Chapitre 1

1

 

Justin Altarus – Confluent – 1999

Correspondance posthume à Jehan Baak

 

Mon cher ami,

 

Si vous pouviez constater les dérives impardonnables du système dans lequel nous vivons, vous vous en retourneriez dans votre tombe. Il prétend protéger les citoyens, mais il détruit des familles, des vies entières, pour plier la classe moyenne à l’autoritarisme du capital.

 

Il y a quelques années, les élections ont pris une tournure un peu particulière. Les candidats ont été discrédités en pleine campagne ; certains ont même disparu à la veille des élections. Les citoyens appelés à se rendre aux urnes se sont alors trouvés contraints de voter pour le dirigeant vers lequel on les orientait insidieusement.

Cette démocratie pervertie a légitimé des réformes portant gravement atteinte aux administrés, les réduisant peu à peu à de la main-d’œuvre sans conscience ni droits, à la merci des plus fortunés de ce monde.

Les reproches à peine voilés étaient martelés de média en média. « Il faut s’investir davantage dans son travail pour vivre correctement, les loisirs sont superflus, l’oisiveté n’est plus permise », répétaient les plus aisés aux plus pauvres. Mais les efforts consentis n’ont jamais bénéficié à ceux qui les avaient fournis, et le fossé entre les classes n’a cessé de s’accroître.

Des vagues de contestations ont émergé un peu partout pour finir par se rassembler. Mais elles n’ont jamais été entendues. Au contraire, la campagne de discrimination a pris de l’ampleur, et les classes moyennes ont été contraintes de travailler toujours plus pour à peine subsister. Les distractions ont peu à peu été réduites ; puis déclarées indésirables, rendant les artistes et leurs alliés personæ non gratæ.

La politique, au service d’un réseau financier sans scrupules, a réduit les hommes au travail forcé et à la survie.

Afin d’inoculer cette doctrine aux enfants dès le plus jeune âge, les parlementaires – dont la mission de représentation du peuple n’est plus qu’un lointain souvenir – ont voté le Children Act. Sur le fondement de cette abomination, des milliers d’enfants ont été séparés de leurs parents, placés en foyers ou en orphelinat, lorsque les familles d’accueil sont venues à manquer.

 

Ma fille, Eartha, fait partie de ces enfants…

Cela fait plusieurs interminables mois que j’ai été séparé d’elle. Ses pas guillerets, son inaltérable sourire et ses yeux pétillants me manquent tant. Sans sa présence à mes côtés, l’atelier me semble vide, ma vie sans véritable intérêt, mon cœur est dévasté.

Ma fille chérie a été enfermée dans un orphelinat étriqué ; un immense bâtiment blanc, situé sur le quai, face au fleuve et aux péniches, qui abritait initialement le pensionnat destiné aux enfants de bateliers. Considérant sa taille imposante, il a été réquisitionné par les dirigeants peu après la mise en place du Children Act, il y a deux ans. C’est ainsi que des innocents comme Eartha y ont été entassés sans plus de considération que des prisonniers, sans espace personnel ni soins, à peine nourris.

Chacun s’accommode de cet état de fait désastreux, au motif qu’on ne dispose ni de familles d’accueil ni de fonds et qu’il ne serait pas matériellement possible pour les citoyens de faire face, financièrement, à l’augmentation des mesures de protection. Un paradoxe saisissant, quand on pense que cette loi est censée protéger les enfants qu’elle place pourtant dans des conditions si dégradantes que les autorités communautaires supérieures les auraient condamnées sans appel. Mais ce monde d’ouverture et de droits n’est plus, balayé par le repli identitaire.

Le plus frappant demeure que, dans la plupart des cas, ces séparations arbitraires ne sont justifiées que par des suspicions infondées et un abus de pouvoir évident. On inflige donc à nos enfants une double peine en inscrivant leur avenir dans les brumes empoisonnées de l’incertitude.

Dans notre malheur, Eartha et moi avons eu une chance inouïe : Gremlin, notre chat, fait des allers et retours entre nous. Malgré l’interdiction formelle de détenir un animal dans l’enceinte de l’orphelinat, il parvient à lui transmettre les messages que j’accroche à son collier. Ce chat est le seul lien que nous avons pu maintenir.

Les directives sont très claires : les contacts sont prohibés. Le caractère intangible de cette décision démontre à lui seul les véritables intentions des décisionnaires : dans un monde où la musique est dorénavant jugée superflue, voire objet de perversion, exercer la lutherie est un signe évident de résistance que les hauts placés ne peuvent tolérer. Mon enfant m’a de toute évidence été retirée pour raison d’État. On nous a corollairement privés de toute visite pour étouffer peu à peu notre lien particulier et estomper nos souvenirs.

Cette sanction, c’est à elle qu’on l’inflige, alors qu’en réalité, c’est à moi qu’elle est destinée.

 

Ce matin, les nouvelles sont particulièrement mauvaises. J’ai eu vent qu’une vague de répression, plus violente encore, va s’abattre sur la ville. J’ai donc glissé un ultime petit papier, enroulé à la manière d’un minuscule parchemin, dans la capsule attachée au cou de Gremlin. J’étais à ce point alarmé par cette information que cela m’a empêché d’écrire calmement. Mes mains tremblaient sans que je puisse les contrôler, mes mots se sont tracés d’une écriture désordonnée afin de lui délivrer le message dont nous étions convenus, il y a des années déjà, bien avant votre décès :

« Quitte l’orphelinat et rends-toi là où nous allions nous promener jadis, lorsque tu étais petite. Trouve le coffre de Jehan et suis les instructions. Je t’aime. Papa ».

 

J’espère qu’elle le réceptionnera à temps et qu’elle réussira à s’échapper. Pourvu qu’elle parvienne à suivre les indices et qu’elle résolve cette énigme. J’ai confiance en votre jugement, mais j’ai terriblement peur pour elle.

Et pour l’humanité tout entière.

Que la magie nous vienne en aide !

 

Votre très dévoué élève et ami inconditionnel,

 

Justin

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haroldthelord
Posté le 26/08/2020
Salut,

Je sais que c’est seulement une fantaisie mais le nom de la fille Eartha, je crois qu’il y a pire mais il faut arrêter les prénoms comme ceux-là et je crois qu’il lui ont en vérité enlevé sa fille pour lui avoir donné des prénoms comme Jehan au lieu de Jean ou Eartha au lieu de Martha et de Gremlins à son chat.
😂
Sienna Pratt
Posté le 26/08/2020
je ne suis pas sûre d'avoir compris le sens de ton commentaire :p
Jehan est un prénom belge existant (j'ai parmi mes proches une personne qui s'appelle comme cela). Quant à Eartha, il s'agit également d'un prénom existant, dont l'histoire et le sens particulier ont un intérêt dans ma propre histoire.
Enfin s'agissant de Gremlin, je me suis inspirée de mon propre chat qui a priori a bien vécu sa vie malgré cet horrible nom ;)
Sienna Pratt
Posté le 26/08/2020
plus précisément un Gremlin est une créature de l'imaginaire qui fait des blagues dans les maisons... un clin d'oeil pour ce chat particulier... Si on pousse ses recherches, il n'y a aucun hasard dans cette histoire, le moindre détail a un sens. Je reste à ta disposition pour en discuter :)
Sienna Pratt
Posté le 26/08/2020
plus précisément un Gremlin est une créature de l'imaginaire qui fait des blagues dans les maisons... un clin d'oeil pour ce chat particulier... Si on pousse ses recherches, il n'y a aucun hasard dans cette histoire, le moindre détail a un sens. Je reste à ta disposition pour en discuter :)
haroldthelord
Posté le 27/08/2020
je ne voulais pas te fâcher mais tes prénoms sortent franchement du commun gremlins ne me gène pas plus que ça même si c’est inhabituel, c’est quand tu additionnes tout ces prénoms que cela fait un peu trop.
J’avoue que je ne savais pas que Jehan est un prénom belge et sur Eartha qui est vraiment un prénom horrible désolé pour la personne qui porte ce prénom je pensais juste que c’était franchement un nom dure à porter même si tu me dis que cela compte dans ton histoire.
Sienna Pratt
Posté le 27/08/2020
Ah Ah, ne t'inquiète pas, je ne suis pas fâchée. Les prénoms, c'est une histoire de goûts, chacun sa sensibilité. Tu n'aimes pas Eartha et trouve qu'il s'agit d'un nom difficile à porter, de mon côté je trouve que c'est un bel hommage à notre planète, un message de gratitude vis à vis d'elle, un prénom tout doux qui chante... Chacun sa perception.
Jehan, Justin, Alec, Damien, Corto, Eliane, sont tous des noms classiques communément empruntés ici et là. Eatha l'est moins, est ce dramatique ? Cela porte-t-il préjudice à l'histoire ? Si ça te contrarie, il n'y a aucun mal à abandonner cette histoire et à te plonger dans une autre :)
Je n'ai aucun doute que tu trouvera une histoire à ton goût par ici :)
haroldthelord
Posté le 27/08/2020
Je ne m’arrête pas pour si peu de chose et j’ai déjà lu le chapitre suivant avec le petit garçon qui fabrique une louche et qui devient l’élève du grand maître, ton écriture est plaisante alors je continue à te lire.
Sienna Pratt
Posté le 27/08/2020
Merci, ça me fait plaisir de savoir que tu t'accroches malgré tout :)
je te souhaite une bonne lecture !
Ella O. GuerL
Posté le 12/08/2020
Coucou ~
Je viens de découvrir ton histoire et je dois dire que ce premier chapitre a piqué ma curiosité. Ta plume est agréable à lire et on ressent bien les émotions du père, l'inquiétude pour sa fille, la situation pressante... J'espère que sa fille réussira à s'enfuir à temps !
J'aime beaucoup l'idée du chat qui maintien un lien entre le père et la fille, qui permettra -certainement- à sa fille de s'en sortir et de partir en quête de l’énigme de son père.
J'ai hâte de m'attaquer à la suite.
Sienna Pratt
Posté le 13/08/2020
Merci pour ton commentaire Ella O. GuerL :D
Je suis contente que ce début te plaise, je te laisse découvrir la suite !
Lunatique16
Posté le 15/07/2020
Wouah, cette lettre était magnifique, quelque peu complexe je dois bien l'admettre mais avec un peu de concentration ça passe tout seul ! J'adore ta plume, elle fait très pro et c'est très agréable à lire ^^
On ressent très bien l'urgence et l'inquiétude du père face à la situation. Du coup, moi aussi je m'inquiète pour la petite. Mais du coup je me pose aussi plein de question ! Quelle est cette énigme dont il parle ? Et quelles sont ces instructions à suivre dans ce mystérieux coffre ?
En tout cas tu as su titiller ma curiosité, j'ai envie de connaître la suite maintenant x)

PS : j'ai vu que ton histoire était en précommande en e-book, j'ai hâte d'être au 4 août pour avoir la version papier entre les mains ! :)
Sienna Pratt
Posté le 16/07/2020
Awww Merci ! Je suis très touchée par ton commentaire adorable ! C'est très encourageant pour moi de voir que mes effets fonctionnent et que tu souhaites découvrir la suite !
En effet, il est en précommande, bientôt le grand saut pour moi et je dois dire que c'est moins flippant avec un tel soutien ! Merci <3
Lunatique16
Posté le 16/07/2020
Y a pas de quoi ! ^^ C'est un plaisir de partager sur cette plateforme et je suis sincère, tu as une plume fluide et agréable à lire :)
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