D’aussi loin que je me souvienne, le parfum des oliviers a toujours embaumé mon enfance. Dès que je fus en âge de marcher, j’ai pris l’habitude d’errer entre leur tronc coudé, à l’ombre de leur fin feuillage. Souvent, je m’adossais à l’un d’eux, près du précipice d’une haute falaise. Là, bercé par le chant marin et l’esprit embrumé par la salinité de l’air, je dévorais l’azur de la mer de mes yeux ronds et insatiables. J’ignore ce que j’imaginais alors, devant cette large étendue d’eau parsemée de traits d’écume ; mais je goûte encore ce plaisir d’innocence dans la mémoire de mon cœur. À cette croisée de l’âme et de la souvenance loge la nostalgie.
Un autre fragment de ce temps béni persiste au-devant, loin des embruns tumultueux de l’oubli. Il s’agit de l’éclat blanc du marbre, de la finesse des arêtes de ces blocs extraits des carrières. Plus brillant qu’une lune ronde, radieux comme le soleil au zénith. Je garde cette image du marbre s’élevant en colonne ou en torsade et soutenant une charpente d’un bois noir, au cœur plus sombre que l’ébène, et des frontons aux fresques épiques.
Enfin, le troisième et dernier souvenir de paix qu’il me reste de mon très jeune âge, est une vision de ma mère, du moins je le crois. Je revois un dos dénudé à la peau burinée par le soleil d’été, un vêtement de lin d’une pièce, blanc, bien que sali par l’effort de la journée, des sandales faites de cuir et de corde, un panier en osier rempli d’olives posé sur sa tête, au visage oublié.
Puis la quiétude de l’enfance s’étiole, s’enfume sous des colonnades soufrées où la rythmique guerrière s’impose. Pour ces instants cruels, ma mémoire n’est plus que tonnerre et éclairs. Les oliviers brûlent, les blés mûrs couchés baignent dans le sang et la cendre. Les fruits de l’été sont écrasés sous l’ordre militaire. C’est là l’horreur de la terre brûlée. Le marbre est souillé de vie fuyante, sa surface en devient traitresse au pied des malheureux fuyants. Ils glissent au crucial instant et ils n’ont plus qu’à tendre leur cou au fer mordant. Les temples sont profanés. Le noir de leur charpente a perdu sa profondeur, il n’est plus que bois brûlé, où rougeoie désormais la braise incandescente du charbon né.
Avant que l’ombre ne s’abatte définitivement sur ma mémoire d’enfance, un dernier écho me revient. Mon corps nu et vulnérable, le tumulte de la bataille environnante, une silhouette menaçante, des sabots pour pieds, des cornes écarlates au front, une pupille animale alignée sur l’horizon. Et puis dans un grognement rageur, un trait rouge tiré à la pointe du glaive de ma clavicule à mes reins. Mon regard ulcéré avait alors une impression de nuit en plein jour, comme si le ciel était soudain soumis à la colère des volcans.
Mes hurlements incessants et le cliquetis des chaînes pensantes.
Enfin plus rien. Seulement l’ombre et le silence.
Nul n’a jamais su que j’avais été fait esclavage, avant de courir, libre et voleur, les ruelles d’Arpa. Pas même Faustus. Pas même toi de ton vivant, ma tendre Pathie ; mais peut-être l’auras-tu deviné, et par ton intelligence naturelle, tu auras aussi conçu que tu n’étais pas en droit d’évoquer sujet d’une pareille gravité sans mon invitation.
Au terme de mon voyage jusqu’à Vale, après maintes épreuves, j’ai ressenti le besoin d’écrire ces mots. Mon cœur est soulagé d’un étrange poids. J’ignore ce qu’il adviendra de cette lettre, faute d’une âme à qui la transmettre.
Une chose curieuse m’arrive. Tandis que tu es parti en quête du repos éternel, j’ai perdu de vue ce repos, sous sa forme la plus bénigne et naturelle. Une intuition me souffle que cela ne sera pas sans conséquence. Je crois que, déjà, de sombres artifices assaillent mon corps.
L’Œil Stellaire s’apprête à saluer le ciel de son écarlate présence. Je la ressens jusqu’au creux de mes os, cette singulière force céleste qui l’annonce. À Arpa, tu jouais ce rôle de phare pour nous. Désormais, je me suffis à moi-même. Les arcanes de la Nuit s’ouvrent, m’invitent dans leur danse kosmique et me révèlent leurs secrets qui t’étaient autrefois confiés.
Rien n’arrête la révolution des astres. Les cycles s’enchaînent, imperturbables aux maux des vivants, omnipotents.
Adieu Pathie.
Adieu tendre mère des orphelins d’Arpa.
Ah déjà la fin du livre 1 haha j'aime beaucoup cette idée de conclusion et surtout le fait que toute la correspondance ne nous soit pas parvenue, cette distance temporelle suggérée est extrêmement chouette !
Petite remarque rapide : la nostalgie. Tu parles de ça au début, je voulais juste signaler qu'à ma connaissance, ce mot est très récent, et le concept que sa signification englobe à nos oreilles contemporaines aussi. Après, tu fais de la fantasy historique haha donc à toi de choisir ce que tu fais de cette info
Ainsi donc, Scaevius a été esclave... Je me demande comment il a bien pu se débarrasser de ses chaînes
Bref, c'était une très chouette conclusion à ce livre 1, hâte de voir où l'ellipse va nous conduire ensuite
Merci Hastur pour cette belle histoire
Oui c'est la fin du premier voyage ah ah ! :D
Oh je ne savais pas pour le concept de la nostalgie. J'y réfléchirai du coup, pour être raccord avec l'ensemble !
Merci beaucoup pour ton retour ! Très content que cette petite conclusion t'ait plu :).
Une très jolie conclusion pour cette première partie ^^
Au début de la lettre, je pensais que les images d’enfance qu’il évoquait étaient liées à Pathie, que c’était quelque chose qu’ils avaient en commun et une sorte de rappel à sa mémoire, c’était intéressant que ce soit finalement un aveu ! Surtout que ça veut dire que finalement, puisqu’elle est morte, personne ne sait vraiment tout ce qu’il vient de dire sur son passé (sauf nous, et si quelqu’un tombe sur ses lettres par hasard...)
On a donc la confirmation que Scaevius n’a pas de frères et soeurs de sang, mais visiblement ça n’a pas été si important, il a bien trouvé sa famille ! Après avoir tout perdu de façon horrible... C’est étrange, jusqu’ici je pensais qu’il était quand même relativement innocent et protégé par les aléas de la vie, mais c’est juste son côté poétique qui adoucit sa vision du monde, finalement :)
A bientôt sur la prochaine lettre ^^
Merci pour ton retour ! Très content que cette conclusion à la première partie t'ait plu :).
A bientôt pour la suite ! (qu'il faut que je poursuive aussi hu hu ! :D)
Terminer la correspondance avec Pathie comme destinataire sonne très juste. Ca permet à Scaevius de coucher sur le papier son ressenti et de faire un dernier point en se confiant à elle, qui comptait tant à ses yeux (mère et mentor à la fois) et les a tirés de leur misère, lui, Faustus, et d’autres, visiblement.
J’apprécie toujours autant les images qui défilent sous ta plume, notamment autour de la mer, au début. Cette lettre nous révèle également un passé plus tragique encore que celui de « simple » orphelin des rues. Surtout quand on a une idée de l’esclavage à l’époque dont tu t’inspires. Ouep.
…des chaînes pensantes => ça m’interpelle, alors je te le relève. Tu es sûr que c’était le mot que tu voulais utiliser ? Pesantes, peut-être ? Si les entraves se mettent à penser, on est mal barré xD
Merci beaucoup pour ton retour enthousiaste et les confettis et serpentins :D !
Je suis vraiment content que toi et les autres aussi en dessous trouvent qu'il y a une certaine justesse à conclure cette première partie avec une lettre à Pathi !
Ah ah merci pour la coquille des chaînes pensantes ! Evidemment pesantes ^^. Ceci dit, l'idée de chaînes pensantes pourraient être intéressantes à explorer plus tard ! Hu hu hu.
Encore merci pour ton retour !
A bientôt par ici ou dans une chouette histoire pleine de drôles de loups !
Sur la forme deux petites remarques :
"Nul n’a jamais su que j’avais été fait esclavage" : esclave
"Une chose curieuse m’arrive. Tandis que tu es parti en quête du repos éternel" partie
Félicitations pour avoir bouclé le livre 1 en tout cas !
Merci beaucoup pour tous tes retours sur cette première partie de Correspondance. Ca m'a donné tout plein de motivation pour poursuivre et aussi beaucoup de choses utiles pour la réécriture de cette première partie.
Ah ah, si l'inspiration est au rendez-vous, le livre II devrait débuter la semaine prochaine. Je suis déjà certain du contenu de la première lettre et aussi du contexte générale de ce deuxième. :)
Merci pour les coquilles !
A bientôt par chez toi ! Je vais sous peu me mettre sérieusement à la relecture de ton bouquin, il est en tête sur ma PAL :D.
Eh bien je crois que tu n'aurais pas pu clore ce premier livre d'une plus belle manière. Je ne suis pas surprise outre mesure de la destinataire de cette lettre, puisqu'il s'agit d'une sorte d'épilogue, et qu'il était important, je pense, que Pathie finisse par nous apparaitre autrement qu'à travers les évocations des différents personnages au vu de son importance dans la construction de Scaevius et Faustus.
Cette lettre est très touchante, empreinte d'une certaine nostalgie et de soulagement en même temps. Je me représente très bien l'horreur de Scaevius
face à la guerre et l'esclavage, et je comprends ce poids qu'il a porté en secret.
Il reste encore des questions sans réponse, mais j'imagine que nous en saurons plus dans la suite des Correspondances, j'ai hâte de pouvoir lire ce deuxième livre ^^
Juste une petite note :
"Nul n’a jamais su que j’avais été fait esclavage"
Esclave plutôt, non ?
Bravo à toi pour avoir fini ce premier livre, c'était un plaisir de suivre les aventures de Scaevius ! Je te souhaite également bon courage pour la suite :)
À bientôt !
Merci beaucoup pour tous tes retours depuis le début de la Correspondance ! Ils vont me donner tout plein de matière pour la réécriture ! :D
C'est exactement le sentiment que j'ai. Une sorte de lettre épilogue qui clôt définitivement cette première partie.
Merci pour les coquilles !
A bientôt chez Lys très certainement :D