Bienvenue dans l’équipe

Notes de l’auteur : Suite aux échanges avec vous, j’ai essayé de rassembler deux chapitres pour en faire un plus long. Ça choque ?

Camille aussi avait été surpris par cette étrange conversation avec le chef. Il avait appris des choses, sur la ville, sur le volcan, et la vie ici. Toutes les informations se mettaient doucement en place, mais il aurait aimé avoir un support pour organiser tout ça et un interlocuteur à qui révéler tout ce que cela impliquait. Si seulement il avait pu communiquer avec l’extérieur, avec sa mère, par exemple. Si seulement il avait pu dévoiler au monde ce qu’il se tramait à Eïr, monopoliser l’attention, instruire le public, faire intervenir les ONG… L’avenir serait moins incertain. Sauf qu’il ne le pouvait pas. Ce mur n’empêchait pas que les gens de passer. Il avait essayé, rien n’entrait ni ne sortait, pas même une onde radio. L’unique contact avait lieu pendant les échanges. Une porte sécurisée faisant office de sas s’ouvrait pour laisser accès à un conteneur surveillé. Rien ne pouvait se faufiler, et le moindre faux pas de la part de la Brigade ou d’un habitant d’Eïr mettrait les échanges au point mort et la ville à genou. C’était de la prise d’otage… ou alors il voyait les choses de manière trop sombre… mais d’expérience, il savait que le pire était toujours le plus près de la vérité.

Il en était à se dire qu’il fallait vraiment qu’il diminue sa dose de caféine quand il entendit une voiture se rapprocher. Il se leva pour aller regarder dehors, surpris. Le seul moteur qu’il avait aperçu, c’était celui de la Brigade qui se rendait vers une brèche le jour de son arrivée. Et en effet, c’était encore bien eux. Strada en descendit, de bonne humeur.

— Je t’ai apporté des devoirs ! tonna le chef d’un air particulièrement fier de lui.

Deux brigadiers ouvraient les portes de la camionnette et en sortait un bureau et une chaise.

— Qu’est-ce que vous faites ?
— J’ai bien compris que tu étais plus à ton aise ici qu’à la base, en plus tu as besoin de calme pour le travail que tu vas faire.
— Et le calme, faut pas compter dessus quand le chef est dans les parages, plaisanta un des deux déménageurs en passant.
— J’ai une grosse voix, c’est comme ça, se défendit Strada. Camille, je te présente Samuel. Si un truc déconne, c’est vers lui qu’il vaut mieux se tourner.
— Je précise que je répare des machines cassées, pas les problèmes de cœur, rectifia Samuel.
— Ok, c’est noté. Et quel est le travail que vous voulez que je fasse ? s’enquit Camille en les regardant s’attaquer à des piles de cartons qu’ils débarquaient jusque dans la maison de Chris.
— Du tri dans des données.

Il posa l’une des boites sur le bureau et en tira des liasses de documents.

— Voilà à peu près toutes nos archives, expliqua-t-il en lui montrant des relevés de comptes, des comptes-rendus d’échanges et des listes de demandes des habitants ainsi que la réponse de l’extérieur. C’était essentiellement des refus excepté pour la nourriture et la boisson. Au début, je ne voulais te passer que ce qui concerne les limbes pour que tu puisses nous aider à… les comprendre. Mais je me suis dit que tu savais mieux que nous à qui on a affaire, tu pourras peut-être nous trouver un truc pour améliorer les échanges.
— Pis finalement à force d’en discuter, on a tout mis, conclut le troisième compère.

Il posa son carton et lui tendit la main. Camille la serra avec appréhension. Tout comme le chef, c’était un costaud.

— Salut Camille. Moi, c’est Serge, d’habitude je monte plutôt des barricades, mais le déménagement c’est un peu pareil.
— Tu es au point avec l’informatique ? On a ramené un ordinateur et tout ce dont tu auras besoin pour lire des blocs de mémoire. Tu sauras t’en servir ou il faut que je t’explique ?
— Normalement, je devrais me débrouiller, mais vous avez peut-être du matériel que je n’ai jamais vu, alors je te demanderai.
— Ça marche.

Quand Camille contempla la bête, il ouvrit de grands yeux effarés. De sa vie, il n’avait jamais été confronté en vrai à ce genre d’écrans cathodiques au plastique jauni. La tour était massive avec de gros ventilateurs crasseux sous les grilles poussiéreuses. Il n’était pas au bout de ses surprises. Lorsqu’il vit le contenu du carton trop léger que Strada venait de poser, il poussa un cri de stupeur.

— Ouah, des disquettes !
— Tu as vu ça ! s’exclama Strada toujours aussi fier. On est à la pointe de la technologie ici ! On ne se moque pas de toi, on t’amène le meilleur.

Camille avait beau se targuer d’être plutôt bon juge de la nature humaine, il n’aurait su dire si c’était de l’ironie ou s’il croyait vraiment que son dinosaure de machine était ce qui se faisait de mieux.

— Vous rendez-vous compte que je vais fouiller là-dedans, dit-il. Que s’il y a des trucs pas nets, je le verrai.
— Fouille donc, petit. S’il y a des trucs pas nets, on veut le savoir aussi ! Et si on a mal fait quelque chose, tu nous taperas sur les doigts et on s’améliorera. Je regrette juste qu’il n’y ait pas plus. La recherche scientifique des limbes est restée un dossier vide. Nous nous efforçons de mieux comprendre à quoi nous avons affaire et c’est laborieux.

Devant la maison, les brigadiers refermaient la camionnette.

— Après… je ne te mets pas la pression, non plus, je ne m’attends à rien, mais si tu trouves quoi que ce soit, n’hésite pas à m’en faire part.
— C’est noté.

Il regarda Strada partir sur le pas de la porte. Celui-ci s’arrêta juste avant de monter à l’arrière de la fourgonnette.

— Ah… j’ai oublié ! Est-ce que tu veux un uniforme ? Les gens auront moins envie de te tuer s’ils te voient avec.
— N… non merci. Il fait trop chaud pour porter un truc pareil.
— Je vais t’en faire passer un quand même. La chaleur on s’y fait et ça fait moins mal qu’une morsure de molosse.
— J’ai celle de mon père.
— Essaie-là, tu me diras s’il t’en faut une autre, alors.

Camille regarda la camionnette s’éloigner et rentra. Toute une partie de la pièce principale de la maison était envahie par les cartons. Chris allait hurler, elle qui semblait si maniaque. Il s’approcha de la paperasse. Une belle écriture à l’ancienne ornait les pages, remplissait les cases… Du moins sur les registres les plus vieux. D’autres étaient à peine déchiffrables. C’était la première fois qu’on lui donnait les matériaux pour fouiller. D’habitude, c’était plutôt à lui de les récupérer… Avant, il en aurait conclu que c’était des documents qui n’avaient aucune valeur, ce qu’on voulait lui faire lire et rien d’autre. Mais là… là, il était un peu perdu. Est-ce que cette Brigade n’avait absolument rien à se reprocher ou est-ce que Strada était naïf au point de croire que ses hommes ne se taillaient pas la part du lion sur les échanges ?

Comme c’était ce qui l’intriguait le plus, il commença par installer l’ordinateur. Les prises de courant étant rares dans la maison, il dut tirer un fil jusque dans la cuisine. Au démarrage, l’engin fit vrombir ses ventilateurs et une note aiguë résonna dans la pièce. Chris allait hurler… Et puis c’était affreusement lent. Est-ce qu’il allait vraiment travailler avec ça ? De toute évidence oui. Il en était tout excité par avance.

Lorsque la porte de la chambre de Chris s’ouvrit, il se raidit et se leva aussitôt.

— Je vais réchauffer le repas !
— Laisse, je n’ai pas faim, répondit la jeune femme.

Elle se rapprocha du capharnaüm et l’observa longuement en silence. Camille se sentait pris en faute, nettement plus que lorsqu’il l’avait forcée à rendre service à la Brigade. Pourtant, elle ne disait rien, se contentant de regarder.

— Si j’ai bien compris, tu vas tenter de faire avancer la recherche sur les limbes, dit-elle en poussant une boite remplie de petits cubes gris.
— C’est ça, répondit-il sur la défensive.

Le jour se fit enfin dans sa tête. Elle était en train d’envisager ce qu’elle pouvait en tirer. Cela le détendit. Ils étaient sur son terrain à lui. Il ne pouvait qu’y gagner.

— Le but de Strada n’est pas incompatible avec le tien, dit-il en surveillant sa réaction. En savoir plus sur les limbes peut faire progresser tout le monde.
— C’est ce que je me dis aussi. Mais ce n’est pas le problème. Je n’ai pas réussi à trancher. Est-ce que tu es vraiment là pour te rendre utile ou est-ce que c’est seulement un moyen de justifier que tu restes ici comme un parasite ?

Camille ouvrit la bouche, surpris et indigné. Elle le fit taire d’un geste. Elle retourna dans sa chambre et en ressortit avec son bandeau entre les mains. Elle déclipsa le bloc mémoire et le posa sur le bureau.

— Il est sans doute saturé, mais c’est ce que tu auras de plus récent et utile. File moi s’en un vierge le plus rapidement possible.
— Ok. Est-ce que…
— Je ne sais pas quand aura lieu la prochaine éruption. Mais si tu ne m’as pas dit un truc intéressant d’ici là, tu déménages tout ça à la Brigade et je ne veux plus te voir ici. Je t’ai déjà foutu à la porte plusieurs fois. Il n’y en aura pas d’autres.
— Message reçu cinq sur cinq. J’aurai quelque chose.

Elle venait de lui mettre une pression telle qu’il avait l’impression que la pile de paperasse à côté de lui avait doublé de volume. La prochaine éruption… ça pouvait vouloir dire dans une heure comme dans un mois. Est-ce qu’elle se rendait compte qu’il lui faudrait plus que ça pour faire mieux que tout ce qui avait déjà été tenté jusque là ?

Chris en avait parfaitement conscience. Elle n’avait pas dans l’intention de faire preuve de la moindre clémence. Il lui cassait les pieds et il était temps qu’il le comprenne. Elle réchauffa elle-même leur repas, se servit et sortit courir. Lorsqu’elle rentra, il était devant le moniteur, seule source de lumière de la pièce.

— Je peux te poser une question ? demanda-t-il.
— Mmh mmh…

Elle se rapprocha.

— C’est quoi ces clichés ?

Elle observa l’écran et elle le vit faire défiler des images en noir et blanc très floues et insondables.

— C’est pour éviter de se perdre. En cas de problème, on photographie les embranchements les plus complexes, et si jamais sur le retour on a un doute, on récupère la photo et on se dirige là où elle a été prise. Je ne m’en suis jamais servi, mais c’est plus prudent.
— Excuse-moi, mais… tu vois quoi, par exemple, sur cette image ?

Elle se rapprocha de lui et lui décrivit les divers passages. Pour Camille, c’était aussi abstrait que des résultats de scanner. Il ne discernait absolument rien et ça lui causait des sueurs froides.

— Tu devrais commencer par les vidéos, ce serait plus clair, peut-être, en mouvement.
— Je m’étais dit l’inverse. Bon, je te remercie, je vais me débrouiller.

Elle pinça les lèvres et le regarda faire défiler les photos, ouvrir d’autres dossiers, examiner des clichés. Elle réprima un soupir. Il allait partir, elle savait qu’il ne pourrait rien faire avec toute cette merde que lui avait amenée Strada. Il fallait aller sur le terrain pour en être capable. D’un autre côté, elle se souvenait en avoir bavé, elle aussi. Mais elle lui avait imposé un délai trop court, il ne pouvait pas réussir. Bientôt, il rejoindrait sagement la Brigade et c’était très bien comme ça. Elle ne voulait plus être distraite ou dérangée.

Elle s’installa et mangea, il ne fit pas mine de venir. Elle monta prendre une douche. Quand elle redescendit, il n’avait pas touché à sa part. Elle resta plusieurs heures en face de lui à écouter le volcan ou plutôt le bruit infernal de sa machine. Il ne relevait pas les yeux pour la regarder et il n’avait pas récupéré son assiette. Quand elle se leva au matin et se rendit compte qu’il n’avait toujours pas mangé et pas dormi non plus, elle tiqua. Des cernes commençaient à apparaitre et son visage si lumineux d’ordinaire était fermé, distant.

Elle avait beau tourner autour de lui, rien ne semblait pouvoir le déconcentrer, pas même les veines explosées au fond de ses yeux.

— Hum… tu as faim ? essaya-t-elle.
— Pas encore, c’est bon, merci, répondit-il.

De toute évidence, il n’était pas homme à prendre les défis à la légère.
Elle le vit se lever et courir vers la chambre de son père. Il y resta quelques secondes avant de descendre avec lui une carte de la ville pour l’épingler au mur à côté de lui. Il y traça des croix et quelques cercles. Elle se rendit compte qu’il souriait en regardant son écran. Mais qu’est-ce que c’était que ce type complètement cinglé ?

Au bout d’un moment, elle eut pitié de lui. Elle réchauffa son assiette et la posa à côté de lui.

— Mange, ordonna-t-elle.
— Merci, mais…
— Mange !
— Ok, ok…

Comme elle ne se lassait plus de le surveiller et qu’en plus il n’y prêtait pas la moindre attention, elle vérifia qu’il avalait bel et bien son repas en travaillant. Cela lui prit plusieurs heures. Du coup, elle le fit boire aussi, car ne pas s’hydrater sous une chaleur pareille c’était de l’ordre du suicide. Finalement, elle retourna faire ses courses et cuisina parce que s’il mettait plus de deux heures à finir son assiette, elle pouvait déjà préparer la suivante.

— Tu devrais dormir, hasarda-t-elle.
— Je pourrais pas, répondit-il.
— Ton cerveau ne doit plus te servir à grand-chose, ça fait deux jours que tu es éveillé.
— Je fais des micro siestes quand ça ne va plus.
— Si tu le dis…

Ce type était cinglé, c’était définitif. Et en plus, maintenant, c’était elle qui devait s’occuper de lui et pas l’inverse. Elle lui tournait autour, s’assurait qu’il mange, que son verre soit toujours plein… Elle s’inquiétait même pour sa santé, c’était le monde à l’envers.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Raza
Posté le 14/12/2024
Coucou!
Bah puisque tu demandes, non ça va, ça me choque pas pour la longueur :) le tout est cohérent je trouve.
L'excuse du télétravail forcé est peut être un peu faible, mais pourquoi pas. Deux jours sans dormir... j'aimerai pouvoir faire ça sans mourir XD (micro sieste ou non!) (C'est tout a fait possible ce que tu décris c'estvjuste que j'aimerai en être capable <3)
Go go go Camille! Tu vas lui montrer !
À bientôt!
Solamades
Posté le 16/12/2024
Salut !
Merci pour ton retour !
Vous lisez