12 mars, 1762

Chère Agnès, 

Il y a que trop longtemps que je t’ai écrit, mais mon esprit était ailleurs. L’écriture de ce passage de m’a vie m’a mené à de grandes réflexions. Mais à présent, je me dois de te réécrire. 

Le lendemain de mon mariage, j’ai, comme prévu, rencontré Anne. Je lui avais, par le biais de mon billet, donné rendez-vous dans un parc, ne voulant pas m’exposer dans une rue. Par contre, Anne habitant au creux de la ville, l’endroit était bien éloigné de chez elle. Malgré cela, j’étais en retard, car Évelyne avait insisté pour que je reporte ma rencontre, à cause du ciel peu clément. Mais, à force de lui dire le contraire, elle m’avait laissé partir, sous sa mine désapprobatrice.  

Une fois dehors, la pluie me déferlait dessus, mouillant ma robe vert forêt, plaquant contre mes bras ce qui avait autrefois été des manches bouffantes. Ma pauvre cape ne pouvait rien contre les intempéries. Je courais à la rencontre d’Anne. Ma bien aimée, ai-je même pensé avec un sourire. Les rues étaient vides de tout gens, mais pleine d’eau, comme si jamais elles n’avaient regorgé d’activité et de mouvements. 

Après plusieurs minutes de marche très rapide, j’ai reconnu des lieux étant près de l’endroit de mon rendez-vous. J'ai mis ma main sur mon front pour obtenir une faible protection contre l’eau tombant intensément du ciel. Aussi loin de que je pouvais voir, il commençait à se dessiner le lieu de mon rendez-vous avec Anne. J’y ai reconnu la silhouette de l’imposant platane, veillant sur le jardin, et j’ai accéléré mon pas, courant presque. 

J’ai peu de temps après aperçu une silhouette, humaine, cette fois, ayant comme refuge l’arbre maintenant clair, se découpant de la brume environnante. Je me suis mise à courir, réellement, pour trouver une Anne trempée, les cheveux et sa robe lui collant au corps. Toutefois, mon état n’était sans doute pas moins piètre. 

Elle a laissé échapper un petit rire, vu notre situation assez particulière. 

-Bonjour, Anne, l'ai-je salué. 

-Bonjour Aube, comme je suis heureuse de te voir ici ! Ma mère ne cessait de me dire que même une folle ne viendrait point. 

-Peut-être suis-je folle, mais me voilà tout de même, ai-je plaisanté. 

Elle a souri et m'a regardé d’une manière qui m'a fait oublier la pluie froide et le chemin désagréable ; elle était véritablement ravie de me voir. 

Légèrement prise au dépourvu, je me suis risqué à entamer le lourd sujet de notre rencontre ; la cause de toutes les larmes d’Anne. 

-Anne, je t’en prie, raconte-moi ce qui te chagrine ainsi, je ne puis accepter d’être à nouveau ton amie sans véritablement te connaître, même si la vérité n’est pas la plus gaie de toutes les histoires. 

-Bien, a-t-elle dit, j’espère que la pluie ne t’est pas trop désagréable, car mon récit peu prendre un certain moment. Mais il est vrai que tu es présente malgré les intempéries, je ne te laisserai pas sans réponse. 

Sur ces mots, elle s'est laissée glisser le long du tronc du vieux platane, où son corps était déjà appuyé. Un morceau d’écorce s'est détaché de l’arbre pour rester accroché à sa robe détrempée. Elle se tenait ainsi au sol comme l’aurait fait une enfant, se moquant de toute faible propreté que pouvait avoir ses jupons après une marche dans la pluie. Je l’ai imité, m’agenouillant devant elle ne voyant pas moi non plus à quoi bon ménager des jupons déjà sales. Anne a pris une grande inspiration, a momentanément fermé les yeux, puis a commencé à me réciter ce que je te rapporterai de mon mieux, d’une voix quelque peu lointaine et même rêveuse, comme quoi elle revivait réellement les scènes qu’elle me décrivait. 

« Je pense que tout a commencé avant même le décès de mon père. Ma mère voyait bien la fortune de son devenir mari plus maigre à chaque jour. Mes parents étaient en très mauvais termes, mais comme semblent être toutes les femmes de ce monde, ma mère dépendait de son mari, elle ne pouvait faire autrement que de se plier à tous ses caprices, aussi néfastes étaient-ils.  

 Comme le savent que trop bien beaucoup de gens, mon père n’était qu’un ivrogne ayant hérité de la fortune d’un oncle avare n’ayant aucun parent en vie plus proche que lui. Ainsi, cette fortune non méritée a forgé un lâche n’ayant jamais connu de vrai ouvrage, de vrai travail, qui ne savait rien faire d'autre que de gaspiller sa richesse dans toutes sortes d’occupations des plus mauvaises. Il rentrait plusieurs heures après la tombée de la nuit, puant l’alcool et l’odeur de femmes n’étant pas la sienne. 

 Ma mère a bien tenté de me cacher cette horreur, ce qui était plus facile lorsque j’étais jeune, le sommeil m’emportant bien avant l’heure de retour de mon père, et l’excuse d’homme occupé m’allant très bien. Hélas, j’ai vieilli, ma naïveté s'est dissipée, du moins assez pour voir clair dans ce que ma mère me racontait sur mon père, mon sommeil est devenu plus fragile. Il est devenu pour moi habituel de me faire réveiller par des disputes entre mes parents, puis me rendormir avec le son pénible des sanglots à demi étouffés de ma mère comme unique berceuse. » 

Anne a marqué une pause pendant laquelle j'ai réfléchi à toutes ces navrantes paroles ; plusieurs fois j’avais entendu des propos sur M. Faubert sans jamais m’en soucier. La coupure de communication entre Anne et moi m’ayant plongé dans une ignorance pour ce qu’était sa vie. Je me suis senti quelque peu honteuse de tous mes sentiments ; mon enfance avait été des plus heureuse, et j'avais marié un seigneur, qui résidait loin de la société dont j’étais tant lasse. 

« Un jour, a-t-elle repris, ma mère a voulu trouver une solution, me sortir de toute la misère de mon père, pour m’en protéger. Elle ne pouvait s’épargner elle-même, étant déjà mariée à lui. Elle a donc profité de ses longues absences pour réaliser ses manigances, seulement, elle savait bien que ce dernier ne pouvait être en accord avec ses plans, ils restaient donc inachevés. 

Entre temps, les dépendances de mon père n'ont fait que s’empirer, il lui arrivait même souvent de quitter la maison pour plusieurs jours, nous laissant sans nouvelle. D’autres nuits, ses compagnons de pêchés ont été las de lui et sont venu le déposer brusquement à la porte, puisqu’il avait perdu conscience d’une manière que nous restait toujours inconnue. » 

Anne a semblé chercher ses mots, ne sachant comment continuer. Elle a hoché la tête plusieurs fois, puis s'est lancée ; 

« Puis est venue cette nuit, fatale pour mon père. Ivre, il a provoqué M. Hallé en duel - pur acte de folie - à cause d’une tricherie lors d’un jeu quelconque, selon ce qu’on m’a rapporté. Même sobre, il n’était que très peu adroit à l’épée, contrairement à son adversaire. Ils ont fixé leur rendez-vous à l’aube. Ainsi, mon père est revenu chez lui pour prendre sa vielle épée délaissée, ce qui a marqué la dernière fois que je l'ai aperçu. Il est reparti d’une fougue inquiétante, ma mère et moi doutions silencieusement qu’il s’apprêtait à faire là quelque méfait, mais nous ne pouvions l’en empêcher, son arme à la main pesant comme une trop forte menace. 

Selon les versions auxquelles j'ai pu assister, il se battait avec honneur où avait peine à garder son équilibre, mais toutes avaient la même fin ; mon père se trouvait devant un adversaire d’une agilité et d’un talent supérieurs à lui, et se faisait vaincre sans grande peine. Hallé a fait l’honorable geste de rapporter le corps inanimé de son misérable adversaire à sa femme, n’ayant probablement jamais voulu véritablement se battre. Mais il a laissé l’épée sur le lieu du combat.  

J'ai constaté avec horreur que toute cette description s’emboîtait parfaitement avec mes observations, probablement prises quelques heures après le duel, si je me tenais à ce qu’Anne m’avait rapporté des détails du combat. 

« Pour en venir au fait, ma mère a profité de cette occasion, si le terme ne te parait pas trop inapproprié, pour exécuter tout ce qu’elle planifiait depuis un certain moment déjà. Ainsi, elle n'a perdu aucun temps ; la journée où le décès nous fût annoncé, j’appris aussi mon malheur, que trop semblable au tien ; elle m’envoie dans le nouveau monde où je devrai tâcher de me trouver un bon mari.  

J’aurais dû me désoler du sort d’Anne, ou éprouver de la sympathie pour elle, tant notre destin était similaire (Il faut dire que la société voyait communément le mariage comme une fin à tout problèmes).  

Pourtant, une partie profonde de moi ne faisait que se réjouir, un peu trop vite, de cette nouvelle. J’avais la même destination qu’elle, certes, mais la Nouvelle-France s’étend sur un territoire immense. Mais tous ces détails ne changeaient en rien cette joie malsaine.  

Ne pouvant émettre de discours cohérant, tant mon débat intérieur était fulgurant, je me suis contenté de serrer le corps menu d’Anne dans mes bras, espérant lui offrir ainsi quelque réconfort. 

Après quelques instants, les questions ont émergé nombreuses. Voulant à tout prix l’aider dans son désespoir, il me fallait trouver des réponses. Après un certain moment, à vrai dire lorsque Anne m'a paru calmée, j'ai relâché mon étreinte, mais ai pris ses mains, dans une tentative de la rassurer. 

-Pourquoi t’envoie-t-elle encore dans cette contré, à présent que ton père est décédé, me suis-je risqué.  

-Il est vrai que si une part d’héritage me serait revenu j’aurais pu rester ici, mais voilà ma mère appauvrie. Elle sait qu’aucun homme ne voudra d’elle à cause de son âge et de moi. 

-Que fera-t-elle alors, n’a-t-elle pas de parents pour l’abriter ? 

-Temporairement, peut-être, a dit Anne, connaissant que trop bien la vérité, mais elle préfère devenir une sœur et garder un avenir simple et tranquille. La pauvre ! Elle tente de m’assurer que son destin lui convient mieux que tout autre, mais un tel contraste avec la vie qu’elle avait il y a de cela quelques années ne se vit pas sans trace.  

J'ai cessé mes questions, pour le moment, lui laissant reprendre son souffle. Navrée, j’ai eu une pensée pour Inès Faubert, la mère d’Anne, mais surtout ma marraine. De mon vivant, ma mère et elle avait toujours été amie proches, et probablement que la place de Mme Faubert dans la haute société parisienne était due à cette relation. Ma pauvre mère avait été tant déçu de voir mon amitié avec Anne rompue, ai-je pensé tristement, et hélas elle n’a pu la voir revivre.  

Je suis retourné à l’instant présent, et ai continué mon interrogatoire, redoutant chaque réponse, car elle pouvait mener à un espoir noir d’en destin séparé du mien : 

-Que peuvent faire tes frères dans toutes cette histoire, ne sont-ils pas tous prospères, ou du moins autonomes ? 

Anne était benjamine et unique fille de sa famille de quatre enfants : Petit Henri – on le surnommait ainsi pour le différencier de son père portant le même prénom que lui -, Joseph, Clément, et bien sûr elle-même. Tous ses frères avaient quitté le foyer familial assez jeunes s’enfuyant de ce milieu qu’ils sentaient de plus en plus empoisonné. 

-Seul Petit Henri nous a informé de sa présence aux funérailles, ils se dit le seul des fils à être né assez tôt pour avoir connu un homme respectable, et il revient pour lui, et lui uniquement, avons-nous, ma mère et moi, lu dans sa brève missive. 

-Ne peux-tu pas vivre chez l’un d’eux, ne serait-ce que temporairement ? 

Cette question se fraya un chemin jusqu’à mes lèvres malgré moi, et la partie cruellement possessive d’Anne qui rôdait toujours en moi ne faisait qu’espérer une réponse négative à cette question, peu importe si le contraire représentait une amélioration de situation pour Anne. 

-Non, aucun d’eux ne veule d’une petite sœur perdue, Clément, le plus jeune des trois allait déjà à l’école - un des seuls bons investissements de mon père - lorsque je suis née, a-t-elle dis avec un soupir. Je ne puis rester ici, ma mère semble avoir déjà évalué toutes les possibilités avant nous, mais pour mon bien. Car si une meilleure solution était possible, elle l’aurait choisie. 

Un cri de triomphe a retenti dans mon intérieur, et j'ai tenté de l’ignorer, me concentrant sur ce qu’Anne me disait. Sa mère était à peine plus vielle que la mienne, et pourtant, elle avait eu son premier enfant bien plus tôt. À bien y penser, ma mère était plutôt âgée lorsqu’elle m'a porté. 

-Oh, ma pauvre Anne, ai-je soupiré, impuissante devant tous ces évènements, comme je voudrais t’aider davantage. 

-Ta compagnie seule me suffit, a-t-elle répondu mélancoliquement. 

-Seulement, je crains qu’elle ne soit de courte durée, notre destination à long terme étant certes similaire, mais les chemins empruntés peuvent varier. 

Sur mes paroles, pourtant sans grand espoir, le visage d’Anne a semblé s’illuminer. 

-Pour s’y rendre, notre bateau est forcément le même ! Je ne peux en croire le contraire, s’écria-t-elle. N’as-tu pas de renseignement qui t’es destiné ? 

Cette même idée errait dans ma tête, mais je n’avais osé la prononcer, vu la rechute si elle était fausse. 

-Mon père a un document le précisant, mais je ne pourrais t’en davantage dire ici même ; je n’ai jamais osé de toucher à ces papiers. 

Ces paroles m’ont fait revivre le moment où je me suis enfuie de la salle à manger, trop furieuse pour parler davantage.  

-Comme je te comprends que trop bien, s’est exclamé Anne. 

-Viens avec moi, la pluie ne changera rien à nos vêtements déjà trempés, et un bon plat chaud doit déjà être en train de mijoter dans les cuisines. Allons cherchez notre réponse ! 

C’est ainsi que nous sommes comme les deux enfants que nous avions été, ignorant l’eau nous détrampant nous avons parcouru chemin du retour, gambadant presque dans les rues vides et mouillées. Nos pas étaient légers, comme dans une danse, les ennuis flottant loin de nous. Sur la chaussé hostile, grise et glissant de pavé, nous avons trouvé un refuge contre nos tristesses, mais mon amour caché restait toujours, contemplant de loin celle qui m’était interdite. S'il y a une morale que tu peux trouver dans cette lettre, la voici ; les bonheurs les plus simples deviennent les meilleurs en temps de désespoir. 

*** 

J’ai remarqué un fiacre inconnu quand Anne et moi sommes arrivées devant ma demeure après un temps qui me sembla infime, tant j’aurais préféré rester sous la pluie au lieu d’affronter mes responsabilités. Mais la vérité nous a rattrapé, et nous nous tenions sur le seuil de la grande porte barrée, attendant qu’on nous laisse entrer dans notre pitoyable état ; nous étions encore plus trempées que lorsque nous nous tenions sous le grand platane, si telle chose était possible. Deux petites filles sur le point de nous faire gronder, voilà ce que nous étions. 

Anne a semblé avoir le même constat que moi, car elle sembla soudainement gênée par son état ; elle s'est mise à tordre du mieux qu’elle le pouvait ses vêtements, pour ne pas tremper l’intérieur. Je l’ai imité, constatant avec un certain étonnement la quantité d’eau qui était prisonnière de l’étoffe de mes vêtements.  

La porte que nous avions quelque peu oubliée a basculé pour révéler un valet, faisant de son mieux pour cacher sa surprise. Je n'ai toutefois porté aucune attention au jugement qu’il pouvait se faire de notre image. J’ai rentré d’'un pas déterminé dans la maison, laissant ma trace aqueuse au sol. Anne m'a suivi malgré elle, au comble de sa timidité.  

Je me suis dirigé vers le bureau de mon père, ne voyant pas à quel autre endroit pouvait se trouver les documents. Mais avant d’en ouvrir la porte, des brides de conversation m’ont freiné. 

-... avez-vous quelque moyen de vous rendre chez vous, les conditions sont horribles, a prononcé narquoisement la voix de mon père. 

-Un fiacre m’attend, merci de votre amabilité, lui a répondu son interlocuteur d’un ton sec, au revoir M. Dubois. 

-Au plaisir, lui a répondu mon père du même ton, mais cette fois-ci faussement joyeux. 

J’ai à peine eu le temps d’esquiver la porte, et un homme en est sorti, marchant d’un pas rapide et frustré, n’ayant probablement pas aperçu les deux jeunes femmes mal cachées derrière la porte du bureau. Je l’ai observé curieusement, jusqu’à ce qu’il disparaisse derrière un mur. Je me suis retourné vers Anne, lui ai souri, pour enfin entrer dans la pièce. 

Mon père était encore assis, rangeant - ou plutôt tassant – les papiers lui ayant servit – ou non - durant son dernier entretien. J’en ai repéré un à part, sur le coin de son bureau, comme s’il voulait se rappeler de quelque action à faire avec, action qui était probablement de me l'apporter, le nom de celui qu’on m’avait fait épouser étant apposé dessus. Je l'ai pris rapidement, comme par honte. Mon père, intrigué par cette soudaine attention pour ce que je n’avais jamais osé lire, m'a lancé un regard curieux.  

Ses questionnements se sont sans doute amplifiés lorsqu’il a levé les yeux sur Anne se tenant, timidement et mal à l’aise, de l’autre côté du cadre de porte.  

  -Anne aussi part en Amérique, et nous pensons avoir le même navire, ai-je dit avant qu'il ne puisse me demander quoi que ce soit. 

-J’imagine que oui, m’a-t-il répondu, reprenant son sang-froid, il n’est pas coutume de voir deux bateaux accueillant des passagers partir presque qu’en même temps pour une destination commune, du moins de ce que j’en sais. Vous ne perdez tout de même rien à vérifier. 

-Bien, merci. 

Sur cette brève discussion, je suis sortie au plus vite de la pièce, pour en ressortir victorieuse, brandissant la liasse de papiers. Connaissant Anne qui préférait garder le plus d’intimité possible, je l'ai conduit dans ma chambre, où personne n'est venu nous déranger.  

-Tes mains tremblent, m'a fait remarquer Anne d’une faible voix étouffée. 

Je n'ai pas pu lui répondre, faute de mots. Je me suis contenté de feuilleter maladroitement la liasse, qui semblait être décider à garder ses secrets.  

J’avais peur, Agnès. Peur que la plus infime parcelle d’espoir survivant toujours se brise, me laissant seule. Peur de chuter de haut. Jamais je n’aurais dû laisser présumer que nous pouvions être dans le même bateau. Ou était-ce Anne qui l’avait proposé ? Les pensées étaient floues, apparaissant à leur guise, comme si elles venaient d’un autre. 

J’ai dévoilé une page, puis j'ai senti Anne se redresser à mon côté. 

-Le Saint-Antoine de Padoüe ! Comme je suis soulagée et heureuse, il est aussi le mien. 

Mon corps crispé d’anticipation s'est relâché, laissant échapper l’air qui y était emprisonné. Une bonne nouvelle parmi mon malheur. Peut-être Anne attendait-elle quelque réponse venant de moi, mais je n’ai pu former de mots. Je l’ai regardée et me suis mise à sourire comme une enfant. Peut-être étions nous tristes, peut-être allons-nous l’être, mais nous le serions à deux, isolées d’un monde cruel.  

Autant avais-je craint une rechute, autant cette bonne nouvelle m'a rendu heureuse. En cette journée de pluie j’ai presque gambadé pour aller reconduire Anne au fiacre que mon père avait fait venir par un valet. Son départ m'a rattrapé, certes, mais je suis resté joyeuse d’avoir l’assurance de l’avoir avec moi durant mon périple en Amérique.  

Mon cœur était enfin joyeux et léger, du moins pour un moment. 

*** 

En ce jour, une ombre d’espoir s’était formée. J’avais enfin l’espoir d’un avenir. Cet espoir était toutefois obscur, une ombre, car il causait le malheur d’Anne ; j’avais l’impression de l’amener dans ma chute.  

Je dois t’avouer qu’à un moment – encore lointain pour ce récit - tu es devenue mon espoir, plus qu’un ombre ; une lumière. Aujourd’hui, je manque d’espoir, mais mes souvenirs sont toujours vivants. 

Je te souhaite de trouver un espoir, que ce soit une ombre ou une lumière, 

Aube 

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