7 — Impression d'un Cri Muet

Par Rouky

— Ils vont bientôt revenir.

— Les deux ? demanda Honoré Rembrandt, sans détourner le regard de la flamme vacillante dans l'âtre.

— Oui, père. Ravel et Cézanne sont en chemin.

Ronsard Rembrandt se tenait droit, raide, au centre du bureau familial. Autour de lui, le poids des portraits accrochés aux murs semblait peser sur ses épaules. Frida Rembrandt, en robe noire aux manches de velours, le fixait d’un œil dur. Son époux, droit dans son fauteuil sculpté, n’avait pas esquissé le moindre geste.

— Comment t’y es-tu pris ? demanda Frida d’une voix coupante. Qui as-tu envoyé cette fois-ci ? Cyrano ? Bovary ?

— Sorel, murmura Ronsard en détournant brièvement les yeux.

— Sorel ? siffla Frida, incrédule. Tu ne peux être sérieux...

Un silence s’abattit, dense.

— Tu es certain de ce choix... contestable ?

— Je n’avais pas d’autre option, mère. Il est tenace, imperméable aux discours enjôleurs de mes fils. Sa naïveté peut troubler, j’en conviens, mais jusqu’à présent, il est le seul à avoir su tenir tête à Ravel.

Honoré Rembrandt se redressa lentement, la main crispée sur l’accoudoir.

— Il n’aurait jamais eu à le contenir si tu n’avais pas laissé ton aîné s’enfuir, gronda-t-il. Que Cézanne prenne la fuite, soit. Mais que Ravel suive son exemple ? Et toi, que fais-tu ? Tu regardes la lignée s’étioler sans réagir ? Comment comptes-tu assurer la descendance des Rembrandt dans ces conditions ?

Ronsard baissa la tête. La honte, amère et familière, lui mordit la nuque.

— Pardonnez-moi, père. Cette défaillance ne se reproduira plus.

— Il y a intérêt, fils. Tu es désormais le pilier de notre avenir. J’aurais préféré que cette responsabilité revienne à Rostand, mais son... infécondité en a décidé autrement. C’est donc à toi de porter l’héritage. Si tu échoues, je me verrai contraint de choisir Rodin pour te remplacer.

Un frisson passa dans le regard de Ronsard. Rodin... ce frère cadet, passionné, orgueilleux, avide de reconnaissance. Et ce regard qu’il posait sur Cassandre, jadis...

Honoré Rembrandt se leva avec lenteur, rajustant les manches de son manteau sombre.

— Je dois dîner ce soir avec la reine. Elle attend des nouvelles de notre lignée. Tu le sais : notre pouvoir n’est pas un don, c’est un service. Et notre sang n’appartient pas qu’à nous. Il est une offrande à ce royaume. N’oublie pas, Ronsard : notre nom façonnera encore les siècles à venir. Ne me déçois plus.

Il quitta la pièce, suivi sans un mot par un valet en livrée. Frida, immobile, resta seule avec son fils. Elle désigna le fauteuil à sa gauche d’un geste. Ronsard s’y assit sans protester, et enfouit son visage entre ses mains.

— Dis-moi ce qui te tourmente, murmura Frida, la voix soudain plus douce. Je vois bien que cette histoire dépasse la simple fugue de tes enfants.

Ronsard resta un instant muet, puis soupira.

— Ce devoir... cette descendance qu’il exige... Je doute de pouvoir l’accomplir. Carmen est l’aînée, pourquoi ne pourrait-elle—

— Non, coupa Frida. Tu sais pertinemment pourquoi. Carmen est née femme, tout comme moi. Le pouvoir n’attend pas d’excuses. Rostand est stérile. Rodin est encore un enfant aux yeux du monde, malgré ses éclats. Toi seul peux transmettre notre nom. Toi seul portes l’héritage des Rembrandt.

Elle marqua une pause, puis ajouta, plus froidement :

— Nos dons sont exceptionnels. Ils peuvent bouleverser les équilibres. Ils suscitent l’envie, la peur, parfois l’adoration. Voilà pourquoi la reine elle-même s’intéresse à notre famille. Ce n’est pas le moment de faiblir. Retrouve tes fils, et élève-les comme il se doit. Cassandre les a ramollis de ses douceurs inutiles. Sa mort, en cela, fut une délivrance. Il est temps que tu reprennes leur éducation en main.

Ronsard serra les mâchoires. L’envie de répondre, de crier lui noua la gorge. Mais il se tut.

— Va, ordonna Frida. Fais ce qui doit être fait. Et ne reviens pas sans eux.

— Oui, mère...

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