A portée de destin

• Hysope Brocéliande •

            Toc… Toc… Toc…

            La grande aiguille de l’horloge bloquait. Diablerie… mes dernières réparations dataient de moins d’une semaine. L’écho de ses rouages me déstabilisait. Plus un tic pour suivre ses tacs. Il m’en faudrait plus pour m’ôter à ma besogne. Je finirai de restaurer cet ouvrage coûte que coûte, peu importe les caprices de mes inventions, le clapotis de mes potions et le capharnaüm de mes bibelots mécaniques. Ce que les sciences pouvaient être bruyantes ! Mon petit trésor, en revanche, se taisait depuis le début de l’opération.

            Conseils et Consignes Esotériques d’Esme Samhain. Dernière copie intacte à travers Ganyma. L’Histoire n’attribuait que trois exemplaires manuscrits à cet auteur, pourvus d’une fine reliure dorée et d’un cachet de vieille encre en troisième de couverture. Madame Samhain gardait le premier volume avec elle, dans la tombe. Les cendres du second se mêlaient aux vestiges des autodafés, survenus peu après le décret d’interdiction des pratiques ésotériques.

            Un cauchemar que ma mémoire persistait à rejouer. Je m’en souvenais encore comme de la veille, à l’époque à peine âgée de sept ou huit ans, dans les bras de mon père, observant toute la connaissance de notre peuple se consumer par la volonté des grands de Ganyma.

            Cette journée aura au moins fait naître en moi deux sentiments très forts ; mon aversion pour le feu et ma passion pour ce que les autres veulent cacher. Ne pouvant devenir pompier par rejet de toute forme d’autorité, la tenue d’une bibliothèque m’apparut évidente. Sauver les livres et le savoir qu’ils renfermaient demeurait ma ligne de conduite.

            La même depuis près de soixante-dix ans.

            — Ils vont bientôt nyarriver.

            Mon pinceau manqua de dévier. Un peu plus et le paysage de cette enluminure se transformait en gribouillis d’enfant de maternelle. Pytha monta sur le bureau. Je tirai une feuille volante pour que la pile de paperasse sur laquelle elle se tenait s’écroule. Elle réprima un miaulement de surprise, puis revint à l’assaut.

            — Et tu comptes les nyaccueillir dans ce désordre ?

            Une dernière touche de bleu. Il ne manquerait plus qu’un carré d’or pour achever cette œuvre d’art. Ma renarde retourna se coucher auprès de la cheminée éteinte, lasse de soliloquer sans parvenir à me déconcentrer. Du coin de l’œil, je vis sa queue dodeliner au rythme du pendule sur la commode. Quoi de plus discret que des billes s’entrechoquant à intervalles régulières ? Heureusement que mon matériel de chimie reposait à la cave. Je n’aurai pas supporté le gargouillis des réactions en chaîne.

            Le sifflement qui s’échappa de ma bouilloire me fit sursauter. Mon thé m’attendait. De toute manière, le destin me refusait d’achever les mémoires d’Esme Samhain, et je ne pouvais m’y opposer.

            — Une pose s’impose, je suppose…

            Ma main trouva la poignée du troisième tiroir à gauche en partant du sol. Un coup bref et le bureau s’actionna en cliquetant, souleva le plan de travail sur lequel je m’affairais pour me proposer une nouvelle interface, vierge de tout chantier. Les Conseils et Consignes Esotériques glissèrent sur le côté, sagement rangé entre deux rouages de ma table. Ni vu ni connu.

            — Platon, quelle heure est-il ?

            — Quatorze heures huit.

            — Ils sont en retard.

             Mon siège grinça contre le parquet. Où était encore passé ce fichu grimoire ? Le cache-cache demeurait son occupation favorite, même s’il savait que je finirais par le retrouver. Impossible de passer inaperçu bien longtemps lorsque notre volume dépasse du triple ceux des autres livres de la bibliothèque. Les quatre murs de mon étude avaient beau être recouverts de bouquins du sol au plafond, je connaissais leur emplacement avec tant de précision que le moindre déplacement me paraissait flagrant.

            — Descend, Codex.

            Perché sur la plus haute étagère, Codex bascula en arrière pour s’écraser de tout son poids à l’intérieur de mes bras. Je le portais jusqu’à mon office, défis les sangles qui le maintenaient fermé et l’ouvrit au chapitre deux cent trente-et-un. Il corrigeait justement les derniers mots d’une page à propos de la jeune fille aux quatre éléments.

            — Ce n’était pas tout à fait ce qui était prévu…

            — Rien ne se passe jamais comme prévu, nya !

            Pytha s’étira de tout son long, bâillant à en perdre la mâchoire. Il est vrai que l’avenir de ces enfants changeait si vite que Codex peinait à s’y adapter. Même si la première rencontre des détenteurs d’artefacts se déroulait plus violemment que dans les récits d’origine, je gardai l’espoir que ce chapitre s’achève pour le mieux.

            Penché contre la fenêtre, Platon se mit à trépigner.

            — Les voilà !

            Je ramassai ma chaise tombée à terre pour m’y asseoir, prête à les recevoir. Une grande inspiration traversa mes poumons ; j’attendais ce moment depuis des années. La clochette qui surplombait l’entrée de la bibliothèque tinta joyeusement.

            — Il… y a quelqu’un ?

            Pytha quitta son coussin pour grimper sur mes genoux. La page de Codex se tourna. Elle fit la moue en relisant le paragraphe présenté.

            — Tss… les porteurs sont accompagnés –

            — De l’empathe, certainement.

            Ils progressaient lentement, craignant la venue d’une créature hostile ou d’un danger mortel. Pourtant, deux d’entre eux refusaient d’abréger leur dispute, malgré le risque de croiser des sentinelles.

            — S’il ne voulait pas de Sonja, il n’avait qu’à rester pour l’affronter !

            — Arrête de revenir là-dessus, Calum, par pitié…

            Un pas, puis un autre. Je les entendais déambuler à travers les allées de mon sanctuaire. Enfin, le groupe atteignit les escaliers qui menaient au premier étage. Le poil de ma renarde se hérissa lorsque son regard arpenta notre bureau.

            — Le bazar, Hysope !

            — Tout va bien, nous avons le temps.

            Leurs semelles malmenèrent le bois usé des marches. Platon quitta son encrier pour me sautiller jusqu’à nous, rejetant une traînée de liquide sombre sur son chemin. Il appuya la demande de Pytha, gêné par le fouillis qui régnait dans mon antre.

            — Nous ne sommes pas pressés à ce point, si ?

            Les détenteurs d’artefacts débarquaient sur le palier. Après un instant d’hésitation, ils traversèrent le couloir pour toquer à ma porte.

                        — Entrez.

• Calum •

            Auxence enclencha la poignée du bout des doigts. Je le suivais en silence, heureux de pouvoir quitter ce couloir orné de bibelots inquiétants. Pas que je n’appréciais pas la culture taoute, loin de là, mais leurs masques guerriers éparpillés sur les murs me mettaient mal à l’aise. J’avais la curieuse impression que ces morceaux de bois me scrutaient. Je gardais l’horrible sentiment d’être observé.

            Le cabinet qui s’offrit à nous me coupa le souffle ; une pièce emplie de livres jusqu’au plafond, lui-même si haut que des échelles automatiques permettaient d’accéder aux étagères les plus élevées. Ici et là, on percevait le cliquetis d’une babiole, d’un mécanisme ou d’un sujet d’expérience dont j’ignorais l’utilité. Des cartes de Ganyma pendaient de la charpente jusqu’au sommet de nos têtes, dévoilant ses montages, ses plateaux et ses forêts, ses villes et ses déserts, ses fleuves coulant vers l’océan qui englobait nos terres.

            Au cœur de cette forteresse à l’odeur de vieux papier, la femme nous fixait, une tasse fumante dans la main droite. Sa main gauche soutenait la plume dont elle se servait pour écrire, toujours concentrée sur son ouvrage.

            — Dame Brocéliande ?

            Elle nous invita à entrer. Nous traversâmes la pièce étonnamment organisée – comment pouvait-on amasser autant d’objets sans que tout ne s’effondre ? – pour s’arrêter devant son bureau. Je sortis l’hélicolombe à son nom pour la lui remettre. Elle leva les yeux jusqu’à moi par-dessus ses petits binocles ovales.

            — Vous êtes en retard.

            Auxence prit notre défense.

            — Pardonnez-nous pour le dérangement, madame, mais mes amis ont trouvé cette colombe –

            — Qui m’est adressée, je sais.

            Elle coupa sa phrase par une gorgée de thé. Un renard aux grandes oreilles glissa entre les pieds de sa maîtresse. Sa manière de me scruter m’intrigua, mais je ne pus poser de question ; la bibliothécaire inséra une clef dans le cou de l’oiseau qu’elle laissa voleter sur ses monticules de travaux.

            — Madame Hysope Léontine Brocéliande, commença une voix masculine, en vue des évènements tragiques qui secouent le continent de Pangée, la Confrérie des Sceaux demande à tous les ésotériciens encore en vie de se rassembler au Village Mué jusqu’à l’apaisement des détraqués. Nous y assurerons votre protection et celle des générations nécessiteuses de maîtriser leurs aptitudes. Mon esprit salue le vôtre. Signé : votre ami Ysengard Mysenrogn.

Le grésillement s’arrêta et la colombe s’éteignit. Sortit de son aile la retranscription du message que la vieille femme relut en diagonale. Elle fourra le billet dans une de ses poches avant de rassembler ses affaires. Et sa plume continuait d’écrire toute seule.

            — Eh bien, qu’attendez-vous ?

            Elle ramassa son haut de forme et son cabas, puis nous poussa vers l’extérieur.

            — Pytha, Platon ! Allez, on ne traîne pas !

            Le renard et la plume dépassèrent Sonja, restée en retrait à l’entrée du cabinet.

            — Et où comptez-vous courir comme ça, la vioque ?

            — À l’église Saint-Clous, pardi… Vous devriez connaître le chemin !

            La mâchoire d’Auxence manqua de tomber. Cette femme était une sorcière… Comment savait-elle où nous nous cachions ?

            Je me précipitai à travers le couloir au bout duquel elle disparaissait déjà.

            — Attendez !

            Mon cri l’arrêta avant qu’elle ne passe la porte de sa boutique.

            La foule de questions qui m’assaillait m’essouffla autant que la poursuite.

            — Pourquoi devrions-nous vous faire confiance ? Vous êtes ésotéricienne, pas vrai ? Le renard qui vous accompagne n’est pas un simple animal de compagnie… qui nous dit que vous n’en profiterez pas pour nous nuire ?

            Elle se tourna vers moi, un rictus au coin des lèvres.

            — Allons bon ! Voilà une réflexion mal venue de la part d’un féru de magie incapable de la maîtriser. Calum… tu as trouvé des ouvrages recherchés par la police dans l’unique but d’en aider d’autres à contenir leurs dons. Quant à la belle Sonja qui ignore encore sur quel tableau jouer… si quelqu’un ici fait des cachoteries, ce n’est certainement pas moi. Je ne mens jamais.

            Un frisson nous traversa. Cette femme prétendait nous connaître mieux que nous même. Nous avions affaire à une adversaire plus coriace que prévu.

            — Sûrement de la divination… glissa Auxence à mon oreille.

            — Ou un artefact, gloussa-t-elle à mi-voix.

            Nous échangeâmes un regard perplexe avant de la rejoindre au rez-de-chaussée. Son sourire malicieux nous emplissait de doutes.

            — Pas de panique… je m’expliquerai en présence de tous les concernés.

            Puis elle se tourna vers moi, les bras étendus vers les rangées de présentoirs triés par ordre alphabétique.

            — Nous ne reviendrons pas avant longtemps, et puisque tu viens d’achever ton dernier manuel… Choisis celui que tu veux.

            À ces mots, elle me poussa en direction des allées croulant sous les livres. Il y en avait de toutes sortes, de l’imagier pour bambins à l’encyclopédie trilingue. Des couvertures de cuir ou des tubes à parchemins, neufs ou tombant presque en lambeaux. Des siècles d’existence défilaient sous mes yeux. Choisir ? Comment choisir un seul ouvrage parmi toutes ces merveilles ?

            Malheureusement, la bibliothèque ne possédait pas de catégorie « ésotérisme ». Quelques lignes sur la magie auraient suffi à sa fermeture et à l’enfermement de Brocéliande pour détention de littérature interdite.

            Je m’approchai de la section historique, au fond de la pièce. Les contes et légendes des peuples de Ganyma s’y trouvaient référencés ; à quoi bon les relire ? Je les connaissais pratiquement par cœur.

            — Il ne devinera pas, nya, murmura le renard d’Hysope.

            — Chut ! Laisse-le chercher…

            Je fis mine d’ignorer leurs messes basses. Ainsi, ils me cachaient quelque chose… ses quelques mots suffirent à éveiller ma curiosité. J’arpentai l’allée jusqu’au mur dédié aux auteurs étrangers. J’y retrouvai des récits d’Alterouest et de l’Archipel, dans divers dialectes qui m’apparurent plus ou moins familiers. Un peuple attira mon attention.

            — Qui sont les paléo-pangéens, madame Brocéliande ?

            Aucune réponse. J’effleurai les couvertures poussiéreuses, essayant de déchiffrer les titres et les noms des écrivains. Voilà tout un pan de monde dont j’ignorais l’existence. À moins que…

            J’ouvris la poche de C apuchon pour en tirer une poudre véreaume qui se répandit sur le présentoir. Derrière moi, Hysope Brocéliande ricanait.

            — Perdu, Pytha.

            Les tranches des livres commencèrent à se craqueler. Leurs lettres se brisèrent, se mélangèrent et se modelèrent pour dévoiler leur véritable contenu ; la pratique interdite.

            J’arpentai du regard la liste des différents manuels. Je m’en doutais… un sort de dissimulation dans un rayon que personne n’empruntait. Voilà qui suffisait à masquer les plus grands trésors aux yeux trop curieux.

            — Permettez que je vole les Prédictions Prépondérantes

            — Filbir Egnar ? Très bon choix.

            Elle ne vit pas que derrière l’énorme ouvrage du vieux devin, Capuchon engloutit – par accident – trois recueils, un atlas et deux carnets d’expériences qui traînaient là.

            Dernier tour de clef. La bibliothèque Boussole se scellait à jamais. Nous entamâmes le chemin de retour vers la chapelle où Shan et Cyrélien nous attendaient. Durant le trajet, Brocéliande s’intéressa davantage à moi qu’aux dangers mortels qui nous entouraient.

            — L’alchimie apprend à voir au-delà des apparences, songeai-je. La quantité de documentation sur les paléo-pangéens me semblait trop importante pour que nos professeurs d’histoire ne nous en aient pas parlé.

            — Il te reste pourtant quelques examens avant ton diplôme, non ?

            — J’étais le plus jeune élève du cycle d’argent. Il me manquait quelques notions avant les dernières épreuves.

            Son rire fut masqué par l’effondrement d’un mur, quelques rues plus loin. Sonja et Auxence accélérèrent le pas.

            — L’académie Archimède d’Honem est bien meilleure que l’école de Béring.

            — Tout dépend de ce que l’on y cherche.

            L’institut Galilée se démarquait par son exigence légendaire. Le peu de diplômés qui en sortait – indemne – demeurait largement inférieur à celui d’Archimède. Mais je n’étais plus à même de débattre sur de tels sujets. Qui pourrait tenir compte de l’avis d’un décrocheur scolaire ?

            Nos camarades nous prièrent de nous taire ; un détraqué manqua de nous repérer. Il arpentait les rues avoisinant l’église Saint-Clous, et nous ne pouvions prendre le risque de l’attirer jusqu’au bâtiment. Avant qu’on ne puisse réagir, Sonja planta son arme dans les rouages de l’automate qui s’écroula, à court d’énergie.

            Auxence félicita notre nouvelle recrue d’une tape sur l’épaule, qu’elle rendit avec deux fois plus de force ; personne ne la touchait sans son autorisation.

            La porte de l’église s’ouvrit quelques minutes plus tard. J’y découvris un Cyrélien dépassé par la meute d’enfants sauvages dont il devait s’occuper. Il gisait sur un canapé, le regard vide, tandis que les petits lui couraient autour, escaladaient ses genoux, tiraient ses cheveux et hurlaient dans ses oreilles. Auxence siffla pour les rappeler à l’ordre. L’autorité dont il faisait preuve provoqua la jalousie du baron.

            — Shan, Cyr’… je vous présente madame Brocéliande, la propriétaire de la colombe.

            Cyrélien fronça le sourcil, se demandant en quoi une dame de cet âge pourrait nous être utile. Plutôt que de se confondre en explication, la femme ôta veste et chapeau pour s’asseoir auprès de lui.

            — Pourrai-je voir Sillage ?

            Le druide fit un bond.

            — C-comment –

            Elle l’apaisa aussitôt, se tournant vers Hécate qui observait la scène depuis le haut d’un meuble.

            — Je pensais votre apprenti moins sanguin.

            — S’il écoutait mes leçons, nous n’en serions pas là !

            Auxence croisa les bras dans un soupir. Sa patience atteignait les limites.

            — Mais enfin… ne voyez-vous pas que nous sommes réunis ?

            Un nouveau silence suivit ses paroles. Elle se racla la gorge, attristée par le manque de succès de ses devinettes.

            — Savez-vous ce qu’est un artefact, les enfants ?

            — Un objet créé par l’homme ayant reçu la bénédiction des faërys, lançai-je avec lassitude.

            — Exact. Nous ne sommes pas seuls dans ce monde. La magie nous vient de dimensions supérieures, où vivent diverses créatures qui peuvent, quand elles le désirent, interférer avec nos vies. Il existe très peu d’artefacts en Pangée, et tous leurs détenteurs se trouvent dans cette pièce.

            Ma tête me tourna. Auxence dévia ma chute sur le fauteuil le plus proche. Je riais à mon tour, incapable de réaliser les idioties monumentales de cette bibliothécaire excentrique.

            — Capuchon n’est pas un artefact.

            Plutôt que d’argumenter, elle tira de son sac un énorme grimoire orné d’une pierre brillante, l’ouvrit à la page marquée d’un ruban pour lire à haute voix :

            — Chapitre deux cent trente-et-un, alinéa deux cent soixante-quatorze. Attaque d’un automate. Sillage parvient à fuir. Capuchon tombe des mains de Calum et laisse rouler une potion d’orignalia… dois-je poursuivre ?

            Ce livre savait mon passé. Il savait probablement mon futur. Cette femme disait vrai. Capuchon était l’un de ces légendaires artefacts. Les faërys d’un autre plan accordaient une conscience à ma besace. Et moi qui pensais qu’une lotion d’omniscience mal dosée avait débordé au fond de sa poche !

            Tout le monde connaissait l’histoire des artefacts. Ces mythes existaient depuis la nuit des temps. On disait que ces cadeaux uniques poussaient leurs détenteurs à se réunir lorsqu’un danger qu’ils ne pouvaient affronter seuls se présentait. Aujourd’hui, la menace paraissait évidente… et le hasard bien moins important.

            — Il s’agit de votre destin, les enfants. J’espérais que vous en prendriez conscience plus tôt, mais –

            Sonja ouvrit la porte à la volée.

            — Oui, c’est ça ! Et on est quoi, nous ? Les élus de la prophétie ? De fougueux chevaliers capables de pourfendre le mal qui ronge notre société ?

            Pytha grimaça. Sa maîtresse referma l’entrée de Saint-Clous le plus calmement du monde.

            — Voyez-vous plutôt comme des instruments de prospérité. Vous ne changerez pas Ganyma à vous quatre, mais vous pouvez contribuer en bien à ce changement. Les faërys vous ont conféré un pouvoir que d’autres n’ont pas car ils vous jugent digne de confiance… alors il serait dommage de rompre ces liens magiques.

            Cette considération figea la brigadière.

Shan, Sonja, Cyrélien et moi. Quelle drôle équipe ! Qui aurait porté son choix sur une garde introvertie, un baron déchu, une policière indomptable et l’astiqueur de théorèmes que j’étais ?

            L’étrange grimoire d’Hysope Brocéliande disparut à l’intérieur de son cabas.

            — À présent, nous devons nous rendre au Village Mué dans les plus brefs délais. Le message de l’hélicolombe est formel, et nous avons déjà pris du retard sur les prédictions de Codex. Je ne voudrais pas qu’il nous arrive malheur !

            Auxence blêmit. Le Village Mué se cachait quelque part entre Honem et les plages du Val d’Astrée, à des kilomètres de Wallis. Impossible de traverser Pangée à découvert, sans armes ni provisions.

            — C’est à des semaines de marche… les triplés ne supporteront pas un tel périple.

            — Qui a parlé de marcher ?

            Nos regards se tournèrent vers Sonja. Elle semblait bien plus impliquée depuis l’annonce de Brocéliande. Cyrélien lui donna un coup de coude – qu’elle rendit – pour l’obliger à parler.

            — L’aérogare de Wallis est l’une des plus puissantes de Ganyma. Il doit rester des dirigeables.

            — Tu sais en piloter un, peut-être ?

            — Non. Cependant… Canaan -

            — Tu veux demander de l’aide à la pègre ?! s’étrangla Cyrélien. Tu es complètement folle…

            Auxence devina dans mes yeux que j’ignorai tout de Canaan. Il traduisit leur dispute afin que je puisse y prendre part.

            — Pendant la guerre, une partie de Wallis s’est retranchée dans un labyrinthe de souterrains. Au fil du temps, on y a enterré les « indésirables » qui ont fondé la cité de Canaan. Ils devraient avoir survécu à l’attaque des détraqués… cependant, ils sont réputés pour leur hostilité.

            — On doit essayer, acheva Sonja. Les convaincre ne devrait pas être si difficile, pourvu qu’ils soient encore vivants.

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