XVII. — À VALA

La lumière solaire rayonne toujours d’est en ouest ; et lorsqu’elle embras(s)e l’horizon de son doux baiser d’ocre, la fraicheur de la rosée rejoint une nouvelle fois l’éther dans sa robe vaporeuse. Les senteurs du jour s’éveillent et chassent leurs lointaines cousines nocturnes. La chouette s’en retourne au sommeil, haut perchée dans la quiétude des temples ; tandis que les conquérants du soleil radieux s’égaillent de l’éternelle danse des éléments.

Dans sa divine rigueur, la Nature joue de sa machinerie et de son ingéniosité pour perpétuer ses cycles, où une certaine inertie assujettit toute ambition au mouvement.

Pourtant…

Par nos yeux, la Nature n’est plus ce qu’elle était à notre départ d’Arpa. Les doux souvenirs qu’avivaient certaines couleurs ou saveurs ont été substitués par la violence de nos malheurs récents. La cime montagneuse, la fureur des vents ou l’écarlate invoque de tout autres souvenances ; ô combien pénibles !

Rien n’a changé, tout a changé. Nos sens ont mué, nourris par l’agrégat de nos douleurs et de nos peines endurées. Et bien au-delà de notre simple perception de la Nature, nos corps et nos esprits se sont métamorphosés. Tu as été initiée malgré toi, par le fruit du hasard divin, aux mystères de la Nuit sous le ciel étoilé d’Ys ; tandis que je poursuis ma vaine quête d’un long et doux sommeil.

Pardonne-moi cette mauvaise analyse. Trop réservé pour en discourir avec l’aisance d’un rhéteur, le stylet s’y substitue toujours à merveille. D’ordinaire, je destine mes déboires spirituels à mon frère Faustus. Toutefois, alors que nos routes se séparent aujourd’hui, je souhaitais te laisser sur ce coin de table, un témoignage de mon amitié et l’importance que revêtent les liens qui nous unit désormais. Te partager l’intimité de ma pensée est ma façon propre de te le démontrer.

J’ignore quels épreuves et dangers te guettent à Ys et dans les Dorsales. Néanmoins, je ne doute pas un instant que ta force et ta volonté les balayeront, aussi sûr que le vent entraîne les feuilles de l’automne. J’espère de tout cœur que les arcanes de la Nuit te seront profitables en maintes manières, que tu y trouveras remède en toute chose de corps et de l’esprit. Elles sont mystérieuses et même encore indicibles pour des êtres tels qu’Émilius. Toutefois, il est indéniable qu’elles nous apportent un précieux réconfort et tentent de nous inculquer une étrange sagesse murmurée par nos étoiles. Pour ma part, je poursuivrai l’exploration de mon kosmos et peut-être, si les Dieux le souhaitent, rencontrerai-je d’autres kosmos sur ma route et profiteraient de leur substance stellaire et millénaire.

Avec Quintus, nous nous rendons à Vale par la voie des embruns. Nous ferons une courte escale à Tubirie, avant de remonter le fleuve jusqu’à la Ville. Si aucune embuche ne se dresse sur le chemin, nous devrions l’atteindre au matin du 25e jour du Solstice Jaune. À partir de ce jour, tu pourras m’y écrire et destiner ton courrier à mon nom et à la gent Livii. Ton messager arrivera ainsi à bon port.

Je n’ai plus rien à rajouter, si ce n’est mon espoir de cultiver les germes d’une amitié tout juste née des maux et des circonstances de ce voyage. J’espère que nous nous retrouverons dans quelques temps, plus certains de notre art de la Nuit, plus à même de l’évoquer et de le décrire à toute âme.

Je te souhaite le meilleur.

23e jour du Solstice Jaune.