Chère Agnès,
J’ai écrit si longtemps hier que j’ai dû terminer ma rédaction à la lumière instable d’une chandelle. Hélas, sa vie était limitée, et je dois à présent continuer le récit que j’ai laissé inachevé. Bref, bonne lecture.
***
Lorsque j'ai descendu le grand escalier menant au hall, j'ai été atrocement émerveillée ; les domestiques avaient allumé chaque bougie de l’imposant lustre, qui était resté inutilisé depuis un bon moment déjà. La lumière reflétée par les maints cristaux donnait un éclat nouveau à la pièce, lui donnant un aspect attrayant, même pour moi, qui le connaissait plus que tout. Mais la raison de cette beauté m’a fait frissonner.
-Mme. De Beaujeu, dit Mme. Duchesneau - mère d’Édith et Élizabeth -, avec un certain plaisir, comme je suis heureuse de vous voir !
Par entrain, Mme Duchesneau avait tenu à arriver avant les autres, ou tout simplement parce qu’elle voulait voir la mariée dans sa robe la première. C’était visiblement là sa décision, car son mari, se tenant toujours à côté de la porte, semblait très peu enjoué d’être présent à une telle soirée à une heure si hâtive.
Sous le regard sévère de mon père, je me suis dépêchée pour me trouver vite à côté des Duchesneau, et ai montré un faux entrain à voir des convives arriver si tôt.
-Bonjour, M. et Mme. Duchesneau, ai-je dit avec toute la politesse qu'il me restait.
Mme. Duchesneau m'a embrassé les d’une manière étrangement affectueuse sur les deux joues.
-Édith et Élizabeth viendront plus tard, elles me l’ont promis, m’a-t-elle informé, Édith est très fatiguée depuis qu’elle porte un enfant. Le saviez-vous ? Je vais devenir grand-mère !
La dame semblait aux anges à parler sans que je ne lui réponde. Elle a ainsi continué jusqu’à ce que mon père intervienne, pour s’offusquer de nous voir toujours debout dans le hall. Ainsi nous a-t-il conduit à un salon, lieu étant plus approprié pour l’activité qu’était d’écouter une dame parler.
La pièce n’était guère impressionnante, mais très confortable. La fraicheur avait fait allumer un feu aux domestique. Il en restait quelques braises que mon père a réanimé d’une bûche, mais la chaleur s’était répandue dans la pièce et y était maintenant captive. Des chaises anciennes servaient de principal mobilier. Je sais qu'Évelyne a maintes fois tenté de les changer, les trouvant désuetes, et mal accordés avec le reste de la maison. Mais mon père ayant l’autorité, il les avait gardés, comme quoi elles étaient charmante. Les chaises était toutefois accompagnées d’un vieux piano ne servant plus, un tapis qui semblait quelque peu poussiéreux malgré le récent ménage des domestiques ainsi qu’une petite table, oubliée dans son coin. Plus jeune, cette pièce m’intriguait, et m’effrayait même. Les principales causes de cette peur étaient deux vieux portraits représentants deux de mes ancêtres paternels et parce que les domestiques chargés du ménage semblait négliger cette pièce. Mais après avoir vieilli, j’appréciait la pièce et le contraste qu’elle avait avec le reste de la maison.
Ainsi, nous avons pris place sur les chaises, le tissus les protégeant étant devenu rugueux avec les années, leurs couleurs plus fades. La discussion se promenait entre des sujets de toutes sortes, mais nécessitait peu de participation de ma part, ne serait-ce que des réponses brèves et des hochements de tête.
Durant un rare et court silence, mon père s'est adressé à moi:
-Aube, que dirais-tu de nous jouer quelques morceaux au piano, les musiciens arrivent dans un bon moment et l’ambiance est fade. De plus, il y a bien longtemps que le vieux piano traine être utile.
Sur cette invitation, j’ai bondi de mon siège pour m’asseoir sur le tabouret installé devant l’instrument, ignorant Mme. Duchesneau qui me priait de les rejoindre et assurait trouver l’ambiance parfaite sans musique. Ce n’était pas tant pour jouer de l’instrument que pour m’enfuir de la conversation que j’avais démontré un tel entrain ; mes doigts n’avaient rencontré les touches noires et blanche d’un piano depuis trop longtemps déjà.
C’est donc maladroitement que j'ai entamé quelques mélodies, mais comme la maison se remplissait de convives, vu le temps avançant, mes doigts se sont faitplus habiles, et la pression plus grande. On n'a point tardé à me remplacer par des musiciens plus talentueux et mieux qualifiés que moi pour assurer la tâche de fournir une ambiance musicale agréable. Ainsi, je me suis retrouvé à la Mercie de toute personne souhaitant m’adresser la parole, soit la grande majorité des gens présents. Malgré les riches buffets disposés à plusieurs endroits et les maints domestiques circulant des plateau de nourriture et de boisson en main, j’ai eu peine à avaler quelque nourriture, tant ma société - et mon apparence – ont été demandés.
Ma répugnance pour ce genre d’évènement étant toujours présente et forte, j’ai vite été étourdie par cette réception et ses convives. Sans vraiment avoir eu à parcourir quelque distance, j’étais fourbue et mon souffle devenait court, comme après avoir trop couru. J’avais l’impression de noyade, de faux espoirs, même. Chaque fois qu’une conversation s’achevait, une autre débutait, formant une chaîne incassable, m’amenant dans ses entrailles, loin de toute porte de sortie.
Je ne t’écrirai guère plus sur cette soirée, car tout ce qui était à savoir est écrit. J’aurais pu rapporter quelques discussions, mais à quoi bon ; toujours le même bourdonnement, les même gens, simplement une autre mariée victime de son sort. De plus, ma main se fait lourde. Dès ma première chance, je me suis retirée après ce que certains appelleront une courte apparition - ayant suffi à me lasser amplement de cette soirée. J’ai par la suite gagné ma chambre, mon refuge, là où personne ne me dérangerai pour connaître mon avis sur quelque potin ridicule.
Un bougeoir et sa chandelle à la main, je me suis avancée dans cette pièce m’ayant toujours abritée, mais j’allais pourtant la quitter quelques jours après, ce qui me semblait si irréel. Une pénombre y régnait, le halo émanant de la flame de ma chandelle trop faible pour éclairer l’entièreté de la pièce. Pourtant même si l’obscurité y était la plus totale, je pouvais m’orienter dans ma chambre. J'ai dû péniblement demander l’aide d’une domestique en sonnant une clochette, ne pouvant me défaire de ma robe, ma prison, seule. Elle m’a ensuite laissé seule, pour qu’ensuite je découvre avec horreur ma peau violacée où se trouvait plus tôt les baleines du corset de ma robe.
Je me suis lentement jeté sur mon lit à baldaquin, fermant les yeux, écoutant le bruit étouffé et flou des voix entremêlées. L’odeur sucrée des desserts s'est pointé, suivie d’une seule exclamation, pourtant prononcée par plusieurs personnes, ne formant qu’une masse soumise aux lois de l'humanité. Soudainement prise d’une vague de colère, j'ai serré le drap de satin, pourtant si doux contre mon corps lourd et las. J’aurais voulu crier, mais en un ultime relâchement, je me suis contenté d’un soupir et de serrer mes dents, les lois de la société auxquelles je m’étais toujours dit insoumise m’interdisant de déranger les convives par un cri effrayant.
***
Depuis ce moment, les souvenirs semblent m’appartenir à nouveau, je puis même encore ressentir la rage que je portais à ce moment. Cette journée qui a occupé deux de mes lettres m’a semblé durer des semaines, voire plus. Peu importe, elle est à toujours marquée en moi.
Je te souhaite de rester comme moi insoumise à la société,
Aube