3 — Sonate pour Spectres et Pigments

Par Rouky
Notes de l’auteur : Warning — Ce chapitre contient des descriptions de violence, de maltraitance et d’abus.

Lumière, couleur, obscurité. Tout se mélangeait dans la tête. Des éclats vifs surgirent, aveuglant. Rouge et noir, rouge et noir.

Sorel ouvrit les yeux.

Cézanne ouvrit les yeux.

Le premier se trouvait dans un bureau rougeoyant, où les vitres donnaient sur un jardin ensoleillé d’automne. Deux enfants y jouaient, un blondinet plutôt grand pour son âge, et un petit brun à l’air espiègle.

Le second se trouvait dans un bureau sombre. Les larges fenêtres reflétaient le néant, comme une nuit d’hiver sans lune, mais dont l’obscurité resterait à jamais.

Sorel était seul.

Cézanne ne l’était pas.

Sorel essaya d’ouvrir la porte, mais elle se refusa à lui. Il partit vers les fenêtres, toqua sur les vitres pour appeler les enfants. Il cogna, cria, mais personne ne lui répondit. Il était comme invisible, son existence liée à ce seul bureau froid, au milieu duquel trônait une machine à écrire.

Cézanne s’était figé en voyant l’homme face à lui. La quarantaine, des cheveux poivres et sels, des yeux sombres qui se posèrent sur le peintre... Malgré l’obscurité, Cézanne ressentit une chaleur terrible, lui brûlant les joues comme un enfant qu’on aurait grondé.

— Hé ! S’écria Sorel. Hé, les enfants ! Par ici, venez m’aider !

— Non, pas vous, murmura Cézanne. Pas vous, pas ici.

— C’est toi qui es venu à moi, répondit l’homme. Tu me cherchais, sinon ta toile ne t’aurait pas emmené jusqu’ici.

— Non, non ! Ce n’est pas vous que je cherchais ! Je ne veux plus jamais vous voir !

— Aidez-moi ! Venez par ici, je suis coincé !

— Ce jour-là, ce que tu as fait est inexcusable. Tu es le malheur de cette famille, c’est toi qui nous a détruit ! Alors ne reportes pas ta colère inappropriée sur moi !

— Non, ne dîtes pas ça... Ce n’est pas moi, je n’ai rien fait. Je n’ai jamais voulu tout ça. Pitié, laissez-moi...

— Tu t’évertues encore à peindre, alors que c’est la cause même de notre déchéance. Tu es pitoyable !

— AIDEZ-MOI !!!

— Non, ne dîtes pas ça. Je voulais juste bien faire, être un bon fils. S’il vous plaît, comprenez-moi, je voulais-

— Ce que tu voulais, je m’en fiche. Ce que moi je veux, c’est que tu reviennes à la maison. Dans ma grande clémence, je suis prêt à te pardonner. Viens à moi, mon fils, et nous pourrons tout reconstruire.

— Non, père, vous mentez.

— Pitié, regardez-moi...

— Ce que vous désirez réellement, c’est de me tuer !

— Allons, ne dis pas de sottises. J’aurai eu maintes occasions de te tuer, si je l’avais vraiment voulu.

— AIDEZ-MOI !

Les murs du bureau tremblèrent de rage, de peur et de désespoir.

Cézanne se recroquevilla dans un coin. Son père s’approcha de lui, une ceinture miraculeusement apparue entre ses mains.

— Je n’ai pas dû te cogner assez fort...

Une odeur de cuir, la brûlure d’un fouet sur le dos. Cris de souffrance, supplications étouffées.

— ... car tu persistes à me désobéir.

Un cadre brisé. Des cris. Une gifle, un poing serré, un pied frappant, le claquement sec d’une ceinture. La douleur s’infiltrait partout, cuisante et cruelle. Une mère, impuissante, qui tente de protéger l’enfant. Mais ses bras ne suffisent pas. Le sang jaillissait, rouge vif, comme une peinture éclaboussée sur le sol.

— Mais ce n’est pas grave. Ici, je peux rattraper le temps perdu pour t’éduquer comme il se doit.

Les contours du père devinrent flous, obscurs. Lentement, il se transforma en une ombre. Une silhouette noire aux yeux rouges, un démon levant la main, prêt à ceinturer son fils.

Dans son coin, Cézanne pleurait, attendait la punition, prit sa tête entre les mains en geignant :

— Rouge et noir, rouge et noir, à quand viendra l’espoir..

— Laisse-moi faire, mon fils. Tout va bien se passer.

— REGARDEZ-MOI !

— Rouge pour l’amour, noir pour la mort...

— Je suis là, Cézanne. Je l’ai toujours été.

— EST-CE QUE QUELQU’UN M’ENTEND ?

— Rouge de colère, noir de terreur, rouge sang et noir nuit...

— Tu vas enfin rentrer à la maison.

— JE SUIS LA !

— Rouge et noir, rouge et noir, je cherche l’espoir...

— Pourquoi luttes-tu encore ? Tu sais que c’est inutile.

— J’EXISTE AUTANT QUE VOUS !

— NE LE TOUCHEZ PAS !

Une main blanche, diaphane, géante, apparût du plafond, se dressa entre le père et le fils.

— Il est à moi ! Hurla le premier.

— Jamais ! Rétorqua le second.

La main entoura Cézanne, et l’amena avec elle, brisant les fondements de la toile.

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Brutus Valnuit
Posté le 25/07/2025
J'ai toujours autant de plaisir à suivre cette aventure ! le rythme est excellent et je me demande bien où tout cela vas nous mener. Le voyage est passionnant. Le monde mêlé de fantastique et d'oeuvres d'art !
La folie rode parmi les tableaux, un tourbillon d'évenements mystérieux ! Que demander de plus ?!
Rouky
Posté le 26/07/2025
Salut ! ^^

Merci pour ton passage sur ce troisième chapitre. Je suis ravie que le rythme et l'ambiance te plaisent, c'est la première fois que j'écris une histoire dans le genre un peu fantastique :-)

Comme je suis en vacances je traîne un peu pour les nouveaux chapitres ah ah, mais je reviens vite ;-) A bientôt !
Brutus Valnuit
Posté le 26/07/2025
Pour une première histoire fantastique, je trouve que c'est plutôt bien maitrisé. Tu réussis à créer une atmosphère originale et tu évites la magie genre Harry Potter (que je trouve indigeste ! )
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