Au fond du vieux petit placard

C'EST LA NUIT. La nuit vraiment toute noire.

Je ne sais pas où je suis. Le plafond n'est plus là. Les murs ne sont plus là.

Et mes parents sont partis eux aussi. Je ne sais pas quand. Je ne sais pas où. On m'a rien dit.

J'ai les yeux grands ouverts. Pourtant je ne vois rien. Je suis comme un aveugle qui a perdu son chien.

Je ne me vois pas, mais je crois bien que je suis là, emmitouflé sous une couverture.

Je passe beaucoup de temps ainsi à ne rien regarder.

Des fois, je crois entendre un craquement.

Ou bien je vois apparaître un monstre invisible avec des yeux sans couleur.

J'ai très peur dans mon ventre.

Tout mon corps pleure en silence.

Car je ne veux surtout pas réveiller les mâchoires des ogres dans l'escalier.

Heureusement, juste à côté de moi, je sens bientôt l'odeur de rose de tata Momo.

Et son doux parfum calme un peu mes frayeurs.

Alors, au bout d'un long moment, dans le creux de son oreille, je lui dis doucement :

- Tata Momo ?… Tata Momo ?

- Hein quoi ? me répond t-elle au cœur de la nuit noire.

- Tu dors ?

- Oui, je dors. Dors, toi aussi, Lolo !

- J'arrive pas.

- Tu n'as qu'à compter les moutons, comme je t'ai appris.

- J'arrive pas. Je les vois pas les moutons.

- Tu as envie de pipi ?

- Non.

- Écoute, j'ai très sommeil. Qu'est-ce que tu veux à la fin ?

Et là, d'un seul coup, je ne peux plus retenir mes yeux. Je me mets à pleurer tellement, que j'en chiale.

Alors tata Momo se retourne et m'enveloppe tendrement dans ses bras.

- Allons, allons, pourquoi tu pleures comme ça ?

- Je veux plus aller derrière la porte du vieux petit placard, je lui avoue enfin, secoué par les sanglots.

- Qu'est-ce que tu racontes ? Qui te met là-dedans ?

- Papa, des fois !

- Ça va vraiment pas dans sa tête à ce bonhomme ! Pourquoi, il fait ça ?

- Quand je suis pas sage.

- Mais tu es toujours sage, y a pas plus sage que toi.

- J'ai peur dans le placard.

- Bien sûr que tu as peur. Qui n'aurait pas peur ?

- Dans le placard, je crois que je vais mourir.

- Elle le sait ta mère qu'il te fait ça ?

- Non, il m'enferme quand elle n'est pas là !

- Je vais lui filer une paire de claques à ce saligaud, moi. Tu vas voir, il va m'entendre.

- Non, faut pas !

- Pourquoi, faut pas ?

- Sinon, il va crier encore plus fort.

- Oui, tu as raison ! Qu'est-ce qu'on peut faire alors pour qu'il arrête ?

- Tu dois trouver une idée pour que j'ai plus peur.

- Une idée ! Voyons voir, une idée pour ne plus avoir peur ?

- Toi, tu as toujours plein de belles idées.

- Oui, mais la nuit, j'en ai moins.

- Vite, avant qu'il rentre.

- Attends, je crois que j'ai trouvé.

- Tu as trouvé quoi ?

- Là, on est dans le noir complet, non ? Un peu comme dans ton placard ?

- Oui, c'est vrai !

- Maintenant, imagine qu'il y a un tout petit point qui brille, une minuscule lumière.

- Où ça ?

- Dans ta tête, entre tes deux yeux.

- Entre mes deux yeux ?

- Oui ! Tu la vois ?

- Non !

- Ferme les yeux, et appuies très fort dessus avec tes poings. Tu la vois la lumière, maintenant ?

- Oui, je la vois. Mais c'est une grosse lumière, en fait.

- Oui, c'est une grosse lumière, presque aveuglante. Mais elle va bientôt disparaître. Alors, tu vas essayer d'en garder un tout petit morceau au fond de tes yeux.

- D'accord.

- Ça y est ?

- Oui ! J'ai une petite bille de lumière qui bouge dans tous les sens.

- Maintenant cette bille minuscule, tu vas la transformer en un tout petit bateau rouge.

- Comment ?

- Pense très très fort à un bateau rouge. Tu le vois ?

- Oui, je le vois, mais il n'est pas rouge.

- Il a des voiles ?

- Oui !

- De quelle couleur.

- Des voiles blanches !

- Maintenant, tu vas monter dans ce petit bateau. Ça y est ?

- Oui ! Je suis dedans.

- Autour de toi, tu vois la mer de chocolat blanc ?

- Oui, je vois la mer en chocolat.

- Maintenant regarde bien devant toi, tout là-bas au loin. Est-ce que tu vois l'île aux œufs de Pâques ?

- Non !

- C'est pas grave, tu vas bientôt la voir. Il faut d'abord que le soleil se réveille. Tu vas aller réveiller le soleil. Tu le vois dans son lit ?

- Oui !

- Secoue-le !

- Il bouge pas.

- Il doit rêvasser. Bon, c'est pas grave, va voir la lune juste à côté. Tu la vois, la lune ?

- Oui.

- Demande-lui de ronfler très fort pour réveiller le soleil. Ça y est ?

- Oui.

- Maintenant retourne voir le soleil. Est-ce qu'il est réveillé ? Est-ce qu'il brille ?

- Oui !

- Maintenant, tu peux voir l'île aux œufs de Pâques.

- Oh oui, je la vois !

- Et le clown qui dort sur la plage, tu le vois ?

- Non !

- C'est normal que tu ne le voies pas.

- Pourquoi ?

- Parce que ce clown, c'est toi.

- Ah bon, c'est moi ?

- Oui, parce que tu es sur l'île magique aux œufs de Pâques. Maintenant, prends le ballon rouge à côté de toi.

- Ça y est !

- Bon, souffle dedans. Gonfle-le de toutes tes forces ! Il grossit, il grossit, il grossit. Ça y est ?

- Oui ! Il est très gros !

- Maintenant, monte dedans. Monte dans le ballon !

- Comment ?

- En grimpant à l'échelle.

- Ça y est !

- Maintenant, coupe la ficelle qui retient le ballon avec tes ciseaux d'or.

- Ça y est, j'ai coupé la ficelle.

- Maintenant, tu le laisses s'envoler, s'envoler, s'envoler, jusqu'aux milliers d'étoiles qui scintillent dans le ciel.

- Oui, je suis au milieu de plein d'étoiles.

- Voilà, Lolo, c'est parfait ! Tu n'es plus tout seul.

- Ah oui, c'est vrai. Oh merci, tata Momo. Et je fais quoi, maintenant ? Tata Momo ? Je fais quoi maintenant ? Tu dors, tata Momo ?

Mais tata Momo ne répond plus rien.

Je tends alors le bras vers elle. Je tâtonne avec ma main partout dans le lit. Mais il n'y a personne.

Je suis tout seul sous ma couverture. Tout seul.

C'est la nuit. De nouveau la nuit noire, vraiment toute noire.

Je ne sais pas où je suis. Le plafond n'est plus là. Les murs ne sont plus là. Mes parents sont partis eux aussi.

Je ne sais pas quand. Je ne sais pas où. Ils m'ont rien dit.

Toutes les étoiles viennent de s'éteindre.

Alors la peur me revient. Griffe à griffe, elle s'infiltre comme un vautour sous mes draps.

Et m'enserre tout le cœur.

 

 

 

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Hortense
Posté le 09/07/2021
Comme d'habitude, c'est parfait, pas un mot inutile, des images, des émotions...
Lolo, seul avec ses terreurs nocturnes. Lolo seul au fond de son placard. Lolo qui se débat, qui cherche une solution, qui appelle à l'aide, qui tente de se rassurer. Il pourrait parler s'il le voulait mais la peur est trop forte, ici elle prend le visage du père.
Sentiment poignant de solitude et d'impuissance.
Bravo. Je suis sincère.
Zultabix
Posté le 14/07/2021
Merci Hortense !
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