Chris fulminait. Ce type débarquait chez elle, fouillait partout, s’installait et maintenant ça ! Dire qu’elle commençait à le trouver presque sympa, dire qu’elle avait même senti que ce n’était pas désagréable d’être un peu moins seule. Quelle erreur idiote ! Il allait lui mettre des bâtons dans les roues, d’ailleurs il l’avait déjà fait. Comment aurait-elle pu croire un instant qu’il n’allait pas se mêler de ce qui ne le regardait pas ? Devant Strada… Elle serra des poings, furieuse, mais surtout frustrée parce qu’elle l’entendait, derrière la porte. Il était encore là et si elle le foutait dehors, il lui collerait Strada sur les talons. Une plaie… Et elle s’en voulait toujours. C’était le fils de Tony, son portrait craché, en plus jeune, en plus blond, plus naïf et plus lumineux. La poussière ne lui avait pas encore fait perdre son éclat éblouissant, trop propre, trop soigné, trop voyant et la vie ne l’avait pas déjà assez amoché pour que son sourire s’affadisse et que son regard devienne lointain comme celui de son père. Mais il avait ses traits, son assurance, son charme viril et un certain nombre de ses gestes et de ses postures. Comment le mettre dehors quand elle ne se lassait plus de l’observer, c’était un plaisir malsain et cruel, mais ça lui faisait du bien, et a priori, ça ne lui faisait pas trop de mal.
Le sommeil la fuyait. Elle se sentait prise dans un mélange de rage et de mélancolie qui la privait de repos. Elle demeura néanmoins allongée à attendre. Elle n’avait que cela à faire puisque ce petit con prétendait s’occuper de tout le reste.
Elle se redressa au bruit de la porte. Strada allait beugler son nom. Elle n’avait aucune envie qu’il entre jusque dans sa chambre alors elle se leva, mais comme il engagait la discussion avec Camille, elle se figea et écouta.
— Alors cette enquête ? questionna Strada.
— On a fait toute la rue comme vous nous l’avez demandé, Chef, mais on n’a rien trouvé de probant. Ils ont tous entendu les cris, mais ça ne provenait pas d’ici, plus loin vers l’ouest. Je dirais même qu’ils ont tous cru que ça venait de cette maison.
— Elle y est allée avec toi ?
Il y eut un silence bref entrecoupé d’un bruit de liquide. Chris imagina Camille en train de réchauffer du café. Il en buvait à longueur de journée.
— Je n’y serais pas arrivé sans elle.
— Ça veut dire quoi cette grimace ? Elle t’a vraiment aidé ou pas ?
— Elle m’a vraiment aidé ! Les gens m’auraient tué, ils croyaient tous que c’était moi, l’infecté. Si Chris n’avait pas pris les choses en main, je n’aurais pas pu le faire du tout.
Nouveau silence. Bruit de chaise que l’on tire. Chris serra des dents. Elle ne voulait pas qu’il s’installe. Elle voulait qu’il s’en aille. Il y avait trop de détails compromettants dans cette maison.
— Petit… C’est de l’excellent travail, assura le colosse avec une douceur qui ne lui était pas coutumière.
Strada poussa un long soupir d’un genre détendu. Était-ce le café ? Il parlait tranquillement et avait presque l’air calme malgré la situation.
— Et de votre côté, comment ça s’est passé ? s’enquit Camille.
— On a enfermé toute une famille à l’écart les uns des autres. Mais c’est seulement grâce au croisement des informations. On sait aussi que l’adolescent vit mal son âge bête et que ce sont des gens qui n’ont pas d’excellentes relations avec leur entourage. Je ne dis pas que les témoins ont accusé par défauts les voisins les plus désagréables du quartier, juste que parfois ça fait pencher la balance de l’objectivité et que ça ne nous aide pas. On va devoir rester vigilant.
— Vigilant à quoi, chef ? Est-ce que je dois vraiment regarder dans le blanc des yeux chaque personne que je croise dans l’espoir de déceler un truc qui cloche ?
— Non, évidemment. Mais tu dois t’attendre à ce que quelqu’un déraille et à devoir réagir très vite. À partir du moment où tu as des doutes raisonnables sur quelqu’un, tu hurles. Il faut que tout le monde s’écarte, on interviendra.
— Oh la vache… je n’imaginais pas ça en arrivant ici. Je n’aurais pas pu deviner à quel point c’est différent de la vie hors des murs.
— Ça a beaucoup changé ?
Nouveau silence qui fit comprendre à Chris combien ça devait l’être. Elle avait déjà tant à l’esprit au sujet de son apparence et de son père qu’elle ne s’était jamais vraiment demandé d’où il venait, ce qu’il avait traversé et dans quel univers il avait évolué. Elle ne lui avait même pas cherché à savoir à quoi ça ressemblait hors des murs alors que c’était la question la plus évidente. Strada y pensa, lui.
— Comment ça se passe, dehors ? Il y a encore des spectres ?
— On a eu deux ou trois cas au tout début de la crise, mais maintenant c’est fini. Et les gens vivent bien dans l’ensemble, mais cela dépend des territoires. Par contre… niveau technologie, vous êtes sévèrement à la ramasse, ici.
Strada rit.
— Tu ne m’apprends rien, là. Ces saligauds des échanges nous contraignent à supplier pour le moindre grille-pain.
— J’ai cru comprendre en effet. Je me demande pourquoi. La communication est pourtant essentielle avec l’extérieur.
— Réfléchis, gamin. Tu sais que cette zone est vouée à la destruction, non ? Si catastrophe humaine il doit y avoir, autant que peu de choses soient divulguées sur ce qu’il se passe ici.
— Comment ça, cette zone est vouée à la destruction ?
— Tu ne sais pas ? Chris ne t’a pas dit ?
— Non…
— Le jour où le volcan s’éteindra, où les brèches des limbes cesseront de s’ouvrir et/ou il n’y aura plus le moindre monstre dans nos rues, dehors, ils feront le bilan. Si c’est encore dangereux ici, ils raseront la zone et nous avec.
Elle entendit Camille boire… sa gorge était si serrée que cela fit un bruit bizarre, étranglé. Il était choqué, il y avait de quoi. C’était mieux pour lui d’être au courant, ça éviterait qu’il continue de se balader partout comme un touriste.
— C’est pour ça que nous nous défonçons, reprit Strada. Pour que le jour où le volcan se calmera, nous puissions présenter un bilan positif. Nous n’y arriverons pas simplement en chassant les monstres qui s’échappent des portes. Il faut que l’on comprenne pourquoi ça se produit, comment fonctionnent les spectres pour les arrêter, connaitre les failles des démons pour savoir les vaincre. Avec ton père on a repoussé nos limites très loin. Mais on l’a perdu et Chris avec lui. On avait une bonne informaticienne aussi, elle faisait un travail incroyable, mais elle a eu une grave maladie du cœur. Ça me tue de l’admettre, mais à ce stade, nous ne sommes pas prêts. J’arrive tout juste à assurer un approvisionnement décent sur cette ville. Ce qu’il nous faut, c’est de nouveaux explorateurs. Malheureusement, ce n’est pas évident à trouver. Je n’en ai qu’un en tête et…
Il laissa sa phrase en suspend. Sa voix se fit beaucoup plus basse.
— Elle est où ?
Chris estima que Camille devait pointer la porte du doigt en guise de réponse.
— Elle s’est tellement renfermée… J’ai conscience que j’ai ma part de responsabilité, mais bon… ça fait trois ans, maintenant.
— Qu’est-ce que vous lui avez fait ?
— Peu importe, grommela-t-il. Je ne suis pas venu là pour ça, mais pour toi. Tu as dit quelque chose qui m’a interpelé, tout à l’heure.
— Je vous écoute.
— Recouper les données, c’est ton truc, c’est bien ça ?
— Tout à fait, répondit Camille sans hésiter.
Chris secoua la tête. C’était probablement le type le plus naïf de l’univers, ce n’était pas possible autrement. N’avait-il pas compris que c’était la porte ouverte à tous les abus et que Strada allait lui demander de l’aide à n’en plus finir ? Ou alors c’était exactement ce qu’il cherchait…
— C’est ce que tu faisais avant d’arriver ici ? Et d’ailleurs, tu pourrais m’expliquer comment tu es arrivé ici ? Tu veux bien développer ? Ça m’intéresse.
Ah… c’était l’heure de l’entretien d’embauche. Chris n’était pas plus surprise que ça, elle avait senti tout de suite que Camille plaisait à Strada. Ça l’agaçait un peu, parce qu’à elle, il avait fallu qu’elle prouve encore et encore qu’elle pouvait les aider avant d’obtenir la moitié de la confiance que Strada portait déjà à Camille. Mais puisqu’elle était partie, peut-être que Strada avait eu raison de ne jamais l’inclure…
— Ma spécialité, c’est le leak. Autrement dit, je fouille dans des milliards de dossiers cachés, confidentiels, parfois volés, parfois trop mal protégés ou bêtement partagés par erreur. Mon but, c’était de dénicher les crimes des puissants. Blanchiment d’argent, comptes des paradis fiscaux, surveillance de masse illégale, prise illégale d’intérêts… secrets d’État. Ma spécialité, c’est Eïr, ses mystères et son mur infranchissable. Nous, on l’appelle plutôt la zone rouge, je te l’ai déjà dit, aux yeux du grand public, c’est un territoire de guerre constante avec des monstres qui déboulent sans fin, un endroit fichu, sinistré, pour lequel on ne peut plus rien. En fouillant, on se rend compte que pour une poignée d’autres personnes, c’est aussi autre chose, par exemple un vaste trafic de pierres précieuses et d’or.
— L’or qu’on leur donne se dirige droit dans les mains de trafiquants ?
— Pire que ça, chef. Vous faites des échanges non pas avec des états, mais avec des trafiquants. C’est une entreprise qui gère la zone rouge et qui fait des profits grâce à vous.
Camille s’interrompit une seconde.
— Je n’ai pas dit ça pour vous démoraliser, je sais très bien que vous n’avez pas d’autre option.
— Je ne suis pas naïf, petit. J’avais déjà tiré pas mal de conclusions de la situation. Mais si ce n’est pas avec un état que nous communiquons, si ce n’est pas avec le pouvoir, alors nos chances de survie sont minces.
— C’est avec le pouvoir que vous communiquez quand même, répondit Camille.
— Une entreprise qui a le pouvoir ? Un président commerçant ?
— Quelque chose dans ce gout-là, mais chef, je ne crois pas que vous soyez venu pour un cours de géopolitique.
— Tu as parfaitement raison. Reprenons. Tu as trouvé ce trafic avec la zone rouge et puis quoi ensuite ?
— Parmi les trucs louches, j’ai déniché autre chose : Criminels récidivistes, fanatiques religieux, opposants politiques… Vous savez, n’est-ce pas, qu’on vous en envoie ?
— Évidemment. Et ce n’est pas un bon présage.
— Mmh. Dès que j’ai eu tout ça, j’ai tout rendu public. La presse s’en est emparée, mais aussi tous ceux qui font le même genre de job que moi, les passionnés, ceux qui aiment faire des dégâts… bref. Ça a fait beaucoup de bruit.
Il s’arrêta pour boire.
— Trois jours après, des types armés jusqu’aux dents ont défoncé la porte de mon appartement et m’ont enlevé pour me balancer ici sans procès, sans explication.
Strada grogna quelque chose qu’elle ne réussit pas à comprendre. S’ensuivit un long silence au gout de café.
— Tu ne t’ennuierais pas un peu ? demanda Strada.
La question sembla désarçonner Camille qui balbutia sa réponse.
— Un peu…
— Tu ne voudrais pas travailler pour la Brigade ?
— J’aimerais bien, chef, mais je ne suis ni un combattant ni très courageux. Et puis ce truc, là… la Terreur… Je ne serais même pas capable de sortir d’ici quand l’alerte sonne.
Strada se mit à rire.
— Et c’est très bien comme ça. Le reconnaitre est une forme de courage. Tu verras, tu t’y feras. Je ne suis pas aussi atteint que toi, tu sais, mais… j’ai tout tenté pour entrer moi-même dans les limbes et y’a pas eu moyen, j’ai cru que mon cœur allait s’arrêter net.
— Pourtant vous sortez combattre à chaque fois.
— C’est bien tout ce dont je suis capable et ça me navre. Il faut connaitre ses forces et agir en conscience. Mais petit, la Brigade ne s’occupe pas que des barricades et du minerai. Nous avons plusieurs équipes qui font toutes un travail essentiel. Mais il se trouve que… je t’ai parlé de notre informaticienne. J’ai deux-trois gamins qui ne s’en sortent pas trop mal, mais ça reste avant tout des combattants et la sécurité est une priorité. Tout un pan de nos recherches est à l’abandon.
— Je peux passer à l’occasion, répondit Camille.
Nouveau silence. Camille avait mordu à l’hameçon. Il allait partir. Chris avala sa salive. Sa gorge était sèche et râpeuse, douloureuse.
— Est-ce que tu la surveilles ? demanda Strada à voix basse.
— Bien sûr que non ! se défendit Camille.
— Alors pourquoi tu restes avec elle ?
— Parce que, répondit-il d’un ton presque dur. Je… Je me sens en sécurité avec elle. Et je… plus j’en apprends sur Eïr, plus je pense que c’est ici que je serai utile.
Nouveau long silence. Chris serrait des poings. Qu’est-ce que c’était censé vouloir dire ?
— Garde un œil sur la petite. Tant que tu es là, elle n’ira pas se faufiler dans les limbes. Assure-toi qu’elle reste à l’abri.
— Euh… d’accord.
— Je repasserai d’ici un moment.
— Ça marche.
Strada quitta la maison d’un pas tranquille, voire content. Camille se resservit du café. Chris se recoucha, perplexe. Strada avait quelque chose en tête. Camille ne dévoilait pas toutes ses cartes. Et il n’y avait jamais eu autant d’animation chez elle depuis… depuis trois ans.
Je fais une entorse aux HO pour passer ici :)
Dans ce chapitre, il yba quelques éléments qui m'ont perturbé! Tout d'abord, comment ça se fait que la zone sera détruite? Les gens aussi? Et comment sont ils au courant, si Camille, lui, ne l'est pas alors qu'il est spécialiste de la zone er de Eïr?
Le deuxième élément c'est le fait que Camille appelle Strada "chef" avant d'être officiellemrnt dans la brigade.
Le 3ème et dernier j'ai trouvé la description de Camille de lui-même m'a paru un peu prétentieuse ("les puissants" ça fait kégèrement cliché, non?).
Mais encore une fois tu sais semer des éléments qui poussent à la suite <3
À bientôt
Les informations ne sont pas données clairement sur la destruction, mais sous-entendues plus tard. Tu me diras si ça tient la route ?
Camille qui appelle le chef comme ça… j’avoue j’ai hésité. Pour moi, il le fait par mimétisme, mais c’est vrai qu’il n’a pas beaucoup parlé avec les brigadiers pour le moments. Je vais virer, je pense. ˛
Les informations de Camille sur Eïr sont fausses, c’est certain. Par exemple, il pensait que c’était un champ de bataille saturé de soldats et de monstres, il tombe des nues en apprenant que son père était un héros, qu’il est mort… bref, les informations ne circulent pas du tout.
La description… pour être honnête je ne comprends pas en quoi elle est prétentieuse. Il parle de ce qu’il fait, aime faire, sait faire, il en rajoute sans doute, parce qu’il a une sacrée confiance en lui, mais je ne vois pas pourquoi il ferait son timide 😅
Les puissants, ça ferait cliché si on parlait de roi et de noblesse, non ? Là on parle autant de dictateurs, de présidents que d’industriels etc. Du coup, trouver un mot qui englobe tout ceux qui ont du pouvoir sans en faire la liste… j’ai guère mieux.
Merci pour ta lecture ! Allez, retourne vite lire, on vise le 100% pour les HO, n’est-ce pas ? 💪
Bah je sais pas pour landescription ça m'a fait l'effet de quelqu'un qui se la pète "moi, je fais treeemmmmbler les puissants!" C'est peut êtte lenmot trop utilisé quibmebfait cet effet, c'est juste mon ressenti donc mets les pincettes qui vont bien!
Ciao !