Albin bondit de son lit en entendant la porte s’ouvrir. Dévalant les escaliers, il atterrit dans le salon au moment où Gallant, Laon et Sharp entrèrent.
Le visage fermé, les traits fatigués, ils faisaient peur à voir. Quand Gallant s’aperçut de la présence du jeune homme, il se força à sourire.
- Albin ! S’exclama le Détective. Est-ce que tu vas bien ?
Albin hésita un instant, les lettres en main. Il hocha lentement la tête, puis tendit son paquet.
- Un homme est passé, il m’a demandé de remettre ces lettres à M’sieur Laon et M’sieur Sharp. Il a dit qu’il s’appelait Monsieur Samaras, et qu’il travaillait pour Monsieur Saint-Cyr.
Un silence glaçant tombe sur la maisonnée. Le visage effaré, les deux Anglais regardèrent Albin avec étonnement, puis s’emparèrent chacun de leur lettre.
Mes mains tremblaient à mesure que je lisais la lettre. Je voyais des mots défiler : “condoléances”, “revolver”, “héritage”, sans parvenir à les assimiler.
- Thomas ? Fit doucement Gallant. Si ce n’est pas trop personnel, que dis cette lettre ?
Je relevais mes yeux embués de larmes sur le Détective.
- Ma famille, dis-je d’une voix brisée. Mes parents, ils... ils sont morts. Le notaire m’informe qu’ils ont été retrouvés, une balle dans la tête... Ils... ils ont été assassinés !
La fureur, la détresse, la souffrance, la peur... Je ne sais quel sentiment me subjugua en premier, mais je poussai un hurlement à m’en déchirer les cordes vocales. Je me fichais d’effrayer Albin, ou d’alarmer Georges. Je voulais juste que le monde entende ma peine.
- Je vais les tuer ! Hurlai-je. C’est eux qui ont fait ça, ils ont tués mes parents ! Je les tuerai tous, tous !
- Ah ! S’écria Sharp. Le meurtre se justifie maintenant qu’il a touché à ta famille hein ? Ils ont eu la bonté de m’envoyer une lettre à moi aussi, dommage que le Vicaire ne m’ait pas laissé la surprise...
Je bondis hors de mon siège, droit sur Sharp. Gallant m’attrapa au moment où mes mains atteignaient la gorge de l’inspecteur.
Ce dernier recula vivement, dardant sur moi son éternel regard noir.
- Sharp, crachai-je tandis que Gallant me tirait vers l’arrière. Je jure par tous les saints que si un seul mot sort encore de ta bouche, je te-
- Tu me quoi, Thomas ? M’interrompit-il. Tu n’as même pas été foutu d’éliminer le Vicaire toi-même, quand bien même c’était un horrible criminel ! Alors à moi, qu’est-ce que tu comptes me faire, hein ? Rien du tout, espèce de lâche !
- Calmez-vous ! Intervint Gallant.
- Tais-toi ! Lui criai-je, trop aveuglé par ma rage. Sharp, si tu nous avait prévenu dès le début pour qui tu travaillais, on n’en serait pas là aujourd’hui ! Au manoir Boleyn, tu aurais pu nous prévenir pour Saint-Cyr, et ce qu’on risquait si on s’en prenait à lui ! Tu aurais pu éviter tout ça, mais tu n’as pensé qu’à toi, comme toujours ! Tu n’es qu’un rat égoïste et vaniteux !
- Moi, j’aurai pu arrêter tout ça ?! Rit l’inspecteur. Tu te fiches de moi j’espère ! Je vous ai prévenu dès le début de ne pas fouiner dans des affaires qui ne vous concernaient pas ! Mais non, il a fallu que vous continuiez d’enquêter, à Paris ! C’est vous qui nous avez entraîné là-dedans ! C’est par votre entêtement que Saint-Cyr a tué ma famille !
- Et c’est à cause de ton égoïsme qu’il a tué la mienne ! Renchéris-je.
Du haut de son 1m90, Gallant n’avait aucun mal à me retenir entre ses bras, même si je me débattais comme une furie. J’aurai voulu étrangler Sharp à mains nues, mais l’inspecteur restait trop éloigné. En cet instant, je me sentais capable du pire.
- Je te tuerai ! Menaçai-je. Sharp, je jure que je te tuerai de mes propres mains ! Toi aussi tu fais parti de cette organisation, alors pourquoi ne pas te faire la peau, à toi aussi !
Sharp s’empourpra.
- Je ne suis pas comme eux ! Se défendit-il.
- Tu es exactement comme eux ! Tu voulais qu’on tue le Vicaire et tous les autres ? Alors tu auras droit au même sort qu’eux !
- Arrêtez ! S’écria Gallant. Saint-Cyr est responsable de toutes ces morts, lui et lui seul !
Sans ménagement, le détective me repoussa loin de Sharp. Il se positionna entre l’inspecteur et moi, prêt à intervenir.
- Thomas, calme-toi, m’ordonna-t-il. Nous sommes dans le même bateau avec Sharp, inutile de s’entretuer.
- Ma famille a été assassiné ! Hurlai-je. Comment veux-tu que je me calme ? Toi non plus, si je ne t’avais jamais rencontré dans cette maudite auberge, je n’en serai pas là aujourd’hui !
Gallant pâlit, mais je n’en avais cure. Derrière lui, la présence de Sharp faisait bouillir mon sang. Je n’étais qu’une boule de colère prête à exploser. Je ne pensais même plus à Albin qui, spectateur silencieux, se tenait juste derrière moi.
- Je ne veux plus te voir sous mon toit, menaçai-je Sharp. Si je te revois, je te tue.
Sans attendre de réponse, je tournai les talons et montai les escaliers pour rejoindre ma chambre.