Chapitre 12 : A qui la faute ?

Par Rouky

Cendro observait les allées et venues de la police. Les autorités ne cessaient de transporter des corps dans des sacs mortuaires.

Cendro avait perdu le compte, mais il savait qui se trouvait parmi ces corps : celui du Vicaire. Cendro n’avait même pas eu le temps de dire un mot à son ancien supérieur.

Un homme s’approcha de Cendro par la droite.

- Je t’avais dit de ne pas lui faire de mal, fit la voix de Reinard De Neustrie. Pourquoi as-tu dis à Alkis de le poignarder ?

- On l’a à peine érafler, soupira Cendro. Mais toi, pourquoi nous avoir dit de l’épargner ? Le Vicaire voulait-

- Je me fiche de ce que voulait le Vicaire. Falk nous paie gracieusement plus que ce que nous offrait César. C’est à Falk qu’on obéit désormais, c’est compris ?

L’ego de Cendro avait envie de rétorquer, de rappeler à quiconque qu’il n’obéissait à personne d’autre que lui-même. Mais Cendro se tu. Au final, l’argent était son seul maître. Et si Reinard lui promettait beaucoup d’argent, alors Reinard serait son maître... du moins pour l’instant.

*

On toqua doucement à la porte. Sans attendre de réponse, Gallant entra. Il n’avait jamais été du genre à respecter les convenances, de toute façon.

Assis sur mon fauteuil, je ne daignai même pas le regarder. J’observai plutôt, à travers la fenêtre, les jardins colorés de notre domaine.

J’entendis Gallant refermer la porte, et ses pas s’approchèrent de moi.

- Tu veux en parler ? Demanda-t-il.

Sa voix était douce, comme pour ne pas me brusquer.

- Que veux-tu que je dise de plus ? Aboyai-je. Mes parents sont morts. C’est fini, je les ai perdu à tout jamais.

- Thomas, je comprends ta tristesse, ta colère. Je comprends la rage qui t’habite, c’est tout à fait normal.

- Alors pourquoi ne pas m’avoir laissé m’en prendre à Sharp ? Rétorquai-je.

- Parce que tu sais très bien que ce n’est pas de sa faute si Saint-Cyr a assassiné ta famille.

Je me levai brusquement, ce qui fit tressaillir Gallant.

- Malheureusement, je n’ai pas Saint-Cyr sous la main, Isen. Et s’il était juste devant moi... je crois bien que je le tuerai.

- Tu as dit toi-même que tuer ces gens-là n’était pas la bonne solution.

- Tu étais prêt à tuer César Condé, et tu viens me faire la morale ?

- Je... Je ne...

- Isen, dis-moi franchement : si je n’étais pas là, est-ce que tu aurais appuyer sur la détente ?

Un moment de silence. Nous étions si proches que je sentis son souffle sur mon visage. Ne pouvant soutenir mon regard inquisiteur, Isen baissa la tête.

- Je crois bien que oui, chuchota-t-il.

- Alors tu comprendras mon acte le jour où je tuerai Saint-Cyr. Tu comprendras la haine qui coule dans mes veines, et l’envie irrésistible d’appuyer sur la détente.

Un autre silence.

- Je... je suis désolé, Thomas.

- Désolé de quoi ?

- De t’avoir laissé m’accompagner, depuis cette histoire dans l’auberge.

- Ah, ce que j’ai dit tout à l’heure ? Je ne pensais pas rationnellement, Isen. C’est moi qui suis venu te voir, à l’auberge, et c’est moi qui ai demandé à t’accompagner. Mais je ne pensais pas vraiment ce que j’ai dis. J’étais en colère, Isen, et j’avais juste besoin de me défouler sur quelqu’un. Tu m’empêchais d’atteindre Sharp, alors je m’en suis pris à toi. Je voulais juste te faire du mal, et j’en suis désolé. Mais je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Je suis un adulte responsable, et c’est moi qui me suis embarqué dans cette histoire, tu ne m’as forcé à rien.

Honteux, ce fut mon tour de baisser la tête.

- On ne devrait jamais faire de mal aux gens qu’on aime. Pardonne-moi, Isen.

Je perçu le Détective relever la tête, mais il resta silencieux.

 

Je regardai Thomas s’excusait, sans comprendre comment on en était arriver là. Il s’excusait auprès de moi, alors que sa famille venait d’être assassinée. Je me sentais terriblement coupable. J’avais l’impression que chaque personne que j’aimais était voué à souffrir.

- Thomas, commençais-je dans un souffle.

Il releva vers moi ses yeux d’émeraude. Mon cœur chavira, et j’oubliais ce que j’allais dire. Je n’avais qu’une envie : le serrer dans mes bras, lui faire oublier sa peine. L’emmener loin d’ici, direction le sud et le soleil. Loin de Saint-Cyr, loin de Sharp. Loin de toute cette souffrance.

- Oui ? demanda Thomas.

- Je... je voulais juste...

Je me tu. Me sentant rougir, je reculais instinctivement. Thomas me jeta un regard peiné, comme s’il s’attendait à autre chose. Mais cette chose, je ne pouvais pas lui offrir. Pas tant que planait sur nous le danger de Saint-Cyr. Et même après toute cette histoire, si l’on en ressortait indemnes, je n’étais pas certain de pouvoir lui offrir. Dans son monde bourgeois construit sur la bienséance et le paraître, jamais je ne pourrai être accepté à ses côtés.

- Je vais redescendre au salon, dis-je. Si jamais tu veux parler, je suis là. Tu peux venir me voir à n’importe quelle heure... je serai là, si tu as besoin de moi.

J’allais tourner le dos quand Thomas éleva la voix. Une voix basse, douce, timide, qui me fit fondre aussitôt.

- Est-ce que je peux...

Il ne finit pas sa phrase. Hésitant, il s’approcha de moi. Je retins mon souffle. Que comptait-il faire ?

Il fit un pas, puis deux... et m’enlaça. Figé, j’hésitais sur la marche à suivre. Ses cheveux me chatouillèrent la joue. J’humai son odeur d’eau de Cologne, sentis la douceur de sa chevelure. Alors, je lui rendis son geste. Je l’enlaçai à mon tour, le serrai fortement, plongeant mon nez dans sa crinière blonde. Je ne voulais pas qu’il m’échappe, je voulais le garder pour moi à tout jamais.

J’aurai voulu que cet instant s’éternise, que jamais Thomas ne s’éloigne. Mais il finit par le faire. N’osant pas me regarder, il s’écarta de quelques pas, murmura un “merci”.

J’aurai voulu rester avec lui, dormir à ses côtés. Mais je ne le fis pas. A mon tour, je murmurai un “bonne nuit”, et je sortis de sa chambre.

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