« Approchez mes amis ! Ma guitare est en verve, et son bon ami aussi : Follet ! Ménestrel des ruelles, doux-dingue et chante-debout ! Approchez, musards, cousins, aïeuls ! Mes histoires sont à tout le monde, je ne puis les garder pour moi seul ! La glotte me démange, mes doigts farandolent, mes jambes frémissent ; mes culottes vont tomber si je ne commence dés à présent ! »
[ Rires d'enfants. Les culottes qui tombent, ça marchait à tous les coups. ]
« Et aujourd'hui, trêve de sornettes et d'historiettes, ni fadaises ni foutaises. Rien que du très vrai, du patrimoine ! Aujourd'hui je vous remplis les oreilles de véridique ! Mirifique ! Réal... euh, réalistique ! Aujourd'hui et les jours à venir, je vais vous raconter leur histoire à elles, qui j'espère m'écoutent aussi, cachées dans l'eau du puits ou changées en courants d'air, aujourd'hui je vous raconte la véritable histoire des Fatas ! »
Frémissement dans l'assistance. Follet le perçut, sans surprise. Cela faisait plusieurs semaines qu'il se préparait à entamer cette histoire, sa préférée parmi toutes. La légende des Fatas était devenue légèrement taboue, sur l'étendue des Terres-Mêlées. Qu'ils y accordent crédit ou pas, les gens préféraient ne pas l'évoquer, comme un porte-malheur, comme si le mot en lui-même était porteur de maléfices. Rien ne l'interdisait, certes, mais on ne mentionnait pas les Fatas, c'était plus confortable ainsi. Et Follet avait décidé d'entrer en trombe dans ce confort comme dans un jeu de quille.
« Les Fatas, vous avez bien entendu, ma chère Dame, mon cher Monsieur, les Fatas. Le mot est-il grossier ? Pourquoi ces mines contrites ? L'orage m'a-t-il foudroyé lorsque j'ai prononcé ce joli mot ? Ou bien mes culottes sont réellement tombées, d'où vos visages babas... »
[ Les enfants s'installèrent. Le rouquin les avait happé avec ces histoires de culottes ].
« Rien de tout cela, braves gens ! Les Fatas meurent d'oubli et je viens les ressusciter dans vos oreilles, car elles ne furent, avant qu'on les agace certes, que splendeurs et merveilles... »
Les badauds incrédules ne savaient quelle attitude prendre. Ils se regardaient les uns les autres, chacun guettait la réaction du voisin. A force d'hésitations, et hormis quelques grincheux qui quittèrent le cercle l'air fort fâché, un consensus se fit pour laisser l'adolescent les prendre dans le filet de ses histoires. Et celle-ci commençait ainsi : ...
La légende des Fatas et des Sangs-mêlés - Canto 1
Il y a de cela un milliard de lunes, les Fatas, dans une étincelle, apparurent dans notre monde. Oh bien sûr, en ces temps, ce monde était bien différent : les hommes n'existaient pas, et les lois de la nature mêmes étaient toutes autres. Le temps n'était pas encore scindé en Nuées, Vents, Glaces, Pousses et Chants, et pas un jour ne durait comme un autre. Les lunes étaient plurielles. Les mers se déplaçaient comme aujourd'hui le font les brumes. Les bêtes, gigantesques, se confondaient avec les montagnes, et les plantes conversaient. Les chimères peuplaient les eaux et les vallées : singes bleus au bec tranchant, loups fauves ailés, et serpents à collerette de plumes, oui, toutes les fascinantes créatures qui aujourd'hui ornent nos frontons et nos tailloirs, qui rampent sur les modillons et le long des corniches, toutes ces créatures étaient réelles, et habitaient le monde.
Sitôt nées, les Fatas découvrirent leurs immenses pouvoirs. Dés lors, elles surent qu'elles seraient maîtresses en ce monde. Elles changeaient de forme à leur guise, et se faisaient obéir de tout ce qui respirait alentour, bête ou plante. D 'un coup d’œil, elles arrachaient un lucarnier centenaire ou érigeaient une forêt. La nature était une pâte souple entre les doigts, qu'elles pouvaient faire ou défaire à leur guise. Elles anéantirent des continents par mégarde, allumèrent de nouvelles étoiles. On dit même qu'elles changèrent maintes fois la couleur du ciel et des océans.
Nul ne sait combien elles étaient au tout début, pas même votre dévoué serviteur à la langue bien pendue ! Certains disent que cinq fées apparurent ensemble ; d'autres, qu'une unique déesse engendra toutes les autres, une Fata-mère originelle. Mais assurément, elles se multiplièrent. Certaines partirent habiter d'autres monde, d'autres suivirent la route du vent. Et quelques autres, et bien, choisirent nos belles Terres-Mêlées, qui n'en avaient pas encore le nom, pour logis. Mais comment purent-elles, d'une ou de cinq fées, être bientôt des dizaines ?Et bien, c'est l'un de leurs plus étonnants pouvoirs : les Fatas pouvaient se reproduire d'elles mêmes, sans que leurs ventres ne portent rien, sans qu'un père ne leur fut nécessaire. On dit qu'elles sacrifiaient une partie de leur anatomie – était-ce une phalange, une oreille ? – et qui, confiée aux bons soins d'un arbre ou d'une source, faisait naître une nouvelle fée, toute fraîche, vibrante de puissance. On dit aussi que les pouvoirs de ces Fatas dépendaient en partie du lieu qui les avait portées : la fille d'un fleuve maîtrisait les courants, celle des pics faisait se fracasser les pierres, et la née d'un tertre pouvait ensevelir une plaine entière sous les marnes, d'un battement de cil.
Sur leur aspect, pas moins de mystères. J'ai ouï dire qu'elles furent des créatures répugnantes, au corps long et visqueux, à la langue noire hérissée de piques. D'autres disent qu'elles n'étaient qu'une vapeur ou une bulle, esprit libre flottant sous les vertes lunes. Enfin, et vous me pardonnerez de privilégier cette version, on les a souvent décrites comme ressemblant en tous points à nos femmes humaines, à ceci près qu'elles dépassaient de loin la cime des plus grands arbres. Cette légende-ci leur prête une beauté fabuleuse, des yeux dorés et une chevelure rouge, et les vêt d'algues, d'écume, et de braises.
De leur puissance et de leur magnificence, elles conquirent le monde et ses éléments : les montagnes creusèrent des vallées sous leur pied pour leur ouvrir le passage, les plaines se couvrirent de mousses pour leur façonner des couchettes moelleuses, et les lacs lissèrent leur surface pour qu'elles puissent y mirer leurs traits. Elles se nourrissaient de l'iode de l'air et de chimères. Le temps s'écoulait, inconstant, fantaisiste, dans un monde alors rutilant de couleurs, d'odeurs épicées et suaves et de créatures merveilleuses.
Difficile de discerner le vrai du faux dans toutes ces allégations, d'autant que nous, petites larves d'humains, n'étions pas encore de ce monde. Toujours est-il que toutes les étendues de toutes les terres du monde et d'ailleurs devinrent le terrain de jeu sur lequel elles régnaient en maîtresses incontestées.
Puis, peu à peu, le temps perdit de son élasticité, les saisons apparurent, et avec elles les longues nuits des Glaces et la douceur des Chants ; les chimères se firent rares, puis disparurent ; les mers et les montagnes se figèrent, la lune ne fut plus qu'une. Et puis vinrent les hommes.
Follet fit tinter une corde dans un miaulement qui annonçait la fin du spectacle. Quand il écarta les mèches rouges qui lui cachaient les yeux, il découvrit un public épinglé à ses lèvres. Nul ne fit mine de partir, dévorés de curiosité qu'ils étaient devenus.
« Brave gens, délicieuse assistance, public conquis et qui a conquis mon cœur, je vous livrerai la suite de cette histoire demain, si vous êtes généreux ! » s'exclama Follet en brandissant une timbale de bois.
La récolte fut belle en espèces sonnantes et en visages rêveurs. Il reviendrait demain.
Et revoilà Follet plein d’entrain, qui fait tout pour captiver son auditoire. Si c’est son gagne-pain, aussi, c’est compréhensible… En tout cas, il y arrive bien et ça te permet de raconter une belle légende. D’ailleurs, n’est-ce qu’une légende ? Personnellement, je privilégierais la même version des Fatas que lui. Pourquoi leur nom et leur légende sont-ils devenus tabous ? En a-t-on peur ? Ne seraient-elles pas favorables aux humains ?
En arrivant aux bains, de quoi Olga a-t-elle peur ? D’être vue nue ? D’être lavée parce qu’elle en a tellement peu l’habitude que ça l’agresse ? Je peux comprendre que ça la gêne qu’on enlève les odeurs de la nature qu’elle a sur elle, mais elle doit aussi avoir des odeurs corporelles moins agréables, bien qu’elle soit l'héroïne...
Coquilles et remarques :
— Approchez mes amis ! [Virgule avant « mes amis ».]
— si je ne commence dés à présent ! [dès]
— comme dans un jeu de quille [de quilles]
— Le rouquin les avait happé [happés]
— A force d'hésitations [À]
— et les lois de la nature mêmes étaient toutes autres [tout autres (c’est-à-dire tout à fait autres : « tout » a valeur d’adverbe) ; « toutes autres » signifie que toutes les lois étaient autres]
— Dés lors, elles surent [Dès]
— Elles changeaient de forme à leur guise, et se faisaient obéir [La virgule est superflue.]
— D 'un coup d’œil, elles arrachaient [espace indésirable avant l’apostrophe]
— Certaines partirent habiter d'autres monde [d’autres mondes]
— Et quelques autres, et bien, choisirent [eh bien]
— être bientôt des dizaines ?Et bien, c'est l'un de leurs plus étonnants pouvoirs [espace après le « ? » / Eh bien]
— les Fatas pouvaient se reproduire d'elles mêmes [d’elles-mêmes]
— sans qu'un père ne leur fut nécessaire [fût ; subjonctif imparfait]
— et la née d'un tertre [« la née » est étrange ; je dirais « celle née », malgré la répétition]
— d'un battement de cil [de cils]
— ressemblant en tous points à nos femmes [en tout point]
— creusèrent des vallées sous leur pied [leurs pieds ; dans un style poétique, on peut mettre « leur pied » au singulier, mais le pluriel est plus logique]
— il découvrit un public épinglé à ses lèvres. Nul ne fit mine de partir, dévorés de curiosité qu'ils étaient devenus [Cette phrase est bancale, d’autant plus que « ils » sort de nulle part ; si tu tiens à ce genre de tournure, je propose : « Nul ne fit mine de partir, dévoré de curiosité qu’était son auditoire »]
— Brave gens, délicieuse assistance [Braves gens]
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— elle avait haï les Tyr, et l'égoïsme des rois [La virgule est superflue.]
— et gémissements de ses semblables en souffrance [« dans la souffrance » ou « souffrants » ; « en souffrance » veut dire en attente, en suspens]
— son insolence envers le Roi et le Consulte [le roi / le consulte si c’est une personne désignée par sa fonction]
— elle ne ne prendrait soin du prince que [il y a deux fois « ne »]
— soigner tous ceux qui le nécessitaient, quels que soit leurs maux [qui en avaient besoin ; « nécessiter » n’est pas un synonyme d’« avoir besoin » / quels que soient (ou quels que fussent)]
— Et alors qu'elle attendait à ce que l'on rit d'elle [s’attendait / que l’on rie (subjonctif présent) ou que l’on rît (subjonctif imparfait)]
— qui s'avérait être Intendante des Chimères, et se mouvait [intendante / la virgule est superflue]
— nous voici aux Bains [aux bains ; pas de raison de mettre une majuscule]
— A peine entrée, deux femmes la prirent en charge [À / faute de syntaxe : « À peine entrée, elle fut prise en charge par deux femmes » ou « À peine fut-elle entrée que deux femmes la prirent en charge »]
— qui se tâchent à la moindre goutte [se tachent ; sans accent circonflexe]
— et la jeune fille lui passa [la lui passa]
L'introduction est impeccable.
J'ai tout de même une réserve sur l'utilisation des crochets. J'ai bien compris que tu voulais donner l'impression d'une indication scénique dans le spectacle que donne Follet, mais comme nous ne sommes pas vraiment dans une pièce, pour moi ça ne se justifie pas. Et l'impression d'indications sera bien là même sans crochet. Des parenthèses à la limite ?
Tout le texte de Follet est agréable à lire. On a bien l'impression de suivre un ménestrel, et on imagine même quelques accords de guitare qui soulignent certains passages.
Bon, c'est définitif : je suis fan !