31. Signes de faiblesse

Par Slyth

Deux jours. Après les révélations de la princesse sur la place publique, Algonn leur avait demandé d'être indulgents. Selon lui, les gens allaient avoir besoin de temps pour digérer les récents événements. On ne pouvait pas mettre une rébellion sur pied en un claquement de doigts. Mais cela faisait deux jours que rien n'avait bougé et la patience des jeunes gens était mise à rude épreuve. Ils dormaient mal, chacun de leur côté, incapables d'éradiquer l'inquiétude qu'ils ressentaient pour Saraï. Il devenait de plus en plus difficile de trouver les mots pour réconforter l'autre. Et puis aucun ne souhaitait aborder un sujet différent, encore moins celui qui concernait ce qui s'était passé entre eux. Alors ils gardaient le silence, ruminant leurs angoisses et cloisonnant leurs sentiments. Tous deux prenaient conscience de la fraîcheur que la fillette apportait au sein de la maisonnée. En sa présence, tout devenait plus facile. Plus joyeux aussi. Sans elle, les lieux paraissaient bien tristes. Et ce vide qui s'était sournoisement glissé dans leurs cœurs grandissait au fur et à mesure que les heures s'égrenaient.

 

Ce matin-là n'avait pas fait exception au précédent : ils s'étaient levés tôt, incapables de faire semblant de somnoler plus longtemps, se saluant sans enthousiasme, chacun essayant de masquer sa déception de n'avoir aucune nouvelle. Bien entendu, Shan était le plus impatient des deux. Et, malgré les paroles rassurantes de sa compagne à ce sujet, il était évident qu'il n'hésiterait pas une seule seconde à s'élancer dès que le moindre changement surviendrait.

Pour l'instant, Ayleen prenait surtout conscience d'une chose : l'atmosphère qui régnait ici l'étouffait et elle ne supportait plus cette situation. Elle ne savait plus quel sujet aborder avec le jeune homme et son humeur maussade ne facilitait rien. N'y tenant plus, elle finit par quitter le tabouret sur lequel elle s'était assise.

 

« Je vais faire un tour, annonça-t-elle. »

 

Aucune réponse intelligible ne lui parvint. Le garçon se contenta d'un grognement pour marquer son assentiment. S'efforçant de ne pas le prendre contre elle, la princesse leva les yeux au ciel et se dirigea vers la sortie. Comme elle ouvrait le battant, un sifflement retentit et une flèche atterrit brusquement à ses pieds, lui arrachant une exclamation de frayeur. Son premier réflexe fut de tourner la tête en tous sens pour espérer repérer le coupable mais, qui que ce soit, il était hors de vue. Puis elle entendit des bruits de pas précipités et Shan apparut à ses côtés. D'un rapide coup d’œil, il s'assura qu'elle n'avait rien avant de reporter son attention sur le carreau : ses sourcils se froncèrent et il se baissa vers sa trouvaille. Lorsqu'il se redressa, il tenait un morceau de papier entre ses mains et affichait une grimace de mauvais augure. Tandis qu'il le déroulait, Ayleen s'approcha pour lire le message.

 

Je suis déçu. Dire que je m'attendais à vous voir débarquer au bout de quelques heures...

Au lieu de cela, vous vous amusez à tenter de rallier les Demis à votre cause.

Quelle déception vous me causez, Princesse.

Croire que cette bande de pouilleux pourra vous être d'une aide quelconque !

Cela dit, c'était amusant de vous voir vous ridiculiser devant ces misérables.

Il semblerait que vous ne valiez pas mieux qu'eux, finalement.

Et dire que cette pauvre petite comptait sur vous...

 

« L'enfoiré ! grogna le jeune homme. »

 

Il se redressa avant de froisser la missive et de l'envoyer au loin. Les traits tendus, la mâchoire crispée, il tremblait de rage.

 

« Ce n'est pas possible... murmura la souveraine.

— Quoi ? Tu vas pas me dire que tu le crois pas capable de lui faire du mal ! s'écria-t-il aussitôt en lui jetant un regard noir. »

 

Elle le regarda, les yeux écarquillés. Le choc se lisait sur son visage mais la raison était autre.

 

« Il était là, affirma-t-elle, estomaquée. »

 

Le garçon fronça les sourcils : il ne comprenait pas où elle voulait en venir.

 

« Il... il sait ce qui s'est passé, poursuivit la jeune femme, affligée. Le discours et tout le reste. D'une manière ou d'une autre, il était présent. Quelque part. »

 

Cette idée la perturbait : non content d'avoir déjà pris l'avantage sur eux, Kerian continuait de les défier ouvertement. À quel point devait-il se sentir sûr de lui pour penser avoir ainsi tout pouvoir sur eux ? C'était inquiétant. Et d'autant plus rageant que leurs efforts pour le contrer demeuraient vains !

 

« Il faut l'arrêter. Maintenant, décida-t-elle. »

 

Shan l'observa, interloqué. Dire que c'était lui le plus impatient des deux et qu'elle s'était efforcée de le raisonner afin qu'il se montre plus patient ! Et, à présent, c'était elle qui voulait foncer au palais sans réfléchir ? Non que ça ne lui convienne pas mais...

 

« Tu... tu es sûre ? risqua-t-il.

— Il a trahi ma confiance, enlevé Saraï et il croit pouvoir nous manipuler à sa guise. C'est terminé.

— On dirait qu'il tient à nous faire venir...

— Pourquoi le décevoir dans ce cas ? S'il veut une petite visite, on va lui en rendre une. Et on récupère ta sœur, coûte que coûte. »

 

Elle était déterminée, ça ne faisait aucun doute. Et, dans cet état, rien ne saurait l'arrêter.

Les deux jeunes gens se lancèrent un regard entendu avant de retourner à l'intérieur. Il était temps de se préparer.

 

§

§    §

 

En dépit de leur empressement, ils jugèrent plus prudent de tenter de s'infiltrer dans le château une fois la nuit tombée. Bien entendu, leurs armes furent les premières choses qu'ils pensèrent à emporter : nul doute que Kerian les attendrait avec un comité d'accueil et ils ne comptaient pas lui faciliter la tâche. Peut-être auraient-ils dû mettre à profit cette journée en tirant parti d'un entraînement sous la guidance de Caecilia. Peut-être auraient-ils dû confier leur mal-être à Algonn. Mais ils n'en firent rien, chacun préférant ruminer les récents événements dans son coin. Ils étaient conscients qu'aucun de leurs mentors n'aurait approuvé cette escapade. Et ils ne voulaient pas avoir à essuyer un refus supplémentaire.

Nonchalamment accoudée à la fenêtre de sa chambre, Ayleen repensait à sa révélation : elle s'était dévoilée aux yeux du royaume et puis quoi ? À quoi s'attendait-elle au juste ? S'imaginait-elle que le peuple aurait été touché par sa sincérité et se serait précipité pour prendre les armes ? Et ensuite sans doute auraient-ils marché tous ensemble sur le palais, unis derrière une cause commune. La bonne blague ! Il fallait se rendre à l'évidence et faire face à la réalité : les gens n'étaient pas dupes, personne n'irait affronter une menace inconnue et risquer sa vie pour elle. Elle n'avait aucun droit de leur demander un tel sacrifice. Qu'avait-elle fait pour eux en tant que souveraine ? Rien. Il était donc logique que personne ne souhaite lui apporter son soutien en retour. Oh c'est vrai, il y avait Caecilia, Algonn, Shan et Saraï... mais comment une poignée d'individus pouvait espérer faire la différence ? C'était à se demander si tout cela en valait vraiment la peine.

 

Elle s'était assoupie lorsque Shan vint lui annoncer qu'il était temps de partir. La cruauté des faits lui revint en mémoire tandis qu'elle s'avisait de son air grave : à cause d'elle, une jeune fille était en danger. Celle-là même qui avait choisi de lui faire confiance, sans détours ni calcul. La toute première personne à avoir cru en elle. La seule idée qu'il puisse lui arriver quelque chose rendait Ayleen folle. Peu importe que le reste du monde la méprise : tant que Saraï comptait sur elle, cela en valait la peine.

 

Ils avaient rapidement traversé la ville, désireux de ne pas se faire repérer. Sûr de lui, le jeune homme leur fit emprunter des ruelles discrètes, évitant les grandes artères. Toutefois, il semblait que personne ne tienne à s'attarder à l'approche de la nuit : les attaques éclair des sbires du "Seigneur Sombre" restaient gravées dans les mémoires et incitaient à la plus grande prudence. Nul ne prêta donc attention à eux et ils parvinrent sans trop de peine au passage qui reliait le palais au reste de la cité : une large ouverture creusée au cœur même de la muraille et généralement bien surveillée. Du moins, c'était ce qu'Ayleen avait entendu dire étant donné le peu d'individus autorisés à faire l'aller-retour. Aussi fut-elle surprise de n'apercevoir que deux gardes postés sur place. Mais elle se raisonna : vu la situation actuelle, peu de gens devaient chercher à accéder à la cour. Et, même si que les soldats arboraient le blason royal, elle savait qu'il ne fallait plus s'y fier : il s'agissait des hommes de Kerian, désormais.

D'un commun accord avec son acolyte, ils ralentirent le rythme de leurs pas et s'approchèrent le plus discrètement possible en rasant la muraille de façon à ne pas être vus. Une fois à quelques pas de leurs opposants, Shan se baissa pour ramasser une pierre. Devinant ce qu'il avait en tête, la jeune femme jugea plus prudent de faire de même. Son compagnon lui jeta un bref coup d’œil pour s'assurer qu'elle était parée avant de projeter son caillou devant eux. Les gardes sursautèrent et tournèrent la tête en direction du bruit. Le garçon profita aussitôt de cette ouverture : récoltant un second galet, il se lança à l'assaut du soldat le plus éloigné et le frappa violemment à la nuque. Ayleen demeura interdite durant une demi-seconde avant de se ressaisir : elle empoigna son arme improvisée et s'attaqua au deuxième homme avant qu'il n'ait eu le temps de comprendre ce qui se passait. En moins d'une minute, leurs adversaires s'effondrèrent au sol. Sans perdre une seconde, Shan fit signe qu'ils pouvaient poursuivre leur route et la princesse ne put s'empêcher de grimacer en voyant les corps évanouis : malgré l'entraînement qu'elle avait suivi, s'en prendre à d'autres êtres humains de cette façon ne la laissait pas indifférente. Ah, il était loin le temps de ses blagues cruelles aux serviteurs !

Une nouvelle fois, Ayleen dut prendre sur elle afin de récupérer le contact avec réalité. Secouant la tête, elle serra les poings et se mit en marche, les yeux fixés devant elle. Là, plus proches que jamais, les murs du château paraissaient étendre leur ombre sur elle.

 

§

§    §

 

Ils s'étaient attendus à se retrouver brutalement encerclés. Ou même à ce que Kerian prenne la peine de les accueillir en personne. Mais certainement pas à des couloirs déserts plongés dans la pénombre ! Ils progressaient avec prudence mais Ayleen était loin de se sentir à l'aise. Autrefois, la grandeur des lieux lui conférait un sentiment de pouvoir et de sécurité. Aujourd'hui, ce vide se révélait bien plus angoissant, susceptible d'abriter la moindre menace.

 

« J'aime pas ça, marmonna-t-elle. »

 

Ce n'était qu'un murmure mais, vu le silence qui régnait, son compagnon le perçut très clairement. Il interrompit son exploration et se tourna vers elle, essayant d'afficher un air rassurant.

 

« C'est comme moi dans le bois, souffla-t-il d'un air complice.

— Et nous revoilà en train de chuchoter comme si le ciel allait nous tomber dessus, répliqua-t-elle avec malice.

— Ça va aller. »

 

Il s'était efforcé d'utiliser un ton calme tout en réprimant un rire. Pas très efficace donc, mais cela eut au moins le mérite de la réconforter un peu.

Du moins durant les cinq secondes que cela dura. Comme le jeune homme avait repris sa progression, il fut soudainement assailli et plaqué à terre par trois silhouettes surgies de nulle part. Étouffant un cri de surprise, Ayleen eut à peine le temps de porter la main à son arme. Mais, avant même qu'elle puisse dégainer, un violent choc la percuta à l'arrière de la tête. Les ténèbres lui tendirent les bras avec impatience.

 

§

§    §

 

La jeune femme reprit conscience après ce qui lui parut être des heures. Ses paupières s'ouvrirent péniblement et elle dut cligner plusieurs fois des yeux, agressée par la lumière qui régnait dans la pièce. Plusieurs secondes furent nécessaires pour que sa vision retrouve sa netteté originelle. Elle finit par percevoir le visage de Kerian en face du sien. Surprise, elle voulut se redresser mais des liens la maintenaient fermement attachée à la chaise sur laquelle on l'avait placée.

 

« Voilà notre belle princesse qui daigne enfin ouvrir les yeux, commenta le chevalier avec ironie.

— Espèce d'ordure, c'était un piège ! cracha-t-elle en retour.

— Croyez-vous sincèrement que j'allais me contenter de vous laisser entrer ici impunément pour reprendre le trône ?

— Qu'avez-vous fait de Saraï ? s'agita-t-elle dans une vaine tentative pour se libérer.

— Mais cette délicieuse demoiselle est ici, bien entendu. Pour quel genre de monstre me prenez-vous donc ? »

 

Déconcertée par le ton faussement choqué employé par son opposant, Ayleen suivit la direction qu'il lui indiquait. Ce faisant, elle réalisa qu'on ne l'avait pas emmenée n'importe où : il s'agissait de la salle du trône. Le capitaine voulait certainement l'humilier en la plaçant aussi près de son objectif, tout en le rendant inaccessible. Pourtant, il était bien là, juste au fond de la spacieuse pièce. Mais, pour l'instant, tout ce qui importait c'était la fillette qui la contemplait, les bras croisés et une lueur de colère au fond de ses yeux noisette.

 

« Tu... tu vas bien ? balbutia la princesse, incapable de réfléchir.

— Bien sûr. Mais pas grâce à vous, répondit-elle avec une fermeté inhabituelle. J'espère que votre petit voyage s'est bien passé. Ça fait quand même plaisir de voir que tu ne m'as pas totalement oubliée ! »

 

La souveraine fronça les sourcils, troublée par la dureté de ses propos. Mais qu'est-ce qui se passait ?

 

« Mais... mais évidemment que non. On revenait te chercher et on ne t'a pas trouvée. Parce qu'il t'avait enlevée ! »

 

Elle avait repris un peu d'assurance sur ces derniers mots, désignant le coupable d'un signe de tête rageur. Ce dernier observait la scène avec un calme étonnant, un léger sourire au coin des lèvres.

 

« Il a pris soin de moi plutôt, répliqua aussitôt la gamine. Au moins quelqu'un qui semble se soucier vraiment de moi et qui n'est pas sans arrêt en train de me cacher des choses !

— Qu'est-ce que tu racontes ? Je ne te reconnais pas ! »

 

L'incrédulité rendait Ayleen fébrile. Mais le plus douloureux, c'était cette rancœur qu'elle lisait dans le regard furieux de la fillette : elle était méconnaissable. Cela ne lui ressemblait pas, mais cette colère paraissait sincère. Et, même si elle ne savait pas exactement ce qui l'avait provoquée, la souveraine sentit les larmes lui monter aux yeux.

 

« Pourquoi tu dis des choses pareilles ? tenta-t-elle de reprendre avec bravoure. Je ne comprends pas ce qui se passe.

— Le capitaine Kerian m'a tout expliqué ! »

 

Saraï poursuivit avec un entêtement perturbant en expliquant que le chevalier lui avait avoué que les plans de la princesse étaient demeurés inchangés : récupérer son trône et le contrôle du royaume par la même occasion. Peu lui importait son séjour dans les bas quartiers, tout cela ne compterait bientôt plus une fois qu'elle aurait retrouvé son pouvoir. Oh, peut-être qu'elle allait bel et bien tenir parole et que la situation du petit peuple s'améliorerait, mais la souveraine de Kaïs n'avait pas l'intention de quitter à nouveau son cher palais pour se mêler au commun des mortels. Cela revenait à faire une croix sur tout ce qu'elle avait vécu jusqu'alors.

Arrivé à cette partie, le discours de la fillette s'était fait moins assuré tandis qu'elle laissait petit à petit transparaître sa blessure intérieure.

 

« Tu ne m'as jamais rien dit... murmura-t-elle, accusatrice.

— Mais parce que c'est complètement faux ! s'écria la jeune femme, abasourdie.

— Pourquoi je te croirais ? Après tout, t'as jamais caché que tu voulais retrouver ta place sur le trône ! Même Shan le savait, hein ?

— Q... quoi ? Comment ça ?

— Toutes ces fois où vous m'avez laissée en arrière, toutes ces mauvaises excuses ! En réalité vous aviez vos propres plans, n'est-ce pas ?

— Comment tu peux dire ça ? On tient à toi et on voulait juste te protéger. Je n'avais pas envie qu'il t'arrive quoi que ce soit.

— Vraiment ? On ne dirait pas que ce qu'on a vécu compte pour toi. Tu pensais juste à ta couronne ! »

 

La voix de la petite se brisa sur ses dernières paroles tandis que les larmes tant retenues commençaient à rouler sur ses joues. De même, Ayleen sentit l'eau s'échapper de la barrière de ses yeux. Elle ne voulait pas, ne pensait pas... Bon sang, elle n'avait jamais voulu blesser Saraï ! La voir aussi changée, tourmentée au point de se convaincre que celle qu'elle avait prise sous son aile n'avait aucune affection pour elle et s'apprêtait à la trahir... Ça faisait mal. Comme si son cœur s'était mis à saigner. C'était si douloureux que la princesse brûlait de pouvoir la prendre dans ses bras et lui demander pardon pour toutes ses erreurs. Mais elle était pieds et poings liés. Elle ne pouvait que regarder la fillette s'effondrer, sans pouvoir rien faire d'autre.

 

« Tout ce qu'elle demandait, c'était un peu d'affection. Mais c'était trop vous demander, commenta Kerian. »

 

Son intervention ramena la prisonnière à la réalité. Vu la dureté de la situation, elle avait oublié sa présence et ce rappel fut déplaisant.

 

« La ferme, murmura-t-elle, incapable de se rebeller avec plus de vigueur.

— Vous avez voulu lui faire croire que vous aviez changé alors qu'il n'en était rien. Il vous fallait juste un nouveau public à impressionner. Quitte à inventer une histoire délirante au sujet du siège de votre palais et d'une sombre menace qui vous aurait soi-disant forcée à abandonner votre place.

— Comment pouvez-vous... Vous avez vécu cette attaque ! s'embrouilla la jeune femme. »

 

Elle ne savait plus quoi penser. Elle n'avait pas pu rêver et imaginer tout cela ! Les serviteurs avaient bel et bien été assassinés et les attaques contre le petit peuple n'étaient pas une invention, même si elles avaient été commises par des créatures cauchemardesques. Tout cela devait avoir été orchestré.

 

« Comment expliquez-vous que nous soyons ici alors que le château est censé abriter la terrifiante "Terreur Noire" ? l'attaqua le chevalier. »

 

Ayleen ouvrit la bouche avant de la refermer, impuissante. Elle n'avait pas la réponse à cette question. Et, maintenant qu'elle avait été posée, toute l'aberration de la situation lui apparaissait : si ce lieu était devenu son nouveau territoire, où se trouvait donc cette créature ? Depuis toujours, son nom était mentionné avec crainte et seules de vagues rumeurs tentaient de soutenir la preuve de son existence. Serait-il possible qu'ils se soient fourvoyés dès le début ?

 

« Et vous osez prétendre au trône ? relança l'homme. Regardez-vous, vous n'êtes même plus capable de faire la différence entre illusion et réalité. Vous êtes complètement délirante ! »

 

Abattue, la jeune femme garda le silence et baissa la tête. Il avait raison.

 

« C'est pourquoi je suis là. Je vous demande de me confier les rênes du royaume. Abandonnez votre pouvoir tant qu'il est encore temps. Je ne veux que vous aider. »

 

Indifférente, elle se redressa pour l'observer du coin de l’œil. Mais lorsqu'elle vit son expression triomphante, le regard rassurant qu'il lançait en direction de Saraï désavoué par son sourire mauvais, l'énergie de la colère déferla à nouveau dans ses veines. Impossible de croire qu'il ne pouvait vouloir que son bien : il se servait de la fillette et, à travers elle, il tentait d'anéantir sa volonté. Il était hors de question qu'elle le laisse faire ! Il fallait qu'elle le force à dévoiler ses véritables intentions.

 

« Jamais, déclara-t-elle d'un ton qui ne souffrait aucune réplique. »

 

Le sourire du capitaine s'évanouit, comme s'il ne s'attendait pas à une nouvelle résistance. Mais sa déconvenue fut brève.

 

« Je vous ai ménagée jusqu'à présent, mais je vous déconseille de poursuivre cette futile opposition.

— Oh allons Kerian, vous me connaissez mieux que ça. Vous savez à quel point je peux être têtue, le nargua-t-elle.

— Ah c'est comme cela ? Dans ce cas, nous allons voir qui sera le plus obstiné. »

 

Le chevalier avait perdu sa bonne humeur et les traits de son visage s'étaient crispés. Il frappa plusieurs fois dans ses mains. À son signal, les portes de la salle s'ouvrirent et deux goules entrèrent en traînant un jeune homme évanoui entre elles. L'assurance qu'Ayleen pensait avoir retrouvée s'envola lorsqu'elle reconnut Shan et elle se sermonna intérieurement pour sa négligence : il l'avait accompagnée jusqu'ici, comment avait-elle pu se désintéresser ainsi de son sort ?

L'exclamation étouffée de Saraï la poussa à tourner la tête dans sa direction : apparemment, la fillette ne s'attendait pas à voir son frère ici. Mais l'expression apeurée de son visage signalaitqu'elle n'avait pas non plus imaginé la présence de ce repoussant duo. Kerian devait lui avoir caché l'existence de ces créatures au sein du palais. D'ailleurs, il s'empressa de s'agenouiller auprès d'elle pour poser une main rassurante sur son épaule.

 

« Je ne souhaitais pas en arriver là ma chère, lui confia-t-il. Mais il est nécessaire que notre invitée ici présente accède à ma requête. Je vous assure qu'il ne lui arrivera rien de mal. »

 

Bien qu'elle semblât loin d'être rassurée, Saraï hocha lentement la tête. Satisfait, le capitaine reporta son attention sur la princesse. Cette dernière fronçait les sourcils, incertaine quant à l'attitude à adopter face à son adversaire. Qu'avait-il donc l'intention de faire ?

 

« Vous avez beau vous cacher derrière votre carapace depuis tout ce temps, vous n'êtes pas infaillible.

— Qu'est-ce... qu'est-ce que vous voulez dire ? hasarda Ayleen.

— Tout ce temps passé auprès de vos hôtes... vous avez fini par vous attacher. C'est une faiblesse. Et vous allez regretter cette erreur. »

 

Les battements du cœur de la souveraine avaient repris avec plus d'intensité que jamais tandis que les traces d'une inquiétude inconnue se peignaient sur ses traits. Elle n'osait comprendre ce qu'il voulait signifier par là et avait peur de le découvrir.

Sur un signe de leur maître, les goules déposèrent leur fardeau sans ménagement au pied de l'une des nombreuses colonnes qui soutenaient le plafond. Shan grogna sous l'impact : il commençait à reprendre conscience. Mais, avant qu'il ait eu le temps de comprendre quoi que ce soit, les deux monstres l'agrippèrent chacun par un poignet et entreprirent de l'attacher solidement au pilier. À cet instant, plusieurs soldats firent leur apparition. La majorité alla se poster aux côtés de leur chef mais l'un d'eux se détacha du reste du groupe pour s'avancer en direction du jeune homme. Imperturbable, il porta la main à sa ceinture et en tira un fouet qu'il entreprit de dérouler méticuleusement.

Saraï poussa un cri et tenta de s'interposer mais c'était sans compter les deux soldats qui la tirèrent en arrière et s'occupèrent de la maîtriser. Furieuse, Ayleen tenta une nouvelle fois de se défaire de ses liens sans jamais quitter du regard la fillette dont les yeux laissaient échapper de nouvelles larmes. Toutefois, se débattre était inutile. Pour l'une comme pour l'autre. Et cette impuissance les assommait.

Le souffle court, frémissant de colère, la princesse reporta son attention sur le chevalier.

 

« Vous n'oserez pas, menaça-t-elle avec une audace qu'elle espéra convaincante.

— Oh ma chère, je suis déçu. Je pensais que vous me connaissiez mieux que ça. »

 

Ravi de sa réplique, il sourit avant de faire signe à ses acolytes. Et le fouet claqua.

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Rimeko
Posté le 14/09/2016
Coucou Slythette !
Donc, la suite... Je vais y arriver, on y croit ^^
 
Suggestions :
"Quitte à inventer une histoire délirante au sujet du siège de votre palais et d'une sombre menace qui vous aurait soi-disant forcée à abandonner votre place." Euh... si rien ne lui était arrivé, pourquoi se serait-elle retrouvée chez les Demis ? Je vois mal Ayleen y aller de son plein gré, même pour se faire flatter l'ego ^^
"Vous êtes complètement délirante !" Cet adjectif me fait bizarre... Disons que je l'utilise plus pour dire que quelque chose est génial-aberrant (comme juste en dessous, d'ailleurs ^^), pas pour qualifier une personne qui délire, même si ça me semble grammaticalement juste.
"Je vous demande de me confier les rennes (rênes) du royaume" Merci pour l'image mentale délirante xD
 
Elle aura sombré bien souvent dans l'inconscience ta pauvre demoiselle xD Et là, le réveil est loin d'être plaisant...  On s'y attendait, mais... Sans même parler du capitaine, juste Saraï... C'est très fort dont tu décris son sentiment de trahison, et la façon dont elle le jette au visage d'Ayleen... On comprend totalement la confusion de celle-ci, entre le fait d'être tombée dans un piège, la petite, les doutes que lui met Kerian... Même en tant que lecteur, on en est destabilisé !
Et cette fin de chapitre... J'avoue que je m'y attendais un peu, mais... non. NON. Par pitié ?
(Bon, juste une petite note là : j'essaye au maximum de faire mes commentaires comme si je ne connaissais pas la suite, parce que ça me semble plus... Voilà, je préfère retranscrire mes réactions à la lecture, comme celles à cette dernière phrase :P)
Slyth
Posté le 14/09/2016
Mais oui mais oui, tu vaincras la bête ! ><
Oui, je vois qu'il faut que je reprenne un peu tout ça. Et décidément moi et ces rennes... xD
Ah ah c'est vrai maintenant que tu le dis ! C'est peut-être une solution de facilité mais il faut dire qu'elle en a pas mal bavé quand même.
Concernant Saraï, j'avoue que je me questionnais beaucoup par rapport à la crédibilité de tout ça. Je m'arrêtais souvent pour réfléchir à la manière dont je pouvais tourner les choses. Ce que tu en dis me rassure pas mal du coup, merci !
J'aime beaucoup tes réactions, merci de les partager ! <3 
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