La psy lui trouve une bonne voix, pendant la consultation, a cette impression que « ça va », et Mahaut saute sur l’occasion pour ne pas déballer le fil de sa vie. Elle ne lui raconte pas les cachotteries de son père, le courrier de sa mère et cette espèce d’excitation mêlée d’inquiétude à l’idée d’enquêter sur Arthur Lambert chez Romain.
Ils vont réussir à le contacter, se dit-elle.
Mais après ?
Elle touche sa broche sous son pull. Saura-t-il expliquer l’inscription au dos ? Pourra-t-il lui dire des choses qu’elle ignore sur sa maman ? Des choses qui pourraient expliquer...
Dans la voiture, son père se permet une remarque à tâtons sur son travail scolaire, qui jette aussitôt un froid polaire dans l’habitacle. Le souffle de Mahaut se bloque.
— Ne te mets pas la pression, dit-il vivement. Juste… n’hésite pas à me demander un coup de main, d’accord ?
Ses mains sont livides autour du volant. Livide, le souvenir de la mauvaise note avant l’accident de voiture. Mahaut bredouille un assentiment qui bute sur des excuses.
— C’est moi qui m’excuse, dit-il en lui ébouriffant rapidement les cheveux. Tu sembles aller tellement mieux, je me dis… Comme si c’était un cauchemar. Désolé, ma puce. Y a aucune pression de ma part.
Elle remet ses cheveux en place.
— Tu… vas mieux, hein ?
Son père est grand et costaud ; en primaire, les autres enfants le regardaient la bouche ouverte, et Mahaut en était très fière. En sortie, elle lui tenait la main et elle se sentait toute-puissante. Son père, toujours grand et costaud quelques années après, a la voix hésitante et chargée de trémolos.
Il pleure beaucoup, ces derniers-temps. Des sanglots cachés, muets. Il pleure quand elle ne regarde pas, cache ses larmes dans sa barbe et a les yeux rouges.
— Je vais mieux, promet-elle.
Ils se sourient, mais il y a toujours cette bulle de colère qui lui fait mal au fond de la gorge. Ce sentiment de trahison qu’elle n’arrive pas à ravaler. Elle est soulagée quand il la dépose chez Romain, qui a déjà ouvert la porte comme s’il l’avait guetté par la fenêtre du salon.
— Allez viens, la presse-t-il tout en saluant son père. Mon vieux est parti faire les courses. Tu veux un Sprite ?
Verres en main, ils partent s’installer dans le bureau. Romain ferme sa partie de solitaire – révélant un fond d’écran « Retour vers le futur » – avant d’ouvrir Internet. Les doigts au-dessus du clavier, il la regarde comme s’il attend ses ordres. Mahaut propose :
— Essaye Google.
Lina a envoyé à Romain des captures d’écran des profils Facebook, et ils essayent de comparer ce qu’ils peuvent. Mahaut a l’impression d’avancer dans le noir, sans aucune idée de l’emplacement de l’interrupteur.
— Attends, je sais ! s’exclame Romain. Y a pas que Facebook qui attire les vieux, y a ça aussi… attends…
Il fouille dans les favoris – organisés en dossiers « papa » « maman » « Romrom » – et ouvre un site intitulé Copain d’avant. Mahaut fronce les sourcils. Ça lui dit un truc.
— Je crois que mon père a un compte là-dessus.
— Je crois que tous les pères ont un compte là-dessus, précise Romain avec un sourire. T’as une idée de date, de ville ?
— La ville c’est ici. Et euh…
Il lui faut quelques minutes pour calculer une fourchette d’années pour trouver Arthur Lambert. Elle table sur la période du lycée, mais Romain suggère d’essayer le collège – puisqu’elle est sure que sa mère et lui se connaissaient.
— Les gens essayent de retrouver les souvenirs les plus vieux possibles, prophétise-t-il.
La vue de toutes ces personnes souriantes et pomponnées fait bizarre. Sur ses photos de classes, Mahaut a des couettes, des collants à pois ou une salopette ; des habits d’enfants presque toujours sélectionnés par sa mère. Pour la prochaine, elle se préparera toute seule. Elle déglutit et se concentre sur le défilé de clichés que Romain fait scroller avec une grimace et des coups d’œil dans sa direction.
Des cravates, des chignons, des robes, des raies sur le côté ; des lycéens droits comme des I, souriants, sérieux, attrapés avec les yeux fermés ou sur la fin d’un bâillement. Sur le côté de l’écran sont listés les personnes inscrites sur le site et présentes sur la photo.
— Ah ! s’exclame-t-elle.
Le nom de Arthur Lambert lui a sauté aux yeux. Romain clique sur son profil mais elle proteste :
— Attends ! Montre la photo.
Il revient obligeamment en arrière et fait même rouler sa chaise sur le côté. Mahaut colle presque son nez à l’écran. Elle ne cherche pas à savoir si son ami a compris ce qui lui est passé par la tête, elle ne veut pas se heurter à de la pitié, elle fouille la photo à la recherche de sa mère.
C’est peut-être elle, avec sa tresse sur le côté, ce regard défiant l’objectif et cette chemise, mais Mahaut n’en est pas certaine. Elle la fixe, appelle à son esprit le souvenir de sa maman, mais elle n’est pas capable de dire si c’est la même personne.
— Mahaut ?
— C’est bon, dit-elle en se laissant retomber contre le dossier.
Il reprend sa place et ré-affiche le profil d’Arthur Lambert. Mahaut remonte ses genoux sur sa poitrine en espérant étouffer sa déception.
— Cool, on peut lui envoyer un MP. Mais ça passe par le compte de mon père.
— Ça t’embêterait qu’on lui passe ton numéro de téléphone ?
— Non, j’allais le proposer. Ce sera plus simple. On peut écrire un truc du genre…
Alliant le geste à la parole, il commence à taper un message. Il est si sérieux qu’il a un pli entre les sourcils. Quand il hésite, il pince les lèvres et regarde ses doigts, puis il reprend d’un geste assuré. Les touches claquent dans la lumière du bureau, claquent contre la peau gelée de Mahaut, claquent sa culpabilité de n’avoir pas reconnu sa mère.
C’est apaisant.
— T’en penses quoi ? demande-t-il en la tirant de ses pensées. J’ai fait comme si tu écrivais.
« Bonjour,
Je suis la fille d’une de vos anciennes camarades de classe, et j’aimerais bien que vous me parliez d’elle. Ce compte est celui du père d’un ami, alors je vous passe son numéro : 07 xx xx xx xx
Merci beaucoup d’avance. »
— Mets plutôt que je suis la fille de Garance, propose-t-elle. C’est plus direct.
— À vos ordres, capitaine !
Il s’exécute, la consulte du regard puis envoie le message. Quelque chose se dénoue dans le ventre de Mahaut, que remplace une douce impatience. Si cet homme était aussi proche de sa mère qu’elle a cru le comprendre, alors il contactera Romain. C’est obligé.
— Tu… tu veux regarder un truc en attendant ?
Ils sont passés de Jurasic Park à Smash bros, et Mahaut a eu le temps de sentir son excitation refluer quand un numéro inconnu appelle Romain. Il met leur jeu en pause, et ils se regardent stupidement avec le téléphone entre eux.
— Tu réponds ou je…
Il ne finit pas sa phrase.
— Haut-parleur, suggère Mahaut la gorge sèche.
Romain s’exécute. Une voix masculine se fait aussitôt entendre, grave et méfiante :
— Allô ?
— Oui, bonjour, bredouille Mahaut après un signe de tête insistant et de gros yeux. Vous euh… Arthur Lambert, c’est vous ?
— C’est moi.
Il se tait. C’est à elle de mener la conversation. Dans un flash elle prend conscience de la situation de son point de vue : appeler une fille sûrement mineure qui l’a contacté via un site Internet, ça craint. S’il l’a fait, c’est parce qu’elle a mentionné sa mère.
— Je m’appelle Mahaut, déclare-t-elle d’une voix faussement assurée. Je suis la fille de Garance Levant. Enfin non, ça c’est le nom de mon père, panique-t-elle. Son nom c’était… c’était Mo… Moliret, je crois.
— Monaret, corrige-t-il. Ta mère est là ?
L’espoir qui filtre sa voix transperce Mahaut, lui rend les mains moites et couvre son dos d’une sueur froide. Romain a l’air choqué. Triste.
— Ma maman est morte y a deux ans, murmure-t-elle. Désolée.
Le silence dure tellement qu’elle croit qu’il a raccroché. Pourtant, sur l’écran, les secondes de durée d’appel s’égrènent inlassablement. Du combiné s’élève une respiration profonde. C’est d’un ton très – trop – posé que Arthur Lambert demande :
— Ton père, alors ?
— Il sait pas que je vous appelle.
— C’est ta mère qui t’a parlé de moi ?
— Non, je… j’ai lu des vieilles lettres. Pardon.
Elle se donne l’impression de donner des coups de pied à cet homme qui n’a rien demandé. Elle aurait dû lui foutre la paix. C’est horrible ce qu’ils font.
— Pourquoi m’appelles-tu ?
« Je sais pas » veut-elle répondre. Ses yeux la brûlent tant qu’ils vont se bientôt se consumer, et elle avec.
— Je voudrais parler de maman.
Elle essaye de ravaler la grosse boule pleine d’épines qui lui obstrue la gorge. Elle fixe le téléphone si fort qu’elle en a mal à la tête.
— S’il vous plaît.
— Bon… tu es disponible demain ? Tu dois avoir école…
— Je peux être en ville pour seize heures trente !
Ses os se changent en gelée. Elle frisonne, tremble, crépite en-dedans.
— OK alors… Sur la place du centre-ville. Le coffee shop. Je me mettrai en terrasse.
Un lieu public à une heure de grande circulation. Ça devrait la rassurer, mais l’information n’a pas totalement pénétrée la gangue de glace qui la recouvre.
— D’accord, s’entend-elle répondre. À demain. Merci.
Cette fois-ci la communication se coupe bel et bien. Mahaut n’arrive pas à bouger.
— Je vais faire du chocolat chaud, dit Romain.
Il se lève, ouvre la porte de sa chambre, mais revient sur ses pas. Il y a un plaid sur son lit, qu’il pose sur les épaules de Mahaut avant de quitter la pièce.
Durant toute la matinée du jeudi, Romain lui répète qu’ils ne sont pas obligés d’y aller si elle change d’avis. Mahaut en déduit que son envie de gerber se lit sur ses traits. Le midi, Théo s’en inquiète aussi et s’énerve contre Romain, persuadé qu’il lui a dit « une connerie de geekos », quoi que ça veuille dire.
Voir Romain s’empourprer de colère et de vexation et défendre ses positions face à un troisième qui l’a toujours fait se liquéfier, valait son pesant de cacahuètes. Les deux lui arrachent un sourire, ce qui pousse Gauthier et Sora à encourager une fausse bagarre. Même eux n’aiment pas voir Mahaut dans cet état.
Quand l’après-midi débute, l’appréhension de Mahaut s’est faite moins étouffante, mais resserre ses anneaux sur ses poumons sitôt la dernière sonnerie éclatant dans le collège.
— Message de Lina, déclare Romain dans le bus après de longues minutes silencieuses. « S’il a l’air louche, vous criez. Si... » ah, la suite est pour moi.
Mahaut le regarde avec curiosité, mais il se contente de lui tirer la langue.
— Merci de venir, dit-elle.
— C’est normal.
Elle se dit que ça l’est pas tant que ça, que rien de cette situation n’est franchement « normal », mais elle avait besoin de cette réponse et Roman l’a senti.
— Comment je peux te remercier ? demande-t-elle quand ils sortent du bus.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
Il presse le bouton d’appel du passage piéton. Loin au-dessus de ses préoccupations, le crépuscule éclabousse le ciel de jaune et d’orange.
— Depuis le début t’es là, répond-t-elle avec un ton d’évidence. Tu m’écoutes, tu me supportes, tu me suis dans mes délires… Comment je peux te remercier ?
— Ah.
Il se gratte l’arrière du crâne, ne sachant manifestement pas comment poursuivre sa glorieuse déclaration.
— Je vais y réfléchir, annonce-t-il finalement.
Mais il a l’air de déjà savoir. Mahaut se place devant lui, marche à l’envers dans la rue, les yeux plantés dans les siens.
— Je plaisante pas, Romain. Dis-moi.
Il cille, lui évite un passant d’un geste de la main, mais comme elle continue de le fixer, il dit :
— Ben on pourrait… je sais pas trop. Un ciné ?
Elle ouvre la bouche, se remet dans le bon sens pour qu’il ne voit pas son expression. Un cinéma, c’est une bonne idée. Ils ont vu des films chez lui, mais ce n’est pas la même chose. C’est mieux.
— D’accord, répond-t-elle.
Et elle se maudit d’avoir bafouillé. Le reste de leur trajet se fait dans un silence idiot, mais une fois dans le centre-ville Mahaut parvient à se concentrer sur autre chose.
Il y a beaucoup de monde, et il semble y en avoir encore plus dans les bars, les brasseries et les cafés. Les vitrines brillent d’autant plus que le crépuscule s’estompe ; le grondement des voitures, des discussions et des pas battant les pavés embrume les deux collégiens qui ne savent plus où donner de la tête. Une odeur de marrons chaud flotte dans l’air.
Ils décident de raser les murs, repèrent finalement le coffee shop et l’homme attablé en terrasse.
Mahaut le sent dans ses tripes, que c’est lui. Ça ressemble à du sixième sens mais c’est juste son cerveau qui analyse toutes les données : l’heure, la solitude du type à sa petite table, sa façon de regarder distraitement son téléphone avant de balayer la foule. Et comme Mahaut se dirige droit vers lui, le regard piqué quelque part entre sa pomme d’Adam et son nez busqué, il la remarque aussi.
Il se lève maladroitement, leur fait signe encore plus maladroitement, et demande quand ils sont devant lui :
— Mahaut ?
Elle hoche la tête. Se concentre sur autre chose que ces yeux clairs qui la détaillent, la décortiquent, l’acceptent. Se concentre sur la montre et les ongles rongés, sur l’imperméable ouvert et la cravate desserrée, sur la branche verte des lunettes et les boucles brunes des cheveux. Surtout pas sur ce silence pesant, qui se lève comme la marée, écumant de non-dits et de respirations retenues.
Il déglutit. Propose :
— Je vous prends un chocolat ?
Ils acceptent, Arthur Lambert prend la fuite à l’intérieur. Mahaut se laisse tomber sur la chaise, Romain rapproche la sienne.
Quand l’adulte revient avec un petit plateau portant leurs consommations, il a l’air de s’être remis la tête à l’endroit. Il arbore le sourire poli et distant d’un homme à qui ils peuvent faire confiance, le sourire de l’ami d’ami d’un oncle éloigné.
— C’est fou ce que tu ressembles à Garance, ose-t-il lâcher.
Le remerciement d’usage de Mahaut se noie dans son chocolat. C’est faux. Des photos de sa mère, y en a deux dans l’appartement et des dizaines dans les albums photos. Elle lui ressemble pas tant que ça, comparé à son père.
— Je te jure, insiste Arthur Lambert. Je la revoie à ton âge. Vous avec le même visage, le…
— Pourquoi je ne vous ai jamais vu ? coupe-t-elle.
Parce que la question couve depuis toutes ces lettres, toute cette proximité dont elle n’a jamais eu vent. Cet Arthur, elle le voit pour la première fois de sa vie. Cette ville, elle ne la connaissait pas y a cinq mois.
Et pourtant, il se souvient d’un temps où sa mère était petite. Pourtant, tout ce vieux courrier débarquait à ce code postal précis. Et Mahaut n’en a jamais rien su.
Et ça bouillonne comme un mystère à éclaircir, ça pèse comme les secrets de son père, ça la grignote à l’idée que tout ce qu’elle fait est vain. Rien la ramènera à Fort-Levant, rien lui ramènera sa mère, rien lui rendra l’exclusivité de son père, rien lui donnera envie de se lever encore demain matin, et celui d’après.
— Ma relation avec ta mère s’est interrompue brutalement, répond-t-il calmement.
Il pose ses yeux sur elle. Elle se crispe de tous ses muscles.
— C’est beaucoup pour toi. Est-ce que tu ne devrais pas en parler à ton père ?
— Ça le concerne pas, mon père, réplique-t-elle en essuyant ses larmes d’un geste rageur.
Arthur Lambert acquiesce très lentement. Pour la calmer, pas parce qu’il est d’accord.
— Garance et moi, on s’est connus à l’école primaire. En CP, précisément. Un après-midi, elle m’a passé un bout de son croissant, je lui ai offert deux billes : on est devenus meilleurs amis.
Il a le regard lointain et attendri. Un rouage grippé à la commissure de ses lèvres. Sa voix s’est faite aussi profonde que sa respiration pour raconter tout ça.
— On a eu des disputes, bien sûr, mais on est restés très proches pendant toute notre scolarité. Tu m’as dit que tu avais lu des lettres ?
Elle hoche la tête, envisage de s’en excuser mais il reprend :
— Garance adorait en écrire. D’après elle, elle en écrivait parfois qu’elle ne m’envoyait même pas. Ta mère vivait de façon assez… intense. Les relations avec elle pouvaient être compliquées. À ma connaissance, je suis le seul ami qui ai tenu bon toutes ces années.
— Y avait quoi de compliqué ?
Sa mère avait des amis pourtant, non ? Elle invitait des collègues, des camarades d’association, des partenaires de cours de tricot ; elle saluait des gens sur les marchés, entraînait Mahaut dans des manifs, sortait au cinéma.
Des bourrasques tous ces gens, vite apparus, jamais revenus.
Elle avait des amis, sa mère ?
— C’est dur à expliquer, finit par dire Arthur. Elle avait une façon de… beaucoup demander aux autres, et la plus petite déception prenait des proportions démesurées. Je préfère ne pas t’en dire plus à ce sujet.
Mahaut se rembrunit, mais il lui oppose un froncement de sourcils décidé au-dessus de ses lunettes en cul de bouteille. Elle baisse les yeux. Il s’excuse.
— C’est douloureux pour moi, avoue-t-il. Et savoir que je ne pourrai jamais… J’ai beaucoup pensé à la contacter. Mais je ne savais pas comment.
— Pourquoi vous êtes pas restés en contact ?
Pas de temps mort. Sinon, elle le sent, il va partir. Ce sera bientôt trop dur de tenir cette conversation.
— Je te l’ai dit : la plus petite déception… Ta mère allait commencer la fac quand elle a rencontré ton père. Il était en vacances, je crois. Un peu plus âgé qu’elle. Ils sont tombés amoureux, comme ça arrive souvent en vacances.
Il se racle la gorge, porte son gobelet vide à ses lèvres, et jette un œil vers le café comme s’il hésitait à retourner s’acheter quelque chose. Mahaut approche sa chaise, la fait grincer horriblement, lui rappelle qu’elle est là, devant lui, et qu’il a intérêt à ne pas la lâcher maintenant. Il soupire doucement.
— Ton père avait des impératifs dans sa ville, un travail tout bêtement, et ils ont décidé de garder contact. Ta mère a mal vécu son départ. C’était trop dur pour elle d’être loin de lui, c’était ce qu’elle disait. Ta grand-mère en était folle de rage… Elles ont toujours eu des rapports conflictuels, mais là c’était pire que tout. Garance était dans l’opposition constante, ne faisait plus aucun effort pour ses études.
Il croise les mains sur ses genoux, et poursuit en les étudiant soigneusement :
— Ta mère a décidé qu’elle allait partir et l’épouser. Ta grand-mère l’a menacé de ne plus jamais lui parler si elle le faisait… Le soir-même, Garance remplissait sa valise.
Mahaut a la gorge sèche comme du papier de verre. Elle ne savait pas… Sa maman lui avait parlé d’amour au premier regard, que son père l’avait arraché à sa grisaille. Elle lui avait narré un vrai conte de fée, pas cette tempête.
— Je suis allée chez elle sur un appel de ta grand-mère, pour essayer de la raisonner. Elle a décidé que je n’étais plus de son côté. J’ai… le numéro de ton père se trouvait sur son bureau, je l’ai pris en lui faisant croire que j’allais lui préparer un thé. J’ai téléphoné à ton père ce soir-là, et je l’ai supplié de la faire changer d’avis.
Ses lèvres se serrent. Ses épaules tremblent légèrement.
— J’en ai voulu très longtemps à ton père, et ta grand-mère n’en parlons pas… Pourtant, je crois objectivement qu’il aurait préféré qu’elle reste. Je me souviens que je l’ai pris au dépourvu en lui annonçant qu’elle allait débarquer, mais il répétait qu’il était prêt à l’accueillir, à prendre soin d’elle, et ça m’a mis dans tous mes états, je…
Il s’arrête, se reprend.
— Ta mère a entendu la fin de mon appel et m’a ordonné de rentrer chez moi. Je me suis rendu à la gare, le lendemain, mais sa colère n’était pas retombée. Ni sa mère ni moi n’avions d’adresse ou de numéro à contacter : elle a jeté celui de ton père avant de partir. J’ai attendu qu’elle me recontacte, mais ce n’est jamais arrivé. J’espère quand même que ta grand-mère a eu de ses nouvelles depuis le temps. Moi, elle ne me parle plus depuis cette époque. Elle aussi a un caractère bien trempé.
— J’ai pas de grand-mère.
Sa tête déborde, cogne, calebasse. Il faut qu’elle parte d’ici. Elle met un moment à relever la surprise sur les traits d’Arthur.
— Bien sûr que si. Je l’ai croisé la semaine dernière.
Ce qui est troublant, c'est qu'on n'a pas la vision a priori de Mahaut sur sa maman, ou du moins pas beaucoup. Du coup, moi ça m'a manqué un peu de savoir si cette nouvelle vision de Garance vient contredire la vision que Mahaut avait de sa maman, ou si elle la conforte ou l'épaissit d'une certaine manière. mais peut-être que tu as prévu d'éclairer plus cet aspect par la suite.
Quant au final, comment dire.... le coup de la grand mère qui est bien vivante, c'est une drôle de surprise, et j'ai hate d'en savoir plus sur elle : sait-elle seulement qu'elle a une petite fille ? pourquoi le père n'a-t-il pas pris contact avec elle, si c'est Garance qui l'interdisait ? que s'est-il donc passé pour qu'il y ait un tel silence et une telle rupture ?
Ca donne encore plus envie de lire la suite !
Alors c'est con mais comme ça fait longtemps que je poste l'histoire en fractionné, je ne sais plus trop où j'en suis de ce que je dévoile des pensées de Mahaut xD N'hésite pas à me signaler à la fin si c'est un truc qui t'a manqué, parce que j'ai essayé de le dire mais peut-être pas assez !
Contente que tu n'aies pas venue voir le coup de la grand-mère hehe
Bisous !
Chouette discussion avec Arthur, la personnalité de Garance se dévoile un peu plus et ouh là là ça a l'air compliqué... C'est méga intéressant, j'adore que tu traites un des points difficiles avec le deuil, qui est de pleurer la personne sans pour autant ignorer ses défauts, ses travers, tout ce qui faisait que bien qu'on l'aimait c'était pas juste la fiesta tous les jours. Donc top et super hâte de voir la suite !
Micro-bémol, depuis un ou deux chapitres, je me sens un peu moins connectée à Mahaut et Romain. L'enquête me plaît beaucoup, mais du même coup les scènes entre eux me touchent un peu moins qu'elles pouvaient le faire avant. Peut-être une évolution normale vu que l'intrigue suit son cours ? Je ne saurais pas trop dire à quoi ça tient. Ce qui est bien par contre, c'est que ça m'empêche pas de suivre l'histoire avec beaucoup de plaisir, simplement le plaisir n'a pas exactement les mêmes sources que dans les chapitres précédents. Cette variation au sein d'une même histoire est plutôt intéressante d'ailleurs, il y aura peut-être des lecteurs à qui ça plaira encore davantage cette "phase" !
Tu postes bientôt la suite, hein, dis, dis ? Poutoux !
Petit relevé :
- des tirets intempestifs : "ces derniers-temps" ; "Le soir-même"
- des accords de participe passé : "comme s’il l’avait guetté* (guettée)" ; ""Je l’ai croisé* (croisée) la semaine dernière" ; "l’information n’a pas totalement pénétrée* (pénétré)"
"il la regarde comme s’il attend* (attendait) ses ordres"
"puisqu’elle est sure* (sûre)"
"Sur ses photos de classes* (classe)" (pas trop compris pourquoi iels regardent ses photos de classe à elle, Mahaut ? Ou alors j'ai mal pigé ?)
"lui évite un passant d’un geste de la main" -> lui évite de percuter un passant, ou lui permet d'éviter un passant, par exemple ? Mais on ne dit pas "je lui évite quelque chose"
"pour qu’il ne voit* (subjonctif : voie) pas"
"odeur de marrons chaud* (chauds)"
"Je la revoie* (revois) à ton âge."