Chapitre 1 : Les souterrains

Par Lilisa
Notes de l’auteur : Salut à toi !
Les commentaires sont la bienvenue du moment qu'ils sont constructifs.
Bonne lecture !

Falès se sentait bien dans sa petite grotte. Un nain normalement constitué aurait dit que sa grotte était trop petite et sentait le renfermé. Il aurait ajouté qu’elle était remplie de vieux livres poussiéreux qui ne servaient à rien, que les bruits des insectes étaient répugnants, et que les bougies que Falès avaient installées étaient inutiles puisque les nains avaient une excellente vision nocturne.

Mais à tous, Falès leur rétorquait que leur avis l’importait peu puisque qu’ils n’y passaient pas la majeure partie de leur temps, et même qu’ils n’y venaient jamais, sinon pour la critiquer. Le jeune nain à la silhouette athlétique et à la répartie cinglante aimait son endroit car c’était le seul où il pouvait ruminer ses pensées et ses souvenirs, où il se sentait lui-même. Au fond, il se moquait que sa grotte soit spacieuse ou minuscule, belle ou laide, profonde ou à la surface, sente le renfermé ou la rose.

Il était arrivé dans cet état d’esprit, le fait que peu importait l’endroit du moment qu’il était à lui.

Mais, au fil des ans, la singulière beauté intérieure du lieu l’avait contaminé. Désormais, il n’en aurait changé pour rien au monde. Il chérissait les moindres recoins de sa grotte, les deux anciens fauteuils de cuir élimés, les couvertures chaudes sentant la terre, les bougies qu’il avait allumées qui donnaient un aspect chaleureux à la pièce, la poussière rouge qui recouvrait le vieux tapis usé, l’étagère remplie de flacons dans lesquels tourbillonnaient, flottaient ou simplement attendaient qu’on vienne les solliciter, les divers mélanges de couleurs variées, déposés par Liur.

Mais ce qu’il préférait dans cette grotte n’était ni les deux fauteuils de cuir, ni les vieux livres écrits pour certains dans des langages inconnus, mais les murs. Tout dans ces murs, leur texture, leur couleur, leur odeur, leur saveur même, était magique pour Falès. Il pouvait passer des heures à les contempler sans rien faire d’autre que les écouter battre au rythme du cœur de la Terre, les sentir, admirer de ses yeux vert émeraude si perçants le moindre recoin, la moindre bosse, la moindre fissure, la moindre pierre légèrement branlante. Certains trouvaient Falès indigne d’être nain, car selon eux un nain se doit d’être actif en permanence excepté les heures de sommeil, et non passif à regarder des murs pendant plusieurs heures sans bouger. Mais Falès se moquait royalement de leur avis. Il aimait sa grotte, un point c’est tout.

Falès entendit soudain un bruit long qui ne variait que toutes les quarante secondes.

Un cor !

C’était le signe qu’il était l’heure de rentrer, car les forces de l’ordre punissaient très sévèrement toute désobéissance au couvre-feu. La mort dans l’âme, il abandonna sa grotte pour la nuit en se consolant qu’il pourrait y revenir dès demain matin, et remonta vers sa maison. Lorsqu’il l’aperçut, il eut un pincement au cœur, comme toujours. Non pas qu’elle soit petite ou inconfortable, mais à chaque fois qu’il voyait cette maison, il voyait tous les efforts que faisait Sorena, sa sœur, pour lui.

Elle avait accepté le poste très prisé d’historienne de Sa Majesté Manouk III, ce qui était extraordinaire pour sa carrière, mais elle ne voulait absolument pas être au service du roi. Elle aurait préféré travailler indépendamment des bons vouloirs du roi, être à son compte, mais elle avait pris ce travail parce qu’il était très bien payé, ce qui lui permettait de s’occuper de Falès. Ce dernier savait qu’il avait beaucoup de chance d’avoir une grande sœur pareille, de la chance qu’elle soit aussi douée, sinon jamais elle n’aurait obtenu ce poste. Il savait également sa chance qu’elle l’aime autant, car même si elle avait les moyens de s’occuper de lui, elle aurait tout à fait été dans son droit de le jeter à la porte. Oui, Falès le savait, il était très chanceux d’avoir une grande sœur pareille.

Sorena était peut-être la meilleure grande sœur du monde des nains. Elle n’avait jamais abandonné Falès après la mort de leurs parents, il y a quinze ans, lorsqu’ils étaient morts dans un accident de transport, leurs corps disparus. Mais Sorena s’était occupée de lui.

Beaucoup de nains mâles lui tournaient autour, attirés par son ravissant pelage immaculé, ses yeux de saphir, son sourire éclatant, sa gentillesse, son sens de l’humour et toutes ses autres qualités. Malheureusement pour eux, Sorena les voyait à peine et une seule personne compte à ses yeux : Falès. Son nom signifiait « rivière » dans le dialecte où Falès signifiait « flamme ». Leurs parents avaient été linguistes, à une période avant leur naissance, et en avaient gardé un goût prononcé pour les langues anciennes, ce qui expliquait qu’ils aient nommé leurs enfants ainsi.

Pour résumer, Sorena était formidable et l’avait sauvé.

C’était d’ailleurs grâce au talent de sa sœur qu’il habitait dans cette si belle maison. Cette dernière était admirée par tous les nains pour son style, son élégance. C’était une maison spacieuse, à moitié taillée dans la roche, qui sentait la fraicheur des souterrains. La partie troglodyte donnait beaucoup de charme et s’accordait parfaitement au reste de la demeure. La première chose qu’on voyait en arrivant était les deux tours encadrant harmonieusement la partie centrale du bâtiment. Cette dernière était d’obsidienne, une pierre aussi sombre que les entrailles de la terre où vivaient les nains. Les tours étaient torsadées et faites de la même pierre. La maison avait une allure élancée, qui s’accordait parfaitement avec l’élégance de sa propriétaire.

La demeure était magnifique mais la majeure partie du charme qui se dégageait provenait du lieu. La maison de Sorena était installée dans une immense grotte qui s’avérait être un entremêlement d’arches gothiques et de hauts piliers qui soutenaient un plafond peint. Il y a plusieurs décennies, cet endroit magique avait abrité un lieu de culte, mais il était maintenant déserté. La grotte s’élevait jusqu’à la surface, et l’autorisation spéciale du roi avait été requise, car cela pouvait être dangereux. La caverne sentait l’humidité et le grand air, car la pluie descendait parfois jusque dans les entrailles de la terre.

On entendait les grincements des chauves-souris et les cris d’animaux bien moins innocents. Un fleuve de lave coulait non loin, tel une langue de feu venant lécher les parois de l’église avant de continuer son chemin vers la surface, emportant avec elle les rêves et les espoirs de tous les jeunes nains qui désiraient voir le monde supérieur. Un pont enjambait cette rivière rouge qui baignait la grotte de son éclat orangé. Ce pont était, tout comme les arches, de style gothique et la seule manière d’accéder au manoir de Sorena.

Comme tous les soirs, Falès emprunta cet élégant pont avant de rejoindre sa sœur, tout en admirant le magnifique paysage sombre et rocheux qui s’étirait devant lui. Au fil du temps, Sorena avait pris l’habitude, probablement transmise par son frère, d’allumer plusieurs lampes, afin d’obtenir un aspect chaleureux.

Lorsque Falès pénétra dans la spacieuse cuisine, Sorena était en train de préparer un plat d’où se dégageaient mille et une saveurs délicieuses. Sorena était une excellente cuisinière et Falès le constatait chaque jour. Ce soir, elle avait fait un ragoût d’agneau et son frère avait l’eau à la bouche quand ils passèrent à table. Elle lui servit volontairement une portion très généreuse, car elle savait que c’était un de ses plats préférés. Étant de nature bavarde, elle engagea la conversation :

- As-tu passé une bonne journée ?

- Passable.

- As-tu au moins appris quelque chose ?

- Non, je suis pas allé en cours. Pas envie.

En effet, chez les nains, l’école n’était plus obligatoire à partir de 17 ans et Falès séchait les cours dès qu’il pouvait.

- Falès, tu es en train de te pourrir l’avenir.

- Bien sûr que non, je suis déjà diplômé du FSSE. J'ai plus qu'à attendre, comme d'habitude.

- Tu sais bien que c’est extrêmement dangereux.

En effet, la Formation Spéciale de Soldat d’Elite était réputée pour son haut taux de décès. C’était la division de l’armée la plus prestigieuse et la mieux payée, et aussi la seule qui intéressait Falès. Elle le fascinait car c’était la seule dont les membres avaient le droit de se rendre en surface pour leurs missions. Il avait passé son diplôme de Soldat d’Elite il y a 2 ans mais devait attendre ses 18 ans, c’est-à-dire encore un an, avant de pouvoir s’engager pour de bon.

- Oui, je sais, mais tu sais bien que c’est la seule chose qui m’attire.

- Bon, OK, je laisse tomber, mais essaie d’apprendre quelque chose en allant en cours.

- J’essaierai.

- Tu ne devineras jamais ce que j’ai appris aujourd’hui, s’exclama Sorena d’un ton enjoué en changeant brutalement de sujet.

- Vas-y, crache ta science.

- Tu savais, comme tous les nains, que les humains, il y a des siècles, nous ont chassés et que nous nous sommes réfugiés sous Terre en leur effaçant la mémoire à l’aide d’un sérum d’oubli. Eh, Falès tu m'écoutes ?

- Mais Sorena, tu m'as déjà raconté mille fois pourquoi on s'est réfugiés dans les souterrains ! 

- Tu écoutes ta grande soeur quand elle te parle ! Alors oui, je te l'ai déjà raconté, mais cette fois j'ai appris des trucs alors forcément toi aussi. Donc, laisse-moi finir. Comme je le disais avant que tu m'interrompes, ce que l’on ignorait jusqu'à très récemment, en revanche, c’est pourquoi les humains voulaient nous exterminer. En étudiant les textes et en interrogeant les soldats revenant de la surface, j’ai appris les informations suivantes : 1) les textes racontent que les humains nous dépeçaient et nous mangeaient, 2) aujourd’hui, à la surface, les tigres et les éléphants sont en voie de disparition et 3) les tigres ont une fourrure de la même matière que la nôtre et les éléphants ont des défenses en ivoire, tandis que nos griffes sont faites d’ivoire. On peut donc en déduire sans risque de se tromper que c’était la famine, que les humains nous ont vus comme des proies faciles et qu’en plus de nous manger, ils considéraient nos griffes et notre fourrure comme précieux.

- C’est fascinant.

- Tu es sûr de ne pas vouloir être historien plutôt ?

Falès soupira. C’était la même chose tous les soirs. Tous les soirs, sa sœur essayait de le convaincre qu’il y avait des tas de métiers bien plus intéressants que Soldat d’Elite. Elle avait peut-être raison, mais aucun autre métier ne l’attirait.

- C’est toujours la même réponse qu’hier, avant-hier et il y a deux semaines : non, rétorqua-t-il en se levant et en quittant la maison pour se diriger vers sa grotte.

 

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Edouard PArle
Posté le 23/11/2023
Coucou Lilisa !
Extrêmement intéressant, j'ai bien aimé ce premier chapitre !
J'ai juste trouvé le passage où Falès sort de la grotte, rentre chez lui et parle de sa soeur, un peu décousu. On sent que tu as beaucoup d'informations à faire passer et je trouve que certaines ne sont pas forcément nécessaires à ce premier chapitre. Cependant, on n'est jamais submergé et la lecture est plaisante.
J'ai vraiment beaucoup apprécié le passage dans la grotte au début. La fascination de Falès est assez touchante et j'aime beaucoup la précision avec laquelle tu décris ce lieu. J'étais surpris d'ailleurs qu'il ne s'agisse pas de sa maison au vu de son attachement pour ce lieu.
Le personnage de sa soeur fonctionne bien. Ca donne une dynamique différente de s'il avait été recueilli par une tante, un oncle ou ses grands parents. D'autant que Sorena a une belle énergie.
Leur discussion permet de donner pas mal de matière au lecteur : les projets d'avenir de Falès, la fascination des nains pour la surface, un mystère historique. Bref, tu introduis bien à la fois l'histoire et son cadre, on se laisse porter.
Mes remarques :
"Le jeune nain à la silhouette athlétique et à la répartie cinglante" rare ce genre de phrases xD
"il y a 15 ans, lorsqu’ils étaient morts dans un accident de transport. Leurs corps n’avaient jamais été retrouvés. Mais Sorena s’était occupée de lui." je trouve que "leur corps n'avaient jamais été retrouvés" n'a pas forcément sa place dans ce paragraphe, tu pourrais peut-être le caser à un autre moment ou modifier la tournure
"son sens de l’humour et toutes les autres qualités qu’elle possédait." -> et toutes ses autres qualités ?
Un plaisir,
A bientôt !
Lilisa
Posté le 23/11/2023
Hello !
Merci pour toutes ces petites remarques, je m'en occupe !
Deslunes
Posté le 15/11/2023
Bonjour Lilisa,
Toujours aussi intéressant, juste pour info avant de continuer ma lecture :
que les bougies que Falès avaient installées étaient inutiles - que les bougies - que Falès avait installées étaient inutiles
flottaient ou simplement attendaient qu’on vienne les solliciter divers mélanges de couleurs variées, déposés par Liur. – il manque un mot entre solliciter et divers ??
Beaucoup de nains mâles lui tournaient autour, attiré par son ravissant pelage immaculé - Beaucoup de nains mâles lui tournaient autour, attirés par son ravissant pelage immaculé
ce qui expliquaient qu’ils aient nommé leurs enfants ainsi. - ce qui expliquait qu’ils aient nommé leurs enfants ainsi.
Les tours étaient torsadés - Les tours étaient torsadées
il y a des siècles, nous ont chassé - il y a des siècles, nous ont chassés (s’accorde avec nous)
Et perso, je mettrais une majuscule au mot TERRE
Lilisa
Posté le 16/11/2023
Hello !
Merci pour toutes ces coquilles, que je vais corriger de ce pas ! Oui tu as raison, je vais aller mettre une majuscule à Terre.
Contente de voir que mon humble histoire te plaît ! Bonne lecture !
MariKy
Posté le 20/09/2023
Bonjour Lilisa ! J'ai vu que tu avais ajouté mon histoire à ta PAL alors je viens jeter un oeil du côté de tes écrits par curiosité... Tu as une très belle plume et un récit qui promet beaucoup d'originalité ! Je suis d'autant plus impressionnée que tu as précisé être encore au collège, donc bravo, !
L'histoire démarre très bien, avec de nombreuses descriptions qui passent très facilement car tu rends le tout très vivant grâce au ressenti de ton personnage. J'aime beaucoup les prénoms choisis (j'ai un Shael aussi dans mon univers, je ne peux qu'approuver le choix !)
Le seul passage qui m'a un peu moins plu, c'est l'explication de Sorena sur la fuite des nains et le serum d'oubli, qui sonne moins naturel que le reste du dialogue (on a plus l'impression que c'est toi qui nous parle directement pour nous donner les infos indispensables).
En tout cas je réitère mes félicitations pour ton texte : en tant que prof de collège moi-même, je suis impressionnée ;-)
Lilisa
Posté le 21/09/2023
Merci beaucoup !
hmm, je vais essayer de rectifier un peu le discours de Sorena.
Paige
Posté le 16/06/2023
Ahah j'aime bien le nain qui n'aime que les murs de sa grotte ainsi que l'explication que les humains voulaient les manger. C'est assez amusant l'univers que tu plantes là.
Lilisa
Posté le 18/06/2023
Bonjour

merci beaucoup pour ton commentaire !

Cela me fait très plaisir que tu aimes mon univers.

Pour le nain qui n'aime que les murs de sa grotte, j'ai essayé de sortir du cliché du héros qui n'a que des qualités ou des "défauts sexys" qui décrédibilise beaucoup le personnage.
CrazyFeathers
Posté le 16/06/2023
Des livres ne servent jamais à rien, tss ! C'est si chou, le petit nain et sa grotte adorée. Et la description que tu en fais aide vraiment à se projeter l'endroit.

Petite erreur d'inattention : "Elle n’avait jamais abandonné Falès après la mort de leurs parents, il y a 15 ans, lorsqu’il était mort dans un accident de transport." Il était mort doit être transposé au pluriel si j'ai bien compris le sens de la phrase.

Sorena promet d'être un personnage intéressant.

Falès est un peu la Ariel des nains, rêvant d'aller à la surface ahah. J'aime beaucoup l'univers nain que tu nous proposes, avec un roi et des diplômes et des lois modernes.

Bonne continuation à toi !
Lilisa
Posté le 18/06/2023
Bonjour,

merci pour cette remarque, je corrige l'erreur immédiatement !

Pour le système du monde des nains, le diplôme du FSSE m'a été par la stratégie Ender avec ses grades et sesjeux qui permettent en fait de former les futurs officiers.
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