- XIX -

Notes de l’auteur : Update 04/12/24 : je viens de remanier le chapitrage en fusionnant / séparant les chapitres, parce que je me suis rendue compte que certains passages d'un chapitre à l'autre n'étaient pas toujours pertinents, et je me dis, zut, il va y avoir certains lecteurs qui auront manqué un ou plusieurs épisodes et qui seront perdus. Je suis vraiment désolée pour la gêne occasionnée, parce qu'il va peut-être vous falloir retourner un peu en arrière...

Loup aurait pu répondre plusieurs choses. Il aurait pu dire qu’il trouvait parfaitement idiot que ces chasseurs aient cru avoir la moindre chance contre la sorcière. Il aurait pu dire que le mieux était toujours de ne pas chercher à s’introduire sur son territoire, mais ces gens considéraient de toute évidence que tout leur appartenait. Il aurait très bien pu dire que c’était bien fait pour ces chasseurs, s’il avait cédé à cette colère qui jaillissait de l’inconnue et qui, de plus en plus, se réverbérait en lui, mais il résista à la tentation. Il aurait pu se montrer compréhensif vis-à-vis de la détresse de la jeune fille, ce qui aurait pu apaiser la situation, mais faire preuve de compassion pour la personne qui venait de blesser Crapouille et ne s’en repentait pas était au-dessus de ses forces.

― Je connais pas ton père. Laisse-moi tranquille, maintenant, répondit Loup, d’une voix calme qui le surprit lui-même.

Et, portant sur son cœur le poids misérable de Crapouille, il ne put s’empêcher d’ajouter :

― Tu en as assez fait.

Or, il fallait peu de chose pour attiser la colère de la jeune fille. Un éclat brutal surgit de ses orbites, qui exaspéra Loup tant il trouvait toute cette violence injustifiée.

― T’as forcément à voir avec tout ça. T’es un sorcier aussi, t’es clairement un sorcier, répéta-t-elle comme si elle essayait de s’en convaincre elle-même. On veut pas de toi ici, compris ? C’est toi qui vas disparaître, ou bien on s’occupe de te faire déguerpir, et ta saleté de chat avec. Dis-moi ce que sont devenus ceux qui ont disparu, et on te laisse tranquille.

Au lieu de reculer, elle se rapprochait, crachant tout autour d’elle la lave de sa fureur, de son dégoût, d’une honte qu’elle ne se disait pas et qui ne faisait que nourrir sa colère, d’une certaine terreur qu’elle faisait semblant de ne pas connaître. Elle avançait, si décrépite que Loup s’étonna que ces jambes puissent encore la soutenir. Elle était trop près. Sa violence ne pouvait pas manquer d’atteindre Loup. Il tenait toujours le petit corps fragile, cassé de Crapouille contre sa poitrine. Il ne fallait pas qu’elle s’approche, il ne fallait pas qu’elle le touche. Mais elle continua d’avancer avec cette intention confuse de le frapper, ou de s’emparer du poignard qu’il avait confisqué pour attaquer de nouveau. Au moindre mouvement brusque, peut-être, Crapouille expirerait dans ses bras. Sa gorge se noua à cette idée. Tout se resserra, en lui, pour se protéger, pour protéger Crapouille, pour éloigner cette présence, ce trou dans l’espace qui se déplaçait en crachant sa colère et qui, s’approchant de Loup comme la flamme d’une branche sèche, risquait de tout embraser.

― Dégage ! hurla-t-il.

Tout tremblait en lui, sa voix, son corps, son champ de vision. La jeune fille buta sur un des pavés, un peu plus haut que les autres, à moins qu’il ne se soit levé exprès. Quand elle releva la tête, elle recula d’un pas, le regarda avec une terreur nouvelle qui la fit rétrécir.

C’est que l’espace d’un instant, alors que toute la peau du visage du jeune homme se retroussait sous la colère, elle crut voir son nez noircir et s’allonger, elle crut que des dents immenses poussaient sous la gencive, aux coins des lèvres. Elle crut même reconnaître un de ces grognements qui raclaient non la gorge, mais jusqu’au fond de l’estomac, que les loups émettent avant d’attaquer. Il tenait d’une main la boule de poil du chat inerte, et elle se dit que c’était cela seul qu’il l’empêchait de retomber sur quatre pattes et de lui sauter à la gorge.

― Qu’est-ce qui se passe ?

Une personne fluette dans un petit corps fin s’était glissée entre la fille et Loup. C’était Joey. Il posa un regard intéressé sur Crapouille dont il reconnut le pelage soyeux.

― C’est Crapouille ?

Loup sentit sa colère et sa peur s’estomper. Sa respiration, les battements de son cœur ralentirent et reprirent un rythme habituel, imperceptible. Crapouille s’était roulée en boule dans sa main. Il la replaça tendrement dans ses bras.

― T’approche pas, gamin. C’est un sorcier.

Joey se contenta de fixer la vieillarde, qui, à ce moment-là, se mit à rajeunir. En l’espace d’une minute, on lui aurait donné plutôt cinquante ans, au lieu des cent ans aigris qu’elle portait à l’instant. Ses yeux recouvrèrent leurs pupilles et les iris, bien que toujours froids, furent au moins visibles.

― Je sais que c’est un magicien. C’est mon ami, affirma Joey, avec simplicité. T’es qui, toi ? ajouta-t-il, comme s’il la mettait au défi de pouvoir en dire autant.

Décontenancée, la jeune femme ne répondit pas. Elle était trop occupée à redevenir l’adolescente que cet enfant voyait en elle.

― Zia, lâcha-t-elle, au bout de son souffle.

Elle avait retrouvé la figure poupine que Loup avait aperçue d’abord. Seul un léger froncement de sourcil permit à la fille de ne pas se départir totalement de la froideur qui l’engourdissait. Joey hocha la tête, comme si ç’avait été tout ce qu’il avait voulu savoir. Loup observa ce manège d’un œil morne. Rien ne l’intéressait plus que de sentir à nouveau la patte de Crapouille taquiner son oreille. Mais ce fut une autre main qui s’approcha de lui.

― Tu saignes, constata Joey, d’un voix experte qui pouvait prêter à rire.

― C’est rien.

Et la vérité, c’était que ça ne l’intéressait pas non plus. Qu’allait-il bien pouvoir dire à Bell, quand il la reverrait ? Qu’il n’avait pas été capable de veiller sur Crapouille ? Et comment pouvait-il retrouver Bell sans Crapouille ?

― Si, ça peut être grave, pourquoi tu te soignes pas ?

― J’ai du miel, dans mon sac, si tu veux. Mets-en sur ton bras aussi, ajouta-t-il, après un temps, pensant aux griffures qu’avait laissées Alfrid sur sa peau délicate.

Joey ouvrit la poche et trouva le pot de miel. Il en déposa une couche de ses doigts aériens sur le cou et la tempe de Loup. Ses yeux noisette étaient un peu grands, mais ne lui mangeaient plus la moitié du visage. Loup considéra avec gratitude comme il prenait à cœur sa tâche, accomplissant chaque geste avec un sérieux imperturbable.

― Tu peux la soigner, Crapouille, non ?

C’était dit plutôt sur le ton de l’affirmation que sur celui d’une véritable question. Joey ne doutait aucunement qu’il avait affaire à un guérisseur.

― Je connais pas cette magie-là, répliqua Loup dans un sourire où le plaisir d’échanger avec un enfant qui croyait en lui cachait à peine une tristesse immense.

Il aurait pu avouer qu’il ne savait aucune sorte de magie, ce dont il était persuadé, tant il manquait d’objectivité sur lui-même. Mais Joey avait l’air de l’admirer et il se surprit à vouloir conserver intact le regard que cet enfant posait sur lui.

Joey fit semblant de n’avoir pas entendu. Pour lui, Loup pouvait tout faire, et rien de ce qu’il dirait ne remettrait cela en question. Alors le petit garçon, considérant que la conversation était close, se pencha sur la tête de Crapouille et appliqua un baiser gracile sur les poils noirs, où le sang agglutiné commençait à former des croûtes.

Joey se retourna vers la figure déconfite de Zia, à qui on aurait plutôt donné douze ans, à ce moment-là, et qui continuait de se ratatiner.

― Pourquoi t’as fait ça ? interrogea Joey, avec un ton désarmant, angélique et rêveur.

Zia ne savait pas quoi répondre. Elle murmurait que ce n’était pas sa faute quand Loup, d’un geste rapide, s’empara des lunettes de Bell qu’il fourra dans la poche de sa cape. Puis, se détournant d’eux, il chuchota à Crapouille toutes les paroles de réconfort auxquelles il pouvait penser. Il referma le sac de Bell, le saisit par une bretelle, laissant les deux autres se chamailler comme les deux enfants qu’ils étaient, et s’échappa par la ruelle qui longeait le mur d’enceinte de la ville.

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itchane
Posté le 04/05/2025
Pauvre Crapouille !! Ohlala il faut la soigner, Joey a raison.

J'ai vraiment beaucoup aimé le fait que le regard d'enfant de Joey redonne sa figure d'enfant à l'agresseuse. Et que de fait, le combat n'ait plus aucun sens. La gamine de 10-12 ans se laisse gronder par Joey sans oser repartir à l'attaque.
C'est super bien vu !

Reste à savoir comment Loup va sauver Crapouille, pauvre bête.
Camice
Posté le 26/11/2024
Coucou Baladine ! C'est encore moi !
J'aime bien voir que le Loup se fait avoir maintenant qu'il n'a plus la vue de l'âme.
Cette histoire de Loup qui apparaissent toujours en nombre et des humains qui disparaissent. On dirait vraiment que Bell et Loup ne sont pas les seuls a tomber sous la malédiction de la sorcière. Ce serait vraiment terrrible que tous les loups qu'ils abattent sont en fait leurs camarades disparus.
J'aime beaucoup la façon dont tu poses des interrogations, des mystères et la manière dont tu les résous. C'est très satisfaisant. La plupart de mes questions des précédents chapitres sont déjà répondus !
Une subsiste : Pourquoi enlever ses canines alors que la légende persiste et que s'il se prend à sourire, les autres saurons qu'il a été un loup un jour. Sachant qu'en plus il se ballade avec la peau de loup, il est pas très malin socialement, Loup.
Crapouille est toujours adorable, 10/10, recommanderait ce chat avec cette quantité de sarcasme.
A plus tard ! :D
Baladine
Posté le 27/11/2024
Re coucou !
Merci encore pour ces retours et ta lecture. Loup a quelques idées en tête qu’il ne partage pas forcément avec le lecteur, quel cachotier ;) mais non, il n’est pas toujours très malin et a tendance à n’en faire gentiment qu’à sa tête. A voir si la bon sens de Crapouille peut l’aider un peu. Heureusement qu’elle est là.
À bientôt !
Baladine
Posté le 04/12/2024
Coucou Camice ! Je ne voudrais pas te spoiler ni te perdre tout à fait, mais j'ai fait une boulette et réorganisant le chapitrage de Bell, du coup la discussion entre Loup et le tavernier se passe maintenant au chapitre 16. Normalement, pour reprendre ta lecture où tu en étais, tu devrais lire le chapitre 17 et non pas 20, qui te ferait manquer plusieurs épisodes ^^' Désolée, j'étais dans mon organisation et je l'ai appliquée à PA pour avoir une meilleure vue d'ensemble du nouveau poids des chapitres, sans penser aux conséquences pour les lecteurs...
Phémie
Posté le 23/11/2024
Aïe, Loup n'est vraiment pas dans son élément dans ce chapitre, mais il marche habilement sur des oeufs avec ce tavernier (enfin, sauf à la fin!). C'est intéressant d'avoir ce point de vue humain très terre-à-terre sur les loups, et de voir comment il l'accueille. On a vraiment peur pour Bell et je suis assez d'accord avec Crapouille sur le coup : file vite d'ici et va courir dans les bois à la recherche de Bell !

Encore une fois une très belle clôture de chapitre, qui donne envie d'aller lire la suite tout de suite.

Je me suis arrêté sur cette phrase : "T’es un dur à cuir" ; l'expression étant dur-à-cuire je me suis demandée si c'était un jeu de mot volontaire ou juste une erreur.

A très vite !
Baladine
Posté le 24/11/2024
Coucou Phémie,
Merci beaucoup pour ta lecture et ton commentaire, tes retours sont vraiment précieux !
Alors j'ai vérifié pour "dur à cuire" parce que du coup, j'ai eu le doute (je ne savais pas que l'expression était figée au point d'être mise entre tirets), mais en fait, d'après notre tlfi préféré, on peut encore employer les deux orthographes, même dans l'expression au figuré, donc bon.
Je prends un peu le temps, en ce moment, de découvrir les textes des HO, c'est pourquoi je lirais un peu moins régulièrement les Dragons dans les quelques semaines à venir, mais je tenais à te remercier d'avoir proposé Bell et le loup <3 ça me touche beaucoup.
A tout de suite !
Phémie
Posté le 24/11/2024
Coucou !
Ah je suis surprise d'apprendre cette autre orthographe de l'expression, merci pour la découverte (je suis du genre à employer encore l'ancienne forme du mot "clef" tant que j'ai le droit donc j'approuve ta décision ;) )
Avec plaisir pour la proposition de ton texte, et je te retourne le remerciement, c'était une très belle surprise de retrouver mes dragons dans la sélection. J'espère pour toi comme pour moi que cela nous apportera encore quelques retours précieux sur nos textes.
Et je pense aussi consacrer du temps à la lecture des HO, je trouve que c'est un très bel évènement pour faire de belles rencontres et découvertes.
Belle soirée et bonne lecture !
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