XXIII • Les secrets

Les forêts étaient figées dans la glace. Des silhouettes à peine reconnaissables étaient enfouies sous la nappe immaculée. Une brise, transperçant mes membres inertes, entaille mes bras qui s'accrochent aux plumes du griffon. La créature se pose prudemment. Je hurle à l'aide, espérant trouver Fée des neiges non loin des lieux. Elle apparait alors, les ailes déployées avec élégance, valsant au milieu des flocons. Je lui supplie de me protéger du froid qui se répand. D'un geste, elle couvre mes épaules d'un châle fait de cristaux et de dentelles. Une aura me protège de cet air glacial. En parcourant les bois, et en observant les pages de l'ouvrage encore vierge, je redécouvre ma demeure. Notre chère maison. Je regarde quelques instants le carnage qui s'est abattu sur les fleurs, les ronces, mes sœurs, les ondes...

Un dessin se forme sur la page, et elle noircit à mesure que mes pas avancent. Le livre s'embrase soudainement, se changeant en une fumée verdoyante qui se dirige avec fulgurance au fin fond de ce cimetière pétrifié et sinistrement silencieux.

Des racines sortent de nulle part, détruisent la glace,  m'emportant dans les profondeurs de la terre. Un cri étouffé s'échappe de mes lèvres. Une fois réveillée, je vois la lyre, soigneusement disposée sur un socle. Le gardien, un renard cornu doté d'une queue de scorpion, s'était figé à tout jamais. Il n'a pu braver les froideurs de la parure. Je m'approche de la lyre, persuadée que la fin approche, quand une vision emporte mon esprit.

"Avant que la magie n'apparaisse, les dryades étaient humaines. Les esprits sont apparus et ont bouleversé le destin des créatures de la terre. C'est en scellant un pacte avec les esprits de la forêt qu'elles ont pu accéder à une vie longue et prospère. Leurs pouvoirs proviennent de la vie qu'elles protègent corps et âme. Lorsque la lyre du printemps fut confiée aux dryades, un élément très précieux devait se transmettre de génération en génération dans le plus grand secret : la partition. Ce n'est qu'en unissant le livre des saisons, et la lyre, qu'elles apparaissent pour être jouées par sa détentrice. Ainsi, la dryade qui unit ces deux objets peut acquérir des pouvoirs encore plus extraordinaires. En échange de cette puissance phénoménale, qui ne peut être utilisée qu'une unique fois, la dryade doit renoncer à sa magie pour l'éternité."   

Je vais devoir renoncer à ma magie pour toujours si je veux nous sauver de cette tragédie. Erya, donne-moi la force d'en finir avec tout cela, de retrouver la parure, de ressusciter mes sœurs bien aimées et toutes les créatures de la terre qui ont été massacrées.