18- La veillée

Notes de l’auteur : Bonne lecture

 

Le domaine de Myrddin se situait un peu plus loin, à proximité de la rivière. Sa cabane, petite et spartiate, n'avait rien de chaleureux. Dehors, il y avait un brasero entouré de trois troncs en guise de bancs. Les enfants tombaient de sommeil, ils s'installèrent à même le sol contre les troncs. Le mage fit un feu, puis dans le silence le plus complet il prépara une soupe d'ortie et de pomme de terre dans un chaudron qu'il plaça au-dessus du feu. Ses gestes étaient désordonnés, il semblait mettre un peu de ci et un peu de ça au hasard. Pourtant bientôt une bonne odeur se dégagea. Le mage retourna dans sa cahute quelques minutes avant de revenir et de tendre à Azénor un onguent à appliquer sur leurs écorchures.

-- Tu reconnais la composition ? Demanda-il, joueur.

D'ordinaire Azénor n'avait peur de rien ni de personne mais il fallait bien avouer qu'elle craignait le vieux mage, elle l'imaginait sans mal les frapper sans aucune raison. C'est pourquoi elle l'observait dans chacun de ses mouvements.

-- C'est un baume au miel et à l'ibiscus, fit-elle après l'avoir sentit.

-- C'était facile, rétorqua Myrddin en haussant les épaules. Otez-moi aussi ces chaussures crottés, et faîtes sêcher vos chaussettes, ça doit pas sentir la rose des pieds d'adolescents, grogna-t-il.

Oren éclata d'un rire bien sonore, qui dura jusqu'à que le magicien lui lance un regard qui le stoppa net. Il n'en revenait pas d'être en présence du grand Myrddin, rien ne pourrait restreindre son enthousiasme. Le mage leur tendit à chacun un bol de soupe fumant avant de prendre place sur un des troncs.

Myrddin était très vieux. Comme chacun sait en Terra le mage est le fils d'un démon et sa longévité lui était imputé. Pourtant son rêve secret était de mourir, il avait envie de nouveauté, d'un nouveau corps, peut-être celui d'une femme. Il voulait d'une vie sans doute brève mais intense, et puis d'une autre après et d'encore une autre. Ses vies passées lui semblaient si lointaines, ses souvenirs presques éteints.

Elijah en venait à se demander si ce vieil hermite, selon lui à moitié fou, était le légendaire mage. A l'école, l'image qu'on leur inculquait du fondateur d'An Domhan était loin de ce vieillard misanthrope. Car misanthrope le vieux mage l'était devenu. Les hommes le désespérait profondément, il leur reprochait leur lâcheté, leur docilité, leur hypocrisie, leur cruauté parfois. Il leur sentait plus à l'aise avec les animaux, il était en parfaite communion avec la nature.

-- Le chemin qui mène au hameau est compliqué, annonça Myrddin. Y pénétrer l'est encore plus, les esprits qui s'y sont établis sont dissuassifs. Si au moins vous aviez quelques dons qui vous permettraient peut-être de sortir vivants de toute cette histoire.

-- Vous êtes en train de dire qu'on va tous mourir ? demanda Oren qui souhaitait confirmation.

-- Bah, hésita le mage. Je dois bien avouer que l'aventure est mal engagée.

-- Je crois pas qu'un adulte ai le devoir moral de parler ainsi à des enfants, s'indigna Elijah. Vous nous faîtes peur.

-- Je fais ce que je veux moi, s'exclama Myrddin. Vous ne resterez pas des enfants toute votre vie, vous devez vous rendre compte des réalités. Donc, vous ne connaissez rien à la maitrîse du feu, de l'eau, rien sur l'hyper empathie, la télépathie, s'emporta-t-il. Vous savez au moins déplacer les choses ?

Myrddin balaya l'assemblée du regard, tous paraissaient perdus.

-- En théorie, fit Oren.

-- En théorie, répéta le mage, interloqué par ce qu'il entendait.

-- Nous avons des notions, fit Oren. Certains le font en cachette, moi je parviens à communiquer avec les broutards volants.

-- Ah, un renégat, s'eclama Myrddin. En temps normal les petits enfants font léviter leurs tétines avant de savoir parler, alors laissez-moi vous dire que vous n'êtes pas sortis du sable.

Myrddin se leva, débarrassa les bols avant de rentrer dans sa cabane. Nour entendit du bruit de vaisselle, de chaises déplacées. Quand le mage reparut, tous avaient la tête dans les genoux, le regard perdu dans les flammes vacillantes. Le mage pestait intérieurement.

-- Allez donc vous coucher, ça vaudra mieux, ordonna-t-il.

 

La cabane paraissait encore plus petite une fois à l'intérieur. Une table, deux chaises et une paillasse formait le seul ameublements, le tout éclairé par une seule bougie. Mais c'était propre et bien rangé. Elijah s'installa dans un coin de la masure. Encore habillés, Nour, Oren et Azénor s'affalèrent sur le lit de Myrddin. Bientôt, elle entendit leurs ronflements. Elle se releva alors, et sortit.

Myrddin était occupé à soigner la biche plâtrée. Elle attendit en silence qu'il finisse. Elle observait le moindre de ses gestes, l'enviait d'être aussi proche de cet animal. L'entendait-il respirer dans son dos, si c'était le cas il ne le montra pas.

Quand il se releva, elle sortit le médaillon de sa poche et lui tendit.

-- Que savez-vous sur ce bijou ? demanda-elle avec, elle l'espérait, autorité.

-- J'avais complètement oublié son existence, fit le mage en faisant tourner le médaillon dans ses mains. Je l'ai nommé le médaillon d'Ether. Eh oui, c'est moi qui l'ai crée, ajouta-t-il en voyant la mine étonnée de la jeune fille.

-- Vous n'avez jamais voulu revenir sur Terre ?

-- Ca fourmille toujours de bigots et d'abrutis ?

-- Heu, oui je crois bien.

Elle avait souvent entendu sa mère traiter de bigote leur vieille voisine du dessus. Apparemment celle-ci n'acceptait pas que ses parents forment un couple mixte.

-- Alors non, aucune envie d'y retourner.

-- Vous y êtes pourtant très célèbre.

-- M'en fiche, répondit-il en haussant les épaules, comme un enfant.

-- Pourquoi vous avez crée le médaillon ?

-- Ce bijou avait pour but de protéger une jeune fille de la folie des hommes, répondit-il les yeux dans le vague.

Nour était curieuse bien sûr, mais elle préféra stopper là son interrogatoire, pour le moment. Elle se demanda qui pouvait être cette jeune fille. Une amoureuse ?

 

Myrddin les réveilla en fanfare aux premières lueurs de l'aube bleuté. Au contraire du soleil la lune ne se couchait jamais vraiment, elle s'éloignait quelques heures. Quand elle reparaissait le ciel était d'un bleu mauve, presque violet. A cette heure matinale le campement de Myrddin était des plus agréable. Des parterres de petites fleurs violettes s'étalaient sur le sol aussi loin que portait le regard, et des herbes séchaient sur une structure en bois, formant une pergola des plus appréciables. Oren et Azénor prirent place sur une souche tandis qu'Elijah s'asseya sur son sac.

-- Petit-déjeuner, tonna le mage, comme s'il l'ordonnait. C'est moi qui les ai cuisiné, fit-il en ronchonnant. Je suis pas tellement doué.

Il leur servit une tasse de thé à la bergamote et de la brioche à l'aspect biscornu. Nour fit la moue mais croqua dedans. Ce n'était pas si mauvais.

 

-- Maîtriser les éléments et dompter ce qui nous entoure pour nous défendre, dit Myrddin. Le vent destabilise, fait perdre l'équilibre; le sable aveugle, l'eau balaie tout et le feu ravage, il impressionne, il blesse.

Joignant le geste à la parole il leva la main et, dans le feu une gerbe de feu se sépara du reste, et imita les gestes du mage, la gerbe ondula de droite à gauche, dansa gracieusement. Puis de l'eau s'envola d'un seau tout proche pour aller se mélanger à de la terre dont le mage avait fait un tas. Très vite une petite structure se forma.

-- Whaou c'est trop génial, s'exclama Oren la bouche pleine de brioche.

-- Vous savez que c'est de votre faute tout ça, l'interpella Azénor. Si vous n'étiez pas parti le Conseil n'aurait jamais osé promulguer une loi aussi stupide et injuste. Et pourquoi vous nous montrez ça, je croyais qu'on devait déguerpir au plus vite, ajouta-t-elle visiblement en colère.

-- Changement de programme apprentie damona, je vous accompagne, fit le mage l'air grave. Sur le chemin j'en profiterais pour vous enseigner quelques rudiments.

-- Vous êtes sérieux ? Mais vous nous détestez, cria presque Elijah.

-- C'est pas faux, toi en particulier. Mais vous avez besoin de moi, dit-il en se levant d'un bond.

Il ferma toutes les ouvertures de sa maison avant de ramassa sur le sol un chapeau, un sac et un long bâton.

-- Première étape : la douce rivière, annonça-t-il sous le regard stupéfait des enfants.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez