Mahaut vécut le retour comme dans un rêve. Après leur arrivée feutrée, leur départ eut des allures de fanfare. On entrouvrait les portes pour les observer – eux, les jeunes dans le sillage de Dame Lucanus – et ça chuchotait, ça bruissait, ça commentait à tout va. Robin oscillait entre sourires timides adressés aux curieux, et regard planté sur ses pieds. Il resserrait sa ceinture, effleurait sa fronde, tirait sur son tablier de forgeron.
Le chemin jusqu’au sommet de la tour d’envol lui parut beaucoup plus long qu’à l’aller, mais quand ils empruntèrent les ultimes escaliers en colimaçon, elle eut l’impression de respirer un peu mieux. Elle avançait derrière Robin, qui se retourna soudain.
— Dis, tu crois que ta mère chassait les dragons ?
Mahaut s’arrêta brusquement. Elle observa Robin, ce futur compagnon de route, avec son nez en trompette et sa peau laiteuse. Ses yeux brillaient d’une curiosité à peine contenue, qui se posa comme du sel sur le cœur écorché de la jeune fille.
— Qu’est-ce que tu veux que j’en sache ? répliqua-t-elle sèchement. Elle est morte, ma mère, elle me répondra pas.
Elle ne savait pas contre qui ou quoi elle était en colère. Contre le dragon qui avait choisi Fort-Levant ? Contre l’excitation de Robin et l’écœurante pitié de Dame Lucanus ? Contre le roi lui-même pour cette mission, sa mère pour être morte, elle de n’avoir pas dit non ?
— Désolé, dit Robin, je voulais pas te blesser.
— Tout ça c’est ridicule, souffla-t-elle en serrant les poings.
— Tu peux le voir comme ça, commenta Bertille Lucanus d’une voix tranquille. Ou tu peux décider d’être fière d’avoir tenu tête à un dragon et sauvé les habitants. Tu as aussi le droit de t’enorgueillir d’être devenue chevalière.
Elle leva les yeux sur la capitaine de la garde, qui lui souriait si sincèrement que Mahaut essaya de voir les choses sous cet angle. Elle repoussa son énervement, retira les couches de ressentiment venus se presser dans son cerveau comme des déchets, épousseta l’inutile pour dégager l’essentiel.
— J’ai peur, confia-t-elle.
— Le contraire serait dangereux, répondit Dame Lucanus. Mais tout ira bien.
— Comment le savez-vous ?
— Je le sais, c’est tout.
La capitaine de la garde les ramena elle-même en ville, après les avoir harnaché sur le dos d’une libellule. Mahaut profita du vol pour se répéter le discours qu’elle raconterait à la patronne. Elle prit conscience qu’elle allait partir loin d’elle et qu’elles ne se reverraient peut-être pas. Le vent sécha ses larmes et l’aida à se composer un air décidé.
Leur arrivée sur la place ne passa pas inaperçue. Les gens sortirent des ruelles ou arrêtèrent de nettoyer les décombres pour les observer. En mettant pied à terre, Mahaut écrasa une laitue.
— Petite.
Elle leva la tête vers Dame Lucanus, digne et superbe sur sa monture, le soleil ajoutant des dorures à son armure.
— Tout ce dont vous aurez besoin sera apporté à l’aube. Vous n’aurez à vous soucier de rien sinon de vous reposer.
— D’accord, dit-elle la gorge sèche.
— Nous nous reverrons, Mahaut, et nous tuerons Rubia.
La promesse déposa un goût amer au fond de sa gorge.
La chevalière les salua et s’envola pour retourner au château.
— On se voit demain, déclara Robin.
— Merci encore de venir.
Il ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun son ne s’en échappa. Il se contenta de hausser une épaule et s’éloigna. Un groupe de garçons se jeta sur lui comme une volée de moineaux sur un quignon de pain, et ils disparurent dans un joyeux mélange de coups de coudes et de questions pressantes.
Mahaut se retrouva soudain seule au milieu des vestiges du marché, sous les regards perçants et les interrogations muettes. Elle porta une main à sa broche, nerveuse.
— Mahaut !
La voix de la patronne résonna haut et clair depuis le seuil du Canasson Chantant. Mahaut s’élança vers elle pour se réfugier dans l’auberge. La patronne claqua la porte.
— Contente qu’ils t’aient pas mangé, là-haut ! s’exclama-t-elle.
Sur son visage, Mahaut lut son hésitation à la serrer contre elle.
— T’es pâlotte, déclara la patronne. Assieds-toi, je te sers un thé bien fort et une tartine.
Mahaut n’avait jamais vu le Canasson Chantant aussi vide et silencieux. D’ordinaire, il y avait toujours deux ou trois personnes pour s’attarder après le repas, venir boire un verre ou grailler un morceau pendant une pause.
Aujourd’hui, ce n’était que la patronne, Mahaut et la salle qui paraissait étrangement vaste. Elle s’installa tout au fond, dans un angle, comme pour se cacher. En tailleur sur le tabouret.
La patronne déposa un mug fumant devant elle, ainsi qu’une épaisse tranche de pain recouverte de confiture. Elle-même revint avec un café pour s’asseoir sur la chaise d’à côté. Mahaut mâchouilla un morceau de sa tartine, lécha la confiture sur ses lèvres, et confia :
— Je vais devoir partir.
— Je sais, ma belle.
Elle recouvrit sa main de la sienne – si grande, la paume calleuse – et allait s’expliquer quand la porte s’ouvrit dans un grincement délicat.
— Ah, elle est revenue.
C’était le vieux voyageur arrivé plus tôt avec son scarabée rhinocéros. Sur un geste de la patronne, il enclencha le verrou avant de les rejoindre.
— C’est un proche du roi, révéla l’aubergiste. C’est lui qui va t’accompagner jusqu’à l’épée. Un messager est venu le voir peu après ton départ.
— Y a pas grand-monde qui connaît la route vers Lif, faut dire, déclara le vieil homme en tirant une chaise et une pipe de sa poche. Le coin est plus qu’un hameau à l’abandon, maintenant.
— Comment vous le connaissez ? interrogea Mahaut.
La confiture lui coulait sur les doigts. Elle l’aspira sans élégance. Manger et poser des questions lui semblaient un bon antidote à l’appréhension. L’homme répondit dans un nuage de tabac.
— J’étais môme la première fois que j’ai vu la lame sacrée. Mes parents – le Grand Cerf ait leur âme – et moi habitions dans le sud, une petite bourgade dans la contrée de Claire-Rocaille. Je m’étais levé tôt pour aller pêcher et je me souviens avoir eu de belles prises. En rentrant, quelque chose a obscurci le soleil, j’ai regardé dans le ciel et là…
— Coupez court au suspens, Fulbert, reprocha l’aubergiste.
Il esquissa un sourire qui révéla des dents jaunies de tabac, et croqua le tuyau de sa pipe.
— Là quoi ? s’impatienta Mahaut.
Il prit une voix grave et plongea ses yeux dans les siens.
— Là j’ai vu un dragon trois fois plus gros que celui de ce matin. Le corps rouge et incandescent comme du fer dans une forge, le ventre noir comme du charbon et des ailes aussi grandes que Fort-Levant.
Il exagérait forcément, ce n’était pas ça qu’elle devrait affronter, hein ?
— Il a poussé un hurlement terrible, qui gargouillait du fin fond de ses entrailles, et j’ai vu qu’il saignait. Il pleuvait des gouttes de sang sur les caillasses et dans le lit de la rivière, mais aussi...
Tout en parlant, il avait plongé la main dans la petite sacoche à sa ceinture, et en sortit quelque chose qu’il brandit entre le pouce et l’index. Ce n’était pas incandescent comme du fer dans une forge, mais l’écaille était d’un rouge hypnotique.
— J’ai gardé celle-là et j’ai vendu les autres que j’ai pu ramasser.
— C’est une vraie ?
— Ouaip. Tiens, touche-là si tu veux.
Il la fit tomber dans sa paume, et même la patronne pencha son nez par-dessus son épaule pour mieux voir. L’écaille était très épaisse et plutôt lourde.
— Il avait une longue plaie sur le flanc, poursuivit le vieil homme. Il sortait d’un combat, et j’ai pas mis longtemps à trouver contre qui. C’était un gars pas très vieux, trop grignot pour son plastron et son heaume, mais qui tenait son épée avec une force que je saurais pas décrire. Il en imposait, en tout cas. Je me souviens qu’il m’a regardé et m’a demandé si j’avais rien. Je me souviens aussi que la lame luisait, et que c’était bien beau.
Il se releva et tendit la main pour récupérer son bien, qu’il regarda comme le souvenir lui-même. Finalement il la rangea dans sa pochette et retourna s’asseoir, basculant la chaise sur deux pieds, l’air canaille.
— Y avait un jeune garçon avec ce chevalier. Un de ses amis. Le dragon a disparu dans un souffle, réduit à l’état de poussière d’étoiles, et les deux garçons sont partis. Je leur ai collé au train. Je pense pas que j’étais discret, mais ils ont fait comme de rien.
— Comment ça « disparu » ? répéta Mahaut.
Elle prit une gorgée de thé qui lui brûla la langue. Le voyageur haussa les épaules et ralluma sa pipe.
— Comme je le dis. Un moment il était là, hurlant de rage et de douleur, je suppose, celui d’après il s’éparpillait dans le vent comme une nuée de lucioles. Bref, j’ai abandonné mes poissons et j’ai suivi les deux garçons. Ils se disputaient. Le chevalier ne voulait plus de son épée, mais l’autre essayait de le convaincre de la garder. Ils ont jacassé comme ça jusqu’à une grotte, où le chevalier a plongé la lame dans le mur comme un canif dans une motte de beurre. L’autre a tiré dessus, mais il a pas pu la déloger.
Il fit retomber la chaise sur ses quatre pattes dans un bruit sec.
— Le deuxième garçon, l’ami, est resté dans la région. Il m’emmenait parfois jusqu’à la grotte et on essayait de retirer l’épée. Il a fini par arrêter mais m’a gardé sous son aile. C’est devenu un ami, avant d’être roi, puis père de notre monarque actuel. Voilà, tu sais tout.
Mahaut se laissa tomber contre le dossier de sa chaise et posa les yeux sur le plafond. Comme la promesse de Dame Lucanus, le récit de ce vieux voyageur lui nouait l’estomac. Elle imagina Rubia – énorme, imposant, terrifiant – et sa blessure mortelle. Elle s’imagina Lif à la main, la lame rouge et poisseuse de sang, et son estomac se souleva violemment.
— Ça va, Mahaut ?
La main de la patronne se posa sur son dos.
— Je vais te faire couler un bain, ma belle. Ça ira mieux tu verras. Si tu veux, ce soir je peux fermer l’auberge et…
— Non, souffla Mahaut. Faisons le service comme d’habitude, s’il vous plaît.
« Faisons le service ensemble une dernière fois » se formula-t-elle intérieurement, le cœur serré.
La soirée se révéla épuisante. Fulbert Scarabeus, le vieux voyageur, lui ayant recommandé de tenir sa langue sur sa mission, elle éluda toutes les questions des clients venus s’entasser dans la salle. Mise à l’aise par la connivence de la patronne et de Fulbert, elle s’était parée d’un sourire énigmatique et faisait mine de laisser échapper une information avant de se rattraper.
Elle s’endormit comme une bûche, mais le réveil fut laborieux.
La patronne dut la secouer un moment avant qu’elle ne réussisse à ouvrir les yeux, et la promesse d’un copieux petit-déjeuner ne l’aida pas plus que ça à s’arracher aux couvertures. Il faisait encore très sombre dans sa petite chambre, qui ne comportait qu’une lucarne.
Elle observa les ombres qui lui étaient devenues si familières, caressa la courtepointe et le cadre du lit, respira le parfum de poussière chauffé par son sommeil et écouta le distant claquement des casseroles au rez-de-chaussée. Elle s’imprégna de la pièce de tous ses pores, et s’habilla dans un silence religieux, avec la lenteur de gestes exécutés une dernière fois.
« Ce ne sont que deux semaines et un dragon » se répétait-elle. « Tu vas revenir. »
Elle ne parvint pas à s’en convaincre. Ce qui lui arrivait était trop abrutissant.
Quand elle descendit, Fulbert discutait avec Robin, chacun devant un bol et une grosse assiette de lard, patates et œufs brouillés. Quand ils la virent, le vieil homme se fendit d’un sourire mais Robin bondit sur ses pieds en envoyant presque valser sa chaise.
— Mahaut, je peux te parler ? En privé.
— Euh… oui ?
Il se dirigea d’un bon pas vers la porte et, après un échange de regards perplexes avec les deux adultes, elle lui emboîta le pas. Fort-Levant se réveillait à peine et la place – débarrassée de ses débris et nettoyée du mieux possible – était encore déserte sous un ciel violacé. Le fond de l’air était frais, Mahaut croisa les bras sur sa chemise.
— Je dois te présenter mes excuses, dit le garçon de but en blanc.
— Ah bon ?
— Ouais, bredouilla-t-il en fixant ses bottes et en se passant la main dans les cheveux d’un air gêné. Je me suis un peu servi de toi, hier. Ça fait des lustres que je voulais voir le roi, et grâce à cette histoire c’était possible. Et quand j’ai dit que je partais, je pensais qu’à moi. Voilà. Désolé.
Un franc soulagement s’empara de Mahaut. L’espace d’un instant, elle avait cru qu’il la lâchait.
— On se connaît pas, dit-elle, alors ça me paraît normal que tu ne penses qu’à toi. Je t’en veux pas. Je suis quand même contente de pas être seule.
— T’es sympa, répondit Robin en souriant. J’espère qu’on va bien s’entendre.
Elle allait renchérir, quand quelque chose capta son attention. Une ombre sur la toile de plus en plus claire du ciel.
— Regarde ! s’exclama-t-elle en la pointant du doigt.
C’était une guêpe, chevauchée par le chevalier Ghislain et chargée de divers paquetages.
— Parfait les jeunes, aidez-moi à tout désangler.
Ils s’y attelèrent sans attendre. Mahaut resta à prudente distance du dard de l’insecte, mais ne put s’empêcher de lui donner une caresse entre deux débouclages. Enthousiastes, Mahaut et Robin se dépêchèrent d’aller déverser le chargement sur une table et voulurent tout ouvrir.
En voyageur aguerri, Fulbert les en empêcha : il fallait tout ranger dans les malles de sa charrette. Les deux adolescents allaient protester quand Ghislain leur jeta un paquet chacun.
— Cadeau du roi, révéla-t-il. Ainsi que ça.
Il désigna un grand sac, qui contenait deux épées courtes. Mahaut alla en prendre une. Elle la soulevait sans mal, mais sentait que son poids lui meurtrirait vite le poignet. Le cuir de la garde sentait le neuf, et elle joua quelques secondes à faire couler la lumière le long de la lame.
Robin, lui, avait déballé des vêtements aux couleurs du château, et une vive émotion s’était emparée de lui. Mahaut s’inquiéta qu’il fonde en larmes, mais il se reprit demanda l’autorisation d’aller se changer.
— Fais de même, Mahaut, recommanda la patronne. On chargera ça plus vite sans vous.
Elle fit mine de se vexer mais entraîna Robin vers l’étage.
— Ça va ? s’inquiéta-t-elle une fois dans l’escalier.
— Oui oui.
— Sûr ? T’avais l’air…
— Je te dis que ça va.
Elle n’insista pas, mais se mordit l’intérieur de la joue pour ne pas répliquer.
Mahaut troqua ses vêtements de seconde main contre une chemise et un pantalon épais, d’un blanc écru. S’y ajoutaient une tunique du même vert pâle que les armoiries de Fort-Levant, une ceinture pour attacher son épée et une paire de bottes bien plus confortable que les vieilles chausses trouvées par l’aubergiste au fond d’un placard. Elle attacha la broche contre son cœur, écarta les bras et essaya de s’étudier. À quoi ressemblait-elle ?
Elle sortit en même temps que Robin et ils s’observèrent mutuellement. De la même façon que Mahaut exhibait sa broche, il avait sorti un collier de son col, un anneau argenté sur un cordon.
— C’est la classe, commenta-t-il avec un grand sourire.
Mahaut décida de jouer franc-jeu :
— Tu peux pas m’envoyer balader et être sympa l’instant d’après.
Il fuit son regard accusateur. Elle fut satisfaite de lire un peu de malaise dans ses sourcils plissés.
— Ouais, désolé.
— Ça passe pour cette fois, mais je voyage devant.
Il mit une seconde de trop à protester, Mahaut était déjà descendue avec un rire machiavélique.
La charrette fut vite remplie, les arceaux retenant la bâche arrimés solidement et le scarabée-rhinocéros harnaché et manifestement impatiemment de repartir. La patronne et Ghislain les accompagnèrent jusqu’à la grande porte, et ils n’étaient pas les seuls : une petite procession de lèves-tôt les suivait à distance.
Le chevalier leur souhaita bonne route et leur serra la main. Une poigne ferme. Puis l’aubergiste ordonna à Fulbert Scarabeus de les protéger, à Robin d’être prudent et se planta devant Mahaut.
— Au revoir, patronne, souffla la jeune fille. Et merci pour tout.
La femme hocha la tête.
— Tu fais attention à toi. On se reverra vite, ma belle.
Mahaut acquiesça et pourtant, pourtant, tout au fond d’elle une petite voix disait que… Elle serra l’aubergiste contre elle, de toutes ses forces, pour transmettre toute la reconnaissance dont elle était capable. La femme l’étreignit en retour, l’enroula dans son parfum et son affection, avant de la relâcher. Mahaut se frotta les yeux, prit place aux côtés de Fulbert et la salua longtemps après que la charrette se fut ébranlée.
Quand elle plongea dans l’inconnu, le ciel était d’un bleu limpide.
L’excitation du départ fit rapidement place à une monotonie qui ne déplaisait pas encore à Mahaut.
Fulbert dirigeait son scarabée-rhinocéros – Bruno – le long d’un large chemin caillouteux en fumant sa pipe, et Robin s’était allongé dans la charrette. Mahaut s’imprégna longuement du paysage. Tout était si vaste, en dehors des murailles de Fort-Levant ! Le ciel semblait se déployer à l’infini et son regard se portait si loin qu’elle en avait le vertige.
Elle avait pourtant déjà dû voir tout ça, ressentir cette vasteté jusque dans ses veines, mais ni son esprit ni son corps ne s’en rappelait. Pour une fois, elle savoura cette impression de nouveauté.
Ils traversaient une prairie sous un soleil déjà vif. L’herbe haute était parcourue de coquelicots, de crocus et autres fleurs sauvages. Mahaut avait envie de bondir au sol pour en cueillir un bouquet, mais résista et se contenta de les admirer.
— Première fois que tu quittes Fort-Levant ? questionna soudain Fulbert.
— Oui ! répondit-elle sans pouvoir cacher son excitation.
Le vieil homme émit un petit rire tressautant. À l’arrière, Robin se redressa sur un coude.
— Sérieusement ? Même pas à la rivière, là-bas ?
Il pointa vers la droite. Mahaut secoua la tête.
— Toi tu es déjà allé loin ? demanda-t-elle avant de grimacer. Je suis bête, t’as dit au roi que tu arrivais de Rouge-Colline. Je ne sais même pas où c’est.
— Dans la direction opposée, révéla Robin en s’asseyant. Mais c’est le seul trajet important que j’ai fait, et c’est pas si éloigné que ça.
— C’est déjà plus que moi.
— Qu’en sais-tu, petite ? intervint Fulbert. Derrière ton amnésie y a peut-être un vrai périple à travers le monde et des connaissances un peu partout.
— J’essaye de ne pas y penser, avoua-t-elle.
Elle chassa d’ailleurs les idées parasites qui venaient déjà grouiller autour d’elle, et tourna la tête pour mettre fin à la conversation. Elle se concentra sur les couleurs qui les encerclaient. Rouge, mauve, jaune, vert ; terre brune, pierres grises. Le ronronnement régulier des roues, les vibrations de leur véhicule qui remontaient le long de sa colonne vertébrale, le grattement des pattes du scarabée dans sa marche pesante et tranquille.
Un contact sur son genou la ramena au présent. Fulbert désigna l’horizon touffue d’une forêt.
— Pour l’instant c’est là qu’on va. Je vous demanderai d’être silencieux et sur vos gardes. Ce soir, je vous apprendrai les rudiments du combat à l’épée, mais en attendant on va se la jouer prudents. Il peut y avoir des gredins dans ces bois.
À la froideur dans ses prunelles, Mahaut s’imagina que les « gredins » pouvaient se révéler dangereux.
— Vous savez vous battre, monsieur ? s’étonna Robin avec un peu trop de franchise.
C’était justifié : Fulbert avait plus l’allure d’un sympathique marchand, d’un barde à la rigueur, que d’un guerrier. Il haussa un sourcil broussailleux.
— Si je dois te casser une guibolle pour gagner ton respect, je le ferai.
— Vous avez mon infini respect, monsieur.
Mahaut rit de bon cœur. L’atmosphère resta légère jusqu’à ce qu’ils atteignent l’ombre des sous-bois. D’un geste, Fulbert indiqua à Mahaut de rejoindre son compagnon à l’arrière. Elle se cala en face de Robin, les bras autour des genoux, le coude cognant contre une malle et le dos en sueur. Tous deux s’accrochèrent au regard de l’autre pour cacher leur inquiétude.
Les épées, bien rangées dans leur fourreau, se trouvaient entre eux.
Le temps s’étira comme du caramel liquide. Mahaut comptait ses respirations et se demandait si le voyage entier serait comme ça, quand la charrette freina brusquement.
— Je peux vous aider ? demanda Fulbert d’une voix glaciale.
Robin et Mahaut jetèrent un œil discret, deux hommes leur bloquaient le chemin, caparaçonnés dans une tenue de cuir épais, une lance dans la main de l’un et deux poignards dans celles de l’autre. Le monde perdit toutes ses couleurs l’espace d’un instant.
— C’est le convoi du roi, n’est-ce pas ?
— Je transporte des olives et du charbon à Voilovent, répondit Fulbert.
— Ça t’embête pas qu’on se serve ? répliqua l’homme à la lance avec sarcasme.
— Ça vous embête pas que mon scarabée vous empale ? renvoya le vieil homme en se levant.
Mahaut remarqua alors la dague qu’il portait dans son dos, et autour de laquelle il noua sa main. Elle regarda les épées ; Robin s’en empara d’une l’air indécis. Devait-elle faire pareil ? Se battre ? Blesser ces gens comme elle devrait blesser Rubia ?
Un sifflement mit fin à ses réflexions. Une flèche se planta dans la terre, au pied des deux hommes.
- Je kiffe Bertille Lucanus, beaucoup trop classe et gentille, j'adore les personnages qui peuvent être intimidants mais qui sont aussi des crèmes (genre MacGonagall). Dommage que ce ne soit pas avec elle qu'ils partent en voyage, j'aurais bien kiffé, mais évidemment j'attends aussi de voir comment sera ce Fulbert. Pour l'instant, j'ai en tête un mélange entre le vieux guerrier stylé de Nausicaä de la vallée du vent et... mon Gil Nilssen xD ce n'est évidemment pas pour me déplaire. Quant à Robin : choupinou power, il me plaît bien, j'aime qu'on sente qu'il a ses propres objectifs et je trouve que tu pourrais insister un chouia moins dessus, c'est très perceptible et il le formule quasi explicitement lui-même, donc à mes yeux il n'y a pas besoin d'attirer autant que ça l'attention du lecteur dessus. Mais vu que tu t'adresses à un jeune public, peut-être que si, au contraire, c'est nécessaire ? Difficile à trancher !
- Le récit de Fulbert, j'ai eu du mal à entrer dedans, comme le personnage débarque tout juste. Le fait que les deux personnages qu'il évoque n'aient pas de nom m'a un peu confusée, je crois, sans raison particulière (?). Je m'interroge sur la quantité d'infos qu'il livre de but en blanc, même si la boucle de la fin du récit (son lien avec le roi) m'a parue naturelle ; peut-être que c'est juste le côté très raconté de tout ça qui m'a fait drôle ? Ah et puis : si Fulbert a connu le père du roi (pas tout jeune) quand le père était très jeune, alors Fulbert doit être... très vieux ? Je sais pas si j'ai mal compris ou si c'est censé nous faire nous questionner ?
- Arthur Pendragon !!! Ça y est, j'ai une théorie. Enfin, à ce stade, une élucubration. J'attends quelques chapitres pour voir comment ça évolue avant de te la balancer, je veux pas être ridicule :') Vu comme tu m'as prise par surprise avec "Le meilleur d'entre nous" (<3) je me méfie !
- La quête : assez clair, même si je te confesse honteusement que je n'ai pas très bien enregistré ce que la team Bertille allait faire pendant que Mahaut va chercher l'épée. Est-ce qu'ils défendent la ville ou est-ce qu'ils partent combattre le dragon en espérant que l'élue leur portera secours ?
- Détail bête : tout le monde parler du timing de Fulbert, bon, moi je trouve que ce choix narratif se défend très bien, mais par contre je me demande comment ça se fait que l'aubergiste sait que Mahaut va partir et sait même qu'elle va chercher l'épée. Est-ce qu'on est censé comprendre que Fulbert et elle en ont causé pendant l'absence de Mahaut ?
Je poursuis et je te fais des retours quand j'ai des trucs pertinents (euh enfin peut-être xD) à dire !
L'insistance pour Robin, j'avoue avoir fait ça en pensant au public jeune en parti :/ C'est vraiment dur à jauger ça (et ma lectrice test n'étant pas une BL confirmée, j'ai pas eu de retour là-dessus "xD)
Fulbert et l'aubergiste ont bien causé en leur absence, oui. Et je voulais ancrer le personnage de Fulbert comme celui du vieux mentor qui en sait beaucoup et a déjà assez vécu pour les faire se sentir en sécurité. Et puis, il est plutôt vieux oui (je le confesse, j'ai pas calculé son âge précis). Le principe du début de cette première partie, en quelque sorte, c'était de "cocher des cases". De ce que je vois de ta lecture et de celle des autres, j'ai pour l'instant le résultat escompté.
Ahaha balance tes théories, voyons ! Je n'y répondrai pas, par contre.
Bertille va dénicher le nid du dragon. Comme ça, l'épée en main, elle n'aura plus qu'à y conduire Mahaut.
J'attends la suite de tes retours avec impatience, Erybou
Je continue!
Comme les autres, étonnée par l'arrivée juste à point de Fulbert. On va voir ce que cela cache... Et le manque d'émotions de l'aubergiste, mais c'est déjà dit.
La question de l'épée mise dans la roche, je m'étais dit ok, c'est une vieille histoire, ça. Mais non non! Qu'est donc devenu le chevalier de cette histoire-là? Mmm...
On sent aussi qu'il va y avoir bien des chamailleries entre ces deux-là, Mahaut et Robin.
On est donc avec pleins d'inconnues: qui est Mahaut? Qui est vraiment Robin? Pourquoi le vieux scarabéen vient à point? :P Le mystère s'épaissit...
Ptite remarque:
- "Mahaut vécut le retour comme dans un rêve. Après leur arrivée feutrée, leur départ eut des allures de fanfare": au début, j'ai cru que c'était son retour près de l'auberge. Peut-être mettre leur arrivée feutrée au château?
- "l’écœurante pitié de Dame Lucanus": j'ai été étonnée, parce que je n'avais pas senti auparavant que Mahaut la voyait comme cela. Mais ça peut aussi apparaître maintenant.
À bientôt!
Bon, cette aubergiste, je dois lui rajouter une ligne !!
Je ne comprends pas ta seconde remarque ? C'est la pitié que Mahaut trouve écœurante, pas Dame Lucanus. C'est ça qui ne t'a pas semblé clair ?
Bisous et à vite !
Oui c'est ça, je n'avais pas compris que Mahaut trouvait que Dame Lucanus la regardait/considérait avec pitié. Mais Mahaut peut en effet le dire seulement maintenant (et pas avant).
Bisous!
Mais en revanche, y a un truc qui me gêne dans ce chapitre, c'est le timing de l'apparition du vieux Fulbert. Il arrive au village juste bien pour le début de la quête, et je trouve ça un peu miraculeux. Ca s'arrange un peu trop bien, alors soit il y a une raison particulière, et on l'apprendra par la suite, soit c'est une coincidence un peu trop heureuse, ce qui affaiblit l'histoire. Comme je ne le sais pas à ce stade, je signale juste mon ressenti...
Alooors pour la question du timing, tu as raison il est parfait. Mais comme tu es à jour, tu as peut-être compris pourquoi...
Bon, au pire, on en reparlera dans quelques chapitres. Mais c'était effectivement voulu (tu as néanmoins bien fait de le signaler !)
Les préparatifs et le grand départ ^^ J'aime bien le fait que Mahaut soit pas ultra enthousiaste en mode "Yolo, allons sauver le monde sans préparation !". Elle a clairement pas le choix donc elle y va, mais c'est bien qu'elle ne se transforme pas du jour au lendemain ^^ Le fait que la capitaine de la garde essaie de donner le change, j'aime bien. On sent qu'elle est dans son rôle, mais qu'en même temps, elle a vraiment de la pitié pour cette gamine quoi. Par contre, j'ai été un peu surprise de la facilité avec laquelle l'aubergiste la laisse partir. C'est à croire qu'elle s'y attendait, ou qu'elle s'en préoccupe pas un peu. Je sais pas, laisser une enfant aller combattre un dragon, faut être motivé quoi ^^"
Pour le voyageur qui est venu là, je suppose que le timing n'est pas un hasard et que le roi l'avait convoqué en lien avec le dragon, ça tombe juste bien que Mahaut soit là. Pour son histoire, ça m'intrigue beaucoup. Le dernier porteur de l'épée, c'est le père/grand-père de Mahaut ? Il serait reparti dans un autre monde après (où la légende du roi Arthur existe) et Mahaut serait de là-bas ? Que ceux d'un autre monde peut prendre l'épée ? Pas mal de questions ^^
A la fin, je suppose qu'il y a des chevaliers qui ont suivi en hauteur la petite troupe ? Ca me paraîtrait bizarre que le roi ait laissé Mahaut, la seule personne capable de battre le dragon, avec une seule personne comme protection, ça serait un peu léger quoi ^^"
Une remarque :
"retira les couches de ressentiment venus se presser dans son cerveau comme des déchets" venues ?
Bon courage pour la suite !
Désolée pour le temps que je mets à répondre à chaque fois ! Je lis toujours tes commentaires dès la notif, mais c'est sur mon téléphone alors je n'y réponds pas... Bref. Merci pour ta lecture et ton retour !
C'est vrai que l'aubergiste la laisse partir un peu facilement. Ca vaudrait le coup que j'en glisse un mot même si, en soit, y a un côté "je ne suis pas surprise que ta présence ici ne dure pas".
Hihi j'aime toujours beaucoup les spéculations et les théories ♥