La présence de deux archers en ville ne fit pas grande impression. Il était fréquent de les y voir acheter une bouteille de vin d'épine et un fromage, pour agrémenter la garde, ou se rendre aux bains. Ils descendirent l'avenue des Gaves, sans un regard pour les étalages dégorgeant de gâteaux de miel et de pains parfumés. Une fois arrivés devant l'auberge des Lucanes, ils bifurquèrent à droite par la rue des Salines, qui menait au cœur du quartier de la Rose-Croix. Sur la modeste place des Vinaigriers, cachée dans un renfoncement derrière le grand noyer, se trouvait la petite étable où une foule se pressait. Des malades, par dizaines, attendaient. Plusieurs avaient à la main un pot de graisse. Une femme pleurait, tenant dans ses bras un poulet vivant, et un petit enfant qui suintait de sang bleu. Son dos s'écaillait. Les deux hommes durent jouer des coudes pour pénétrer dans l'étable, en se pressant un linge sur le visage. Sur un tabouret bas, une jeune femme hirsute brassait une pommade avec un pilon, et badigeonnait ses invités dociles, sans un mot.
«Suis-nous la noiraude. Ordre du roi. »
Elle tourna vers eux un visage qui avait perdu le sommeil. Les malades gémissaient mollement, sans oser crier de peur d'ouvrir les crevasses de leurs lèvres mangées par la maladie. Un vieillard édenté laissait béer une bouche dont l'intérieur était indigo. Olga se leva doucement, et sortit de l'étable. Quelques minutes plus tard, on vit pénétrer dans l'enceinte royale deux hommes escortant une jeune fille aux pieds noirs et nus.
Le Ministre à la cité devint cramoisi :
« On s'agenouille devant le roi, malheureuse !
– Je ne m'agenouille devant quelqu'un que pour le soigner, répondit Olga, nettement, en plantant ses yeux dans ceux du Roi.
– Laissez mon ami. Approche. »
Elle s'avança. Ses pieds nus ne firent aucun bruit sur les dalles, à peine entendit-on bruisser ses jupes de chiffon, lourdes de terre. Son regard défiait l'assemblée qui l'attendait, debout devant les cheminées monumentales de la Grande salle. Reposant sur le trône de pierre, orné lui aussi de Chimères grimaçantes, et éclairé de part et d'autre par les flammes hautes comme un homme, le Roi posa sur elle des yeux d'une lassitude infinie. Elle devina que les autres personnes qui la scrutaient impassiblement devaient être les membres du Consulte. Il distingua parmi eux le Sénéchal, reconnaissable à sa main manquante, et la Ministre aux Clefs peut-être. Il y avait aussi un petit homme gras et nerveux, celui qui l'avait interpellée de sa voix désagréable, un jeune homme brun aux cheveux drus, fort et bien fait quoique de petite taille, et une femme élancée aux iris vert. Le jeune homme réprima un bâillement, et le Roi prit la parole :
« Ainsi tu es guérisseuse. Nous allons avoir besoin de toi. Mon fils aîné se meurt de ce sang bleu.
– C'est la cité qui se meurt, Sire », rétorqua Olga.
Sa convocation avait donc bien à voir avec le Sang d'encre. Olga comprit que les médecins des Chimères devaient être eux aussi impuissants. Et leur seule préoccupation était un prince agonisant ? Qu'il meure, la belle affaire.
« On dit que tu soulages les contaminés, à défaut de les guérir. Soulage mon fils. J'ai envoyé des Messagers-Vent sur toutes nos terres et au-delà, nous trouverons un remède. D'ici là, maintiens-le en vie. Tu seras logée au château.
– Non, Sire. »
Le silence qui suivit sa réponse fut retentissant. Il s'amplifia jusqu'à emplir l'espace, résonnant jusqu'aux poutres massives du plafond, et aux vitraux qui peignaient les corps et les visages à leur insu. Le Ministre à la cité manqua s'étouffer de cette nouvelle impertinence. La Ministre aux Clefs, réputée sage, fixait Olga d'un air amusé, le sourcil légèrement froncé, sans dévoiler ses pensées. Le Roi arrondit les yeux, surpris, et durant un très court instant son abattement disparut. Alors que le Ministre à la Cité virait au grenat, la porte principale s’entrebâilla, et un homme pénétra dans la Grande Salle, cheveux noués en chignon, lunettes rondes cerclées de fer sur un nez busqué, et vêtu pour le voyage.
« Aloysius !, l'interpella la Ministre aux clés, vous voilà de retour en des temps bien sinistres !
– Que se passe-t-il ici ?, s'enquit l'archiviste, une odeur étrange flotte dans les rues... Et la foule...
– C'est l'objet de notre réunion ici mon ami. Une épidémie effroyable. Le prince Evan est touché lui aussi, et nous cherchons des solutions.
– Même les plus … désespérées », crut bon d'ajouter le Ministre à la cité en tordant le nez.
Aloysius repris ses esprits, il était bon de mettre un mot, même aussi vague qu' épidémie, sur ce phénomène effrayant. Son regard se porta alors sur l'adolescente toute en os et en cheveux, qui faisait face au Roi. Drôle de solution.
C’est encore une belle description comme tu en as le secret. Encore un nouveau personnage, oui. Comme tu nous donnes toutes ces informations sans qu’on sache où tu veux nous amener, je crains de les avoir oubliées au moment où j’en aurai besoin pour comprendre l’histoire.
Cette arrivée d’un voyageur, quelqu’un de la ville qui y revient, est intéressante. Il perçoit un changement, une atmosphère et une odeur bizarres, puis il voit les gens et comprend peu à peu qu’ils sont malades… Tout ce cheminement est très bien amené, mais le fait qu’on ait déjà été mis au parfum avant rompt l’effet que cette scène devrait produire. Je me demande si tu ne devrais pas placer ce chapitre au tout début. Ça te permettrait de présenter Olga quand elle entrera vraiment dans l’intrigue. D’autre part, il y avait cette explication historique qui était amenée bizarrement. Aloysius me semble être le personnage idéal pour l’introduire. Avant de modifier des chapitres, essaie de voir si tu peux simplement les agencer différemment.
Ah, voilà que les affaires commencent ! Cette Olga a un sacré caractère ! Je ne sais pas si elle est courageuse ou inconsciente de répondre au roi comme elle le fait. Il faut dire aussi que dans l’immédiat, elle est leur seul espoir pour soulager quelque peu les malades et leur permettre de tenir jusqu’à la découverte d’un remède.
Quant aux « étalages dégorgeant de gâteaux », j’ai cru que c’était une métaphore pour dire qu’ils étaient entassés de manière telle qu’on avait l’impression que les étalages les déversaient, en quelque sorte.
Coquilles et remarques :
— Il y fit boire la jument, et se dégourdit les jambes [La virgule est superflue]
— mais mille explications pouvaient répondre de cela [répondre à cela ; « répondre de », c’est s’engager, se porter garant, ou assurer, garantir qqch ]
— dépassa la Vieille Université [pourquoi des majuscules ?]
— dont le parvis était investi par des étudiants chahuteurs [envahi, pris d’assaut; (voir ici : http://academie-francaise.fr/investir-au-sens-denvahir)]
— Quand il dut déposer la terre la charge qu'il portait [déposer à terre]
— encore ces tâches poisseuses, bleues semblait-il [ces taches ; sans accent circonflexe]
— La foule pris une grande inspiration [La foule prit]
.
— pour agrémenter la garde, ou se rendre aux bains [La virgule est superflue.]
— brassait une pommade avec un pilon, et badigeonnait ses invités [La virgule est superflue.]
— Olga se leva doucement, et sortit de l'étable [La virgule est superflue.]
— Laissez mon ami. Approche. [Virgule après « Laissez » ; autrement ça veut dire que quelqu’un qu’il vouvoie doit laisser son ami.]
— une femme élancée aux iris vert [verts]
— bien à voir avec le Sang d'encre [on ne met pas de majuscules aux noms de maladies]
— C'est l'objet de notre réunion ici mon ami [virgule avant « mon ami »]
— Aloysius repris ses esprits [reprit]
— même aussi vague qu' épidémie [espace indésirable après l’apostrophe]
Virgules :
En général, on ne met pas de virgule avant « et » quand il relie deux verbes qui ont le même sujet. On le fait parfois quand on recherche un effet particulier, mais si on le fait trop souvent, ça annule ledit effet.
Quand un personnage s’adresse à quelqu’un, il faut mettre une virgule avant le nom, surnom, etc. de la personne à qui il parle.
Ce chapitre est court mais efficace, comme d'habitude. Décidément, qu'est-ce que j'aime ton style narratif.
Quelques remarques :
-"sans un regard pour les étalages dégorgeant de gâteaux de miel et de pains parfumés." : regorgeant pas dégorgeant
-"Quelques minutes plus tard, on vit pénétrer dans l'enceinte royale deux hommes escortant une jeune fille aux pieds noirs et nus. Le Ministre à la cité devint cramoisi :« On s'agenouille devant le roi, malheureuse !" : C'est simple et efficace, mais peut-être un peu trop. En fait, la phrase du ministre surprend parce qu'on imagine pas forcément que le roi est déjà là. Je pense que c'est le terme "enceinte royale" qui est trompeuse. Ca laisse croire que le roi l'attend juste à l'entrée du château. Peut-être que "salle du trône" situerait mieux la scène ?
- "Il distingua parmi eux le Sénéchal" : ELLE distingua
- "Qu'il meure, la belle affaire. " : Je crois que j'inverserais, pour plus de clarté ("La belle affaire : qu'il meurt.")
- "et aux vitraux qui peignaient les corps et les visages à leur insu." : j'adore cette phrase !
Je vais vite lire le chapitre suivant.
Je note pour l'enceinte. J'ai pas mal de souci à situer les choses dans l'espace, et je sais que c'est gênant en tant que lecteur... Je cherche toujours le nom de cette fichue salle (j'hésite entre "salle du trône" comme tu conseilles et "Grande salle")
Bon bah j'ai dévoré tes chapitres, je n'ai pas pu m'arrêter. Ton style est fascinant. Tu nous livres de nombreux détails, nous présente ton univers, les personnages, on se croirait dans cette époque médiévale, c'est vraiment... bien. Pour cela, je ne trouve rien à redire et je peux juste te dire : bravo !
Olga m'a l'air d'avoir un caractère bien trempé, voilà qui change des héroïnes qu'on rencontre habituellement. Ce n'est pas pour me déplaire, j'aime lire des histoires avec des héros/ héroïnes au caractère très fort . Son refus face au roi m'a surprise sur le coup, même si ça correspond bien au caractère du personnage. Néanmoins, je me demande quelles conséquences aura ce refus, car normalement on ne peut refuser d'obéir aux ordres du roi, non ?
Ces premiers chapitres m'ont paru comme une longue introduction, haute en décor, personnages et histoires, mais que l'histoire arrive doucement, très doucement. Mais ton style est bien maîtrisé et transporte sans nous laisser de sentiment d'ennui, mais j'ai eu ce sentiment en terminant ces chapitres de grande et longue introduction. Je suppose que c'est voulu ?
Voilà, sur le coup je ne trouve rien à redire, je me suis laissé porter par les chapitres et je peux juste dire que j'aime beaucoup.
Bon bah je vais attendre la suite du coup :p
Elia
Merci pour ta lecture, et à plus ;)