- Non ! Hurlai-je. Pourquoi avez-vous fait ça ?!
- Parce qu’il sera plus facile de faire parler César Condé que Salvatelli, répondit Gallant à la place d’Alva.
- Vous venez de commettre un meurtre ! M’horrifiai-je.
Alva me regarda comme si j’étais devenu fou. Elle pointa à nouveau son pistolet sur Bianca Moretti. La pauvre femme était inconsciente dans les bras du Vicaire.
Ce dernier secoua vigoureusement la tête en direction d’Alva.
- Non, pitié, répèta-t-il.
- Alors dis-nous tout ce que nous voulons savoir.
- Quoi ? Dîtes-moi ce que vous voulez savoir ! Je vous dirai tout, mais laissez-la vivre, je vous en supplie !
Je restai confus face à la détresse du Vicaire. En cet instant, je perçus l’homme amoureux derrière le cruel criminel. J’avais de la peine pour lui.
C’est Alva qui tenait l’arme, mais c’est Gallant qui interrogea l’ennemi. Sharp, lui, se contentait d’observer la scène, juste à côté de moi.
- Ceux qui se font appeler le Cardinal et l’Evêque, commença Gallant. Qui sont-ils ? Où sont-ils ?
Le Vicaire n’hésita même pas une seconde avant de balancer ses anciens acolytes.
- L’Evêque s’appelle Saveri Grimaldi, il réside à Londres ! Le Cardinal, lui, s’appelle Darcy O’Hara, il vit à Dublin !
- Qu’en est-il de De Guise et de Saint-Cyr ? Que peux-tu nous apprendre sur eux ?
- Ambroise De Guise est un homme à la santé fragile qui séjourne dans la Loire. Il est plutôt discret, et laisse la plupart de ses affaires dans les mains de ses subalternes, notamment Solomon Chevallier. Saint-Cyr, lui, c’est tout l’inverse. C’est un homme cruel qui veut avoir le contrôle sur tout. Il possède des alliés hauts-placés, ce qui le rend intouchable !
- Quels alliés ? Donne-nous des noms.
- Zarex Samaras ! S’écria le Vicaire. C’est un lieutenant français, je crois qu’il travaille à Paris. Il y a également Volodia Saranov, un aristocrate russe qui a émigré à Londres, et est devenu député !
Le Vicaire sembla réfléchir un instant, puis cracha d’un ton furieux :
- Reinard De Neustrie ! Ce traître tire beaucoup de ficelles, et monnaye les informations qu’il possède. Il y a aussi Magnus Sto-
Sa phrase fut coupée par le son du pistolet. Alva Blom venait de tirer, droit dans le coeur de Bianca Moretti. Le temps sembla s’être figé sous notre stupeur.
Alors, le Vicaire, maculé du sang de son amante, poussa un hurlement comme je n’en avais jamais entendu. Un hurlement qui exprimait toute la souffrance d’un homme.
Le corps de son amante gisant dans ses bras, il ne cessait de pousser des cris de lamentation, entrecoupé de râles douloureux.
- Pourquoi ? Demandai-je.
Je n’avais même plus la force de crier. J’étais simplement... abasourdi par la facilité avec laquelle des gens tuaient d’autres personnes.
- Il commençait à trop parler, répondit Alva.
Elle visa César Condé et tira, mais rien ne se produisit. Elle essaya avec sa deuxième arme, mais le résultat fut le même.
- Je n’ai plus de balles, dit-elle. Je vous laisse vous occuper de lui. Retrouvez-moi à la gare demain matin, nous prendrons le premier train.
Puis Alva Blom repartit, nous laissant tous les quatre.
- Je nage en plein cauchemar, murmurai-je pour moi-même. Je veux juste me réveiller...
Je rejoignit Gallant, vint me poster à sa gauche.
- Isen, commençai-je, nous devons-
Je m’arrêtai et poussai un hoquet de surprise en voyant Gallant lever son arme vers le Vicaire. A la droite du détective, Sharp se délectait de la scène, son sourire carnassier plaqué sur ses lèvres. Je m’inquiétais de savoir que mon rival possédait toujours une arme sur lui.
- Tue-le, ordonna l’inspecteur au détective. Ce chien ne nous sert plus à rien. Il n’avouera rien. Il est inutile.
- Non ! M’écriai-je. Isen, ne tire surtout pas ! Nous allons le remettre à la police.
- La police ? Cracha Sharp. La police est corrompue ! Elle le fera libérer, et il pourra s’enfuir librement ! Si on le laisse vivre, c’est comme si on le laissait continuer ses crimes. Il faut le tuer !
- Non ! Il n’a plus d’alliés, il ne pourra pas s’enfuir ! Et regarde dans quel état il est, tu penses sincèrement qu’il va continuer son activité criminelle ?!
Je voyais le bras de Gallant trembler, l’hésitation torturant son visage. Il n’allait quand même pas succomber à la folie du meurtre ? Comment en était-on arrivés là ? La situation avait dérapé si vite !
Le Vicaire ne disait plus rien. Figé, les yeux plongés dans ceux de son amante décédée, on aurait dit une statue tant son immobilité était impressionnante.
- Isen ! Repris-je. J’espère que tu n’envisages pas sérieusement d’assassi-
- Red a raison, m’interrompit Gallant. Si on laisse Laurent Lecomte partir, c’est comme si on le remettait en liberté. Pourquoi aurait-il le droit de vivre, alors que tant de gens sont morts par sa faute ?
- Non mais je rêve !
J’avais l’impression de nager en plein cauchemar. Sharp souriait de plus belle, voyant Gallant sombrer peu à peu du mauvais côté de la justice.
- Isen, écoute-moi bien, clamai-je. Tu travailles pour arrêter les criminels, pas pour les tuer. Si tu franchis ce cap, tu ne vaux pas mieux que le Vicaire.
- A quel moment me suis-je prétendu mieux que le Vicaire ?
Mon cœur rata un battement.
Gallant ne me regardait pas, mais je vis ses yeux luisant de rage à l’encontre de l’homme qu’il menaçait d’abattre. Je ne reconnaissais plus le détective que j’avais rencontré, souriant et optimiste. En cet instant, je craignais ce dont il était capable.
- Exactement ! Asséna Sharp. Pourquoi on ne pourrait pas jouer dans la même cour que ces pourritures ? Ils n’ont aucune entrave pour commette leurs crimes, alors pourquoi on devrait s’en mettre ?
- Tu fais toi-même parti de ces pourritures ! Réprimandai-je mon rival. Tu as commis des crimes, tu en as camouflé d’autres, et aujourd’hui tu te prétends justicier ?! C’est absurde !
- C’est toi qui ne veux pas voir la réalité des choses ! Arrête de vivre dans ton monde où tout est noir et blanc. Tu sais que j’ai raison, que la police est à la botte des plus puissants. Alors quoi, tu veux prendre le risque de les laisser libérer le Vicaire ?
Paniqué par la tournure des évènements, je reportai mon attention sur Gallant. Je fis mine de m’approcher, ce qu’il dû apercevoir du coin de l’oeil.
- Reste où tu es, Thomas, m’ordonna-t-il.
- Isen, s’il te plaît, ne fais surtout pas ça ! Tu ne vas quand même pas tuer un homme ?
- Ce n’est pas un homme, c’est un monstre ! Si je suis incapable de tuer le Vicaire, alors comment pourrai-je arrêter Saint-Cyr et tous ses complices ?
- En demandant l’aide de policiers intègres ! Pense à Jacques Barnet, ou à Antoine Favre ! Toute la police n’est pas corrompue, nous avons des alliés.
- Mais la police obéit à leurs supérieurs, me contredit Sharp.Ton Barnet arrêtera peut-être le Vicaire, mais le patron au dessus de ton policier le fera libérer.
- Non ! M’écriai-je. Sharp, tais-toi ! Isen, écoute-moi !
- Ne l’écoute pas ! Renchérit Sharp. On peut régler cette histoire ici, maintenant ! Achève le Vicaire !
- Thomas, murmura Gallant, tu ferais peut-être mieux de partir, pour ne pas voir la suite...
Estomaqué, je dévisageai ce détective que je ne reconnaissais plus. Un coup d’oeil au Vicaire me fit comprendre que je ne recevrai aucun soutien de sa part. Spectateur de son propre jugement, il n’avait toujours pas fait mine de bouger, ni de parler. Il semblait complètement ailleurs, perdu dans les souffrances de son âme.
- Isen, repris-je. Si tu tues cet homme, tu te perdras à jamais. Les valeurs que tu portes en toi, ton sens de la justice, tu auras réduit tout ça à néant. Si tu tues cet homme, tu me perdras à jamais. Je ne pourrai pas te pardonner cet acte, jamais.
Le bras de Gallant vacilla un court instant. Sourcils froncés, sa respiration se fit plus rapide. Je voyais qu’il était en proie à un dilemme moral. Je ne pouvais pas l’abandonner aux mains de Sharp.
Ce dernier poussa un cri de rage, fit un pas en direction du détective.
- Assez ! Hurla-t-il. Le Vicaire a tué des gens et il continuera d’en tuer ! Il travaille pour des monstres encore plus fourbes et cruels que lui ! Nous devons tous les tuer, tous ! Si on veut survivre, il faut les éliminer, avant qu’ils ne nous enterrent ! Vous vous fichez de ce qu’ils pourraient faire à votre famille, à vos amis ?!
Je n’avais jamais pensé à l’éventualité que Saint-Cyr puisse s’en prendre à ma famille, et l’idée me fit froid dans le dos.
- Sharp, dis-je calmement. Nous allons t’aider, je te le promets, mais tuer-
- Non, tu ne peux pas m’aider ! Tu as bien dit toi-même que je m’étais fourré dans ce pétrin tout seul, hein ? Alors laisse-moi te montrer comment je peux m’en sortir seul !
Puis, à l’attention de Gallant :
- Donne-moi ce flingue, grenouille. Si tu es incapable de tuer, laisse un homme s’en charger à ta place.
Gallant semblait au bord de l’évanouissement. Pâle, les yeux humides, le bras tremblant, il devait lui aussi vouloir se réveiller de ce cauchemar.
- Isen, suppliai-je, ne tue pas cet homme.
- Gallant, ordonna Sharp, abats ce monstre.
Gallant secoua la tête, mais à l’attention de qui ?
Alors, avec horreur, je vis sa main se resserrer sur la poignée du pistolet, son index compressant la détente.
Je n’eu pas le temps de crier qu’un son inattendu se fit entendre, juste devant Gallant.
Le Vicaire, toujours immobile, avait à peine élever la voix. Son âme semblait l’avoir déserté.
- Ta famille est morte, Sharp, disait-il.
- Quoi ? Fit Red. Qu’est-ce que tu racontes ?
- Tu m’as bien entendu, inspecteur. Ta famille est déjà morte, Saint-Cyr a incendié leur maison il y a plusieurs jours de cela.
- Non, tu mens. Ce n’est pas possible, tu mens...
- Quelle raison aurai-je de mentir ?
Un silence glaçant tomba sur nous. Sharp avait les larmes aux yeux. Mon cœur se serra pour lui. César Condé nous laissa digérer l’information, avant de reprendre :
- En ce qui me concerne, je suis déjà mort. Soit vous me tuez, soit Saint-Cyr me fera tuer. J’ai perdu la seule lueur qui illuminait mes nuits, je n’ai plus aucune raison de vivre.
Le Vicaire inspira longuement, puis déclama :
- Allez voir Léon, et dîtes-lui que je m’excuse de l’avoir abandonné. Il a toujours été comme mon frère, et mon plus grand regret est de l’avoir entraîné là-dedans...
Puis il posa ses yeux sur Sharp, et il y eut comme un échange silencieux entre eux.
Sharp sortit le pistolet qu’il avait récupéré sur le soldat de Salvatelli, et pointa le canon sur le Vicaire. Il appuya sur la détente.
Des gerbes de sang éclaboussèrent les murs tandis que le corps du Vicaire s’écroula au sol, juste à côté de Bianca.