Le soleil était sur le point de se coucher lorsque Nathan entra dans le bar Café Crème. Le nom du commerce n’était pas très recherché, de ce qu’il en pensait. Éduqué par une femme tolérante, il suivit son conseil de ne pas juger un livre par sa couverture et tenta sa chance. Il ne voulait de toute façon qu’un simple capuccino décaféiné, une recette facile d’exécution pour les mains expertes d'un serveur habitué à en faire chaque jour, ou du gérant puisqu'au premier coup d'oeil Nathan s'aperçut que celui-ci, au comptoir, servait seul.
Il espérait en tout cas que ses mains seraient expertes et que l’on ne lui offrirait pas une boisson trop fortement cafeinée. Il n’avait aucune envie de se retourner dans son lit des heures durant avant que le sommeil ne s’empare de lui.
Critiquer était un art auquel Nathan se prêtait occasionnellement, mais avec une aisance particulière. Il y prenait parfois plaisir mais ce n’était souvent que l’expression d’une profonde frustration que nulle satisfaction n’aurait su combler.
Au comptoir, il commanda le café qu'il voulait, visualisant par avance la tasse à moitié remplie d’espresso coiffée de mousse préalablement chauffée à la vapeur.
« Ce sera deux euros, cinquante-trois centimes. »
C'était bien chère pour une tasse de café, mais Nathan ne sourcilla pas. Le serveur qu’il avait face à lui avait les traits tirés comme s’il dormait mal depuis déjà plusieurs jours. Nathan décida donc de lui pardonner son amabilité de porte de prison et lui tendit la somme d’argent demandée. Sachant déjà qu'il ne commanderait rien de plus, il valait mieux règler directement afin de ne plus avoir à y penser par la suite. Il lui souhaita \textit{bon courage} pour la suite de son service, comme il le faisait par habitude avec la plupart des commerçants, puis il partit en quête d’une table libre pour savourer sa boisson chaude à l’allure artistique : une fleur de cacao était tracée dans la mousse, raison pour laquelle Nathan ne se lassait pas de demander des capuccinos.
Il ne vit qu’une place assise disponible, à une table où une jeune femme, peut-être une étudiante, buvait ce qui ressemblait à un chocolat tout en révisant probablement des cours. Nathan ne voulait pas s’imposer mais, d’humeur à prendre des risques, il engagea la conversation avec elle :
« Salut ! Je peux m'asseoir ?
— Oui, oui, vas-y, t'inquiète ! Aucun souci. Je ne serais pas contre un peu de compagnie. Je ne comprends rien à cet exercice que la prof nous a filé pour la semaine prochaine, c’est insupportable. Va encore falloir que je demande de l’aide à ma pote Anna… Ça m’agace un peu je t'avoue ! »
Observant plus précisément son physique, Nathan remarqua la beauté de cette fille qui l’avait gentiment laissé interrompre sa concentration de façade pour partager un moment de convivialité dans un lieu où il n’était pas inhabituel de faire des rencontres imprévues.
Il s’attacha d’abord à ses yeux : gris-vert, ils ressemblaient énormément aux siens. Il pensa que la probabilité de rencontrer une personne dont la couleur des iris est similaire à la sienne était relativement mince. Pas inexistante toutefois. Sa peau était blanche mais légèrement bronzée. Il ne s’en formalisa pas car l’été approchait. Cette caractéristique était commune à de nombreux individus dans les environs, les rayons du soleil n’épargnant personne. Même si elle était assise en face de lui, il devina qu’elle était plus petite que lui. Pas de beaucoup, de ce qu’il supposait. Elle ne devait pas être loin du mètre soixante-dix, si elle ne le dépassait pas. Ses lèvres fines portaient un sourire charmeur en harmonie avec la couleur rouge claire de son sweat-shirt et le noir de son jogging. Ses cheveux lisses châtains clairs rassemblés en une jolie queue de cheval lui donnaient un style harmonieux.
Après l’avoir analysée de la tête aux pieds, Nathan brisa la glace puis bu une première gorgée de son capuccinno :
« Tu es étudiante en lettres classiques ou modernes ?
— Je te laisse deviner ?
— Je dirais qu’il y a plus de chances pour que tu sois en lettres modernes. On rencontre rarement des gens en lettres classiques, honnêtement.
— Bingo. Tu as tout juste. Et toi ?
— Je te laisse deviner ?
— Touchée ! Hmm... Je te vois bien dans un truc littéraire aussi. Tu étudierais pas les langues par hasard ?
— Eh bien si, justement, j'étudie les langues. L'anglais pour être précis. Depuis 2 ans bientôt, je suis sur la fin de ma deuxième année de fac.
— Moi, c'est pareil, fin de deuxième année et c'est un peu le stress, y a les examens bientôt...
La discussion venait à peine de véritablement démarrer que son mobile vibra sur la table, signe qu’elle avait reçu un message. En voyant le nom de l’émetteur, elle déchira un petit bout de page sur le haut de son cahier, gribouilla quelques chiffres et lettres dessus puis acheva de ranger ses affaires dans son sac. Pressée, elle tendit le papier à Nathan :
« Désolée de partir comme ça, vraiment ! C'est un peu rapide mais faut que j'y aille. Envoie-moi un message si tu repasses dans le coin. Salut ! »
Elle se précipita alors vers la sortie, dévisagée par les clients dont elle perturbait la tranquillité par son attitude inhabituelle.
Nathan resta alors seul, tenant le petit bout de papier légèrement froissé sur lequel elle avait écrit son numéro, mais aussi son prénom : « Suzanne ». Un beau prénom. Dommage qu'elle ne lui ait pas laissé le temps de lui dire comment il s'appelait. Ce serait une surprise à réserver pour leur prochaine rencontre.
Terminer son café ne prit que quelques minutes à Nathan. Il ne désirait plus s’attarder. Son besoin de sortir et de voir d’autres êtres humains assouvi, il lui fallait à présent reprendre le chemin de son cher et tendre foyer. Il y retrouverait sa mère, qui constaterait volontiers qu’il rentrait à une heure tardive puis lui rappellerait une nouvelle fois qu’il était imprudent de s’aventurer en ville, et notamment dans des lieux aussi peu fréquentables que des bars, à la tombée de la nuit. Il était bien entendu libre de faire ce qu’il voulait à son âge mais il ne pouvait pas empêcher sa mère de se faire du souci. Aussi pénible que cela puisse paraître, elle lui montrait aussi de cette manière qu’elle était fortement attachée à lui et que le perdre serait un terrible déchirement.
Aurore, la mère de Nathan jouait un rôle essentiel dans sa vie. Toujours présente pour le soutenir moralement, elle était aussi exigeante en matière d’éducation. Elle lui demandait régulièrement ses résultats scolaires jusqu’à ce qu’il débute à l’université et lui laisse finalement davantage de marge de liberté. Alors qu’il n’avait aucune prédisposition pour cela, elle l’avait également contraint à commencer l’équitation, le forçant à monter parfois plusieurs heures par semaines jusqu’à ce qu’il y prenne plaisir. Étonnamment, c’était désormais une activité dont Nathan ne pouvait plus se séparer. Chaque jour, il aimait rendre visite à sa jument quelques heures et respirer la pureté du grand air avec Pluie d’Étoiles, au cours d’une balade n’appartenant qu’à eux.
Seules les leçons d’escrime qu’elle lui avait imposées jusqu’au lycée avaient causé de réelles disputes entre Nathan et sa mère. Il n’avait jamais tout à fait compris leur utilité et pensait qu’elles ne représentaient rien d’autre que du temps gaspillé qu’il ne pouvait pas passer à étudier ou à cheval. L’épée était dans ce monde devenue une arme de second plan, dérisoire face à des technologies autrement plus performantes. Il considérait donc que se fatiguer à l’apprendre n’était qu’un effort vain. Sa mère avait finalement cédé à son entrée en terminale. La préparation de son baccalauréat étant stressante et prenante, elle lui avait fait grâce de cet extra sur son emploi du temps déjà chargé.
L’année précédente, alors qu’il allait commencer l’université, elle avait tenté de lui vendre des cours de danse de salon, lui expliquant que les filles appréciaient un garçon qui sait danser. Il ne s’était pas laissé convaincre par ce faible argument. À cette époque, aussi étrange que cela soit de parler d’époque pour un garçon de vingt ans, il en avait assez que sa mère s’implique autant dans son emploi du temps et lui avait clairement fait comprendre. Sa mère acceptant enfin qu’il grandisse en paix, les disputes avaient cessé pour faire place à une forte complicité qu’il n’avait jamais expérimentée avec qui que ce soit d’autre.
En ce qui concernait son père, il n'en savait pas grand chose. Sa mère lui avait dit un jour, alors qu'il n'était qu'un jeune adolescent de onze ou douze ans, qu'il était parti avant sa naissance. Lorsqu'il avait évoqué le sujet, il avait immédiatement compris au ton qu'elle avait pris qu'elle n'était pas prête à en parler. Elle devait avoir beaucoup souffert de son départ, et la plaie était probablement encore ouverte, même si bien cachée.
Lorsqu’il arriva chez lui, Nathan trouva sa mère plongée dans la lecture d’un livre de dimension poche. Il ne se souvenait pas l’avoir déjà vu et l’exprima à voix haute :
« Tu lis un nouveau bouquin, maman ?
— Hmm… Oui. Enfin, pas vraiment. Je préférerais ne pas en parler pour l’instant Nathan. On en reparle demain, OK ? »
Il hocha la tête en signe d’approbation et rejoignit sa chambre. Ce n’était pas la première fois ces derniers jours qu'elle se comportait de façon inhabituelle mais il choisit de ne pas s’en alarmer. Si des choses devaient être dites, elles le seraient à un moment donné. Inutile de brusquer les choses.
Après s’être laissé bercé par la fatigue, Nathan avait sombré dans un sommeil plein de rêves étranges. Une enfant aux traits flous et à la voie hypnotisante lui avait rendu visite, lui murmurant des paroles inaudibles. Il n’y avait pas prêté une attention spéciale mais cette étrangère n’en avait pas moins troublé la sérénité de ce sanctuaire intérieur.
Il se réveilla la bouche pâteuse et les yeux douloureux, signe distinctif qu’il s’était couché à une heure déraisonnable mais, aussi, que la matinée était déjà prête à s’achever. Se coucher tard ne lui réussissait jamais particulièrement, mais il lui arrivait encore occasionnellement de le faire. D’une certaine façon, il refusait d’apprendre la leçon.
Lire durant la journée n’avait pas le même attrait que la nuit. Il aimait se laisser complètement envelopper par ce voile de noirceur, aspirer par cette atmosphère d’intense calme lui permettant de se plonger corps et âme dans l’histoire de quelqu’un d’autre. Son imagination pouvait s’exprimer pleinement ainsi, tandis que la lumière du jour semblait obscurcir le flot de ses pensées. Il n’en était pas davantage un oiseau nocturne, mais cet aspect de sa personnalité l’avait toujours étonné par son ambivalence.
Nathan repoussa ses draps du mouvement assuré de l’individu l’effectuant chaque matin. Cela faisait plusieurs heures qu’il aurait dû être à l’université mais il s’était quelque peu résigné en matière d’éducation. Le système scolaire n’avait jamais totalement cerné son caractère. Il considérait être la seule personne suffisamment compétente pour déterminer ce dont il avait besoin au moment présent. Peut-être avait-il raison, mais telle n’était pas la question.
Finalement, ce n’était rien de plus qu’un choix de vie. Un choix solitaire, chacun en conviendra, mais un choix néanmoins. Il enfila des vêtements décontractés, c’est à dire un pantalon de survêtement et un T-shirt aux tons vert-foncé. Une fois habillé convenablement pour la journée d’étude à venir, il descendit flegmatiquement les escaliers puis chercha la cuisine. Il mit ensuite de l’eau dans la bouilloire puis la mis à chauffer. Il était émotionnellement attaché à cette bouilloire. Cela semble invraisemblable de ressentir quoi que ce soit pour un objet si trivial qui, à prime abord, n’a pas grande valeur. Nathan l’utilisait pourtant chaque jour à de multiples reprises. C’était sa partenaire dans le crime, si l’on puit dire ainsi, le carburant secret nourrissant sa motivation.
Il se sentait d’humeur à boire du thé, probablement avec un nuage de lait froid, comme le font traditionnellement les anglais. Cela lui donnait un petit côté sophistiqué. Ses études de littérature anglaise ne le passionnaient pas mais, parfois, il ne se comportait pas moins comme un étranger dans son propre pays.
Tandis qu’il dégustait tranquillement son thé, il s’interrogea quant à la suite des événements. Il irait probablement à la bibliothèque lorsqu’il aurait fini son petit déjeuner. Là-bas, il pourrait poursuivre ses divagations en un lieu où le calme règne en maître absolu et incontesté.
Après avoir décidé de quels livres et cours il avait besoin, Nathan attrapa sa tasse encore remplie de thé noir et reprit la direction de sa chambre. Il passa devant la porte du bureau de sa mère, toujours fermée à clé. Comme à son habitude, il se demanda si sa mère lui laisserait un jour voir ce qu’elle cachait à l’intérieur.
Il se posait systématiquement la question lorsqu’il voyait la porte. Il ne se rappelait pas l’avoir vue ouverte un jour. À l’exception d’une fois ou une autre femme lui avait rendu visite. Il ne l’avait d’ailleurs jamais revue non plus. C’était des plus intriguant mais il entretenait une confiance aveugle en sa mère et comptait continuer ainsi.
Il ne s’attarda donc pas et s’empressa de ranger ce dont il avait besoin dans son sac à dos. Il descendit une nouvelle fois les escaliers à toute vitesse puis ouvrit brutalement la porte d’entrée.
J'espère que la suite va continuer à t'intriguer et à te plaire. J'essaye vraiment de maintenir l'intérêt du lecteur (et je m'inclue dans le lectorat) quand j'écris chaque chapitre et ce n'est pas toujours facile...
La maman avait effectivement des secrets et a éduqué son fils avec des activités, comme tu l'as relevé, pas aussi populaire que le football, c'est certain ^_^
Merci encore d'avoir pris le temps d'écrire ton ressenti, ça m'aide beaucoup. N'hésite pas, que ce soit pour du positif ou du négatif. Savoir ce qui ne plait pas m'aide beaucoup aussi.
À la prochaine j'espère :)
Le décors se mets en place doucement, on apprend à connaitre Nathan petit à petit !
Je suis (très) content que ce chapitre t'intrigue. Je ne serais pas étonné que d'autres me reprochent un début trop lent car je donne vraiment mes indices au compte goutte, chapitre après chapitre... Je ne peux rien dire sur Suzanne, le simple fait d'admettre qu'elle ait un rôle dans l'histoire serait du spoil ^_^
Il manque cependant un indice qui pourrait faire comprendre l'enjeu du livre, qui inciterait à la lecture du chapitre suivant.
C'est vrai que le début est lent, mais c'est volontaire. Par contre un résumé ferait du bien, je crois que ça aiderait à donner davantage d'intérêt pour justement donner une certaine dose de patience au lecteur. Je suis en train de bosser dessus. Tu confirmes ou tu pensais plus à quelque chose dans le chapitre même ?
Je suis pour installer doucement l'ambiance, mais un petit élément déclencheur, un indice sur le grain de sable, dans le texte apporterait un plus, je pense.