Une fois laissé derrière eux le calvaire que représentait la traversée du bois de Silva, ils prirent sans tarder la direction de l'enclave. Conscient de la durée de leur voyage, Shan avait hâte de retrouver sa petite sœur : il se souvenait qu'elle n'avait pas été ravie de se voir laissée en arrière et il voulait s'excuser auprès d'elle. La fillette et sa bonne humeur manquaient tout autant à Ayleen qui avançait à bonne allure malgré la fatigue.
Quelle ne fut pas la surprise des jeunes gens quand, une fois sur place, ils durent faire face à une Caecilia désolée qui leur expliqua que Saraï avait quitté les lieux deux jours plus tôt ! L'inquiétude de l'aîné prit aussitôt le dessus sur tout autre sentiment et il ordonna un départ immédiat pour Kaïs. L'aveugle tenta bien de les faire asseoir, mais ils patientèrent juste le temps qu'elle les ravitaille. Acceptant sa défaite, la femme se contenta de leur souhaiter bonne chance.
Durant le trajet jusqu'à la ville, ils n'échangèrent pratiquement aucune parole. À nouveau, la pression de l'inconnu pesait sur leurs épaules et l'anxiété crispait leurs corps. En son for intérieur, la princesse s'efforçait de se rassurer : la petite était capable de se débrouiller seule. Elle avait dû finir par s'ennuyer et préféré retourner à la maison pour les attendre. Vu le temps que cela leur avait pris, c'était compréhensible. Et nul n'aurait pu prévoir la façon dont les choses allaient se dérouler. Mais c'était sur le point de s'arranger : ils rentraient, ils allaient tout lui expliquer et Saraï, fidèle à elle-même, comprendrait. Ça ne pouvait pas se passer autrement.
Pourtant, elle ne pouvait empêcher une pointe de crainte de venir enserrer son cœur en pensant à tout ça. Peut-être à cause de Shan, dont la mâchoire crispée et la démarche tendue ne laissaient pas de place au doute. Ou parce que leur pénible voyage avait eu comme principale conséquence de leur octroyer un nouvel ennemi : Kerian, l'ancien capitaine de la garde royale qui visait désormais le trône et semblait prêt à tout pour se l'approprier. Bien sûr, Saraï n'avait rien à voir dans tout ça, mais le chevalier n'allait pas abandonner la partie aussi facilement. Il chercherait à s'en prendre à elle, la souveraine légitime, et peu importe qui se trouverait sur son chemin le moment venu.
Mais toutes les bonnes résolutions s'effacèrent lorsqu'apparut enfin la rue menant à leur maison : oubliant toute retenue, ils se mirent à courir et se jetèrent sur la porte avant de l'ouvrir à toute volée. Ce fut un silence inhabituel qui les accueillit et, tandis qu'ils entraient, ils remarquèrent petit à petit le désordre qui régnait dans la pièce. Meubles renversés, objets brisés... c'était une scène bien inquiétante qui se dévoilait à leurs yeux. Aucun d'eux ne songea à élever la voix pour appeler la fillette. C'était inutile. Ce fouillis indiquait clairement une confrontation. Entrevue de laquelle Saraï paraissait être sortie perdante. Mais où se trouvait-elle à présent ? Et... qui ?
« Non... »
Ayleen perçut le murmure de son compagnon aussi distinctement que s'il avait hurlé. Troublée, elle se tourna dans sa direction et vit qu'il avait trouvé la réponse à leurs questions : un morceau de papier cloué sur une poutre à l'aide d'un canif.
Dire que je suis arrivé ici avant vous... pour un peu, j'aurais presque été déçu.
J'ai été accueilli par une charmante fillette.
La pauvre était tellement peinée d'avoir été si lâchement reléguée au second plan.
Elle avait besoin de changer d'air, de découvrir de nouvelles choses.
Je me suis dit qu'un petit tour de l'autre côté de la muraille devrait lui convenir.
Je suis certain que le château lui plaira.
En dépit de la façon un peu abrupte dont nous nous sommes quittés, je présume que l'on se reverra bientôt.
Le message ne portait pas de signature mais il n'était pas compliqué de deviner sa provenance. Kerian les avait devancés.
Sans prévenir, Shan se redressa, les traits tordus par la colère et frappa du poing contre le mur. Puis il se laissa lentement tomber sur les genoux, la tête basse, complètement abattu. Sitôt la surprise passée et malgré son appréhension, Ayleen s'avança et posa une main compatissante sur son épaule.
« Le salaud, lâcha-t-il avec hargne.
— On va la retrouver, chuchota-t-elle, faute de mieux. »
Il ne répondit pas tout de suite, levant vers elle ses yeux chargés d'orage. Dans son regard, la fureur se mêlait à la détresse.
« Non, tu comprends pas. Ça aurait pas dû arriver ! J'aurais dû...
— Ce n'est pas de ta faute, l'interrompit-elle doucement. »
Il secoua la tête, pas convaincu. Sa sœur, c'était sa seule famille et son devoir était de la protéger. Dire qu'il pensait qu'elle serait en sécurité en lui demandant de ne pas les accompagner... cruelle ironie du sort. La seule fois où elle aurait vraiment eu besoin de son aide, il n'avait pas été présent. Que pouvait-il y avoir de moins impardonnable que ça ?
Serrant les poings, il releva la tête.
« Je pars la chercher. »
Son ton était décidé, sans appel. Nul doute qu'il aurait quitté les lieux sur le champ si la princesse ne l'avait pas retenu.
« Attends, tu ne peux pas te précipiter comme ça ! »
Agacé d'avoir été interrompu, il lui lança un regard noir avant de s'adoucir tout aussi vite en réalisant qu'elle s'inquiétait au moins autant que lui.
« Il dit l'avoir emmenée au château. Mais on sait qu'il est tenu par le "Seigneur Sombre"... comment c'est possible ?
— Tu... tu crois qu'il pourrait être de mèche avec lui ? l'interrogea-t-il, troublé par sa réflexion.
— Je ne sais pas mais, ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut pas foncer tête baissée là-bas tous seuls sans savoir ce qui pourrait nous attendre.
— Qu'est-ce qu'on fait alors ? »
La situation était invraisemblable : lui bouillant d'impatience et elle s'efforçant de garder la tête froide. La furie royale du début en train de raisonner pour eux deux, se transformant en une jeune femme mûre et réfléchie.
« On va aller voir Algonn, annonça-t-elle. »
§
§ §
Malgré leur hâte, ils prirent le temps de remettre le séjour en ordre. La princesse avait conscience des efforts fournis par Shan pour éviter de tout envoyer balader, mais elle savait également qu'il avait besoin de se recentrer sur quelque chose de concret. Elle l'aida donc à remettre les objets à leur place tout en cherchant à le rassurer du mieux possible : si Kerian avait l'intention de les attendre, comme le sous-entendait son message, il n'allait probablement pas faire de mal à Saraï. La fillette était une excuse pour les faire venir jusqu'à lui. Un moyen de pression infaillible, comme le chevalier devait s'en douter.
« Et en quoi Algonn peut-il nous aider ? finit par demander le jeune homme après avoir patiemment écouté les arguments énoncés par sa compagne.
— Lui et Kerian se connaissent et ça date d'une période où ils se trouvaient tous les deux au château, même si moi je ne m'en souviens pas. Je suis certaine qu'Algonn pourrait nous apprendre beaucoup de choses : il doit connaître sa manière de fonctionner. Et puis, je n'oublie pas qu'il m'avait aussi proposé son aide. »
Quelque peu rasséréné par ce plan, Shan acquiesça d'un air confiant. Puis, le rangement de la pièce leur ayant permis de reprendre leur calme et de réfléchir à tête reposée, ils décidèrent de partir à la recherche du forgeron.
Quelques minutes de marche leur suffirent pour parvenir dans le quartier des artisans et retrouver leur allié, occupé à aiguiser ses outils dans son atelier. Il posa son matériel sitôt qu'il les aperçut et se redressa pour aller à leur rencontre, les bras nonchalamment croisés sur le torse et un sourire au coin des lèvres.
« Eh bien... on dirait que notre princesse butée a changé d'avis, énonça-t-il avec son calme habituel. »
La jeune femme ne parvint pas à soutenir son regard et, même si elle tentait d'adopter une posture décontractée, le tapotement de son pied sur le sol trahissait sa gêne.
« Écoutez je... commença-t-elle.
— Y a pas de mal. Tu étais fâchée, blessée, et tu as cherché à te réfugier vers quelque chose de connu. C'est une réaction normale. »
La jeune femme se figea, surprise par cette réponse qui lui épargnait toute formule d'excuse.
« Mais je ne suis pas vraiment surpris de vous voir ici, connaissant Kerian. Et pas mécontent que vous ayez décidé de ne pas suivre son plan ! ajouta le géant, son sourire s'élargissant. »
Les lèvres d'Ayleen s'étirèrent, mais la raison qui l'avait poussée à rendre visite au forgeron se rappela à son esprit et elle retrouva rapidement son sérieux. D'un même élan, Shan et elle s'avancèrent pour annoncer qu'ils avaient à lui parler. Si leur action conjointe amusa leur interlocuteur, eux-même y prêtèrent à peine attention. La précarité de la situation les avait rattrapés et ils ne tardèrent pas à expliquer tout ce qui s'était passé. Sous ses airs insouciants, Algonn savait parfaitement lorsqu'il fallait s'arrêter : l'expression de son visage avait changé tandis qu'il les écoutait attentivement.
« Cette enflure a trouvé moyen de faire ami-ami avec la créature qui a assiégé le château... pourquoi ça ne m'étonne pas ? grogna-t-il.
— Et il détient ma sœur. Il faut qu'on entre ! assena Shan. »
Il observa longuement le garçon avant de rétorquer qu'on ne pouvait pas lancer une opération de sauvetage sans réfléchir. Il y avait de grandes chances que ce soit un piège.
Comprenant qu'il reprenait des arguments identiques à ceux dont elle avait usé peu de temps auparavant, la princesse sourit.
« Qu'est-ce que vous proposez alors ? capitula le jeune homme.
— Il me semble que vous allez avoir besoin d'un peu d'aide pour monter ce coup-là. Et puis, il est temps que le reste de Kaïs sache que sa souveraine légitime se balade dans les rues, non ? »
Ce disant, il lança un clin d’œil complice à Ayleen qui le contempla, abasourdie.
« Vous... vous êtes sérieux ? balbutia-t-elle.
— Et pourquoi pas ? rétorqua-t-il. Je suis certain que tu auras remarqué qu'il n'y a aucune raison de les craindre. En plus, la surprise va leur clouer le bec. Crois-moi, ils t'écouteront. »
Elle était tellement interloquée qu'il lui fallut quelques secondes pour se reprendre. Elle tenta bien de s'adjoindre Shan pour exprimer son inquiétude au sujet de la réaction du peuple, mais Algonn balaya ses arguments d'un geste de la main : selon lui, les gens avaient des soucis bien plus graves – la menace d'une entité aussi mystique que puissante au-dessus d'eux par exemple. Si quelqu'un débarquait en affirmant vouloir mettre un terme à ces attaques brutales, ils le béniraient sans réfléchir, qu'importe qu'il puisse s'agir de l'ancienne souveraine tant haïe du royaume ! Au contraire, le message n'en serait que plus fort, symbolisant une véritable rédemption et une possibilité de changement exceptionnelle. C'était une chance qu'il fallait saisir.
« Je ne sais pas si je saurai... murmura Ayleen, encore indécise.
— Princesse, je t'ai promis le soutien du peuple. Si tu parviens à les rallier à ta cause et à les soulever contre un ennemi commun, rien ne vous arrêtera. C'est une force souvent très sous-estimée.
— Vous avez l'air bien sûr de vous.
— J'ai été au service de la garde royale avant de prendre des vacances prolongées de l'autre côté de la muraille. Crois-moi, je sais de quoi les gens sont capables face à l'injustice et à la folie. »
Ce disant, son visage s'était fermé et l'éclat constant de ses yeux parut s'éteindre. Son regard se perdait dans d'anciens souvenirs et il était si glacial que la jeune femme sentit un frisson d'effroi parcourir son échine. Elle avait désormais la confirmation que le forgeron avait œuvré au palais, certainement au service de son père. Bien qu'elle ne se souvînt pas de sa présence, elle avait l'étrange pressentiment qu'un événement grave avait précipité son départ. Était-ce seulement un exil volontaire comme le sous-entendaient ses paroles ? Le ton de sa voix paraissait signifier le contraire...
Perturbé par le silence gêné qui venait de s'installer, Shan s'agita avant de se tourner vers sa compagne.
« Il a raison, il faut que tu le fasses.
— Tu crois ?
— C'est la meilleure chance qu'on ait. Et puis, au fond, tu devais bien te douter qu'on n'y arriverait pas tous seuls quand on a fait ce pacte, non ?
— Mais ça revient à aller à l'encontre de tout ce qu'on m'a inculqué. Mon père, il... hésita-t-elle.
— Tu n'es pas ton père, répliqua-t-il d'un ton ferme. Tu as beaucoup changé depuis que tu es arrivée ici. Alors oui, tu es peut-être différente de tout le reste de ta famille, mais c'est pas forcément un mal !
— Bousculer les traditions, c'est un peu inquiétant mais surtout terriblement exaltant ! ajouta Algonn. Une chance pareille, ce n'est pas donné à tout le monde.
— Vous pensez vraiment que j'en suis capable ?
— En tant que princesse, je parie que tu t'y connais bien en discours ! Tu vas les éblouir, affirma le forgeron avec un clin d’œil tandis que Shan acquiesçait en souriant d'un air entendu. »
Devant leurs mines si confiantes, Ayleen se sentit envahie par une bouffée de reconnaissance et accepta. Elle n'était pas sûre de savoir comment ni pourquoi ils pouvaient placer une telle foi en ses actes, mais elle ne voulait les décevoir pour rien au monde. Cette histoire avait commencé avec elle : elle aurait pu mourir mais avait survécu. Comment croire qu'elle ne pouvait pas avoir un rôle à jouer dans tout ça ? Élevée dans l'abondance et le confort, elle avait découvert l'envers de la médaille en traversant le mur qui déchirait la ville en deux. Elle aurait pu s'effondrer et se laisser submerger, mais l'éducation de son père l'avait dotée d'une volonté à toute épreuve. En se relevant, elle allait entraîner le reste du royaume dans ses pas et construire un pont entre les deux mondes trop longtemps séparés. Il était temps de changer le cours de l'histoire.
« Je suis prête, déclara-t-elle. »
§
§ §
L'assurance étonnante dont elle avait fait preuve face à ses camarades était – gentiment mais sûrement – en train de se détériorer. Algonn n'avait pas perdu de temps : profitant de ses contacts au sein des auberges de la ville, il avait fait courir la rumeur qu'un mystérieux héros allait débarquer pour mettre un terme au règne de terreur du "Seigneur Sombre". Le rendez-vous avait été pris pour le jour suivant sur une place abritant plusieurs petites estrades utilisées lors des marchés hebdomadaires. Placée en retrait, Ayleen observait avec appréhension une foule de plus en plus compacte se presser sur les lieux. Visiblement, la perspective de ne plus avoir à craindre un ennemi légendaire et sa horde de créatures horrifiques attirait bon nombre de partisans. C'était plutôt bon signe, mais la jeune femme ne parvenait pas à s'en réjouir. L'idée de devoir prendre la parole devant tous ces gens et, surtout, de leur dévoiler son identité, l'effrayait plus qu'elle ne souhaitait l'admettre. En particulier parce qu'elle ignorait comment ils allaient réagir et redoutait que cette révélation ne noie tout ce qu'elle pourrait tenter de leur dire ensuite. Paradoxalement, c'était certainement cet aveu qui allait lui permettre d'attirer l'attention et d'être écoutée. Si elle savait désormais que les prétendus Demis n'étaient pas des monstres, elle n'était pas dupe pour autant : ces gens avaient beaucoup souffert sous le règne de son père et le sien ensuite. Sans l'avoir jamais vue, chacun saurait qui elle était et il serait logique (et compréhensible) qu'on ne lui réserve pas un accueil chaleureux. De là à lui faire du mal ? Sans pouvoir l'affirmer avec certitude, c'était une option à considérer malgré tout.
Alors qu'elle piétinait sur place jusqu'à présent, elle se figea. L'instant fatidique approchait. Sa peur la paralysait et le stress plaçait tout son corps sous tension. Serrant les poings, elle ferma les yeux et s'efforça de trouver un moyen de se calmer. Seule dans le noir, elle cherchait à oublier tout ce qui se trouvait alentour. Le silence qu'elle tentait de créer ne parvenait pas à l'apaiser. Son assurance naturelle la quittait peu à peu, laissant le froid de l'inconnu l'envahir. Incapable de faire face, elle se sentait chavirer. La noyade était inévitable...
Et soudain, un déclic. Une douce chaleur qui prenait forme contre sa paume et se diffusait dans le reste de son corps. Surprise, elle ouvrit les paupières pour constater la présence de Shan à ses côtés. C'est seulement à cet instant qu'elle sentit ses doigts qui s'étaient frayés un chemin à travers le barrage de son poing serré. Troublée, elle lui lança un regard interrogateur auquel il ne répondit rien, se contentant de la fixer avec un calme inébranlable. La pression de sa main était ferme et délicate à la fois. À travers elle, il tentait de lui transmettre toute la confiance qu'il plaçait en ses compétences, en sa transformation, en sa personne tout entière. Émue, elle plongea son regard dans le sien tout en lui rendant son étreinte.
Oui, il avait raison. En dépit du poids qu'elle portait sur ses épaules, elle n'était pas seule. Elle avait des alliés sur lesquels elle pouvait compter et qui ne la laisseraient pas tomber. Mieux que ça même : des amis. Vu son passé et son caractère, ce n'était pas gagné d'avance, mais ils étaient bien là aujourd'hui, prêts à la soutenir. Et, plus important encore, la petite fille grâce à qui tout cela était devenu possible avait besoin de son aide. Elle n'avait décidément pas le droit de les décevoir.
« Prête pour ton heure de gloire ? »
La question enjouée d'Algonn arracha un sourire crispé à l'intéressée. S'efforçant de prendre une longue inspiration, elle se détacha gentiment de Shan et s'avança vers l'estrade tout en lui jetant un dernier coup d’œil qu'elle espéra rassurant. Puis, elle se recentra sur ce qui l'attendait : quelques marches à monter qui paraissaient la mener tout droit à l’échafaud. D'une main, elle tritura nerveusement le foulard qui masquait sa chevelure pour vérifier qu'il tenait bien en place. Inutile de se présenter découverte à la foule à moins de vouloir ruiner ses chances déjà maigres.
Lorsqu'elle releva les yeux, elle vit le forgeron qui l'attendait, un sourire encourageant aux lèvres. Il semblait tellement convaincu de la réussite de leur entreprise alors qu'Ayleen avait tant de mal à y croire.
« Ne t'en fais pas, tout va bien se passer, lui murmura-t-il. Ces gens ont juste besoin de croire en quelque chose et tu vas leur donner la dose d'espoir qu'il leur faut ! »
En réponse, elle esquissa un maigre sourire, sans parvenir à desserrer les poings pour autant. Il hocha la tête, la mine rayonnante, avant de retrouver un air sérieux qui imposait immédiatement le respect. Tout en se campant fermement sur ses jambes, il plaça ses mains en porte-voix.
« Braves gens de Kaïs ! entonna-t-il avec force. »
Le silence se fit presque aussitôt et toutes les têtes se tournèrent dans leur direction. La jeune femme baissa tout de suite les yeux, mal à l'aise : elle avait envie de disparaître sous terre.
« Nous voilà réunis pour faire entendre notre voix, poursuivit Algonn tandis que l'écho de ses paroles se répercutait aux quatre coins de la place. N'en avez-vous pas assez de vivre sous ce joug qui vous martyrise ? N'en avez-vous pas assez d'être pris pour cibles par des créatures de cauchemar ? De craindre ce que l'on nomme la "Terreur Noire" ? Je vous le demande : allez-vous accepter de continuer à survivre dans un climat de peur constante ? »
Une vague d'exclamations s'éleva pour lui répondre : enflammés par les propos du géant, le peuple laissait éclater sa colère. Des cris de rage se mêlaient aux poings levés.
« Ça ne peut plus durer, il faut faire quelque chose, tonna le forgeron comme les acclamations se poursuivaient de plus belle. Qui se porte volontaire ? »
Aussi vite qu'ils avaient commencé, les cris se turent pour laisser place à un silence gêné. Si chacun était prêt à s'insurger, nul ne souhaitait porter la responsabilité d'un mouvement de rébellion sur ses épaules.
« J'ai la réponse à cette question, lança Algonn pour les soulager. Je vous présente votre sauveuse ! »
Et, sans prévenir, il fit un pas en arrière et propulsa Ayleen sur le devant de la scène. La demoiselle manqua de trébucher – ce qui aurait ruiné à coup sûr toute tentative d'être prise au sérieux – mais parvint à se retenir de justesse. S'efforçant d'effacer toute trace d'appréhension de son visage, elle redressa courageusement la tête et affronta l'assemblée. Elle nota d'emblée bon nombre de faces incrédules : normal, ils ne s'attendaient pas à une jeune femme. Puis quelques applaudissements commencèrent à se faire entendre. Rapidement, tous se passèrent le mot et ce fut bientôt une véritable clameur qui s'éleva sous le regard stupéfait d'Ayleen. Ces gens n'avaient aucune idée de son identité ni de sa compétence à bel et bien résoudre leurs problèmes. Mais l'entrée en matière du forgeron les avait enthousiasmés, réveillant la flamme de l'espoir qui sommeillait en eux jusqu'alors. Une lueur qui ne demandait qu'à être ravivée. Et, pour ce faire, ils plaçaient leur foi en elle.
« Merci, répondit-elle. »
Et, ce disant, elle s'inclina spontanément, voulant par là leur témoigner son respect.
« Merci, j'espère pouvoir être digne de la confiance que vous me témoignez. »
Le ton de sa voix baissa tandis que les acclamations s'estompaient, laissant place à un silence expectatif. Elle hésita quelques secondes puis choisit de se laisser porter par son intuition.
« Le "Seigneur Sombre" a pris tout ce qui m'était cher. Ça a été si brutal que j'ai à peine eu le temps de m'en rendre compte. Depuis ce jour, je ne rêve que d'une chose : me venger. Mais je ne pourrais pas le faire seule. C'est pour ça que je viens solliciter votre aide. J'ai vu votre souffrance quotidienne et je veux y mettre fin. Et, croyez-moi, je suis la personne la mieux placée pour le faire.
— Et pourquoi ça ? demanda quelqu'un. »
Ça y était. L'heure de vérité, l'instant critique ou peu importe comment on le définissait. À cet instant, les battements de son cœur étaient si intenses qu'elle crut bien défaillir. Mais elle était allée trop loin maintenant, impossible de reculer.
Portant une main à sa tête, elle ôta le foulard qui la protégeait et dévoila les restes de sa chevelure rousse.
« Parce que je suis la souveraine légitime de ce royaume, Ayleen Elouen. »
D'abord, ce fut la stupeur qui frappa la foule : nul ne s'était attendu à un tel retournement de situation. Puis, petit à petit, des grognements de protestation s'élevèrent. Des cris. Des insultes.
Quelques badauds firent mine de s'approcher, l'air menaçant. Shan et Algonn s'avancèrent aussitôt pour s'interposer, réagissant au quart de tour. Mais la jeune femme leur fit signe de ne rien en faire. Malgré sa peur, elle écouta son instinct et leva les mains en signe de reddition.
« Je ne mérite pas mieux, je le sais, dit-elle d'une voix forte. Mais rien de ce que vous pourrez me faire ne sera pire que ce que l'on m'a déjà infligé.
— Ben voyons, le luxe et la volupté ça a l'air d'être un sort terrible !
— Vous êtes ignoble !
— Mais je vous ai dit la vérité, reprit-elle bravement. La "Terreur Noire" a assiégé le palais et massacré ses occupants.
— Vous auriez dû être parmi eux !
— Pourtant, je suis votre seule chance de mettre fin à tout ça et d'améliorer votre situation. Je vous en supplie, écoutez-moi ! »
Peut-être ses paroles avaient-elles fini par atteindre leur cible ? Ou le fait que la princesse en vienne à les supplier était-il trop tentant ? Quoi qu'il en fût, un calme relatif finit par s'installer. Mais la tension était palpable et la moindre étincelle suffirait à la ranimer instantanément.
Ayleen s'autorisa un soupir avant de remercier une nouvelle fois son auditoire. Puis, elle se mit à raconter : elle parla de l'attaque du château et de la manière dont elle y avait réchappé. Elle mit en avant l'hospitalité de ses hôtes et évoqua le pacte qu'elle avait scellé avec eux. Un accord qu'elle comptait bien honorer. Mais, pour cela, il lui fallait retrouver sa place sur le trône. Et donc se débarrasser de la créature qui l'usurpait.
Comme elle parvenait au bout de sa tirade, elle observa l'assemblée : elle y vit des visages durs, fermés, mais attentifs malgré tout. Aucune réponse ne lui parvint toutefois. Les gens l'avaient écoutée et il paraissait clair qu'elle ne pourrait par leur en demander plus pour le moment. Aussi, pendant que les premières personnes quittaient les lieux, elle les remercia et s'inclina une nouvelle fois avant de se détourner.
Et, alors que Shan et Algonn venaient à sa rencontre, elle esquissa un faible sourire et murmura :
« J'ai fait de mon mieux. »
C'est encore moi.
Après tout ce qu'elle et Shan ont traversé, je me suis demandé comment Ayleen pouvait retomber dans sa paranoïa des débuts. Mais elle s'est facilement laissée convaincre de la sincérité de Shan, preuve qu'elle a changé.<br />Enfin Kerian montre son vrai visage : le galant chevalier n'était qu'une façade. Et encore, quand j'ai pensé ça, je n'avais pas connaissance de sa perversité. C'est un vilain manipulateur. Même bien pire que ça, puisque apparemment, il est l'allié de la Terreur Noire.<br />De son côté, Saraï rumine tellement ses pensées et elle est tellement peu sûre de son utilité qu'elle commence à avoir des doutes : si elle savait ! C'est là qu'on voit comment en l'absence d'interlocuteur, on peut se faire des idées.<br />Il y a un passage (de trois paragraphes) qui ne me paraît pas très clair : on dirait qu'elle part et qu'elle revient ou qu'elle part et qu'on revient en arrière. C'est un peu déroutant.<br />Comme je l'espérais, Algonn est dans le bon camp. Et heureusement, il a assez d'autorité naturelle pour être écouté par le peuple. On sent bien toutes les craintes et les hésitations d'Ayleen, qui finit par prendre son courage à deux mains pour s'adresser à la population. On vit ces moments de stress avec elle. Elle a bien changé, notre princesse. Mais quelque chose me dit qu'elle n'est pas au bout de ses peines.<br />Et j'aimerais bien savoir ce qui a fait partir Algonn du château...
<br />Il se rappelait donc parfaitement de son comportement immature [Il se rappelait son comportement (pas de son comportement)]<br />Bon sang mais qu'est-ce qui m'a pris ? [Il faudrait ajouter une virgule après "Bon sang".]<br />Il l'avait embrassée bon sang ! [Il faudrait ajouter une virgule avant "bon sang".]<br />et il n'avait pas non plus semblé très conscient de ce qu'il faisait mais un baiser restait un baiser. [Il faudrait ajouter une virgule avant "mais".]<br />Cela n'avait rien d'anodin mais est-ce que ce crétin s'en était seulement rendu compte ? [Il faudrait ajouter une virgule avant "mais".]<br />Peut-être était-ce là sa juste place finalement [Il faudrait ajouter une virgule avant "finalement".]<br />ni les mains de Caecilia ni les aboiement du canidé n'avaient pu la retenir. [Il faudrait ajouter une virgule avant le 2e "ni" / aboiements.]<br />il fallait qu'elle prouve aux deux autres qu'ils seraient forcés de compter avec elle désormais. [Il faudrait ajouter une virgule avant "désormais" ou mettre : "qu'ils seraient désormais forcés de compter avec elle".]<br />Mais ils étaient partis à pieds [à pied]<br />Elle se sentait plutôt intimidée par l'aura puissante que dégageait son invité mais plusieurs questions se bousculaient malgré tout dans sa tête [Il faudrait ajouter une virgule avant "mais".]<br />En effet et nous avions prévu de nous retrouver ici ensuite mais nous n'avons malheureusement pas pu effectuer le trajet ensemble. [Il faudrait ajouter une virgule avant "mais".]<br />J'avoue que je ne pensais pas arriver le premier mais je m'étonne surtout de vous voir ici toute seule [Il faudrait ajouter une virgule avant "mais".]<br />respectant son besoin d'évacuer ce ressenti négatif [Il vaudrait mieux mettre "sentiment" ou émotion". Je cite l'Académie française : "Au rang des tics de langage figure l’emploi substantivé des participes passés, par lequel on pense créer des notions nouvelles. Il en va ainsi lorsqu’on parle de son vécu et de son ressenti."]<br />et qu'Ayleen choisirait de rester auprès d'eux ou de les emmener avec elle dans son illustre demeure ["emmener avec elle" est considéré comme un pléonasme]<br />se débarrasser d'elle pour pouvoir mettre sur pieds leurs projets sérieux et importants ! [mettre sur pied]<br />Je pense que vous avez besoin de vous éloigner un peu de tout ça quelques temps [quelque temps]<br />En vérité, la souveraine a largement surestimé cette soit-disant menace [soi-disant ; mais "cette prétendue menace" conviendrait mieux]
L'aveugle tenta bien de les faire asseoir un moment mais ils patientèrent juste le temps qu'elle les ravitaille. [Il faudrait ajouter une virgule avant "mais".]<br />Vu le temps que cela leur avait pris, c'était parfaitement compréhensible d'ailleurs. [Il faudrait ajouter une virgule avant "d'ailleurs".]<br />Kerian les avait devancé [devancés]<br />Tu... tu crois qu'il pourrait être de mèche avec Lui ? [Pourquoi mettre une majuscule à "Lui" ? Le mettre en italique suffit.]<br />La situation était presque surréaliste ["surréaliste" : encore un tic de langage condamné par l'Académie française. Je propose : insolite, inattendu, surprenant, incroyable, invraisemblable]<br />se transformant en une jeune femme mature et réfléchie [mûre et réfléchie]<br />La princesse avait conscience des efforts fournis par Shan pour éviter de tout envoyer balader mais elle savait également [Il faudrait ajouter une virgule avant "mais".]<br />Je suis certaine qu'Algonn pourrait nous apprendre beaucoup de choses, il doit connaître sa manière de fonctionner. [Je mettrais deux points à la place de la virgule.]<br />Lui et Kerian se connaissent, et ça date d'une période où il se trouvaient tous les deux au château [ils / la virgule avant "et" est superflue]<br />La jeune femme se figea, les yeux écarquillées [écarquillés]<br />La précarité de la situation les avait rattrapé [rattrapés]<br />Les lèvres d'Ayleen s'étirèrent légèrement mais la raison qui l'avait poussée [Il faudrait ajouter une virgule avant "mais".]<br />Elle tenta bien de prendre Shan à parti pour exprimer son inquiétude [On écrit "prendre à partie" et ça veut dire "s'en prendre à qqn". Il faudrait modifier la phrase.]<br />pour exprimer son inquiétude au sujet de la réaction du peuple mais Algonn balaya ses arguments [Il faudrait ajouter une virgule avant "mais".]<br />une véritable rédemption et une possibilité de changement unique [Ici, "unique" peut qualifier "changement" aussi bien que "possibilité". Pour lever l'ambiguïté, je suggère : "une possibilité unique de changement".]<br />Bien qu'elle ne se souvienne pas de sa présence [Bien qu'elle ne se souvînt pas, subjonctif imparfait]<br />Elle n'était pas sûre de savoir comment ni pourquoi ils pouvaient placer une telle foi en ses actes mais elle ne voulait les décevoir pour rien au monde. [Il faudrait ajouter une virgule avant "mais".]<br />Elle aurait pu s'effondrer et se laisser submerger mais l'éducation de son père l'avait dotée d'une volonté à toute épreuve. [Il faudrait ajouter une virgule avant "mais".]<br />C'était plutôt bon signe mais la jeune femme ne parvenait pas à s'en réjouir [Il faudrait ajouter une virgule avant "mais".] <br />Vu son passé et son caractère, ce n'était pas gagné d'avance mais ils étaient bien là aujourd'hui, prêts à la soutenir. [Il faudrait ajouter une virgule avant "mais".]<br />Non, elle n'avait définitivement pas le droit de les décevoir. [On dirait une traduction de "definitly", donc un anglicisme. Je dirais "décidément".]<br />Puis, quelques applaudissements commencèrent à se faire timidement entendre. [La virgule après "Puis" est de trop.]<br />Mais, l'entrée en matière du forgeron les avait enthousiasmés, réveillant la flamme de l'espoir [La virgule après "Mais" est de trop.]<br />les battements de son cœur était si intenses que la demoiselle crut bien défaillir [étaient]<br />Quoi qu'il en soit, un calme relatif finit par s'installer. [On dirait que tu es brusquement passée au présent. Pour lever l'ambiguïté, je propose : "Quoi qu'il en fût".]<br />Et donc, se débarrasser de la créature qui l'usurpait. [La virgule après "Et donc" est superflue.]
Voilà pour aujourd'hui. À demain, si j'y arrive.
Oui, le masque de Kerian n'aura pas tenu très longtemps. Le fameux attrait du pouvoir, tout ça... ^^
Effectivement, Saraï a tendance à se faire des films (un peu comme moi en fait) et l'absence de ses aînés n'est pas pour l'aider, loin de là. Le passage que tu évoques c'est celui où elle se tient à la porte je suppose ? Je tâcherai de regarder ça. En même temps, je compte demander une BL prochainement. Ce sera l'occasion de revoir ce genre de passages.
J'imagine que la scène du discours fait un peu cliché dans son genre, mais il me semblait indispensable qu'Ayleen fasse face au peuple à un moment donné. J'ai pensé que c'était le meilleur moyen de mettre ses résolutions à l'épreuve. Cela dit, le plus dur est encore à venir.
"Depuis ce jour, je ne rêve que d'une chose : me venger. Mais je ne pourrais pas le faire seule. C'est pour ça que je viens solliciter votre aide. / J'ai vu votre souffrance quotidienne et je veux y mettre fin. Et, croyez-moi, je suis la personne la mieux placée pour le faire." Peut-être est-ce que certaines phrases mériteraient d'être liées entre elles... Mais surtout, je trouve qu'il manque un lien les deux parties du discours (là où j'ai mis un /)... Juste une phrase du genre "et en contrepartie, je vous aiderais" (en plus beau)...
Hi, j'adore les discours !
Bon, faut pas me demander pourquoi. Juste que ça me colle des frissons <3 Et le tien ne fait pas exception à la règle, loin de là ! J'ai adoré toute cette scène, l'émotion qui s'en dégage... Surtout qu'on dirait que ça a plutôt bien marché, non ? (Tu as intérêt à me dire que oui, ça a marché xD)
C'est cool cet espoir, cette solution, par rapport à l'affeux message du capitaine au début... (Pas Saraï, pas Saraï :: )
J'ai beaucoup cherché mes mots en l'écrivant (il faudra encore bien que je relise cette partie) tout en essayant d'en faire ressortir une certaine intensité. Et si tu as pu ressentir ça à la lecture, honnêtement ça me touche beaucoup ! <3
Il faut toujours une lueur d'espoir au milieu des ténèbres =)