Sur les rivages, la nature avait repris ses droits. Les plantes envahissaient chaque parcelle de terre, et les plages de sable étaient parsemées de touffes d’herbe. Partout, les algues avaient élu domicile, et les rochers eux-mêmes s’étaient métamorphosés en petits écosystèmes. Partout, des insectes et autres minuscules animaux marchaient, volaient, escaladaient, rampaient ou vrombissaient. Une vie simple. Une vie sans Hommes.
Les rives étaient devenues lieu d’exil. Lieu d’isolation. Lieu sauvage. Personne ne s’y aventurait plus depuis des décennies. Des siècles, peut-être. On ne savait plus bien.
L’océan ne voyait des Hommes que les quelques grands ports, à peine utilisés. Il était seul témoin du changement, le seul à contenir en son sein les épaves, les cicatrices d’un passé oublié. D’un passé rejeté. Les villes des côtes étaient des villes fantômes. Des villes mortes, recouvertes par les arbres, le lierre et les roseaux. Souvent même par l’eau. Des zones dangereuses, voilà ce qu’elles étaient à présent.
Mais souvent les Hommes aiment braver les dangers.
D’abord une seule main surgit, puis ce fut tout un corps qui s’extirpa de l’eau et s’étala sur le sable humide. L’homme toussa, se plia. Ses muscles évacuaient l’eau salée de ses poumons dans un dernier effort avant de se détendre et d’enfin se reposer. Sa tête retomba sur le sol. Il s’endormit d’un sommeil lourd. Un sommeil qui vous pèse plus qu’il ne vous soulage.
º • · .•. · • º
Lorsqu’il rouvrit les yeux, le petit homme échoué n’avait qu’une pensée : il avait froid. Affreusement froid, terriblement froid.
Il se redressa, luttant contre ses bras courbaturés, ses jambes endolories. Tout son corps appelait à se laisser retomber contre le sable, mais l’homme savait que cette décision scellerait son sort. Alors il replia vers lui ses jambes dans un gémissement plaintif et se releva. Ses yeux étaient embués encore par les vagues troubles et salées de la mer, mais il pouvait voir devant lui un horizon qu’il n’avait jusqu’alors jamais rencontré. La mer. C’était donc cela.
Au dessus des collines mouvantes de l’eau, d’épais nuages gris s’étalaient. Pas un rayon de soleil ne passait à travers ce dense rideau. Il allait peut-être pleuvoir. L’homme avait entendu dire que c’était à la teinte des nuages que l’on prévoyait la pluie, dans le temps.
En titubant, il se traîna tant bien que mal un peu plus haut sur la plage. À présent qu’il s’était tourné à l’opposé des vagues, il pouvait observer un début de forêt. Des arbres épars, des plantes grimpantes. Il voyait aussi quelques fleurs violettes dans le sable. Mais, plus que tout cela, il aperçut alors une petite fenêtre. Une maison. Une ruine. Quelques pierres. Il hésita quelques instants ; les restes de l’édifice étaient un peu trop visibles, mais à condition qu’il n’y restât pas trop longtemps, ils représentaient une solution à son problème immédiat. À défaut de se sécher, il pourrait grelotter à l’abri du vent.
Le dos contre la pierre rugueuse et terreuse d’un ancien mur, l’homme serra ses genoux contre lui. Sa chemise pendait sur ses épaules, lourde et froide. Elle n’était plus blanche, tout comme ses pantalons qui lui collaient au cuisses. Avec précaution, il la déboutonna et l’ôta. Puis il l’essora aussi fermement que ses tremblements le lui permettaient. Le sable collé au tissu crissa, et une petite flaque se forma à ses côtés. Avant d’être attaqué par les courants d’air, il enfila à nouveau sa chemise humide, se persuadant lui-même que, dans son état, elle ne pouvait pas être plus gelée que lui. Sa peau frissonna tout de même à son contact.
Il respira profondément et commença à frotter ses mains l’une contre l’autre. Mais cela ne changeait rien, alors il s’arrêta bien vite. La tête appuyée contre l’angle du mur, à sa droite, il rejouait encore et encore les derniers instants de sa vie.
Il n’était pas mort. Comment était-ce possible ?
Ou alors était-il mort ? La mer était-elle le monde des esprits ? Non. Non, il n’était pas mort. Il souffrait trop de sa vie pour être mort.
L’eau l’avait épargné. Aussi fou que cela pût paraître, elle l’avait laissé rejoindre la terre. Elle l’avait laissé s’agripper à la côte. À sa vie. Sur le visage de l’homme, un sourire triste se dessina. Il entendit à peine sa propre voix, rauque et éraillée.
– Merci…
Une rafale plus forte que les autres se faufila entre les murs de la ruine et caressa sa peau froide. Il ferma les yeux et soupira. Pouvait-on appeler cela vivre ?
S’il avait levé les yeux pour regarder au-dehors, par l’ouverture irrégulière d’une petite fenêtre, il aurait vu la lune qui brillait quelques secondes, faible réconfort de lumière, avant d’être recouverte par les nuages gris de l’orage. Le tonnerre gronda. Le vent redoubla de puissance. Mais dans sa petite ruine, le petit homme échoué s’endormit, enveloppé d’une fatigue si épaisse qu’elle le protégeait des maux de l’extérieur mieux qu’une armure de fer. Replié dans un coin de ruine, fossile d’une vie passée, il oublia tout, durant une poignée d’instants. Juste quelques instants…
Je continue de me laisser porter par ton texte, qui est très immersif. On visualise parfaitement cet homme face aux dangers de la nature, et ça me fait me poser pleins de questions. Qui est cet homme ? Est-ce un enfant ou adolescent d'ailleurs, comme il est qualifié de "petit" ? Et puis comment est-il arrivé là ? Comment va-t-il survivre maintenant ? Je suis très curieuse d'en savoir plus !
C'est curieux, je ne peux pas laisser de commentaire sur le chapitre 0. Bon, pas trés grave :-)
j'avais simplement 2 commentaires. Le premier, concerne la phrase "Mais cela ne fonctionnerait pas.". Je ne comprends pas vraiment ce qui ne marcherait pas car il n'y à pas vraiment d'action associée à cette phrase.
l'autre point est plus un ressenti personnel. Tu parles de la mer comme une masse mouvante. C'est certainement vrai, mais l'aspect de masse mouvante ne correspond pas à l'image que je me fait de la mer. Je me demande comment tu concois le mer dans ton texte. quelque chose de positif, de négatif ? Est ce que tu veux lui donner un rôle, une esperce de conscience ?
En tout cas belle netrée en matière qui demande qu'on lise la suite.
Et puis, tu as ton style. Une écriture quon peut reconnaitre.
A suivre .....
Oui, c'est parce que tu as déjà commenté le chapitre 0 hihi ;)
“Je ne comprends pas vraiment ce qui ne marcherait pas car il n'y à pas vraiment d'action associée à cette phrase.”
>> Alors, c'est normal que tu ne comprennes pas ce qui ne fonctionne pas, puisque l'on l'apprend plus tard. En fait, cette scène reviendra plus tard dans l'histoire, lorsqu'on en saura plus quant à son contexte. Mais si tu penses qu'il est perturbant de ne pas comprendre le sens de cette phrase, je penserai à éventuellement reformuler. :)
Quant au rôle de la mer dans le récit, il est assez délicat, mais en tout cas très important ! Tu t'en rendras compte dans les chapitres suivant, je pense... Pour le moment, je préfère ne pas en dire trop au sujet de sa potentielle conscience, mais c'est sûr qu'elle fait réellement partie des enjeux du récit...
Merci pour ton commentaire !
J'espère que la suite te plaira :))
Il y a eu cette phrase : "Ses yeux étaient embués encore par les vagues troubles et salées de la mer, mais il pouvait voir devant lui un horizon qu’il n’avait jusqu’alors jamais rencontré." que je n'ai pas forcément comprise. Si il était en train de se noyer auparavant, on imagine qu'il avait déjà l'horizon de la mer devant les yeux, malgré le tumulte des vagues l'entourant ?
C'est un très léger détail haha :)
En tout cas, très belle introduction
Merci beaucoup pour ton commentaire ! Ce que tu dis est très encourageant, et cela me touche que tu dises ressentir le “travail” que j'ai mis dans mes mots !^^
“Si il était en train de se noyer auparavant, on imagine qu'il avait déjà l'horizon de la mer devant les yeux, malgré le tumulte des vagues l'entourant ?”
>> Je n'avais pas vraiment pensé à ça ! Mais en réalité, j'imaginais plutôt une eau tumultueuse, qui ne lui permettrait donc pas forcément d'observer l'horizon à sa guise^^' Et puis, lors d'une noyade, les sens sont altérés, on perd rapidement conscience, et même avant, je pense que l'instinct de survie prime sur la contemplation du paysage haha :) Mais c'est une remarque très pertinente ! Je n'y avais pas du tout pensé !
Dans tous les cas, le fait que ce soit la première fois qu'il voit la mer est une information assez... importante pour la suite, disons... Je croise donc les doigts pour que personne d'autre ne soit aussi observateur que toi hihi ;))
Le fait qu'il semble croire un instant qu'il est mort me renvoi à ton style habituel.
Sinon, l'écriture est toujours aussi soignée et nous emporte dans cet univers hostile.
Il faut que je lise la suite pour en dire davantage, mais je pressens une fin tragique.
>> En effet, même si l'on ne sait pas grand chose de lui à ce stade, tes impressions sont assez justes... Je te laisserai découvrir la suite^^
“Sinon, l'écriture est toujours aussi soignée et nous emporte dans cet univers hostile.”
>> Merciii ça me touche que tu ressentes cela :))
Cette suite directe au chapitre 0 continue de nous dévoiler dans un langage de qualité ton mystérieux univers, dans lequel le narrateur semble similaire à une figure divine, tant il juge l'être humain comme une espèce problématique.
J'aime particulièrement comment tu nous plonges dans le point de vue de ton personnage, avec par exemple la gradation qui part d'une "fenêtre" et s'achève sur "Quelques pierres". Il y a un côté déceptif d'un personnage qui espérait trouver refuge, et qui est déçu. Très bien mené !
De plus l'ambiance est pesante, et on devine un mal planant dans ce monde qui, les autres commentaires l'ont déjà remarqué avec justesse, n'est pas sans rappeler la dystopie !
Cependant, "eux-même" à la troisième ligne de ton récit doit prendre un S : "eux-mêmes" (il faut accorder "même" avec le pronom personnel, dans cette construction.)
De plus, je trouve que certains passages comportent trop d'auxiliaires être et avoir, comme par exemple de "Il n'était pas mort" jusqu'à "à sa vie". Je comprends que le plus-que-parfait soit de rigueur dans ce passage, mais peut-être peux-tu alterner entre les auxiliaires en sélectionnant différents verbes synonymes. (Par exemple : "succomber" après avoir employé "mourir"). Je te propose cela car ton récit offre un rythme tout particulier, subtil et bref, que parfois masquent ces redondances.
Merci pour ce chapitre, et bon courage pour la suite !
-Oustrouw
Merci beaucoup pour ce retour ! Il est très encourageant, et très enrichissant :)
“J'aime particulièrement comment tu nous plonges dans le point de vue de ton personnage, avec par exemple la gradation qui part d'une "fenêtre" et s'achève sur "Quelques pierres".”
>> Hihi merciii :) Je suis contente que tu aies remarqué cette petite figure de style, elle me plaisait bien aussi !^^
Tu as raison pour la petite faute d'orthographe, je la corrige de suite... :)
Et ce que tu dis quant aux auxiliaires être et avoir est très juste également, j'y ferai plus attention pour la suite ! Et je vais remanier ce petit passage que tu m'indiques...
“Je te propose cela car ton récit offre un rythme tout particulier, subtil et bref, que parfois masquent ces redondances.”
>> Haha merci beaucoup ça me touche que l'on qualifie mon style de “subtil” !^^ Et bien sûr tu as raison de relever cela, c'est ce qui permet de s'améliorer !
Mais merci à toi :))
Je suis curieuse de découvrir la tournure de ce début d'histoire et de savoir qui est cet homme...
J'espère que la suite te plaira^^
Alors qu'au contraire, on ne sait toujours de l'homme si ce n'est qu'il est petit. On sent bien qu'on se trouve dans mon monde post-apocalyptique où la nature et la mer semblent avoir repris leurs droits.
L'homme conserve toujours son anonymat, mais sent vraiment bien ce qu'il traverse grâce aux descriptions que tu fais de ses pensées et de ses sentiments.
C'est donc tout naturellement qu'on a envie de voir comment il va survivre et d'en découvrir sur monde qui paraît assez rude et impitoyable.
En fait, l'un de mes objectifs dans ce texte est d'éviter d'aller trop vite et de hâter le récit, j'espère pouvoir maintenir cela tout au long de l'histoire^^'
“L'homme conserve toujours son anonymat, mais sent vraiment bien ce qu'il traverse grâce aux descriptions que tu fais de ses pensées et de ses sentiments.” Haha merciii ça me fait trop plaisir :))
Merci pour ton commentaire, j'espère que la suite sera à la hauteur de tes espérances (et qu'elle ne tardera pas trop^^')
"Pouvait-on appeler cela vivre ?" on ne sait pas si cela réfère à son état actuel ou à l'état de l'espèce humain à cette époque. Il y a une atmosphère de désolation qui suinte à travers cette histoire, ça fait travailler l'imagination, c'est bien.
Oh, super si tu aimes l'atmosphère :))
Merci beaucoup pour tes commentaires^^