Les ténèbres l’avaient engloutie. Un silence total avait formé un cocon protecteur autour de son enveloppe charnelle. Plus rien ne pouvait l’atteindre ni perturber son sommeil. Elle était apaisée. Enfin.
Boum. Boum.
Non, pas tout à fait. Ce son était léger, mais il se faisait entendre régulièrement et résonnait avec autant de force que s’il s’était trouvé à l’intérieur de son corps.
Boum. Boum.
Un bruit sourd, persistant, qui luttait pour durer. Celui d’un muscle se contractant pour propulser un fluide vital à l’intérieur d’un organisme. Un cœur battant qui maintenait son propriétaire en vie.
Boum. Boum.
Brutalement sortie de son inertie, la jeune femme s’éveilla. Mais elle ne vit rien. Rien que le noir. Une obscurité si complète que, durant un instant, elle douta d’avoir ouvert les yeux. Lentement, elle porta sa main à son visage et constata que c’était le cas.
Mais, si elle était vivante, où se trouvait-elle ? Ses jambes et ses bras reposaient sur une surface dure. Elle devait être allongée. À en juger par la raideur de ses membres et par l’inconfort qu’elle ressentait, cela devait durer depuis un bon moment. Que pouvait-elle bien faire dans cette position ? Elle ne se souvenait de rien.
Très vite, elle en eut assez. Aucun lien ne paraissait la retenir, alors pourquoi rester là ? En redressant la tête, elle se cogna le haut du crâne. Étouffant un cri de douleur, elle reposa prudemment sa nuque.
Mais où suis-je ? s’écria-t-elle en son for intérieur.
Désireuse de ne pas renouveler sa mauvaise expérience, elle leva les mains. Tout à coup, ses doigts rencontrèrent un obstacle : une surface dure et rêche qui ressemblait à du bois. Fronçant les sourcils, elle tenta de suivre une ligne droite en se fiant à son sens du toucher. La planche (si c’en était bien une) semblait se poursuivre au-dessus de ses jambes. Elle déplaça ses mains sur les côtés : du bois là aussi. Et puis soudain, un creux ! Une vague d’espoir l’envahit, mais elle réalisa bien vite qu’il s’agissait en fait d’un angle. Et pire : que la rugosité du bois se poursuivait, l’encadrant complètement.
Soudainement inquiète, elle força l’ensemble de son corps à se mouvoir pour tenter de se retourner. Elle avait à peine fait la moitié du chemin qu’elle se cogna l’épaule contre la paroi à sa droite. Pareil à gauche. Et au-dessus. En dessous aussi.
« Non, non, non, souffla-t-elle. »
La façon dont sa voix résonna lui confirma ses craintes : elle était enfermée à l’intérieur d’un espace minuscule ! Mais… Comment ? Pourquoi ? Qui ?
Tu ne connaîtras jamais le repos.
La menace de la Terreur Noire lui revint en tête. La mort ne l’avait donc pas emportée. À en croire son ennemi, son sort serait bien pire que cela. Mais qu’est-ce qui pouvait être plus insupportable que d’avoir à endurer mentalement les souffrances de tout un peuple ?
Je crains que votre position ne soit précaire et bientôt définitivement statique. Mais, au moins, elle sera fleurie.
Ce fut au tour des paroles de Kerian de revenir la hanter. Sauf que, cette fois-ci, leur portée commençait à prendre son sens. Mais pourquoi…
Fleurie. Les fleurs poussaient dans la terre.
C’était confus, mais il lui semblait avoir aperçu le ciel bleu de l’extérieur tandis que le Seigneur Sombre la torturait. Et donc…
L’ultime pièce du puzzle se mit en place et Ayleen réalisa toute l’horreur de sa situation : fleurs, terre, planches. Enterrée. Elle était enterrée vivante !
Le choc de cette constatation la paralysa durant une poignée de secondes. Puis l’effroi prit le dessus et elle se mit à hurler. D’un même élan, ses pieds et ses mains se levèrent et se mirent à frapper violemment contre les cloisons de son cercueil. Il fallait qu’elle se sorte de là. Il fallait que quelqu’un l’entende. Il fallait qu’on vienne à son secours. N’importe qui. Elle ne pouvait pas rester là.
Elle aurait voulu être forte. Se montrer capable de relativiser et de chercher sereinement une solution. Mais elle n’était qu’un misérable parasite luttant pour sa survie. Des gouttes de sueur avaient commencé à perler à son front tandis que ses yeux s’agitaient frénétiquement. Inconsciemment, elle avait perçu la menace. Les parois… Les parois se rapprochaient ! Le bois grinçait sinistrement tandis que son tombeau prenait vie. Une masse monstrueuse qui allait bientôt l’étouffer sous son poids.
Les cris de la jeune femme se firent plus stridents. Son souffle, déjà saccadé, s’accéléra encore. Elle se débattit avec toute la vigueur qui l’animait. Ça ne pouvait pas se terminer comme ça. Il fallait qu’elle s’en sorte. Qu’elle survive.
Mais les minutes s’égrenaient, interminables. Elle était incapable de savoir depuis quand elle se trouvait ici. Le temps lui filait entre les doigts, de même que le peu d’oxygène dont elle disposait.
Bientôt, la tête commença à lui tourner. Ses cris étaient devenus rauques et ses gestes beaucoup moins vifs qu’auparavant. Elle sentait une fatigue intense la submerger alors que l’angoisse qui l’avait gagnée lui grignotait les entrailles.
Elle ne voyait rien, luttant dans le noir. Mais elle sentait sa vision se troubler et sa conscience la quitter petit à petit. Mus par on ne savait quel mécanisme de survie, ses poings serrés continuaient de frapper spasmodiquement le plafond. Du sang coulait entre ses doigts, mais elle n’en avait cure. Ses paupières se refermaient doucement. Sa voix brisée s’était éteinte. Sa vie se dissipait.
C’était la fin.
Et puis un choc. Léger. Infime. Presque inexistant. Un son qui n'était pas le sien. Qui semblait provenir de... l'extérieur.
Mais était-ce envisageable ? Non, elle devait rêver. Ou alors elle était déjà morte. Ses paupières n'avaient même plus la force de se soulever. Ses membres se rigidifiaient petit à petit. Tout espoir était vain. À quoi bon ?
Boum.
Le bruit la fit sursauter. Ce n'était pas son cœur, cette fois-ci. Ça venait du bois. Était-il possible que...
Boum.
Ça ne pouvait pas être un hasard, ça ne pouvait pas être seulement dans sa tête. Il le fallait.
Durant quelques secondes, elle ne perçut plus rien et sentit le désespoir l'envahir à nouveau. Puis, petit à petit, elle entendit quelque chose. De faibles grattements contre la paroi de sa prison. Probablement des insectes venus profiter de leur futur repas. Mais ce son-là paraissait régulier. Trop peut-être. Un frottement qui semblait aller et venir. Le roulis des particules de terre. Comme si... comme si quelqu'un était en train d'essayer de dégager un passage.
Malgré son apathie, la jeune femme se surprit à tendre l'oreille pour tenter de capter le moindre indice, traquer le plus petit espoir.
« Ayleen ! »
La voix provenait d'une autre dimension. Elle était si lointaine. La folie la guettait certainement.
« Ayleen ! »
Ses paupières s'ouvrirent d'un coup. Peut-être n'était-ce qu'un effet de son imagination, mais il lui sembla que l'obscurité qui l'entourait s'était adoucie. Ses lèvres gercées s'entrouvrirent avec difficulté. Elle tenta de parler, mais seul un maigre filet d'air lui échappa.
« Ayleen, tu m'entends ? »
Il fallait qu'elle réponde. Même si tout cela se révélait faux. Il fallait qu'elle y croie. Au moins un peu. Elle inspira laborieusement.
« À... à l'aide. »
Son appel lui parut si faible. Comment une tentative aussi pathétique pourrait-elle aboutir ? Elle allait mourir sans avoir rien tenté. Elle connaissait pourtant une princesse qui ne l'aurait jamais toléré.
Rassemblant ses dernières forces, elle souleva péniblement son avant-bras jusqu'au plafond de son cercueil. Ses doigts tremblants se replièrent tandis qu'elle grimaçait. Puis, ils allèrent cogner à trois reprises contre le bois avant de retomber mollement sur son ventre qui se soulevait à peine.
« Je vais te sortir de là ! »
Il lui était difficile de se réjouir de cette réponse irréelle. Elle se sentait tellement fatiguée... Mais, au moins, elle savait désormais qu'elle avait tout tenté. Et peu importe si le mouvement avait l'air de s'être accéléré au-dessus de sa tombe, sa conscience mourante pourrait s'en satisfaire.
C'est alors que, comme dans un rêve, un filet d'air vint chatouiller ses narines tandis qu'un faisceau de lumière vive traversait brutalement la barrière de ses paupières. Elle s'éveilla en sursaut, abasourdie. Au-dessus de sa tête, elle pouvait désormais distinguer les parois qui l'emprisonnaient. Les planches craquaient sous une pression inconnue. Les rayons du soleil se frayaient un chemin à travers les rainures.
C'est seulement à cet instant qu'elle se rendit compte qu'elle pleurait à chaudes larmes. Les perles d'eau venaient mourir à l'intérieur de sa bouche et le sel qu'elles contenaient agressait sa peau asséchée. Des frissons envahissaient tout son corps tandis que ses yeux grand ouverts contemplaient l'avènement de sa liberté.
Avant même qu'elle n'ait eu le temps de réaliser ce qui lui arrivait, les planches avaient disparu de son champ de vision. Elle tendit les mains en direction des prunelles bleu gris qui lui faisaient désormais face et se sentit soulevée par une force incroyable. L'air pénétra dans ses poumons, lui donnant le tournis. Le soleil agressa sa rétine au point qu'elle dut se replonger dans le noir. Blottie contre le torse nu de Shan, elle s'agrippait à lui aussi désespérément que si elle allait se noyer. Les bras du jeune homme l'entouraient vigoureusement en retour, refusant de la laisser partir.
« C'est fini, l'entendit-elle murmurer. »
Sans savoir pourquoi, ces mots réveillèrent en elle une puissante angoisse. Elle ouvrit les paupières et se redressa, tournant la tête en tous sens. C'est à peine si elle reconnut les jardins extérieurs du château avant que les larmes ne reviennent brouiller sa vision.
« Non, non... c'est impossible ! »
Sa voix gagnait en force tandis que l'horreur de la situation s'emparait d'elle.
« Je ne connaîtrai jamais le repos. Il l'a dit. Je ne pourrai jamais...
— Non, tout va bien. Calme-toi. »
Le garçon tentait de la rassurer tant bien que mal, mais c'était comme si elle était incapable de l'entendre. Son regard ne parvenait à se fixer nulle part, la sueur qui ceignait son front se mêlait à ses pleurs et des spasmes intenses agitaient chacun de ses membres. Jamais il ne l'avait vue dans un tel état de choc. Elle était terrorisée. Incapable d'entendre raison ni de croire qu'elle était réellement sauvée. Désemparé, Shan sentit ses sens s'égarer. Il fallait qu'il trouve un moyen de la ramener.
En désespoir de cause, il l'embrassa. C'était totalement irréfléchi, un pur coup de tête. Mais c'était la seule chose qui lui soit venue à l'esprit. Comme ses lèvres se plaquaient contre les siennes, il prit le visage de sa compagne entre ses mains et se surprit à la bercer doucement. Au début, elle n'eut aucune réaction et, durant un instant, il craignit de n'avoir fait qu'empirer les choses. Puis, lentement, il la sentit se détendre contre lui et répondre maladroitement à son baiser.
Ce n'était pas une preuve d'amour. Cela n'avait même rien de romantique. C'était seulement un acte de réconfort mutuel. Un soutien dont ils avaient tous les deux cruellement besoin après ce qu'ils venaient de vivre. Un moyen de se rassurer, de savoir qu'ils n'étaient pas seuls et qu'ils allaient pouvoir se relever de cette épreuve.
Pour la première fois de sa vie, Ayleen se laissa complètement aller à cette étreinte. Elle abaissa ses dernières défenses et accepta que quelqu'un d'autre prenne soin d'elle. S'abandonner ainsi lui fit un bien fou, plus qu'elle n'aurait pu l'imaginer. Nul besoin de se préoccuper de son image, ni de ce qui l'entourait. Juste profiter de la présence de l'autre, de la chaleur réconfortante de son corps et des battements apaisants de son cœur. Ce n'était pas un acte égoïste mais bel et bien un partage. Car le jeune homme qui l'apaisait ainsi avait besoin de son soutien en retour. Elle pouvait le sentir dans la fermeté avec laquelle il la maintenait près de lui, une vigueur qui contrastait avec la douceur de sa bouche qui rencontrait la sienne. Et le tendre balancement qu'il avait amorcé la détendit en quelques secondes. La demoiselle se surprit elle-même en prenant conscience du bien-être qu'elle ressentait. Un sentiment nouveau l'envahissait : celui d'être en sécurité. À sa place. Et, contrairement à ce qu'elle aurait pu croire, cela ne l'effrayait pas. Ce n'était plus le cas, désormais.
Une fois leur apaisement complet, ils se séparèrent. Chacun ouvrit les paupières pour contempler l'autre. Pas un mot, ni même un sourire. Seul un intense soulagement avait pris le dessus sur tout le reste. Ayant retrouvé une respiration plus calme, Ayleen se nicha au creux de l'épaule de son compagnon qui l'entoura aussitôt de ses bras. Elle savait que la réalité allait bientôt les rattraper, mais il fallait qu'elle profite de cet instant. Au moins encore un peu.
« Merci, murmura-t-elle. »
Shan ne répondit pas mais un soupir de soulagement lui échappa. Et, à travers lui, toute la douleur et l'angoisse qu'il avait accumulées jusqu'alors se dissipèrent. La tension de son corps s'éteignit peu à peu. Il ferma les yeux une seconde de plus pour s'enivrer une dernière fois de cette sérénité avant de se libérer de l'étreinte de la jeune femme.
« Il faut qu'on aille retrouver Saraï avant qu'elle ne s'inquiète trop, murmura-t-il. »
Il vit les yeux de son interlocutrice s'agrandir à la mention du nom de la fillette. Non pas qu'elle l'ait véritablement oubliée, mais elle venait juste de réaliser son absence et le souvenir des événements précédents lui était revenu en tête.
« Je lui ai demandé de m'attendre un peu plus loin, ajouta-t-il pour pallier son angoisse. Je ne voulais pas risquer d'elle s'inquiète plus. »
Ayleen hocha la tête, compréhensive. Puis, elle prit les mains que son compagnon lui tendait et se redressa prudemment. Lorsqu'ils se mirent en marche, il lui offrit son soutien en constatant son hésitation. Elle accepta son aide sans rechigner mais, au bout de quelques pas, se sentit suffisamment à l'aise pour continuer à cheminer seule à ses côtés. Même si de nombreuses pensées se bousculaient dans sa tête, elle se sentait incapable d'y réfléchir. Pour l'instant, elle voulait seulement profiter des rayons du soleil qui la réchauffaient et de la brise qui hérissait les poils de sa peau. Profiter de sa chance d'être en vie, tout simplement.
La matinée était à peine entamée et les alentours des jardins étaient déserts, aussi purent-ils avancer à découvert sans attirer les regards et progresser le long de la muraille. La silhouette de Saraï se dessina soudainement à l'orée d'un détour et la princesse se figea. Elle ne se rappelait que trop bien de la confrontation qui les avait opposées plus tôt et de l'affreux spectacle auquel la petite avait été forcée d'assister. Une culpabilité intense la rongeait, mais elle commença à fondre sitôt qu'elle posa les yeux sur le regard embué de larmes de la fillette. Sentant sa propre émotion menacer de la submerger, elle se remit en mouvement et pressa le pas dans sa direction tandis que Saraï l'imitait. Elles tombèrent dans les bras l'une de l'autre avant même d'avoir eu le temps de le comprendre.
« Je suis tellement désolée, murmura Ayleen.
— Moi aussi. Tout est ma faute. J'ai eu si peur. »
La jeune femme resserra son étreinte autour de Saraï en entendant ces mots. Personne d'aussi jeune ne devrait être confronté à des événements pareils. Elle ne laisserait plus cela arriver. Jamais.
« Dis... on rentre à la maison ? lui demanda la fillette, le regard implorant.
— Oui. Rentrons chez nous. »
Je trouve qu'on se doute très vite de la situation d'Ayleen, mais en même temps le fait que tu fasses durer le suspense passe assez bien... Après, j'ai un peu tiquer sur le coup des fleurs, je trouve que ça faisait pas hyper naturel mais bon, c'est un avis personnel.
En tous cas, on tremble avec ton héroïne, on aurait tellement envie de l'aider quand elle se débat contre les parois de sa prison... Du coup allez, j'ai re-pleuré, et comme ça j'ai mis longtemps pour lire ce chapitre à travers mes larmes, l'efficacité.
Et puis quand il vient la sauver... Quand j'ai compris, j'ai fait un drôle de bruit derrière mon écran. Puis je visualisais tellement cette scène (oui, c'est une de celles que j'avais envie de dessiner, oui, je m'y mettrais peut-être un jour) !
Juste, j'ai pas trop aimé le fait que Saraï soit encore mise à l'écart du "sauvetage", déjà parce qu'on dirait que son frère n'a pas compris ce qui l'avait poussée à suivre Kerian, et ensuite parce que ce serait quand même plus efficace de s'y mettre à deux, surtout sachant qu'Ayleen est mourante et que Shan est blessé.
Mais bon, j'ai tiqué l'espace de... un dixième de seconde, et ensuite je me suis remise à pleurer au moment des câlins, parce que c'était tellement touchant <3 Puis la dernière phrase en a rajouté une couche. C'est trop mignon, c'est trop mignon, c'esttropmignon.
Le coup des fleurs, tu veux parler de la phrase de Kerian ? Elle est un peu maladroite mais je voulais faire référence au fait que les gens vont fleurir les tombes (ou alors que l'étendue de terre pourrait se retrouver fleurie avec le temps). J'avoue que je n'en suis pas complètement satisfaite.
Rho mais noooon... décidément, t'auras bien mérité un gros câlin quand on se verra ! <3
Oh... oui, c'est vrai que ce serait une scène très belle à dessiner. Merci pour tes mots en tout cas !
Certes, ta réflexion est tout à fait logique. Comme Shan le dit, il voulait lui éviter une scène éprouvante de plus. Et j'avoue que, vu ce qui se passe juste après, je ne voulais pas la petite soeur dans les parages ! xD Mais cela dit... l'idée serait peut-être de rajouter un court passage explicatif entre le frère et la soeur. A réfléchir.
Rhoooo. c'est toi qu'es trop mignonne va ! <3