Quelques heures après qu'Algonn eut fait part de ses intentions, les nobles avaient été chassés de l'enceinte du palais. C'était la débandade. Ils avaient débarqué sans prévenir de l'autre côté de la muraille, l'air épouvanté. Certes, ils avaient vécu terrés dans leurs demeures depuis la prise du château, mais ne s'attendaient pas à se voir jetés en pâture de cette manière. Néanmoins, il n'y avait eu aucun débordement de violence, bien que le petit peuple ne les ait pas accueillis à bras ouverts. Ils avaient commencé par feindre l'indifférence en évitant tout contact. Puis, petit à petit, la curiosité avait pris le dessus : des visages apparaissaient derrière les fenêtres, épiant les nouveaux venus. Eux-mêmes n'étaient pas en reste : découvrant pour la première fois les alentours qui leur avaient été décrits comme terriblement hostiles par leurs ancêtres, ils exploraient avec une stupéfaction évidente des lieux qui n'étaient pas si inhospitaliers et abritaient une population qui ne semblait pas avoir grand-chose en commun avec les monstres qu'ils avaient imaginés.
Au milieu de ce bouleversement, s'introduire dans le château fut moins compliqué que ce qu'Ayleen aurait pu penser. En fait, cela leur facilita la tâche. Tout le monde sentait qu'il se passait quelque chose, les gens paraissaient galvanisés sans vraiment comprendre pourquoi. Ils ne leur prêtèrent aucune attention particulière tandis qu'ils passaient parmi eux, mais certains leur lancèrent un sourire ou un hochement de tête encourageant. Le message avait commencé à circuler : ils allaient défier les usurpateurs qui avaient pris possession du royaume, dont la légendaire "Terreur Noire". Sans être certain de la réussite d'une telle entreprise, il y avait de quoi être impressionné !
En imaginant le danger auquel ils allaient s'exposer, les adultes refusèrent de prendre le risque d'y exposer Saraï. Cependant, cette fois-ci, ils en discutèrent avec elle. Son grand frère ne voulait surtout pas qu'elle pense qu'ils la mettaient de nouveau de côté parce qu'ils la pensaient inutile. Mais la fillette avait été suffisamment éprouvée par sa précédente expérience pour ne pas opposer trop de résistance à leur décision.
« Nous avons besoin de toi ici, lui confia Ayleen. Il faut que tu essaies de rassembler les gens et de les rallier à notre cause. »
La petite hocha la tête, un peu indécise mais fière de se voir confier une mission d'importance. Elle les enlaça ensuite tous très fort à tour de rôle en leur faisant promettre de se montrer prudents.
La suite se déroula comme dans un songe : le bourdonnement de la foule autour d'eux auquel succéda l'inquiétant silence une fois passée la frontière rocailleuse, l'entrée dans la caserne royale déserte et l'ancien passage dérobé menant à l'intérieur du palais qu'elle avait abrité jusque-là.
« Plutôt étrange que ce soit vide, marmonna Shan.
— Pas tant que ça, le contredit le forgeron. Kerian n'a jamais apprécié cet endroit. "Pas convenable pour le bras droit du souverain" selon cet imbécile. Le connaissant, il aura préféré s'installer au plus près de la salle du trône et garder ses hommes près de lui.
— À quoi sert ce couloir ? demanda la princesse.
— À l'origine, il avait été construit pour que la garde royale puisse rapidement assurer la protection du roi et barricader les portes du palais en cas de besoin. Mais il n'était connu que des plus haut gradés. Et, finalement, il n'a pas été utilisé pour remplir sa fonction première.
— Que voulez-vous dire ?
— C'est par ici que sont passés ceux qui ont fomenté une rébellion contre ton père. Et qui s'est soldée par sa mort. »
Ce disant, il baissa les yeux et détourna le regard. Et, une nouvelle fois, Ayleen eut l'étrange impression qu'il en savait plus à ce sujet que ce qu'il leur avait confié jusqu'à présent. Il évoquait très peu son passé de soldat et, les rares fois où cela avait été le cas, ses récits étaient teintés d'une amertume glaciale et d'une pointe de regret. Si cette révolte pouvait avoir eu lieu à l'époque où il officiait ici, la jeune femme ne pouvait pas envisager qu'il puisse y avoir joué un quelconque rôle.
Après avoir franchi le passage, ils traversèrent différents couloirs sans croiser âme qui vive. Un scénario qui présentait d'inquiétantes similitudes avec leur précédente expédition. Il valait mieux espérer que celle-ci ne se termine pas de manière similaire... Bon sang, mais où étaient-ils tous passés ?
Les premiers éclats de voix se firent entendre comme ils approchaient de la salle du trône. Les portes massives étaient demeurées ouvertes et dévoilaient un curieux spectacle : les troupes de Kerian s'étaient rassemblées au fond de la pièce et faisaient face à la meute monstrueuse du "Seigneur Sombre". Ayleen fronça les sourcils en contemplant la scène : mais que se passait-il donc ? Elle jeta un coup d’œil à ses compagnons qui paraissaient tout aussi étonnés qu'elle. Algonn leur fit signe de le suivre discrètement et ils s'avancèrent à petits pas en prenant soin de rester dans l'ombre des nombreuses colonnes qui ornaient les lieux. Lorsqu'ils parvinrent à portée de voix de leurs opposants, ils s'arrêtèrent pour écouter.
« Nous avions fait un marché ! s'écriait Kerian, les poings serrés et les traits déformés par la colère. »
Il n'avait pas l'air de s'adresser à quelqu'un en particulier et, pourtant, son regard était fixé sur un point précis du mur en pierres. Un endroit sur lequel était portée une ombre inquiétante qui, malgré son apparence anodine, n'avait rien d'ordinaire. Le "Néant". En personne.
Soif de pouvoir typiquement humaine.
La princesse frissonna en entendant ce timbre sans âge et se rapprocha de Shan. Quant au forgeron, il marmonna un juron en voyant la légende se matérialiser sous ses yeux.
« Vous débarrassiez le royaume de cette peste et moi je prenais la couronne pour perpétuer le règne de terreur instauré. Vous avez besoin de moi ! »
C'est ce que tu as choisi de croire. Tout comme tu penses valoir mieux que le reste de tes semblables. Cet endroit a eu son lot de tyrans. La disharmonie doit cesser.
Ayleen avait du mal à en croire ses oreilles : se pourrait-il que la belle alliance fût en train de s'effriter ? Elle avait du mal à saisir le sens des paroles de l'être immatériel. Mais, visiblement, le capitaine n'avait pas l'intention de se laisser faire. Des murmures de protestation commençaient à se faire entendre parmi ses troupes. Face à eux, les goules, trolls et les manticores s'agitaient en montrant les dents, prêts à défendre la "Terreur Noire".
« Je ne tolérerai pas un tel affront ! cracha le chevalier, bouillonnant de rage. Vous croyez être invincible mais je n'ai pas peur de vous ! »
Toujours dans l'excès. D'humeur et de confiance. Tu es aussi insignifiant que les autres. Tous, autant que vous êtes, vous répétez systématiquement les mêmes erreurs. Passé, présent ou avenir, il n'y a pas de distinction. Vous méprisez l'équilibre du monde. C'est ce qui te perdra, comme tes prédécesseurs.
« Ça suffit ! Je vais en finir avec vous et vos misérables chiens ! »
Prévisible. Qu'attends-tu, petit soldat ?
C'en était trop pour l'ego de Kerian. L'indifférence manifeste du "Seigneur Sombre" était déjà humiliante, il n'allait pas se laisser insulter en prime ! Répondant au souhait de son adversaire, il donna l'ordre d'attaquer. Ses hommes n'hésitèrent qu'une seconde avant de s'élancer contre les créatures cauchemardesques.
« Bon sang ! s'exclama Shan. »
S'ils s'étaient attendus à ça ! Ils étaient venus pour tenter de trouver un point faible à leurs ennemis et voilà que ceux-ci étaient en train de s'entre-déchirer sous leurs yeux.
Les deux clans combattaient sauvagement et sans pitié. Le fracas des épées se mêlait aux claquements de mâchoires. Le cliquetis des armures contrastait avec les pas lourds des bêtes. Des cris résonnaient contre les murs, le sang giclait en différents endroits.
Kerian n'était pas en reste, sa maîtrise du combat démontrant une terrible efficacité contre ses assaillants. La "Terreur Noire", en revanche, n'avait pas bougé. Fondue dans la paroi, elle paraissait observer l'affrontement avec paresse. Une nonchalance qui avait quelque chose d'inquiétant vu de loin. Certains irréductibles avaient tenté de s'en prendre à elle, mais leurs coups n'avaient eu aucun effet. Cette apparente invulnérabilité était d'autant plus alarmante.
Ayleen et ses compagnons observaient, retenant leur respiration. À leur grande surprise, les hommes du capitaine finirent par prendre le dessus. Néanmoins, ils étaient épuisés et seule une poignée d'entre eux subsistait pour affronter la plus grande des menaces.
« Vous avez perdu, s'écria Kerian malgré la sueur qui perlait à son front. Et je reprends ce qui m'appartient de droit ! »
Insolent !
Le cri, d'une puissance inattendue, résonna dans toute la salle et les fit vaciller sur leurs jambes.
Nul ne peut me vaincre par la violence. Vous périrez tous !
Et il bougea. Comme la première fois, il parut se décrocher du mur avec une lenteur assurée. Sa taille se démultiplia par à-coups, de même que l'obscurité parut envahir les lieux. De son visage sans traits, l'être immortel toisait ses opposants qui avaient, eux, reculé de plusieurs pas.
« Nom de... regardez-moi ça ! marmonna Algonn. »
Il ne pouvait détacher son regard de cette créature immatérielle et pourtant terriblement réelle. Sa silhouette s'était mise à vibrer tout entière. Dans le même temps, un grondement sourd s'éleva dans les airs. Au début, ils ne sentirent qu'une légère brise mais, très vite, un courant venu de nulle part se mit à déferler dans la salle. La puissance allait en s'accroissant, n'annonçant rien de bon.
Malgré la menace, ils étaient tous dans le même état : le regard fixé sur les contours – désormais flous – du "Seigneur Sombre", comme hypnotisés. Ce fut finalement Algonn qui réagit, pressentant le danger :
« Courez ! »
Un ordre si pressant qu'ils se mirent aussitôt en mouvement. À cet instant, il n'était plus question de savoir si on risquait de les repérer. Leurs vies étaient en jeu.
Autour d'eux, tout s'était mis à vibrer. Le grondement terrifiant emplissait les lieux, faisant bourdonner leurs oreilles. Ils eurent à peine le temps de faire quelques pas qu'une énorme explosion les souleva de terre. Ils ne virent plus rien.
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§ §
Shan reprit brusquement conscience et inspira par réflexe. Il se mit aussitôt à tousser, les poumons envahis de cendre. Le bruit assourdissant avait fait place à un silence complet de façon si brutale qu'il mit quelques secondes à s'en rendre compte. Puis il contempla les alentours, bouche bée : Kerian et ses hommes s'étaient volatilisés, de même que la "Terreur Noire" et sa monstrueuse troupe. Mais la déflagration avait surtout laissé un trou béant dans le mur donnant sur l'extérieur, ensevelissant le sol sous un tas de roc. L'atmosphère était embrumée, mais l'air frais du dehors allait se charger de l'éclaircir.
Reprenant ses esprits, le jeune homme se redressa et chercha ses compagnons du regard. Il commençait à s'inquiéter lorsqu'il distingua enfin la silhouette d'Ayleen, agenouillée auprès du forgeron. Il s'approcha, soulagé, mais se figea soudainement : Algonn était plus pâle que d'ordinaire et semblait avoir du mal à respirer convenablement. Une tache de sang s'élargissait au niveau de son abdomen, là où il s'était empalé contre l'une des nombreuses décorations qui ornaient la salle. La princesse faisait preuve d'une incroyable maîtrise face à cette blessure, une main tremblante posée sur l'épaule de l'homme et les yeux embués de larmes.
« Je suis désolé, murmura-t-il.
— Q... quoi ? Mais pourquoi ?
— Je n'ai pas été... tout à fait honnête. Sur mon passé. Et sur ton père.
— Que voulez-vous dire ? demanda-t-elle, troublée.
— J'ai... j'ai fait partie du complot contre lui. J'en ai... même été l'un des instigateurs. »
Tout s'expliquait à présent : la raison de son exil soudain vers les bas quartiers et ses silences glaçants lorsque cette période lointaine était évoquée. Sans être complètement bouleversée par cette confession, Ayleen en était avant tout reconnaissante. Néanmoins, la tristesse prenait le pas sur le reste car elle savait qu'il n'y avait plus rien à faire : cet homme qui avait tant fait pour elle allait mourir.
« Je sais que c'était... quelqu'un d'horrible. Mais c'était ton père.
— Je comprends, murmura la jeune femme.
— Quand je t'ai vue, j'ai... j'ai voulu essayer de me racheter.
— Et vous l'avez fait. Jamais je ne serais parvenue jusqu'ici sans vous. »
En dépit des frissons qui la déstabilisaient, elle s'efforça d'adopter un ton ferme et assuré. Il fallait qu'Algonn sache que tout ceci n'avait pas été vain ! Une larme roula malgré tout sur sa joue, tandis qu'elle sentait la main de Shan se glisser dans la sienne en guise de soutien.
« Merci, expira le forgeron. »
Il leur envoya un sourire auquel les jeunes gens ne purent s'empêcher de répondre. Puis il ferma les paupières avant que son visage s'apaise enfin.
§
§ §
Ils émergèrent des décombres en se soutenant mutuellement, clignant des yeux face à la clarté du soleil. Ayleen dut s'y reprendre à deux fois pour chasser les larmes qui brouillaient sa vision et prendre enfin la mesure de ce qui se passait. C'était une véritable assemblée qui les attendait là : hommes, femmes, enfants... les nobles et le petit peuple. Tous réunis à cet endroit et menés par nulle autre que la jeune Saraï qui se tenait en première ligne, rayonnante. A ses côtés, Caecilia accompagnée de son fidèle Ferno : la voir ici, imaginer qu'elle ait accepté de sortir de sa retraite et d'affronter le monde extérieur émut beaucoup la princesse. Son mentor était venue lui témoigner son approbation.
Bien que l'explosion ait certainement dû aider à les rassembler, elle sentit une vague d'émotion la submerger en contemplant tous ces visages admiratifs. Mais ce ne fut rien à côté de la véritable ovation qui s'éleva bientôt. Acclamée de toutes parts, elle ne savait plus où donner de la tête. Tout cela était-il bien réel ? Avaient-ils réussi ?
Soudain, un cri d'horreur mit un terme à la joyeuse effusion. Les applaudissements cessèrent et les airs réjouis laissèrent place à la crainte. Ayleen sentit son compagnon l'inciter à faire demi-tour et elle se retourna lentement.
Là, à quelques mètres à peine, un flux ténébreux gouttait entre les pierres brisées. Petit à petit, il avait formé une flaque poisseuse. Le magma infernal donna ensuite l'impression de bouillonner avant de se mettre à grandir. La mixture enflait, gagnant en consistance et en force. Bientôt, la "Terreur Noire" put à nouveau les contempler de toute sa hauteur, comme si rien n'avait changé.
Je t'attendais.
Le constat sonnait comme une condamnation. Le peuple de Kaïs frémit en entendant pour la première fois le timbre d'outre-tombe. La majorité devait penser à s'enfuir, mais la peur les paralysait tous. Ayleen, de son côté, s'efforçait de faire face sans se laisser décourager. Sans réfléchir, elle analysa leur opposant et crut noter qu'il paraissait moins... solide que d'habitude. Comme si cette démonstration de force l'avait éprouvé.
« On ne vous laissera pas gagner ! s'écria Saraï avec une fougue inattendue. »
Son courage parut revigorer ceux qui l'accompagnaient car, d'un coup, une vague de protestations commença à enfler en direction du "Seigneur Sombre". Ayleen pouvait voir les traits se durcir, les poings se serrer et les armes se lever. Ils allaient oser s'opposer à cette terrifiante créature ! Elle eut un pincement au cœur en prenant conscience qu'Algonn avait eu raison dès le début, mais se reprit aussitôt en comprenant qu'elle ne pouvait pas laisser faire une chose pareille.
« Non ! hurla-t-elle en se postant devant la foule, les bras tendus en signe de protection. »
Les vociférations s'amenuisèrent tandis qu'on lui lançait des regards surpris. N'était-ce pourtant pas ce qu'elle voulait ?
« La violence ne servira à rien, poursuivit-elle d'une voix forte. Je l'ai vu faire, toute attaque sera inutile. »
Intéressant. Aurais-tu finalement retenu une leçon ?
La jeune femme se retourna vers son interlocuteur, restant malgré tout campée sur sa position.
Tu serais prête à les défendre, tous autant qu'ils sont ? Ces nobles que tu méprises et ces Demis dont tu avais si peur ?
« Aucun d'entre eux ne mérite de mourir en vain ! Et je n'ai plus aucune raison de les craindre. »
Mais ne sont-ils pas des monstres ? Des êtres bestiaux, sans passé, sans ancêtres, sans racines. Sans même un nom de famille auquel se rattacher. Des demis-humains ?
C'est à cet instant que la princesse décoda enfin le sens de cette appellation insultante. Elle réalisa que la brèche qui s'était creusée durant toutes ces années et le mur infranchissable qui les séparait n'avaient aucune raison d'être. Toutes ces rumeurs et ces horribles légendes... tout cela était faux. Ils étaient pareils. Simplement humains.
Abasourdie, elle échangea un regard avec Shan et constata qu'ils avaient compris la même chose.
« C'est terminé maintenant. Je mettrai un terme à cette persécution absurde, jura-t-elle avec une vigueur libératrice qu'elle n'avait jamais ressentie. »
L'autre ne répondit pas tout de suite. Il l'observait silencieusement, comme s'il tentait d'évaluer son degré de sincérité.
De quel droit te proclames-tu leur sauveuse ? Parce que tu prétends être la souveraine légitime de cet endroit ?
La créature avait l'air curieuse. Tout comme elle semblait soudain plus petite, moins sombre, plus... accessible. Mais comment savoir si sa vision n'était pas abusée ? Ayleen n'en avait aucune idée. Cela pouvait tout aussi bien être un nouveau piège. Toutefois, elle s'efforça de répondre avec franchise.
« Non. Parce que je suis la seule à avoir vu les deux facettes de Kaïs. Je suis née dans la plus haute sphère de la noblesse, mais je viens de vivre plusieurs mois parmi le petit peuple. J'ai pris conscience de ce que chaque partie vivait. Je l'ai vu, éprouvé et ressenti. Et à présent, je sais que je peux restaurer ce royaume. Que nous pouvons le faire, tous ensemble. »
Je sens ta volonté de rétablir l'équilibre. Elle est sincère. Mais eux... te suivront-ils ?
Le ton ne contenait plus la moindre animosité. La fureur du "Seigneur Sombre" paraissait apaisée. Malgré l'inconstance de ses traits, Ayleen pouvait presque lui imaginer un visage humain. Enfantin même. Qui avait besoin de savoir.
La jeune femme se retourna une nouvelle fois en direction du peuple.
« Que répondez-vous ? Êtes-vous prêts à me suivre afin qu'ensemble, nous changions ce monde ? »
Leur réaction ne se fit pas attendre. La clameur qui l'avait accueillie auparavant s'éleva à nouveau, plus forte que jamais. Les applaudissements semblaient ne jamais devoir finir. Les cris résolus s'élevaient jusqu'au ciel. Les corps s'agitaient, pressés de se mettre à l’œuvre.
Au milieu de ce joyeux vacarme, la "Terreur Noire" écoutait. Ses yeux avaient disparu ou s'étaient fermés. Sa silhouette immatérielle ondulait, comme sous l'effet d'une douce brise. La noirceur insondable qui la constituait paraissait la quitter, laissant place à une blancheur immaculée. Chaque cellule de ce corps éthéré se mit ensuite à frémir, donnant l'illusion d'un millier de battements d'ailes.
Ce furent bien des papillons qui s'élancèrent soudainement en direction des nuages sous les regards ébahis de l'assistance. Ils se dispersèrent au vent et ce fut terminé. Comme si rien n'était jamais arrivé.
§
§ §
À l'extérieur, le peuple entier était en liesse. Malgré son envie de les rejoindre, la jeune femme leur tournait le dos. Elle contemplait les débris de son ancienne vie. Le château ne serait plus jamais le même. Le trône, lui, était resté bien à sa place. Comme pour la narguer. Tu me veux ? Qu'attends-tu pour venir me chercher ? semblait-il susurrer de loin. La demoiselle plissa les paupières. Elle réfléchissait.
« Est-ce que ça va te manquer, tout ça ? »
La voix de Shan la ramena à la réalité. Elle jeta un dernier regard au fauteuil royal avant de s'en détourner définitivement. Pas de regrets.
Là, elle les vit. Ses hôtes. Sa famille. Ils l'attendaient, comme toujours. Le regard fier. Prêts à la suivre n'importe où, sans hésitation. Rien ne pourrait plus défaire le lien qui les unissait.
Ayleen les observa un instant. Puis son regard se porta plus loin : les nobles qui ne le seraient bientôt plus, les anciens Demis, le peuple de Kaïs réunifié. Plus loin encore, l'imposante muraille qui deviendrait prochainement un souvenir. Oui, au fond, cela ne faisait que commencer.
Et elle sourit, heureuse.
FIN
Cela ressemble assez à un conte philosophique destiné à faire réfléchir sur le pouvoir et la légitimité.
Je me suis demandée jusqu'au bout quelle était la nature de la terreur noire et même s'il y avait quelques longueurs dans certains chapitres, dans l'ensemble , j'ai beaucoup apprécié.
Je n'y avais pas forcément pensé comme ça, mais j'aime assez le parallèle avec un conte philosophique. C'est une belle idée !
Ah oui la Terreur Noire... j'avoue que je ne sais même pas si sa nature exacte était très claire dans ma propre tête. C'était un personnage assez difficile à représenter.
Je voulais en tout cas que cette créature naisse des émotions négatives (peur, tristesse, haine, ...) et que cela l'abreuve mais, qu'à force, cela finisse par l’écœurer. Ne supportant plus la moindre manifestation de ce genre d'émotions, elle cherche à en éradiquer toute trace, peu importe le "camp" (gentil/méchant).
Quoi qu'il en soit, un tout grand merci d'avoir pris le temps de lire et de me partager ton ressenti ! ^_^