31 | Cours courage ! (1/2)

JULES.

Ekho l’est d’venue infernale. Depuis que Jules a discutancé avec Océane, depuis que Jules l’est r’venue avec la volonté d’raconter l’mensonge d’Océane à Jasmin pis Eustache, Ekho suffoppresse toujours plus Jules. L’Anima fait pas grand-chose, pourtant. L’est juste là debout à observer Jules et ses blyeux flamboient mille attentes. Toute proche, si proche que Jules sent souvent ses noircis ch’veux-mer qui lui titillent les bras, l’dos, les épaules, l’cou parfois. Ça lui fiche des frissons partout et Jules lui a déjà crié de s’en aller, que d’toute façon jamais elle change des vivèmes et rejoint Naïa. Mais Ekho l’est là et Ekho s’en va jamais. Jules a beau lui balancer dessus la poudre que Jasmin lui a r’filée, celle qui acido’ronge les idéelles au point d’les disparaître un ‘tiot moment, elle revient. Elle revient toujours plus résistante qu’avant. Plus en rage. Avec des blyeux qui luisent d’cette fichue zarbo flambeur.

C’est dans ces moments où Jules prend l’plus la trouille. Combien d’fois elle aura sorti son couteau, bien droit d’vant elle, sans savoir si c’est possible d’éventrer une idéelle mais elle hésitera pas, pour s’y protéger d’elle ? Combien d’fois elle aura glissé l’autre main dans la sacochine à sa ceinture, celle qui grouille d’poudro magique, dans l’intention de la re-re-re-re-re-re-rebrûlanter Ekho ? Même si elle sait, fichtrure ce qu’elle sait, Jasmin il en a pas en quantité infinie de c’truc-là. Faudrait p’t-être économiser, heh ? Et Ekho face à ça, elle aura toujours souri robusto. Nonchalante, elle s’sera adossée contre un mur, une bibliothèque, une armoire, qu’importe ! Elle s’adossera contre un machin en attendant patiemmo que Jules la disparaisse. Une nouvelle fois. Souriant épouvantable, observant l’couteau d’Jules avec hautainerie. Fierté. Comme si les manières de Jules c’était tout c’qu’Ekho voulait qu’elle manière. Mais schrogneugneu, c’qu’Ekho comprend pas, c’est que Jules ce qu’elle fait là maintenant, ça fait pas d’elle une personne féroce pour autant. Sérieux qu’est-ce qu’y lui manque pour qu’elle capische ça ¡¿! C’est pas pask’ Jules l’y tient un couteau qu’elle rejoint Naïa et sa violence ou quoi, franch !! Moi c’est juste pour m’protéger. M’défendre. Moi j’suis pas violente. Et j’sais bien que ses yeux l’y brûlent hhm-hhm et ça commence toujours comme ça mais chiasse moi j’vais l’y prouver l’contrario à Ekho. Que moi jamais j’méchonise. Et blam¡ que j’balance ma poudre en’magiqué sur Ekho. Et blam¡ qu’elle s’calcine dans un sourire l’plus conquérant du monde, et que j’la rah¡ mais grah¡ l’en déteste qu’encore plus. Gneh. J’juré moi qu’un jour elle regrettera d’être ça, d’être comme si elle savait tout sur Jules et pouvait dire c’qu’elle est ou c’qu’elle est pas.

Bougonneuse, j’m’assieds sur mon matelas croupissard qui m’sert de lit. Inconfortable comme jamais. J’éternue la fichue poussière qui tombe d’sous les poutres. J’renifle j’sèche mon nez, j’peste contre cette chambre que j’loue beaucoup trop chère sous les combles et qu’il l’est toute moisie. En plus tout l’argent que j’ai volé à ma famille d’accueil bah c’est bientôt plus d’argent du tout et après j’sais pas comment j’vais vivre. J’enfonce mon béret sur l’crâne, ça m’crache les yeux dans l’ombre. J’me ferme dans mes g’noux. J’renifle encore tandis que Louve s’approche soudain et s’couche à mes pieds, m’observant d’ses pupillo-suie. Cassées un peu. J’grognarde. J’détourne le regarde.

L’hic ¡ moi j’pensais qu’à partir de maintenant les choses ça s’rait simple mais en fait rien n’est simple. Ça fait trois jours maintenant que Jules l’est r’venue d’sa discutassion avec l’Ombilic et elle a même pas été cap’ d’raconter les choses à Jasmin pis l’Eustache. Tout ça à cause qu’il y a sa promesse dans l’colliard d’Angéline ! Fichtre de bigre de chiassure. Si Jules la brise, elle en sait rien c’que lui feront Panthera et Tatoora et Seigneura. Le pire, c’est que même pour les révélations d’Océane, comme quoi la flomadie cherche en vrai à détruire les mivages et pas trouver Achronie, elle a pas osé. Elle a essayé pourtant. Elle s’était tenue là toute prête devant les pauv’ zozios d’la Brocante, elle ouvrait la bouche mais soudain tous les mots s’sont bloqués dans sa gorge et après ils sont morts les mots et après c’était trop tard. Elle avait plus la foi d’rompre tout ce en quoi ils croient. Océane l’avait prévenue en plus qu’elle oserait pas et v’là : c’est exact’ c’qu’il se passe.

Fichtre. Vraiment c’est nullardise sur nullardise. Elle s’était promis pourtant Jules qu’elle allait réunir toutes les personnes des désillusions, entrer à l’Onde, s’libérer via la Voie flomade pis après tous les anéantir les mensongeurs. Elle fait rien d’tout ça. À la place, elle muette et s’retranche sur l’aut’ truc : elle attend qu’une effréelle se r’pointe. Si avec son pouvoir d’idéellation, Jules entre dans la tête d’la victime et empêche qu’on lui change son vivème, Ekho elle comprendra que Jules suit certaino pas la voie naïenne et qu’alors ça sert à rien, oué, sert à rien d’lui coller aux basques comme ça en lui bousillant la vie entière. Vrai quoi. C’serait trop la logique. C’est son plan du présent à Jules. Son meilleur raccourci pour qu’on lui foute la paix. Mais ¡¡ bordel de bigre, même les effréelles, Juliot-Jules l’y arrive pas.

Elles ont pas manqué pourtant. On les a même montrées à la télé je crois une fois quand Jules l’a regardé à travers la vitrine d’un café. Mais Jules à tous les coups elle arrivait trop tard. La première fois, le temps qu’elle rejoigne l’endroit où il pleuvait des cendres brûlantes, elles s’étaient dissipées. Alors ça voulait dire le vivème avait été changé sans qu’elle puisse rien faire. La deuxième fois, elle y était au milieu de l’effréelle-brouillard qui était si sombre et si lourde comme une avalanche qui tournoyait les gens dans tous les sens mais Jules l’a été incapable de repérer la proie de l’Anima de Céleste au milieu d’tout… ça. Toute cette panique et toute cette angoisse et toute cette impuissance. En plus, visuello, quand Jules elle métamorph’, elle r’ssemble tellement à l’une des deux idéelles qui avaient flotté près des rats, durant la nuit noire, c’est comme si elle les avait remplacées les deux ou j’en sais rien ? Alors l’y a plus personne pour la guider et ça la frustre l’enrage comme pas permis.

Fichtre de bigre. Chniffure d’nez, Jules gratouille ses oreilles à Louve. Jules fronce son front. Jules r’lève la tête. Jules regarde dehors par la f’nêtre crassouille. Jules voit les toits des immeubles et s’dit que si elle était en hauteur ça s’rait plus facile déjà d’les voir les effréelles au loin. C’est juste stupiot que les toits on peut pas y all– heh ? Un truc d’pétillé r’mue dans son ventre. Pas y aller, pas y aller ? Subito l’est debout. Mais bien sûr qu’on peut y aller !! Louve lève sa tête d’surprise et Jules s’électrise un sourire tout-fou aux lèvres. Ça y est ! Ça y est, j’y sais ! Me suffit de… ouais ! Grave ouais !! Ce s’ra ça d’temps d’gagné !

J’cours quasi. J’suis là. J’ouvre l’velux surexcitée, et alors que la chaleur frappe mes joues et que l’bruit grison charge à mes oreilles, j’me hisse, j’me faufile dehors sans l’hésitation aucune. À quatre pattes sur les tuiles, j’croche mes doigts où j’peux, j’grimpouille çà et là. J’crois que tout y tient le toit, la charpente dessous aussi, malgré que ça vétuste et fatigue le bâtiment des pauvres. Pouah ! C’est sacrément sale. Tout tâché, tout moisisseux avec plein de crottes d’oiseaux. Ça m’dérange rien du tout. En fait, même j’aime bien ? J’grimpe toujours plus haut, ignorant mes basquettes qui font grincer les tuiles avec un arrière-goût de casse-cou. J’souris comme une tarée la plus toquée des piquées, à cause que j’aurai grave une trop bonne vision de toute la Ville depuis là-haut ! Et qu’en plus, j’suis comme heureuse d’faire ça. C’est ça, un truc un peu foufou qui me sorte d’un quotidien tout pâle tout méchant.

J’dois dire, c’est dans ces moments où j’me sens la moins défaillante et fragile. J’y ai remarqué, à force : à peine mon corps s’met en mouvement que l’poids sur mes épaules s’dissipe et emmène avec lui beaucoup d’mes névroses des pires angoisses. Transparente dans mes mouvements, j’me sens jamais plus libre que quand j’bouge. Rien d’étonnant alors à c’que j’évolue sur les tuiles en trouvant mes appuis avec étonnante facilité, repérant par avance celles qui crochent moins bien. Haut, toujours plus adrénalinant ¡ Et à mesure que j’m’approche de la faîte, là-haut la crête de la maison, j’me sens Jules oui, mais aussi, étonnamment, un peu plus Juliette, comme si j’acceptais un bout de moi malgré tout. Alors, j’sais pas exactement ce que c’est, ce p’tit bout de ‘ette que je m’ajoute, mais c’est vrai que ça m’rend soudain toute patraque. J’glissouille. J’me rattrape, à peine consciente d’avoir patiné. J’comprends pas, pask’ moi j’ai jamais voulu être ‘tiote fillette, de celles qui sont sages et qui brodent des jolies robes. Alors pourquoi j’ai la fichue impression, à ramper sur des tuiles malpropres, que mes mains posent un bout de femme sur le toit ? Mais moi j’veux pas, pas, pas être une jolie demoiselle, autant passer pour un garçon et tant pis si ça rentre pas dans les codes. Moi j’ai comme l’impression d’être née en colère, moi j’ai vu passer beaucoup trop d’fichues mamans (maman-crotouille ouais!) dans les familles d’accueil et à chaque fois elles ont voulu m’éduquer, m’maquiller, sans comprendre que jamais j’me peinturlure la face si c’est pour jouer aux hypocrites. Et j’ai fugué, et j’me suis rebellée, de toutes les façons que je pouvais, d’aussi fort que je le pouvais. Et si j’ai fini par jouer aux garçonnes, c’est pas tant parce que je me sens comme tel, plutôt parce que l’image qu’on colle aux petites filles n’est pas la bonne et que je préfère celle qu’on colle aux garçons, à savoir celle de la force, de l’assurance et du courage, comme de l’éternelle indépendance. J’reprends l’escalade. Et j’pense à Océane, qui est femme et qui guerroie chaque jour. J’pense à Rosalia, qui est femme et qui panthère chaque jour. J’pense à Siloé, qui est femme et qui chiffre chaque jour. J’pense à Taya, qui est femme et qui bohème chaque jour. Et j’me dis que, p’t-être, il y a différentes façons d’être femme. P’t-être que je peux l’être tout en étant frustre parfois, jouer au casse-cou sur un toit, avoir les cheveux courts et les mains sales, porter un béret et une salopette, tout ça sans qu’il n’y ait de contradiction à ce que j’me sente féline, féminine. Hein ? Ou bien ? Femme à ma manière. Juliette à ma manière. Ma voie. Seule sur les routes orphelines. Dissidente peut-être et insoumise toujours.

Mes mains touchent la faîte. Mon coeur cabriole une fichtrement belle danse. J’me hisse. Et Juliette assise au sommet du monde, ses paumes qui tiennent fermement la corniche, avec chacune de ses jambes posées d’une part et d’autre du toit, elle peut pas s’empêcher de sourire avec force au soleil. Force et souffle délirant. Pis… pis… pis tout à k’, inspirée par la fureur de l’instant, elle y veut s’idéeller tant ça lui fait du bien c’pouvoir. Ça rendra l’moment encore plus surexalture. Sans Ekho, sans personne pour l’obscur’angoisser. Ouèche !

Les choses s’sont agitées tout dedans. La hâte l’était soudaine, comme si c’était urgent la métamorph’. Indispensable. Ça m’a coupé la respiration. Le rougeflot était déter’ dans mes veines, il sprintait violent, et cette vibration montait, toujours plus haut, toujours plus fort, battait à mes tempes,

poum’ poum’ poum’ mon coeur caracolant, mon coeur idéellique,

et lorsque Juliette, subito fatiguée du monde,

l’a baissé la tête, elle a vu ses basquettes transparanto-brilles,

ça y était,

la preste allure a ralenti

le souffle s’est alenti

il ne restait plus qu’un long écoulement diffus

une pensée en mouvement

et Juliette

comme une idée de Juliette

elle a levé ses mains ses bras

lumineux

fantômaux

si peu corporelle

que Juliette pourrait presque voir

à travers elle

et des rivières comme des fines stries

des rides

et du végétal comme des racines

des rides

en variation continuelle

un joli tempo de fleurs qui germent

l’eau qui furtivement ravine

on gigue on danse sur sa peau

si peu corporelle

que Juliette pourrait presque voir

à travers elle

 

sortie sous la blondeur du ciel soleil brûlant

Juliette a regardé

elle a vu

la Ville Statuaire

et les pensées du monde posées dessus

il y avait

d’autres idéelles

dans les ruelles

devant les porches

sous les auvents

sur les balcons

sans qu’elle comprenne d’où ça sortait

ce que ça signifiait

en fait elle n’a jamais compris

pourquoi quand elle s’idéelle la Ville Bétonnière

s’habille toujours d’une Forêt-idéelle

ce n’est pas la première fois que ça arrive

tous ces bouts d’imagination en lumière

il y a

des arbres des arbustes

des feuillus des résineux

qui fantôment au coin des rues

il y a

des racines des plantes

brillantes ardentes

qui dansent aux murs

pendent aux gouttières

il y a

les trottoirs transformés en chemin de terre

une prairie posée sur la route

l’herbe est jaune

cendrée par le soleil elle chancelle sous le vent

les oiseaux fendent le ciel

et les animaux de la forêt circulent çà et là

à côté des camions et des vélomoteurs

on a vu

un renard un lapin des écureuils

sur les chenaux où s’asseyent les oiseaux

un loup a couru devant le commerce

qui coiffe les gens

une biche s’est cachée entre les voitures

sur le parking

on a vu

un élan traverser le passage piéton

c’était

un monde fantomatique

des êtres idéaux

en effusion

un monde fantomatique

des idéelles qui le peuplent

qui y vivent

un monde fantomatique

imaginé

posé

sur le monde Sublunaire

on a vu

le vivant écrasant la Ville Bitumière

et Juliette en était toute émue

elle aurait aimé se promener dans les allées

au milieu des autres idéelles

comme si c’était là sa place

pour une fois

elle se sentait à sa place

dans la Ville-Forêt qui vibre en silence

pas un mot pas un couinement

que du muet qui remue

et tout tout tout est tellement beau

et tout tout tout rien n’a un début

ni une fin

écoulement de pensées

éclatées de soleil

sur ta peau

c’est alors qu’elle a vu

là-bas tout là-bas

pas si loin d’où elle se trouve

une effréelle

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