XIX • Le sommeil

— Tu veux donc récupérer la carte.

— Je dois absolument la récupérer.

— Tu as de la bravoure, mais tu es dépourvue de cervelle.

— Et toi, corbeau, pour me suivre ainsi, ne tiens-tu point à tes ailes ?

— Oh, ce ne sont pas mes ailes qui me permettront de saisir ton livre si majestueux.

— Ne parle pas trop fort, je crois que l'ogre s'endort.

— Il est temps de chercher la carte tant espérée, que ton bel ouvrage a décrit et dessiné.

— En effet. Je compte bien la posséder.

— Comment vas-tu faire ? Le moindre bruit peut le réveiller !

— Avec un bavard comme toi, cela fait déjà des lustres qu'il nous aurait dévorés. Silence à présent.

J'observe la salle tout autour de nous. Sa demeure est aussi démesurée que sa taille et son appétit pour les délices de la vie est aussi immense que sa mégalomanie. Le sol est recouvert de coussins et de draps paraissant aussi doux que le duvet d'un ange. Après avoir bu pour festoyer sa répugnante personne, il s'est assoupi en hurlant sur ses servantes qui n'osent poser le regard sur lui. Son souffle écœurant est terrible à ouïr. Ses muscles saillants peuvent nous pulvériser à tout moment s'il nous entend. Je le dévisage de la tête aux pieds. Couvert d'une étoffe rouge sang, sa coupe encore pleine glisse entre ses doigts griffus, portés par un sommeil profond. Le vin se répand sur les tissus chatoyants. C'est là que j'aperçois quelque chose de très intéressant. En grimpant en hauteur sur une des colonnes, piliers ornés de couleurs enchanteresses, au milieu de ce bazar d'abondances en tout genre, un coffre en or. Absolument somptueux. Paré de pierres précieuses. Une serrure protège ses trésors et une clé, très semblable à ses décors, scintille sur sa poitrine. Elle mesure au moins sept pieds.

Le volatile vient se poser sur mon épaule. Souriant derrière ses plumes funestes.

— Je suis certaine que la carte se trouve dans son coffre. Et vu les carcasses et bouteilles, il doit passer l'entièreté de son existence ici. Tout près de lui.

— Comment vas-tu faire dans ce cas ? La clé est plus haute et sûrement plus lourde que toi !

— Tu vas m'aider.

— Moi ? T'aider ? Tu m'as fait une promesse, j'ai déjà rempli ma part du marché. Quel toupet !

— Je ne te confierai pas ce livre avant d'avoir obtenu cet objet. Et sans une dryade, tu ne pourras le lire. 

— Comment ?

— Chut ! Oui, tu as bien entendu, oiseau de malheur. Seule une dryade peut lire ce livre. Toi, tu n'es qu'un corbeau qui veille sur la porte des Enfers. Il n'y a que les humains et tes congénères que tu laisses entrer, n'est-ce pas ?

Silence.

— Je sais que tu es un démon. Vous avez une fascination pour les trésors de ce monde. Or, si Balthazar n'a pu trouver ce qu'il cherchait, c'est tout simplement parce que les divinités ont offert des présents destinés aux humains. Pas aux créatures démoniaques. C'est pour ça qu'il est revenu bredouille, malgré l'existence de cette carte.

— Alors, tu le savais. Et tu n'as rien dit.

— Il fallait bien que tu penses que je suis idiote pour me suivre bêtement, non ?

Le corbeau reste sans voix. Je lui ai enfin cloué le bec.

— Je vois. Je m'incline.

— Vous pensez toujours être les plus malins. Il n'y a pas que les démons qui sont futés.

— Un peu de modestie, voyons.

— Parce que vous en avez ? Non.  Aide-moi à prendre cette clé. Si tu le fais, je te promets de te donner le livre et de décrypter ce qu'il contient. Mais explique-moi, pourquoi un démon s'intéresse autant à ces ouvrages ?

— Pourquoi une dryade voudrait le savoir ?

— Parce qu'en tant que créature de la terre, mon sort en dépend.

— C'est tout ce que vous savez faire, marcher sur cette pierre flottante.

— Tu as peur de répondre ? Ou de te montrer ? Tu es si laid que ça ?

— Non, sale petite langue fourchue. Je te répondrai quand nous aurons récupéré cette maudite clé. Et ensuite, tu tiendras parole.

Il se transforme en une chimère, mi-oiseau, mi-guêpe. Je le vois alors voltiger, avec sa stature impressionnante, dans la pièce pharaonique. Je retiens mon souffle au moment où il pose ses quatre bras sur le torse bombé d'air. L'ogre dort toujours. Espérons que cela continue ainsi. Aura-t-il assez de force pour porter cette clé…?

Il s'approche tout doucement. Le monstre géant se déplace légèrement. Rêve-t-il ? Son avant-bras couvre ses yeux, impossible de savoir s'il se réveille ou non. Le démon s'agrippe lentement à sa tunique pourpre, grimpant progressivement, sans quitter la clé de ses quatre iris. À chaque soupir, il s'arrête net. Si près du but, il se précipite quand une main robuste se referme sur lui. Balthazar se redresse. Il écarte son bras et le dévisage, rempli de colère.

— Que fais-tu ici, imbécile de piaf ? dit-il, en serrant un peu plus ses doigts autour de sa prise. Comment oses-tu me voler ?

Le démon gémit de douleur. Je me glisse furtivement vers le coffre tandis qu'il converse avec le colosse.

— Alors quoi ? Tu caches quoi de si précieux pour t'énerver de cette façon ?

— C'est moi qui pose les questions !

— D'accord, je te réponds, penche-toi, je dois te le dire à voix basse...

— Qu'est-ce que tu manigances ?

Pendant que je m'échappe, la carte enfin en ma possession, je les écoute en jubilant.

— Il y a une dryade qui veut te voler une carte dans ton coffre. J'ai accepté de l'aider en échange de son livre.

— Une dryade ? Où ça ?! Vous n'aurez jamais cette carte, tu m'entends ? Où se trouve-t-elle ?

Il arrache la clé à son cou, ouvre son coffre et cherche sa carte.

— Où...est...elle... Voleur !

— Quoi ?! Mais il fallait bien ta clé pour l'ouvrir, comment aurait-elle pu...

Il observe la taille de la serrure. Ainsi, il comprend que je les ai piégés. Je dois vite quitter les Enfers avant de me faire attraper !

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SinnaraAstaroth
Posté le 17/05/2024
Petit coquille ici : "Paré de pierres de précieuses." => un de en trop

- Qu'est-ce que tu manigances. => il manque le point d'interrogation ( ? )

On entre dans le vif de l'action ici, mais je trouve que le style perd un peu en poésie du coup. Le choix de typologie notamment avec les majuscules et le triples points d'exclamation détonne pas mal avec le style très lyrique et élégant qu'on a eu jusque maintenant. J'aurais peut-être conservé une forme classique, et j'aurais trouvé un autre moyen de démontrer la puissance et la virulence de l'ogre.

J'ai l'impression que ce chapitre est un peu moins soigné, qu'il a été écrit un peu à la va-vite. Après l'histoire est toujours aussi intéressante, mais voilà, ça m'a un peu interpellée.
noorlayluna
Posté le 23/05/2024
Coquilles et fautes corrigées, merci beaucoup ! J'ai retiré les points en trop, en me relisant, c'était désagréable, et j'ai modifié un peu le texte. En effet, il n'a pas été aussi soigné que les autres, mais j'ai beaucoup aimé écrire cette scène !
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