33 | Les momies'rionnettes (3/4)

JULES.

Sous l’terrible des rafales, entre les marins-revenants, j’cours et j’manque de tomber à plusieurs reprises mais j’glisse pas, j’sombre pas, et bientôt j’me retrouve là, devant le vieillard. Sans rien prendre l’temps de lui parler, je m’attaque à l’un de ces fils du ciel qui lui harponne le bras, et fichtre j’me brûle les doigts, pourquoi est-ce que la foutue cordelette elle est obligée d’être bouillasse comme ça ? Les mains cramoisies, toutes cendrées, m’en fiche j’continue quand même, me suffit d’mordre la lèvre pour contenir mon cri d’douleur et tout va bien, ça passe et passera. Mais rien ne coupe, rien ne tranche. Shrik shrik le filament est vraiment coriace et trop élastique, et brûlant surtout, les ampoules bouffent ma peau et lorsqu’une grande bourrasque secoue le bateau, j’perds l’équilibre alors forcé’ j’m’accroche au premier truc que j’ai sous la main. J’serre fort et j’crie lorsque la brûlure m’coupe presque la main en deux. J’lâche. J’tombe. J’roule. La pluie m’crible le corps. M’en fiche. J’rampe pour revenir vers pépé. Et ce n’est qu’à ce moment-là où j’remarque que, lui agenouillé, c’sont comme des toiles d’araignées dorées qui emprisonnent ses mollets. Et quoi ? Alors l’y a autant l’sol que l’ciel qui les enserrent les gens ? Et en plus, j’remarque, c’est pas seulement les cordons qui brillent, mais un tas d’trucs écrits sur sa peau grise toute fripée, comme des tatouages d’or. Et j’aurais bien aimé comprendre c’que tout ça veut dire, seulement c’sont des symboles que j’suis incap’ de lire. Et mon intuition me dit, même si j’comprends pas comment j’peux en être aussi sûre : les glyphes c’est comme si on avait posé la vie de pépé sur sa peau. C’est ça. Lus dans leur intégralité, ils racontent l’histoire du vieillard et réunissent tout c’qui a un jour fait sens pour lui. Et c’est d’une telle beauté que j’reste là, agenouillée, la bouche entrouverte, sans remarquer tout d’suite Orée qui m’a rejointe, croulé près de moi à cause d’un fichu sol qui titube.

_ Eh oui mes petits, mais que voulez-vous que je vous dise ? Le corps n’est rien d’autre sinon une surface sur laquelle s’empreintent les événements. Et quoi de plus élégant, quoi de plus vrai qu’une membrane toute en balafres ? Chaque jour le corps est pris d’assaut, renouvelé par la vie les pensées, les us les coutumes, les joies les catastrophes. Les sourires creusent les rides, les pleurs aussi. La gymnique vos mouvements distendent les muscles ou les fripent. La famine ratatine alors que l’appétit tonifie. Vos choix vos actions transforment les corps. Journellement, nuitément, on écrit sur lui. On écrit dans lui et il chavire dans l’intime. Châtié ou magnifié. Alors ne vous étonnez pas, non ne vous étonnez plus des cernes des dessins des cicatrices, ils sont signes d’existence et emblèmes de vivance.

Et tandis que l’Entrenoueuse s’remet à rire, voracée elle ne s’arrête plus, c’est surtout le gémissement presque infime qui s’évanouit dans la bouche de pépé que j’entends et qui dit : mon dos, mon dos…

À quatre pattes, j’contourne le corps et lorsque je l’découvre son verso, un cri m’échappe. C’est que fichtre de bigre ! Il est tout ensanglanté. Il est tout ensanglanté pask’ un poignard tenu par absolument personne, volant dans les airs, est en train d’entailler une partie d’son épaule. Et l’incision est en fait une phrase, et v’là le sang à travers la chair ça dit : « garantir l’avenir c’est ne rien donner au pr » et v’là les choses ça s’arrête là.

— Il manque cinq lettres, souffle Orée. Cinq lettres et l’ancien vivème est remplacé par celui-ci.

L’intervention d’Orée : j’ai sursauté. J’ai pas vu qu’il s’est pointé là à côté de moi et qu’il observe, horrifié, le dos saignant de m’sieur pépé.

— Comment tu peux être sûr de ça ? je m’alarme. C’est juste ton intuition ou… ? Pis l’vrai vivème ce serait quoi ?

J’sais pas si Orée il est cap’ de me répondre, en fait. Avec ses joues qui coulent l’ahurissement, il semble bloqué dans sa respiration et ses mimiques. Il m’entend plus et murmure, au moment où « pr » devient « pré » sous la pointe du poignard et que bientôt il sera « présent », oui Orée il murmure pour lui tout seul : plus que quatre lettres…

Et sa voix brésillée c’est plus triste que tout et ça m’réveille tout ça, d’le voir aussi égaré, compléto désaxé par rapport à ce qu’il s’passe autour d’lui. C’est comme si la violence dehors et lui là-dedans c’était total’ incompatible. Alors d’un geste assez crétin, sûr’ment ouais, mes mains enveloppent l’manche du poignard et mes bras ça tente d’empêcher la lame à ce qu’elle écrive la suite. Sauf qu’évidam’s, il y a d’la résistance. Et moi qui m’imaginais qu’il me suffisait d’harponner le poignard, le soulever pour qu’hop ! il arrête de charcuter la peau de pépé, j’me suis mis un sacré doigt dans l’oeil. N’empêche, même si l’enlever j’y arrive pas, j’parviens au moins à freiner sa progression. Ouais. Et j’me lève sans le lâcher, les deux pieds bien ancrés au sol. Et j’résiste j’résiste, de toutes mes forces, j’résiste j’résiste, lui qui veut continuer d’écrire mais que j’empêche d’écrire plus loin. Tu vas voir c’que tu vas voir, toi ! T’as beau être un poignard qui gigote tout seul, ça va rien m’empêcher d’batailler contre toi ! Non mais ! Et moi douchée par la houle du ciel, tirant fort sur le manche, j’grimace et j’sens mes maigriots bras qui chauffent, et j’gaine j’gaine, tous mes muscles s’compressent et le bateau ballotte à cause que ça hurle le vent pressé. Jointe aux cris des matelots, la pluie m’arrache les oreilles, fouette mon dos, et mes chaussures glissouillent par terre mais j’tiens bon, j’gaine et j’résiste j’résiste.

Puis, il y a eu Orée qui s’est agrippé à ma cheville. J’ai sursauté j’ai baissé la tête. J’allais lui dire dégage tes pattoches surtout me touche pas ! J’y ai pas pu. J’y ai pas pu parce qu’il s’tenait là, à quatre pattes, profondément ahuri et total’ hébété. Et son attitude c’était pire qu’avant, comme si vraiment la douleur autour de lui ça lui était incompréhensible et que jamais il aurait pu s’imaginer qu’une telle férocité dans l’monde c’était seulement possible. Ses doigts s’sont enfoncés dans ma peau, il m’a fixée la bouche entrouverte les yeux vitreux. Il cherchait une forme de soutien, j’sais pas trop, un soutien impossible à trouver ailleurs ? Et lui tout livide, il me disait, et moi je l’entendais très bien malgré le mugissement du vent et de la pluie, sûr’ment parce que ses mots soudain avaient une telle résonance en moi, et Orée il me disait :

— Mais moi j’ai vu, Lévie, je te jure que j’ai vu et je vois encore… dans le trou de leurs yeux, encastré dans leurs orbites… je vois tout… toute leur vie…

Et Orée a tourné la tête pour observer les momies’rionnettes, et un voile a recouvert son visage. J’ai compris qu’il n’était plus avec moi mais avec les autres. J’ai compris qu’il s’était perdu dans leur vie et leur mémoire et toutefois il parlait et m’expliquait encore :

— Chez la première, c’est une vie à craindre le noir. C’est une enfance à être enfermée dans le placard et ne rien voir sinon le noir, et attendre attendre que le temps passe et qu’on vienne la chercher avec dans la bouche une phrase comme la punition est levée. Mais elle n’a jamais voulu faire le mal. Mais elle on l’a murée et punie quand même, et chaque jour c’est un morceau d’enfance qu’on lui ôtait un peu plus. À sa droite c’est une vie en cache-misère la pauvreté. C’est une enfance à voir papa rentrer tard le soir, papa assommé par le travail et les factures d’électricité, papa couché dans un grignon d’immeuble où, là où tout est démuni, les rats se cachent sous la cuisinière sous la baignoire. Et il avait si honte de vivre avec des bestioles pareilles, si peur qu’elles lui arrachent les yeux pendant son sommeil. Son matelas posé par terre était troué par les mittes et grignoté par les rats, et lui dormait dessus, une boule immense nouée à l’estomac. Et lui n’en avait que faire des rires les bêtises puériles à son âge, pas lorsque les murs sont gris et le sol et le plafond aussi. La personne d’à côté c’est une vie à craindre le feu. C’est une enfance dans la maison de maman yeux rouges et maman pyromane, et la nuit de l’incendie où tout a brûlé sa chambre ses doudous sa maman malade, c’est une enfance éclatée qu’elle a retrouvée au réveil matin orphelin. Et… et… sa voisine, c’est une vie qui avale la guerre. C’est une enfance à aimer sa terre mais un jour c’est sous terre qu’on l’a enterrée, vivante, et jamais elle n’a compris pourquoi les militaires avaient fait exploser le quartier ni comment ils pouvaient tirer plaisir de ça, ensevelir vivants les survivants. Et le goût de la terre était si froid dans la bouche, si amer-mouillé lorsque sa gorge a dégluti la boue et le sang de papa maman, et jamais plus elle ne posera le même regard sur le monde, sa candeur enfantine s’étant faite ruine en même temps que les ossements de ses parents. Et là…

Orée dévie son regard sur la prochaine momie’rionnette, mais je crois qu’il supporte pas la vision qu’il voit pask’ alors il soubresaute un sanglot et préfère s’concentrer sur le vieux devant lui. Il a lâché ma cheville. Et debout sur ses genoux, mettant le plus de tendresse possible dans ses gestes, il s’empare du visage du vieillard. Il fait glisser ses paumes sur ses joues, relève sa tête baissée. Et moi j’bataille toujours avec le poignard. J’empêche que le nouveau vivème s’écrive jusqu’au bout. C’est un vivème qui jamais ne sera sien, j’jure que j’empêcherai ça. Et Orion murmure là en bas :

— Ici, c’est une vie à battre les champs sous le vrombissement des abeilles. C’est une enfance à labourer, labourer, labourer sous un soleil de plomb, et les gérants de la ferme en haut qui obligent les petits à creuser, semer, planter, couper, porter, récolter, travailler, travailler, travailler, et lui n’avait rien contre les abeilles, à vrai dire il les aimait même plutôt bien, en tout cas plus que les gérants de la ferme. Mais le jour où Monsieur le Directeur lui a enfoncé la tête dans une ruche pour le punir, il n’a plus jamais supporté le battement de leurs ailes, et surtout il avait les yeux trop boursouflés pour jouer espérer. Un jour d’été, lui aussi il était brisé. Lévie…

Orée a levé la tête. Et j’ai vu une telle sombreur dans ses pupilles grises, agrémentée d’un éclat froid de détermination, que je l’ai compris aussi affligé qu’assoiffé de justice. Et moi j’fatiguais, et moi j’savais pas combien d’temps j’allais encore pouvoir tenir comme ça.

— Les effréelles sont nées de leurs souffrances. Partout chez eux, des blessures, des failles… dans lesquelles l’Entrenoueuse a pu se glisser. Il y a eu les rats qui ont dévalé les rues, tu m’as parlé de cette nuit la plus noire des nuits, l’autre jour c’était des cendres qui sont tombées du ciel, il y a eu une pluie acide comme une pluie de sang, il y a eu un brouillard aussi épais que la terre, il y a eu les abeilles. Et pendant que les effréelles anéantissaient le Sublunaire, l’Entrenoueuse était ici en train d’altérer leur vivème. Comme c’est le cas, actuellement, avec ce vieux monsieur. Et je pense qu’elle a réussi. Je pense qu’elle a dénaturé plusieurs vivèmes et maintenant elle se déplace partout avec, avec… avec l’âme de ces gens ou j’en sais rien ? Et c’est pour cette raison que ces gens sont là aujourd’hui, esclaves, aveugles et muets sous son filet. Elle a fauché leurs espoirs, ils ne veulent plus rien voir et, vides, ils n’ont plus rien à dire. C’est pour cette raison aussi que, depuis tout à l’heure, la nuit éternelle nous nargue, le lac de sang nous noie, les rats nous rongent, les abeilles nous dardent, et quoi, alors… toute une série d’imaginaires combinés… dans le Pandémonium ?

Éclat de rire. Qui manque de me faire tomber tellement ça frissonne fort dans ma tête. C’est la perfidicoeur qui rigole, rigole, s’moque surtout, et qui répond :

_ Oh non, pas encore. Pas encore… Pour le moment, je me promène d’esprit à esprit, une chaîne de récits rattachés à moi. Avide, je cherche les vivèmes meurtris et, lorsque j’en trouve, je les réécris. Alors, c’est un maillon supplémentaire qui s’ajoute à ma cordillère de souvenirs, de peurs et de sombres imaginaires… Ne comprenez-vous donc pas ? Le Pandémonium est aujourd’hui un mivage oublié, négligé. Pas assez de personnes y croient pour lui donner une réelle survivance. Existence… Mais un jour, oh un jour ! Un jour, j’aurai une chaîne suffisamment longue pour lui rendre sa puissance d’antan. J’y assemblerai tout ce qui existe de plus abominable dans vos coeurs. Je prendrai votre plus grande faille, comme cette blessure d’enfance que vous n’avez jamais su consoler. Je prendrai vos peurs les plus irrationnelles, comme ces monstres invraisemblables qui, si vous ne les aviez pas imaginés, n’existeraient même pas. Je prendrai des bouts d’Histoire, comme les guerres, les conquêtes, les génocides. Je prendrai des vécus traumatiques, comme ce bateau qui a été pris d’assaut afin d’en couler les Hỳdōrs et qui n’a eu de cesse de hanter vos esprits, Elévie et Orion, vous qui étiez là et qui, aujourd’hui, êtes mes plus proches descendants.

Je crois que l’froid a bouffé mon coeur.

_ Ah mes petits, si vous saviez… La douleur et la souffrance humaines avivent la créativité avec une potentialité qu’on ne leur soupçonne souvent pas avoir. Sensation, obsession. À peine la peur vous effleure-t-elle qu’elle initie un cycle créatif aussi puissant qu’imprévisible. Et on ne fait pas rivaliser avec ça le simple rêve d’une vie meilleure. Allons, comprenez-vous ? C’est l’horreur et uniquement elle qui permettra de relever le Pandémonium et rendre justice à tous les souffreteux. Soigner le mal par le mal. Et ma récolte de tourmentes s’amplifiant chaque jour davantage, c’est une renaissance qui ne saurait tarder. En vérité, elle a déjà commencé. Là, voyez : à terre, le Pandémonium a déjà posé son premier pied, et furtivement il se lève. Ne percevez-vous pas son frémissement d’excitation et les affres qui se remettent à grouiller sous nos paupières ? Ne voyez pas qu’il est vain de résister et qu’il est temps de me rejoindre ?

Ben oui, l’Entre-sans-bide, j’vois bien que j’ai peur et que le désarroi ça m’tord les boyaux. Et que même, c’est ce qui t’aide à devenir plus suprême, plus vilaine. N’empêche, tu vas voir de ce que tu vas voir, toi !! Ce s’rait mal me connaître que d’penser que c’est la peur qui va v’nir à bout d’moi. Oh non... Ça : jamais !! C’est même tout l’contraire qui va s’passer. J’le jure à qui veut bien m’entendre : c’est la peur qui va me rendre plus forte et vaillante. C’est elle qui va finir par te crasouiller toi à terre tellement j’colère, sur l’moment. Ouais ! Pask’ son discours il a fait monter une sacrée rage dans mon ventre. Ça a chauffé mes bras, gneh moi jamais j’te rejoins toi ou Ekho, si bien qu’à force de hargner comme ça, c’est le poignard que j’ai pu retirer d’la peau de pépé. J’ai crié han ! j’ai tiré, ça a déraciné.

Sûr’ment que depuis l’extérieur, ça a fait l’effet d’épée d’Excalibur qu’on libère enfin. Dans les faits, c’était beaucoup plus dément que ça : j’ai hargné comme si c’était ma propre vie que je sauvais, à la tirer comme ça, sous la pluie des flammes et la lamentation des marins. Forcé’ après ça j’suis tombée en arrière, autant pask’ le mouvement était trop brusque et inattendu qu’à cause du naviro qui brûle et qui pluie un total’ déséquilibre sous les pieds. Et comme j’avais lâché l’manche à cause d’la chute et que j’glissais, explosée contre le bastingage, j’ai eu peur que la lame assaille le vieux tout comme avant et qu’elle finisse c’te fichue besogne qu’elle avait commencée. Mais nan. En fait, la féroçolame, c’est sur moi qu’elle s’est ruée.

Ça a failli m’lanciner l’épaule. Étendue dans une flaque salée, j’épouffais la douleur de la chute et je reprenais peu à peu mes esprits mais j’voyais pas grand-chose et, final’, c’est plus le sifflement strident de la vol’lame qui m’a alertée qu’autre chose. D’un réflexe inouï, j’ai roulé de côté. Shling ! fer qui s’éclate contre le sol, pis j’me suis relevée, chancellante mais déterminée. Et maintenant j’me tiens là, prête à agir et j’en démordrai pas, tenant à la main ma dague à moi, celle que j’arrive à imaginer quand j’en ai besoin.

Mon ennemi s’relève dans les airs. La vol’lame vole l’ici et semble préparer son prochain coup, qui ne tarde pas à venir. Fuiiiii, ça fuse sur ma poitrine, j’m’écarte hop ! pas de côté et fichtre comme c’est déroutant de voir c’violent bidule s’trémousser tout seul, plus vite et plus imprévisible que s’il était tenu par quelqu’un. Fichtre ! J’pare, j’bloque, ça recule et ça vise ma hanche, j’dévie le coup, j’m’essouffle, j’bondis, ça s’écarte, ça rigole sous le front, j’me mets en garde, ça revient à la charge, ça perfidie, changement subit de direction, je creuse le ventre, ça se retourne, ça pointe mon dos, j’me baisse, trop tard, ça coupe la peau, j’glisse, menton qui s’éclate à terre, points ̇..·noirs.·· ̇j’me ̇·tourne··sur.· ̇le ̇.dos, la vol’lame tombe fuiii et va m’arracher la tête, j’roule, encore, la vol’lame se relève, elle rattaque, shling shling shling à plusieurs reprises ça frappe le sol, et moi dessous qui évite les assauts en me contorsionnant le corps, vite vite, fuiii ventre j’décale shling, fuiii bras j’décale shling, fuiii cuisse j’décale shling, fuiii épaule j’décale shling, une vague de mer passe par-dessus bord et m’écrase, l’naviro penche en avant et j’glisse, crachante suffocante le noir-salé, j’m’explose contre une surface dure· ̇..· ̇·· ̇.· ̇.. , c’est ma nuque qui ramasse, sang dans la bouche, deux mains au sol, genoux au sol, j’me relève, j’vacille, j’tomberai pas, la vol’lame jaillit, j’me jette à terre, entre le spectre de deux marins courants, aussitôt j’suis d’retour sur pieds, j’me retourne et j’charge, dans le vide, ça pare facilement, ça riposte, j’contre-attaque, dans le vide, et ça revient, et ça revient constamment à la charge, avec cette voix qui surplombe tout toute ma tête celle de l’Entrenou’truc elle dit excellente, quelle maîtrise du corps excellente ! J’romps, j’esquive, trop tôt, ça taillade mon épaule, j’à-bout-de-sifflère.· ̇..··.· ̇ Entends toute la violence que tu contiens en toi ! Toute cette agressivité cette souffrance ! Utilise-les ! Utilise-toi ! J’bondis, dans le vide, ça freine, j’gaine, ça recule, ça rue, j’parade et j’contre-riposte sous la tempête, nous sommes pareilles toi et moi… et fichtre le combat c’est pas juste il est sacrément déloyal. J’ai rien à viser, moi ! J’peux rien blesser, rien affaiblir et surtout rien prévoir dans la mouvance des gestes, imagine tout ce que nous pourrions accomplir ensemble si nous nous alliions… et c’est si fourbe pask’ la vol’lame arrête pas d’ruser et d’m’entailler et moi ̇ ̇..·· ̇·. j’fatigue et grosse balafre à la jambe, j’hurle, mes yeux s’humidifient mais j’renifle bruyammo et j’serre la mâchoire à m’en faire crisser les dents et j’envoie un regard foudroyant à la vol’lame, un comme jamais j’me suis sentie foudroyante et j’ai crié en m’élançant en avant, au nom des fantômarins au nom d’tous ceux qui ont souffert qui vont souffrir j’ai crié, et la vol’lame s’est arrêtée, nos lames se percutent, kling ! Et plus rien ne se passe. J’comprends pas, pourquoi elle bouge plus ? Ou alors oui mais alors hypra lentement, comme si elle éprouvait de la difficulté soudain à s’mouvoir, ou qu’elle rencontrait de la résistance. Et Orée pas loin crie l’Entrenoueuse, l’Entrenoueuse ! Oui bah quoi, l’Entrenoueuse ? J’tourne la tête et, voilà. J’surprends Orion qui, de son corps, entoure l’un des bras de l’Entrenoueuse, l’empêchant ainsi de bouger. Et alors, j’comprends : en fait, la vol’lame, elle est pas mue toute seule. C’est l’Entrenoueuse qui, là-bas au bout de la chaîne, se bat avec moi. Juste elle le fait à distance, maniant le poignard depuis là où elle se trouve. Alors j’comprends aussi ce qu’elle faisait tout à l’heure, quand on a débarqué avec Orée sur l’pont et qu’elle tenait son poing fermé devant son vol’livre ouvert en esquissant des petits gestes : elle tenait son poignard de loin, et écrivait sur le dos du vieillard en même temps que sur les pages.

À Orée, j’lui hurle qu’il faut lui ouvrir le poing, et lui s’y essaie, comme il le peut, grimaçant et oscillant sur c’fichu naviro qui tangue. Autour, les fantômarins s’affolent encore, carabinés ou embrasés ou tempêtés par les vagues. La vol’lame chute soudain. Orion a réussi ! Je bondis sur le fer et le récupère, souriante, triomphante. Ça y est c’est fini, on l’a notre vol’lame qui volera plus ! Mais mon cri victorieux s’fait aussitôt engloutir par ce rire, ce rire, ce fouriroglaçant qui anime la perfidicoeur. Quoi encore ? Mais pourquoi donc l’Entrenoueuse rit-elle si elle a perdu, perdu, perdu le combat ?

_ Emparez-vous de mon poignard si vous le souhaitez, mes petits. Là, amusez-vous avec. Jouez joutez batifolez, ferraillez si vous le désirez ! Ce n’est pas la première fois que vous le tenez et ça ne sera pas la dernière. Prenez goût, même ! Quant à ce cher monsieur… il est vrai que je n’ai pas encore mis de point final à son vivème et que le serment n’a pu être accompli jusqu’au bout. Toutefois je n’en ai pas besoin. Voyez comme il a déjà embrassé sa nouvelle foi ! Ne remarquez-vous donc pas ? Inutile d’achever quoique ce soit : le vieil homme m’est déjà fidèle. Son récit de vie est devenu mien.

Déconfite, j’observe le vieillard qui, toujours à genoux et tête baissée, gémit dans son coin. Et si j’reste bloquée dans mon observation, remarquant bien que les fils d’or l’enserrent fermement et qu’il peut pas s’libérer, c’est pas l’cas d’Orée qui, soudaino, venant de l’autre bout de la chaîne, accourt à ses côtés. Son long poncho, tout troué taché de sang, qui en Sublunaire était bleu nuit barbouillé de fioritures dorés, et qui ici était gris, ternement gris, retrouve soudain de l’éclat. Claquant à ses cuisses, le tissu s’anime et s’éclaire, bleu turquoise comme une jolie mer d’été. Et moi je n’ai jamais vu la mer mais c’est comme ça que je me l’imagine, courante sur pattes et fluctuante, et lorsque les motifs d’or s’renouent à l’étoffe, je me figure les cris du soleil jetés dans l’eau, et pour être tout à fait honnête, malgré le décor aux alentours qui lugubrent l’atmosphère, voir cet personne efflanquée jaillir en portant la mer et le soleil sur son dos, ça m’a bousculé le ventre et j’ai pensé que c’était plus beau que tout.

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Contesse
Posté le 06/11/2023
C'est super cool, j'aime bien, ça se lit bien malgré les gros pavés super longs trop jolis trop beaux tout looooooooooooongs aaaah woaaaaaaaaah :)
J'adore l'Entrenoueuse, c'est mon amoureuse (t'as vu ça rime). Parce qu'en fait c'est Charlotte. Et la mère de Charlotte. Qui est Charlotte.
OMG.

En fait, Céleste c'est Charlotte ? AAAAAAAAAAAH.

Ben tu vois, je le dis pas souvent, mais ça tu vois, ça sort des cases.
Allez, bisous.
Louison-
Posté le 06/11/2023
Euh Momo. Tu te calmes. Déjà parce que la mère de Charlotte c'est pas Céleste mais c'est ChatGPT et que si t'as pas compris ça à ce stade des Portiers c'est que t'as pas assez regardé de films d'horreur. Donc tu me refais ta culture et tu reviens quand tu vois la robe en thé bleu. Là on pourra peut-être parler de cases, et même se demander si c'est l'humus ou le humus.

Bisou. A pluche Concombresse sans tiret.
Contesse
Posté le 06/11/2023
Moi aussi j'adore la terre.
Bisous <3.
Louison-
Posté le 06/11/2023
Tant mieux, parce que demain c'est team frofro.
Contesse
Posté le 06/11/2023
Ouais mais nan je sais pas ce que tu fous demain mais perso moi demain c'est chichi by night.
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