19- La douce rivière

Notes de l’auteur : Bonne lecture

 

-- Depuis combien de temps vivez-vous dans les bois ? lui demanda innocemment Oren.

-- Je suis druide, fit le mage pour toute explication. Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué c'est pas mon genre de faire la conversation. Ca m'étonnerait qui tu puisses parler et regarder en même temps où tu mets tes pieds, alors avance en silence.

-- Mais nous avons pleins de questions, vous devez y répondre sinon pourquoi nous accompagner ? intervint Azénor.

-- Je viens parce que je n'ai pas envie d'avoir la mort de quatre gamins sur la conscience. Vous êtes toujours à bavasser et ça me fatigue. Comme de toute manière je ne pourrais pas y échapper, vous avez droit à une question chacun, pas plus fit-il après un moment, contraint par le regard insistant d'Oren.

Malgré son injonction de faire concis les questions fusèrent, dans un carpharnaum entouthiaste et pressé. Oren demanda son âge au mage, et s'il était polymorphe et s'il pouvait communiquer avec les dragons; Azénor s'il comptait revenir aider son peuple à combattre l'oppresseur et aussi quel âge il avait; Nour voulait s'il pouvait la renvoyer chez elle; quand à Elijah il demanda avec empressement quand commencerait leur apprentissage.

Elijah voulait la gloire, et l'admiration de sa mère. Il souhaitait apprendre au plus vite la psychokinésie et surtout la polymorphie. Il se fichait de La Tamlin et de Nour, il avait obéit au chambellan comme il le faisait tout le temps, mais là le voyage devenait intéressant.

Les hiboux réapparurent, ils se mirent à chanter frénétiquement autour du mage.

-- Mais, je suis très gentil, s'exaspéra Myrddin. Vous n'allez pas me casser les pieds vous aussi.

En guise de réponse, les petits volatiles s'envolèrent plus loin.

-- L'apprentissage commencera quand il commencera, répondit-il de mauvaise grâce. Cela peut-être tout de suite ou demain, alors soyez attentifs à tout, tout le temps. Mon âge n'a aucune importance et mes capacités sont inimaginables. Quand à toi, fit-il en pointant son bâton en direction d'Azénor, tu es la petite-fille du conseiller Hiver et tu m'as l'air intelligente et débrouillarde, c'est à toi de mener la révolte si tu veux que les choses changent.

La fin du bois était proche et l'on distinguait déjà les terres sèches qui s'étalaient. Le bois disparu, laissant place à une lande brûlée. Ici, la végétation n'était plus que cendres, où que l'on porte le regard. Même les animaux avaient délaissés les lieux inhospitaliers.

-- Vous ne m'avez pas répondu, tenta timidement Nour.

-- Et je ne te répondrais pas, lâcha-t-il. Pas maintenant.

Pourquoi ? Pourquoi aurait voulu hurler Nour. C'était de la torture d'avancer à tâtons, de ne pas savoir si elle pourrait un jour revoir son père. Ne le comprenait-il pas, où s'en fichait-il ? Difficile de répondre à ces questions tant le mage était imprévisible.

-- Où sommes-nous ? demanda Oren.

Myrddin souffla, leva les yeux au ciel, mais finit pas répondre.

-- Ici c'est la prairie cendrée. A notre arrivée, les dragons se sont battus. Tous comme les humains chaque famille veut le meilleur emplacement pour s'établir. Les combats ont eus lieu ici, et depuis rien ne pousse. Aucune famille ne s'y est installée non plus.

Le spectacle était désolant, tout était d'un gris blanchâtre lugubre. Un silence de mort régnait, mêmes leurs pas étaient absorbés par la couche de cendre qui recouvrait jadis l'herbe grasse d'une riche prairie. Ils marchèrent ainsi, la plupart du temps tête baissée, durant plusieurs heures, la monotonie du paysage laissant croire qu'ils erraient là depuis plusieurs jours.

Soudain, Myrddin s'arrêta, mit un doigt sur sa bouche avant de lever la main comme pour leur signifier un danger.

Oren s'immobilisa instantanément comme s'il jouait à un, deux, trois soleil.

-- Vous entendez ? La rivière est toute proche.

-- Oui je l'entend, s'écria Azénor avant de se mettre à courir. Elle gravit la butée qui les séparait d'un paysage qu'ils l'espéraient tous différent. Vivant. Le fracas qu'ils entendaient était digne d'une fleuve en colère.

-- C'est ça la douce rivière ? demanda Nour en grimaçant.

-- Vous l'aviez pas vu venir celle-là, lança Azénor au mage.

-- Vu la tête qu'il fait, c'est sûr qu'il l'avait pas vu venir, chochota Oren à l'oreille de Nour.

La jeune fille s'était imaginée une rivière calme et peu profonde, qu'ils traverseraient en remontant simplement leurs pantalons. Mais c'était un torrent rugissant qui se déversait devant eux, des trombes d'eau filant comme un cheval au galop, renversant tout sur son passage. L'autre rive paraissait si lointaine, et la forêt qu'elle longeait n'était pas des plus accueillante tellement elle semblait dense et sombre.

-- Vous êtes un grand mage, affirma Oren. Comment allez-vous nous faire passer ?

-- Hum, fit Myrddin dans un raclement de gorge. Nous allons d'abord déjeuner et reprendre quelques forces, ensuite on aviserons.

Ils s'installèrent contre la butée. Le mage sortit du fromage, quelques fruits secs et les distribua aux enfants.

-- J'ai soif, annonça Elijah après sa dernière bouchée d'abricots.

-- Va remplir ta gourde à la rivière, ordonna Myrddin. Et remplis aussi celle de tes petits copains, ajouta-t-il alors que l'elfe se levait en pestant.

Elijah n'était pas partie depuis plus de deux minutes qu'ils entendirent un cri, et un gros plouf. Oren se précipita le premier et jura en arrivant sur la butée.

-- Il est tombé, fit-il en s'élançant vers la rive.

Azénor et Nour se lévèrent d'un bond.

-- Myrddin, vous venez pas ? s'étonna Nour en constastant que le mage restait assit.

-- Débrouillez tous seuls, j'ai pas fini de manger.

 

Elijah était immergé jusqu'au cou. Par chance quelques mètres après sa chute, il était parvenu à s'accrocher à un tronc à moitié dans l'eau. Le courant était cependant trop fort pour qu'il reussisse à remonter sur la berge.

-- Il faut qu'on fasse une chaîne, cria Oren, abasourdi par le remou de la rivière.

-- Dêpéchez-vous, leur hurla Elijah. Je vais pas tenir longtemps.

Nour et Oren se plaçèrent derrière le tronc, ils calèrent leurs pieds dans le sol et chacun prit une des jambes d'Azénor, qui venait de se coucher sur le tronc. Elle attrapa une des mains d'Elijah, mais elle avait peur et hésitait à lâcher son autre main, accrochée à une racine.

-- Prends ma main, ordonna-t-elle à l'elfe.

Nour et Oren se regardèrent. Le tronc bougeait. Sous le poids des adolescents, il glissait doucement dans l'eau.

-- Vite, hurla Nour au moment où une accélération se fit sentir.

Sans réfléchir, sous le regard horrifié d'Oren, Azénor bondit pour se mettre à quatre pattes. Elle attrapa les épaules de l'elfe avant de l'extirper hors de l'eau, le plaqua contre lui avant de se jeter sur la berge. Oren s'était lui aussi jeté au sol, emportant Nour dans sa chute. Il y aurait quelques bleus mais tout irait bien.

L'elfe se releva, il semblait sous le choc et commençait à grelotter. Oren ôta sa veste et lui posa sur les épaules.

-- C'est malin, il ne reste que deux gourdes, annonça Azénor en les ramassa sur l'herbe.

-- Merci, merci à tous, murmura Eliajh. J'ai bien cru que j'allais me noyer.

 

La silhouette de Myrddin apparut au-dessus d'eux sur la butée. Pour la première depuis leur rencontre un sourire se dessinait sur son visage.

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