«Y penser sans cesse n'éclaircira pas la bergerie.»
Y a-t-il quelqu'un qui n'a jamais entendu ce proverbe au moins une fois ?
— Y a comme un hic, tu ne trouves pas ?
— Y a comme un hic ?
— Y a comme un hic, Quentin !
— Youpi, si tu le dis.
— Y a un lézard dans la bergerie...
— Y a un hic, puis maintenant un lézard dans la bergerie ?
— Y a un lézard dans la bergerie, je t'assure, Quentin !
— Y va falloir que tu m'écoutes attentivement, fiston : fumer, c'est mal !
— Y a comme une taupe dans le poulailler ! Y a comme un rat dans la prairie !
— Y faut que tu te calmes et que tu me dises doucement ce qui t'arrive, petit... Y a des fois où tu me fais peur, tu sais.
— Y a un chat dans le marécage, un lion dans la menuiserie, un éléphanteau dans le magasin de porcelaine, une hyène dans la librairie, un chimpanzé dans le musée, une abeille dans la laverie, un hippocampe dans la mare aux canards...
— Y faut que tu respires. Y a urgence, là !
— Y a comme un hic, le monde ne tourne plus rond, Quentin !
— Y tourne carré le monde, maintenant ?
— Y tourne pas rond, ni carré.
— Y tourne losange, le monde ?
— Y tourne pas losange non plus, et encore moins trapèze...
— Y tournerait pas en étoile par hasard ? Y aurait un peu de poésie dans l'histoire si le monde tournait en étoile.
— Y tourne pas en étoile non plus. Y a quelques fois de bonnes idées chez toi.
— Y a-t-il une infime possibilité pour que le monde se soit tout bonnement arrêté ?
— Y a jamais rien d'impossible dans la vie : c'est l'une des choses que tu m'as apprises au fil des années, Quentin.
— Y a combien de temps que tu n'es pas allé chez un ophtalmologiste, mon cher ami ?
— Y a un an et demi, peut-être un an, six mois, trois semaines et deux jours, ou deux ans tout au plus.
— Y serait temps d'y retourner car les lézards dans les bergeries, ça ne court pas les rues.
— Y paraît qu'il ne faut pas nécessairement voir pour croire, Quentin.
— Y se peut que j'ai dit ça un jour mais ça ne concerne pas les lézards dans les bergeries, je te l'assure !
— Y a pourtant un lézard dans la bergerie.
— Y a comme un hic, j'ai l'impression.
— Yeah, c'est ce que je te dis depuis tout à l'heure : c'est souvent qu'on n'écoute pas ce que je dis, qu'on me prend pour un fou, on me critique et après, on admet progressivement que j'ai raison. Y a pas à dire, si les gens admettaient de suite que je suis quelqu'un de censé, les conversations iraient beaucoup plus vite.
— Y faut dire aussi que les conversations les plus rapides sont les moins savoureuses.
— Y a tout plein de philosophie dans ce que tu dis, Quentin.
— Y paraît, oui.
— Y faut que je te dise : il y a comme un lézard dans la bergerie.
— Y a besoin de le répéter à l'infini ?
— Y faut ce qu'il faut pour se débarrasser des lézards dans les bergeries, Quentin.
— Y faut que tu m'expliques ce qui se passe dans ta tête. Y a pas de doute, avec l'âge, ça commence à devenir inquiétant. Y a pas qu'aujourd'hui que tu délires de manière incompréhensible : les lézards dans la bergerie ne sont que le bout pointu de la banquise.
— Y a que le monde ne tourne pas rond, je te dis ! Y a pas quarante-deux façons de le dire mais tu ne comprends pas alors j'essaie d'innover.
— Youpi, j'ai enfin un semblant d'explication !
— Yep.
— Y a un moment, j'ai cru que l'approche de tes quinze ans te montait à la tête. Y a donc un lézard dans la bergerie, qu'est-ce que ça veut dire concrètement ?
— Y a que j'y vois tout flou depuis ce matin, voilà !
— Y a pas à chercher, tu dois aller voir ton ophtalmologiste, vraiment ! Y te faut des lunettes de toute urgence.