La tour tremblait.
Depuis le petit laboratoire du bout du couloir, la nouvelle avait couru, couru, couru à en perdre son souffle, jusqu’à atteindre les plus profonds recoins du corps de la tour. Partout l’on chuchotait, l’on parlait, l’on criait cette nouvelle. C’était plus qu’une découverte, bon sang, c’était une révolution ! Toutes les recherches des quarante dernières années changeaient de sens, si tant est qu’elles en eussent encore un. Même les sujets, enfermés dans leurs cubes de verre à fleur d’eau, pouvaient remarquer un changement subtil dans l’atmosphère de la tour.
Le complexe s’était brusquement changé en une grande flaque d’eau immobile, dans laquelle le Docteur Lestrange et le petit assistant d’intervention Sohon avaient lancé une énorme pierre, blanche de vérité.
Et la vague déferlait.
Le système nerveux du complexe en ébullition avait bien fait son travail ; vingt minutes après la soumission des résultats de l’expérience, le secteur B était désert. Les têtes pensantes de la tour avaient ordonné l’évacuation immédiate de la cellule B2 – 85 – 09, ainsi que du reste du secteur. Seul le Docteur Lestrange était autorisé à y pénétrer, accompagné de son assistant.
Lorsqu’il remonta son masque sur le bas de son visage, Alimë tremblait encore, lui aussi, de la révélation. Ses mains gardaient en mémoire cette expérience, qu’il avait reproduite, encore et encore, afin d’exclure tout hasard de l’équation. Son esprit se souvenait de chaque virgule des calculs qu’il avait effectués maintes fois, dans le seul but de vérifier ses résultats précédents.
Et tout concordait.
Plus il y pensait, et plus l’ampleur de la découverte le frappait. C’était comme une porte. Une porte derrière laquelle se cachait un secret, amoureusement gardé. Une porte qu’il pouvait à peine entrouvrir, et derrière laquelle il apercevait toujours la même réponse. À force d’entrouvrir cette porte, à force d’ancrer l’image dans sa tête, le secret devenait réalité établie.
Une réalité qu’il avait établie lui-même. Une réalité en laquelle il ne pouvait que croire.
La magie était vivante, et tout possesseur de pouvoirs portait en lui un être, un hôte qui lui prodiguait ce pouvoir.
Un dernier contrôle s’imposait à présent.
Le docteur fit glisser sa carte grise dans la fente du clavier, au-dessus des petites touches sur lesquelles il composa son code d’accès. La première porte de la cellule B2 – 85 – 09 coulissa.
Entre les parois de verre et d’abysses du petit couloir de sécurité, lorsqu’Alimë sentit monter en lui cette crainte viscérale de l’eau, il se sentit différent. Rien n’avait réellement changé, bien sûr. C’était seulement cette conscience. La conscience qu’un être séjournait à ses côtés. Altérait ses sens. Avait peur. Oui, c’était bien la magie, et non lui, qui craignait ce vide outremer. Ils allaient le prouver à l’instant.
Plongée dans les lumières bleutées de la salle cylindrique, l’eau de la capsule rayonnait. À l’intérieur, petit morceau de chair en suspension, le sujet B2 – 85 – 09, centre de tous les mystères, flottait.
La peau de la blancheur d’un fantôme ; les cheveux presque noirs. Un corps en clair-obscur. Ce petit être replié tendait à la contradiction. Mais à présent, Alimë et le docteur savaient pourquoi. Car c’était la magie, cette magie même qui occupait tout son corps, qui lui offrait cette peau de lait.
Ses réactions étaient liées à l’eau. Ils l’avaient découvert, et ce n’était plus qu’une question de minutes avant qu’ils ne l’eussent prouvé. Le corps du sujet lui-même n’aurait jamais pu réagir, toutes ces dernières années ; c’était cet être de magie qui avait ainsi rejeté des injections. Même enfermée dans une prison d’eau, la magie préservait ses réflexes. Elle rejetait ce liquide de tout son être. Dès qu’il dépassait les frontières de sa peau de neige, elle refusait. Elle se réveillait. Elle luttait.
S’affairant parmi les tubes, le Docteur Lestrange s’apprêtait à injecter de l’eau dans le corps du sujet en léthargie. Non pas de l’eau pure, qui aurait provoqué des lésions aux vaisseaux sanguins et aux organes, et aurait certainement entraîné une insuffisance respiratoire ; il allait injecter dans le corps de ce petit bout de vie de l’eau de mer, traitée préalablement afin de ne contenir qu’un tiers de sa concentration de sel originelle.
– Sohon, ne restez pas planté là, préparez donc mes instruments.
– Oui, docteur. Bien sûr.
Sortant de sa torpeur, Alimë aligna sur un plateau gris seringues et échantillons. Méticuleusement, il dilua dans l’eau de mer quelques gouttes de colorant bleu, avant de sortir de sa poche son éternel bloc de papier et de s’immobiliser, le stylo à la main.
Mais il ne nota rien cette fois-ci ; le Docteur Lestrange ne fut pas capable de prononcer un seul mot. Car lorsqu’il effectua l’injection, le corps du sujet B2 – 85 – 09 tressaillit. Ses doigts se crispèrent. Ses jambes se plièrent. Ses paupières se plissèrent.
Le docteur sourit.
Dans un nuage de colorant turquoise, l’aiguille tortionnaire sortit du bras du petit sujet.
Alimë serra fort, plus fort encore son stylo à bille aux couleurs de la tour. Bleu, gris, blanc.
Bleu comme l’eau.
Gris comme la tour.
Blanc… comme la magie qui les habitait tous.
º • · .•. · • º
Une bougie à la main, un sac de toile à l’épaule, Alethia marchait, enveloppée d’une bulle de lumière fuyante. Autour d’elle, les murs étaient humides. Humide. Voilà un mot que peu connaissaient encore, dans leur quotidien dans les hauteurs. Ces immeubles qui ensemble faisaient une course effrénée vers le ciel, l’on ne connaissait pas leurs racines. Les poutres, les passerelles, les portes éclairées de rouge. Aucune personne sensée ne s’aventurait plus dans ce dédale des bas-fonds de la ville d’Ageïra.
Alethia n’était pas sensée. Pas aux yeux de la ville. Alethia connaissait bien les bas-fonds de sa cité dans les nuages. Elle savait que tout en bas se cachaient des sols gorgés d’eau. À force de devoir évacuer les pluies quelque part, le gouvernement avait bien dû se résoudre à sacrifier les sols. Ces sols qu’aucune personne sensée n’allait jamais revoir, de toute façon.
Mais Alethia marchait, une bougie à la main, un sac de toile à l’épaule. Elle marchait sur les passerelles de métal, elle longeait les fondations des immeubles. Deux choses seulement auxquelles elle devait porter attention : aux ouvriers d’entretien, et à ne pas tomber, plus bas encore dans les bas-fonds de la ville.
Bientôt, comme toutes les semaines depuis plus de dix ans, elle arriverait à destination. Déjà, elle pouvait apercevoir les petites lueurs des bougies de ses congénères, arrivant des autres quartiers de la ville. Dix ans plus tôt, le groupe n’était qu’une poignée. À présent, ils étaient plus d’une centaine.
Une centaine de petites bougies qui s’entendaient, se répondaient, brûlaient d’un même feu. Toutes ces personnes unies par le même désir. Par l’espoir qu’un jour la magie disparaisse.
Et le brasier tendait tant à s’enflammer…
º • · .•. · • º
Il pleut. Depuis ce matin. Des gouttes fines, étirées en petites virgules d’eau. Respirations des nuages.
Il pleut sur mon visage, dans mes cheveux, sur mes vêtements. Il pleut entre mes doigts. Tant mieux. Personne ne viendra me déranger, s’il pleut.
Ma vieille chemise d’un brun vieilli, effacé, colle à ma peau. C’est une sensation désagréable, le tissus froid contre la peau. On a beau se dire que ce n’est que de l’eau, c’en reste un parasite qui tente de s’ancrer à votre être. Et ça, c’est ce qui rend l’eau impardonnable.
Ce matin, Seth m’a parlé. Il m’a dit une chose affreuse, une chose que j’aimerais bannir de ma mémoire à jamais. Mais les souvenirs, ça colle à la peau. Comme la pluie. Et ça, c’est ce qui les rend si effrayants.
Il est venu, tôt, très tôt. Avant le soleil. Il m’a demandé de le suivre, et je l’ai suivi. Et puis il m’a dit de lui donner la main. Paume contre paume. Et puis il m’a dit une chose horrible. Il m’a dit que j’étais un Aïdenon.
Je suis parti en courant. En courant entre les branches. J’ai beau me dire que ce n’est pas de le savoir qui a changé ma nature, c’en reste un parasite. Une magie intruse qui se colle à ma peau. Comme les souvenirs. Comme la pluie. Et ça, c’est ce qui rend la magie si cruellement impartiale.
Il pleut sur mes bras. Il pleut sur mes jambes qui pendent au-dessus de la falaise. Il pleut dans mes yeux, et les gouttes coulent sur mes joues. Tant mieux. Personne ne me verra pleurer, s’il pleut.
Waw, c’est une scène pleine de nouveautés !
Tout au long de la lecture :
« Depuis le petit laboratoire du bout du couloir, la nouvelle avait couru, couru, couru à en perdre son souffle, jusqu’à atteindre les plus profonds recoins du corps de la tour. » —> J’adore la personnification de la nouvelle, on ressent bien la rumeur qui est devenue incontrôlable.
« La magie était vivante, et tout possesseur de pouvoirs portait en lui un être, un hôte qui lui prodiguait son pouvoir. » —> Cette phrase est bien placée, elle nous rafraîchit les idées. Par contre, je trouve que le mot « pouvoir » est un peu répétitif, en fait, moi, j’aurais mis « ce pouvoir » pour le deuxième, pour montrer qu’on reprend le terme.
À l’intérieur, petit morceau de chair en suspension, le sujet B2 – 85 – 09, centre de tous les mystères, flottait. —> Argh, c’est trop cruel, cette description ! Pauvre sujet B2-85-09 !
La peau de la blancheur d’un fantôme ; les cheveux presque noirs. Ce petit être replié tendait à la contradiction. —> Ici, je n’ai pas bien compris pourquoi on parlait de contradiction…
« […] c’était cet être de magie qui avait ainsi rejeté des injections. » —> Révélatioooon !^^
J’ai bien aimé la partie d’Alethia, on se rend compte que c’est un personnage qui n’a rien à voir avec les autres de l’histoire ! Juste, je ne suis pas sûr d’avoir tout compris sur là où elle habite… Donc ce sont des immeuble très haut, d’où on ne voit pas les fondations, mais elle, elle aime descendre et se rapprocher des fondations, c’est ça ? Et est-ce que leur but est de descendre tout en bas pour trouver de l’eau et donc supprimer la magie ?
« Et ça, c’est ce qui rend l’eau impardonnable. » —> C’est mignon, on se rend compte d’à quel point l’eau est désagréable pour les gens qui ont des pouvoirs. :)
« Tant mieux. Personne ne me verra pleurer, s’il pleut. » —> J’aime beaucoup cette phrase comme clôture du chapitre, elle est forte et efficace !^^
Voilà voilà, à bientôt…^^
Je suis ravie que tu te réjouisses d'en apprendre plus quant à mon histoire ! Pourvu que ça dure !^^
“Cette phrase est bien placée, elle nous rafraîchit les idées.”
>> Oui, je me suis dit que, si une chose devait être claire dans ce chapitre, c'était bien celle-ci^^' Et puis j'ai tendance à décrire les choses de façon très abstraite, donc il était nécessaire de clarifier un peu tout ce bazar je pense hihi :)
“Par contre, je trouve que le mot « pouvoir » est un peu répétitif, en fait, moi, j’aurais mis « ce pouvoir » pour le deuxième, pour montrer qu’on reprend le terme.”
>> C'est très juste, je m'en occupe de ce pas :) Merci de l'avoir signalé !
“Argh, c’est trop cruel, cette description ! Pauvre sujet B2-85-09 !”
>> Ouiiii, j'avoue, je m'amuse bien à chercher la façon la plus simple et horrifique à la fois de le décrire... Donc je suis ravie de ta réaction héhé
“La peau de la blancheur d’un fantôme ; les cheveux presque noirs. Ce petit être replié tendait à la contradiction. —> Ici, je n’ai pas bien compris pourquoi on parlait de contradiction…”
>> C'était simplement l'opposition des couleurs ; la peau blanche, les cheveux noirs. Je veillerai à clarifier cela !
“« […] c’était cet être de magie qui avait ainsi rejeté des injections. » —> Révélatioooon !^^”
>> Oooh super si ça te surprend hihi
J’ai bien aimé la partie d’Alethia, on se rend compte que c’est un personnage qui n’a rien à voir avec les autres de l’histoire ! Juste, je ne suis pas sûr d’avoir tout compris sur là où elle habite… Donc ce sont des immeuble très haut, d’où on ne voit pas les fondations, mais elle, elle aime descendre et se rapprocher des fondations, c’est ça ? Et est-ce que leur but est de descendre tout en bas pour trouver de l’eau et donc supprimer la magie ?
Au sujet d'Alethia, elle habite en fait dans la ville qu'Alimë voit depuis la tour (je vais peut-être ajouter le nom de la ville dans la scène), et, en effet, les immeubles sont très hauts et organisés de telle façon que l'on n'a pas besoin de descendre au sol, aux fondations des immeubles, pour se déplacer dans la ville. Il faut un peu s'imaginer une ville-bâtiment géante à plein d'étages et très étendue, couverte d'un toit pour éviter la pluie.
“Et est-ce que leur but est de descendre tout en bas pour trouver de l’eau et donc supprimer la magie ?”
>> Alors, pas exactement... Ils veulent supprimer la magie, oui, par contre ce n'est pas directement pour trouver de l'eau qu'ils descendent dans les profondeurs de la ville... Si tu veux, je peux déjà t'en dire plus, mais je pensais me focaliser sur Alethia dans l'un des prochains chapitres, donc... peut-être que tu pourras me dire à ce moment-là s'il aurait fallu être claire plus tôt ? :)
“« Tant mieux. Personne ne me verra pleurer, s’il pleut. » —> J’aime beaucoup cette phrase comme clôture du chapitre, elle est forte et efficace !^^”
>> Trop chouette si tu aimes cette dernière phrase^^ Moi aussi, je l'aimais beaucoup, et elle me faisait de la peine... Donc tant mieux si ça marche aussi sur toi !
À tout bientôt !^^