Chapitre 10 : Le masque rouge

Par Rouky

Je laissai Thomas, Sharp et Alva Blom à la gare. Le train qui nous ramènerait sur Paris ne partait pas avant quelques heures. Aussi, je prétextais devoir récupérer la Mésange d’Ambre que j’avais laissé à la villa.

En réalité, je voulais souffler un peu, plutôt que de supporter le silence glacial qui nous enveloppait depuis que nous étions sortis du palais de Salvatelli.

Thomas m’ignorait, Sharp était rongé par le chagrin, et Alva... eh bien, c’est Alva. La mercenaire Suédoise nous avait rassurer, nous disant que la police italienne avait été prévenu du massacre et que, moyennant l’argent du duc Falk, les autorités nous laisseraient tranquilles.

Ma blessure au dos n’avait toujours pas été soigné mais, malgré le sang qui s’écoulait parfois, aucun dommage important n’était constaté. J’attendrais donc mon retour à Paris pour me faire soigner.

Ne voulant pas revenir les mains vides, j’entrai dans la villa, déterminé à récupérer la Mésange. J’avançai vers le canapé, là où elle était censée se trouver.

Je rangeais le trésor maculé de sang, quand les lumières du salon s’éteignirent. Plongé dans le noir, je ne voyais que les ombres informes du mobilier.

La pièce sombre s’éclaricit soudain, mais pas comme je l’aurai voulu. La source de lumière provenait d’un candélabre à 8 branches, tenu par un homme à drôle d’allure qui se tenait à l’entrée du salon. Vêtu d’une queue de pie rouge et d’une lavallière noire, l’étranger s’avança vers moi, un sourire mauvais plaqué sur les lèvres.

- Qui êtes-vous ? Aboyai-je en reculant.

J’ignorais s’il portait une arme autre que son candélabre, alors mieux valait-il jouer la prudence. Et je n’avais guère envie de voir les flammes s’approcher de moi.

- Tu ne me reconnais pas ? Feignit d’étonnement l’homme. Moi je t’ai reconnu, pourtant. Mais tu as un peu changé. La dernière fois que je t’ai vu, mon ami t’avait planté un couteau dans le dos.

Je me figeai. Cet homme était donc soit le porteur du masque vert, soit du masque rouge. Sa tenue colorée et sa silhouette me décidèrent à lui attribuer le masque rouge.

Le criminel mima une révérence exagérée.

- Cendro Nottara, à ton service. Mon humble et noble personne est ravie de te rencontrer, Détective, toi qui semble si acharné à nous mettre des bâtons dans les roues.

Il parlait parfaitement bien français. Je décelai à peine son accent italien.

- Qu’y a-t-il de noble à faire parti des criminels ? Rétorquai-je. Qu’y a-t-il de noble à laisser un complice poignarder un homme dans le dos ?

- Allons l’ami, tu fais parti de la police, on ne pouvait pas prendre le risque de t’attaquer au corps à corps. Tu as dû recevoir un entraînement au combat que nous ne possédons malheureusement pas.

En d’autres circonstances, j’aurai éclaté de rire. Mon savoir-faire en matière de combat était exécrable, si bien que même ma taille ne me sauvait pas toujours.

Le dénommé Cendro se remit à marcher vers moi.

- Reste où tu es ! M’écriai-je.

Il n’était qu’à deux enjambées de moi, et je sentais déjà la chaleur des bougies sur mes joues. Cendro Nottara émit un ricannement.

- J’ai bien remarqué ton... aversion en ce qui concerne le feu, dit-il.

- Je n’ai pas peur du feu, m’efforçai-je de mentir.

- Allons, mon mignon. Il suffisait de voir tes grands yeux apeurés avant que mon ami te poignarde. Ce n’est pas tant notre présence qui t’effrayait, mais les flammes qui rugissaient à tes côtés. Tu es certain que tu ne veux pas que je m’approche ?

Il fit mine d’avancer une nouvelle fois.

Je sentis mon coeur rater un battement. J’étais déjà collé au mur, et passer à côté de ce fou furieux était bien trop risqué. Pris au piège, je poussai une excalamation de surprise quand Cendro Nottara fit une enjambée vers moi. Si je levais le bras, j’avais tout le loisir de toucher mon agresseur. Mais hors de question de m’approcher de ces huit bougies crépitantes.

- Je n’arrive pas à comprendre, reprit Cendro en faisant la moue. Pourquoi, par tous les diables, m’interdit-on de te faire du mal ? Il y a quelques heures encore on ordonne à mon ami de te poignarder, puis on nous informe que non, finalement, on aura juste le droit de t’égratigner un peu.

- Qui... qui vous l’a interdit ? Bafouillai-je en essayant de ne pas me focaliser sur le candélabre. Qui vous a dit de ne pas me tuer, là où le Vicaire vous l’avez ordonné ?

- Hmmm...

Cendro me fixa sans répondre. Il observait mes pupilles avec une telle insistance, comme s’il cherchait à sonder mon âme. La lueur du feu se reflétait dans ses yeux fous.

Il avait peut-être reçu des ordres, mais je pouvais aisément deviner que cet homme était impulsif. Il pouvait très bien n’écouter que sa noirceur et m’achever sur le champ.

- Si tu me tues, commençai-je d’une voix que je voulais affirmée, mes amis viendront pour toi.

- Tu parles de tes freluquets anglais ? Rit Cendro. Je ne les crains pas. D’après les informations que j’ai reçu, ils s’entendent comme chien et chat. Je les vois mal faire alliance pour te venger.

- De quelles informations tu parles ? M’étonnai-je.

- Ah, ça... Je n’ai aucune raison de te révéler quoi que ce soit, mon beau. D’ailleurs, je n’ai même aucune raison d’épargner ton joli minois.

Il fit tournoyer le candélabre à gauche et à droite, tout en franchissant la dernière enjambée qui nous séparait. Il était désormais à moins de 30 centimètres de moi. Je ressentis pleinement la chaleur des bougies sur mon visage, l’éclat des flammes brouillant ma vision tant mes yeux étaient vissées sur elles.

Je ne contrôlais plus mon propre corps. Je fus pris de tremblements. Ma respiration devint difficile, j’avais l’impression d’étouffer. Le ventre noué, les membres engourdis, ma tête tournait en proie à de terribles vertiges.

Cendro Nottara faisait la même taille que moi. Sur mes joues, je sentais autant la chaleur des bougies que le souffle de mon assaillant. Plutôt que de me focaliser sur ma peur panique du feu, je choisis d’ancrer mon regard dans les yeux scintillants du criminel. Ce dernier m’imita, et nous restâmes ainsi figés, les petites flammes crépitant autour de nous.

Alors, Cendro Nottara fit quelque chose qui m’interloqua. Il inspira profondément par le nez, bloqua l’air quelques secondes dans ses poumons, puis expira doucement par la bouche. Il répéta ce processus plusieurs fois et, sans même m’en rendre comte, j’avais commencé à l’imiter. Ma panique ne disparut pas, mais je sentis les symptômes s’apaiser légèrement.

Cendro Nottara sourit, mais non plus d’un sourire mauvais. Au contraire, on aurait même dit qu’il se voulait... rassurant ? Le criminel cacha le candélabre dans son dos, éloignant l’abominable chaleur de mon visage.

- Ne laisse jamais tes ennemis découvrir ta faiblesse, chuchota Cendro. Ce n’est rien que du feu. L’étincelle, tu lui souffles dessus. La flamme, tu la noie. Du brasier tu t’éloignes. Et si l’incendie te tue, c’est que tu as tout fait pour te battre, mais que ton heure était venu.

Je le regardai sans comprendre. Pourquoi me disait-il tout ça ?

Il s’éloigna de quelques pas, ramena le candélabre devant lui, et souffla sur les bougies. La pièce redevint sombre, mais je percevais la silhouette du criminel.

- J’espère qu’on se reverra bientôt, mon joli.

Puis il s’éloigna. Je n’essayais même pas de le rattraper. A ma grande surprise, sans même que je m’en rende compte, mon attaque de panique était passée.

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