Chapitre 12 - Rêve

« La reine est de retour ! »

Un soldat de la garde royale venait d’enfoncer la porte de la salle du Conseil. Ottar entrouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Ses conseillers se tournèrent vers lui d’un seul mouvement. Le porteur de la nouvelle reprit :

« Votre Altesse, la reine a débarqué d’une chaloupe sur les quais des Rosiers, il y a moins d’une heure. Elle se dirige en ce moment même vers le palais.

— Est-on certain qu’il s’agit de la reine ? intervint Mammitu.

— Absolument. La foule exulte. Tout le monde veut la voir de ses yeux. Elle arrivait sur la place du commerce aux dernières nouvelles.

— Est-elle accompagnée ?

— Non, elle semble seule. Les navigateurs de la chaloupe ignoraient son identité. »

Ottar réfléchit à toute vitesse. La reine avait disparu toute une année. Elle ne revenait pas avec une armée pour le renverser ? Si elle voulait l’envoyer aux cachots ou en exil, elle n’aurait pas besoin de déployer beaucoup d’efforts. Il avait eu les pires difficultés à asseoir son autorité cette dernière année. La version officielle qu’il avait diffusée dans tout le royaume, et au-delà, était que Koré Akhylis avait été enlevée par les pirates de Dagan Le Fossoyeur. Une récompense extravagante était promise à quiconque la retrouverait.

Cependant, ils étaient nombreux à avoir leurs doutes sur cette version. Parmi les détracteurs d’Ottar, certains le soupçonnaient de s’être débarrassé de la reine, de manière définitive. Personne n’ignorait que leur couple battait de l’aile dès les premiers jours. Ils faisaient chambre à part, ne partageait aucun repas, et ils n’échangeaient pas même un mot lorsqu’ils menaient côte à côte la session des doléances chaque semaine. Ottar sentait venir une crampe d’estomac.

« Allons l’accueillir. »

Ottar s’avança le premier dans le couloir. Il sentait le regard de ses gardes et conseillers lui transpercer le dos. Est-ce que c’était la dernière fois qu’il marchait librement dans le palais ? Quatre ans de règne, c’était court. Se souviendrait-on seulement de lui ? Est-ce que ces successeurs allaient balayer les réformes sur lesquelles ils avaient tant travaillé, comme une si son règne n’avait été qu’une regrettable parenthèse dans l’histoire mezdhienne ? Est-ce que les descendants des Aînés et des Jumeaux allaient de nouveau faire loi sur les filles et fils de Shamash ? Peu importait ses accomplissements, un simple mot de Koré Akhylis suffirait pour l’emmener à l’échafaud. Jamais il ne s’était senti aussi vulnérable.

Ils entendirent les cris de joie de la foule avant même d’entrer dans le jardin. Du coin de l’œil, Ottar voyait les serviteurs et même les gardes quitter leur poste pour voir ce qu’il en était. Les portes du palais étaient grandes ouvertes. Ottar s’arrêta sur le porche. Une vue saisissante sur Sialk se dévoilait en contrebas. La seule fois où Ottar vit autant de monde dans les rues de la ville, se fut pour son mariage. Un grand parc en dénivelé séparait la ville du palais. Devant la porte principale s’échappait un escalier qui se divisait en une multitude de branches qui tombaient dans la ville, tels des ruisseaux. Des centaines, voire des milliers, de personnes avaient gravi les marches. Ils agitaient des banderoles improvisées dans les airs et frappaient tambours et timbales dans un rythme étonnamment mélodieux. Par-dessus les cris de joie, des chants se lançaient à plusieurs voix. L’escalier central avait été laissé vide. Tout en bas, Koré s’apprêtait à monter la première marche. Leurs regards se croisèrent. Ottar aurait donné très cher pour savoir ce qu’il pouvait bien se passer sous son crâne. D’un accord silencieux, comme si cela avait été une répétition, la foule s’écartait à son passage. Koré gravissait seule les marches, d’une cadence régulière et lente. Le temps semblait infini. Ottar sentait des gouttes de sueur glisser dans son dos. Il avait espéré qu’une patrouille finirait par trouver Koré et l’amènerait à lui directement. Impossible d’espérer discuter ou trouver un accord dans ses conditions. Si elle venait pour se venger, elle avait déjà trouvé son public.

La silhouette de la reine grandissait à mesure qu’elle s’avançait. Elle portait une chemise à manches longues rentrée dans un pantalon usé. Ses cheveux étaient noués en plusieurs tresses désordonnées et mêlées à des rubans de plusieurs couleurs. Sa peau était brunie par de longues heures exposées au soleil. Elle était méconnaissable, et pourtant, il ne faisait aucun doute que c’était elle. Le regard d’Ottar s’attarda sur le poignard qu’elle portait à sa ceinture. Le silence se fit peu à peu jusqu’à être total lorsqu’elle arriva enfin à la dernière marche. La foule retenait sa respiration. Ou était-ce seulement lui ?

Koré le fixait d’un air stoïque. Aucune émotion ne transparaissait sur son visage. Est-ce que ça la tuerait de lui donner un indice sur ses pensées ? Ottar n’avait aucune idée de comment réagir. Le silence de la foule était assourdissant. Puis, sans prévenir, Koré l’enlaça. Une seconde de latence passa et des clameurs de joie éclatèrent. Ottar était pétrifié. Ses bras restaient ballants le long de son corps. Koré se leva sur la pointe des pieds et lui chuchota dans l’oreille :

« Un enlèvement, vraiment ? » Ottar déglutit. Il fallait qu’il parle.

« Pourquoi être revenue ?

— Je vous l’avais promis. Je ne suis pas irresponsable au point de laisser le royaume s’écrouler par ma faute. Mais n’en doutez pas une seconde, je n’en avais pas envie. Pas si tôt. »

Il pouvait aisément l’imaginer.

« Merci. »

Il n’était pas en capacité d’en dire plus. Koré recula et lui saisit la main. Il la laissa faire. Son cerveau ne semblait plus vouloir fonctionner normalement. Koré se retourna et salua la foule pendant plusieurs longues minutes, sans le lâcher.

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Cléooo
Posté le 31/08/2024
Que de mystère. Pourquoi donc est-elle partie, pour quoi faire ?
Elle revient pour son royaume, mais du coup est-elle seulement partie à l'aventure ?
Elle s'est réellement enfuie à cause de lui ? Elle avait un comportement étrange avant leur altercation, en soi.
Beaucoup de questions !

Remarques en vrac :

"La reine avait disparu toute une année." -> ah oui, donc après le printemps finalement ?

"Sa peau était brunie par de longues heures exposées au soleil." -> suggestion, pour être moins dans le point de vue externe : "sa peau était brunie, comme si elle avait été exposée de longues heures au soleil"?

"Est-ce que ça la tuerait de lui donner un indice sur ses pensées ?" -> ça l'aurait tué

À bientôt ! :)
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