minuscules lames s’enfoncer dans le creux de ses épaules.
Il vit avec horreur le reflet des ongles noirs enfoncés dans sa peau jusqu’à faire couler le rouge.
Un cri naquit au fond de sa gorge, mais mourut aussitôt.
À sa place, ce fut la même voix, vide, fantomatique qui emplit la pièce.
— Tu es né esclave…
Les ongles se retirèrent de sa chair. Un hoquet misérable s’extirpa de la bouche du prince. Une des mains se leva, haut au-dessus de lui, tendue vers le miroir.
— Tu mourras esclave.
Bouche bée, il ne put que regarder le miroir au plafond qui explosait en mille morceaux. Les éclats tombèrent sur lui comme un rideau de pluie étincelante.
La pluie s’écrasa sur lui.
Un hurlement accompagna le tintement du verre.
Il pressa ses bras et ses jambes contre lui. À ses côtés, il ne sentait plus aucune présence.
Les débris de verre percèrent sa peau un à un.
Quand il trouva la force d’ouvrir les yeux, il ne regarda pas son corps lacéré. Il se recroquevilla un peu plus sur le matelas dans un grognement déchiré.
Le ricanement hypnotique, infini faisait encore vibrer son crâne, mais il ne trouva pas la force de plaquer ses mains sur ses oreilles pour le faire taire.
Il perdit connaissance.
Tout autour de lui flottait une étrange fumée bleu.
Sur le satin de son oreiller gisaient les ombres humides de ses larmes, comme des perles de verre.
Au parfum de honte et de regret.
Au moment où Juliette et le prince se mettent d'accord, il y a l'apparition d'une femme qui veut le trucider. Je ne comprends pas trop où tu veux nous emmener... les dialogues sont un peu perchés.
((cours dans le couloir pour aller appeler un médecin)) à l'aide, le Prince Edouard s'est fait découper par un miroir !
Bon je vais pas m'éterniser ici, je vais aller lire la suite !
Mais oui, pauvre Edouard quand même :/ Il méritait pas ça pauvre petit prince :/
Wow, sacré chapitre... Tu m'as fait passer par pas mal d'émotions différentes, c'est sûrement mon chapitre préféré depuis le début !
Rien trouvé sur la forme encore une fois...
Wow, chapitre préféré carrément :O trop contente que tu l'aies autant apprécié !
Merci beaucoup pour ton retour ! J'ai vu que tu avais ajouté des trucs sur le gdocs, je vais aller voir ça ;)