Chapitre 13 - P1

Dormir à la belle étoile fait rêver bien des inconscients, jusqu’à ce que ces mêmes gens se rendent compte par eux-mêmes que le confort du sol n’est finalement que très relatif. Ainsi commençait le fil de pensées de Nathan, en cette matinée au ciel azuré. La satisfaction qu’il tirait de son aventure entre Nordys et Mémorys faisait pâle figure en comparaison de cette nuit à savourer la caresse des draps chauds sur sa peau nue.

Vagabonder au fantasmagorique pays dans lequel nous propulse le marchand de sable, sans qu’un bruit n’influence son imagination ou ne le confronte brutalement à la rudesse du monde réel, était ce que Nathan définissait comme une pure nuit de repos. Tout individu ne mérite jamais moins, mais il s’admit à lui-même que l’on ne l’appréciait que d’autant plus après une telle période de privation.

Son imagination avait fertilement exercé ses dons pour que son subconscient visualise le café Café-Crème, celui-là même où il avait goûté la décoction décaféinée du patron. Rien de sensationnel mais, au vue du rêve occupant son esprit avant son réveil, la demoiselle qu’il y avait rencontrée l’avait marqué. Il ne la reverrait jamais, de toute évidence, puisque l’univers incarné les avait séparés. Il ressentit toutefois un soupçon de culpabilité lorsqu’il se rendit compte qu’il ne l’appellerait pas. Le petit bout de papier qu’elle lui avait tendu, avec son numéro de téléphone, devait être resté quelque part dans l’Autre Monde. Dans une poche de son pantalon ou peut-être sur son bureau, dans sa chambre. Aucun engagement ne le liait à elle, seulement... la politesse exigeait que l’on ait de meilleures manières, selon l’éducation qu’il avait reçu. Il devrait y renoncer, pour cette fois, en tout cas.

La chambre d’auberge n’avait rien à envier à celle de Mémorys. Ce n’était certes pas un palace, ni des appartements dignes de la classe que l’on voulait lui attribuer, mais sa somptuosité ne résidait pas dans son luxe. Le tenancier ne plaisantait certainement pas en affaires, puisque Nathan ne trouva rien à redire sur l’entretien de son logement. La poignée de meubles occupant l’espace était en parfait état, comme si on les avait acquis le jour précédent, spécialement pour l’accueillir. La peinture des murs était non seulement soignée mais ne montrait pas la moindre trace d’un passage excessif de pinceau ou rouleau, ni même de bavure. Deux cadres représentant respectivement un paysage local puis de bord de mer étaient suspendus aux extrémités gauche et droite, parallèles au lit.

Directement en face de ce dernier était une tapisserie dépeignant la cérémonie du sacre d’Aaron II, l’intéressé figurant donc au centre.

Il n’aurait probablement pas voulu être ailleurs qu’au centre, songea Nathan.

Ne ressentant aucune animosité à l’encontre de ce rival qu’il ne connaissait que par ouï-dire, l’ancien étudiant contempla innocemment l’œuvre, sans que le point de vue d’un autre ne pollue sa vision. Comme sa mère lui avait si souvent répété, il fit preuve d’esprit critique.

Nathan devait bien concéder à ce soit-disant tyran qu’il avait en effet l’air impitoyable, équipé d’une détermination sans faille, d’une volonté à toute épreuve. À en croire les faits historiques, c’est à force de temps et de persévérance qu’il s’était approprié le sceptre de feu son frère. Il disposait certainement d’atouts inconcevables pour ses maigres connaissances du territoire et de la culture isorianne. Même agenouillé, pas encore relevé après avoir reçu le gage de sa royauté, sa stature n’en était pas moins imposante. La couronne d’or, parsemée de pierres précieuses, siégeait magnifiquement sur son crâne, ne dissimulant qu’une infime partie de sa chevelure brune. On n’aurait point pu extrapoler davantage d’informations concernant la personnalité du souverain actuel, puisqu’il était de dos. On pouvait cependant relever encore quelques détails remarquables: le premier étant le nombre phénoménal d’Isorians assistant à l’événement. Le second, moins perceptible, apparaissait dans les traits admiratifs, mais surtout étonnés de certains convives. Le cours de Sarah lui revint en mémoire, et il se souvint que le couronnement avait été précipité, n’ayant eu lieu que peu de temps après l’officieux fratricide.

Après avoir quitté sa stupeur contemplative, Nathan s’était finalement résolu à remettre les habits qu’il portait depuis déjà trop longtemps. La possibilité de se changer lorsque l’on ne possédait qu’un seul ensemble de vêtements devenait soudain étrangement fine.

Il rejoignit ensuite Rose et Sarah à la salle commune de l’auberge. Le déjeuner y fut bref mais, au désespoir de Nathan, bruyant. Tel est le pain quotidien d’un aubergiste, se dit-il pour lui-même, impossible d’avoir un instant de répit aux heures de pointe... si ce n’était pas à l’intégralité des heures d’ouverture. Et puis, quand il ne fallait pas penser aux repas, il fallait veiller à ce que les invités soient confortablement installés dans leur chambre, ainsi que leurs montures aux écuries, s’assurer que chacun avait en permanence tout ce dont il avait besoin… Quel métier éreintant !

Une fois le programme de la journée établie, les trois voyageurs s’en vinrent trouver la Troisième, apôtre de la déesse choisie en 201 DS, celui-là même que Rose qualifiait occasionnellement de rustre. Ce commentaire ne comportait aucune méchanceté, selon ses dires, mais ne reflétait pas moins la vérité telle qu’elle la percevait.

La forge, devant laquelle le rendez-vous était pris, se situait sur le flanc ouest de la cité, sur une place foisonnant de magasins en tout genre. Les marchands faisaient le bonheur de tous types de clientèles, vendant des tapis, des broderies, des peintures parfois faites en direct à la demande du client, de l’équipement de guerre, des ressources alimentaires…

Ressources dont le groupe manquait cruellement, ayant consommé leurs restes le matin de leur arrivée à Nordys. Rose ne tenait pas à transporter trop de nourriture à leur départ de Mémorys, car cela aurait pu les ralentir, mais l’expédition vers Témérys durerait plusieurs semaines, voire un mois, il faudrait acheter en conséquence. Si cela ne suffisait pas, ils auraient de nouveau recours à la chasse, puisque Rose était une experte en la matière.

Tandis que Rose et Nathan se concentrait sur leurs retrouvailles avec Solange ainsi que la recherche d’une épée, Sarah s’en vint acheter des provisions pour la route qu’ils comptaient reprendre le plus rapidement possible. Mieux valait ne pas trop attirer l’attention dans une grande ville comme Nordys. La période était trop dure envers Sophians et Sentinelles pour oser prendre trop de risques. De ce que l’on avait aussi pu expliquer à Nathan, une Sentinelle n’est pas non plus prône à chercher le conflit. Elle sait se battre en cas de besoin mais elle doit plutôt éviter les affrontements. De toute évidence, cela ne signifiait pas qu’elles ne s’étaient pas battues à de nombreuses reprises au cours de l’histoire, mais c’était tout de même un principe auquel tenaient beaucoup Rose et Sarah lorsqu’elles le lui avaient expliqué.

Au grand étonnement de Fylynx, Solange respecta l’arrangement. Il patientait tranquillement là où il devait être, discutant avec le forgeron. L’observant un peu mieux qu’hier, Nathan se fit la réflexion que, non seulement la Sentinelle était d’une taille de géant, mesurant facilement une vingtaine de centimètres de plus que lui, mais sa musculature de titan aurait écrasé d’une main un jeune de sa trempe. Il déduisit aussi que, étant donné son degré de familiarité élevé avec Rose, son âge devait dépasser les cinq siècles, peut-être le millénaire. Il n’aurait su le dire avec plus de certitude. C’était peut-être même un Maître lui-aussi ? Nathan ne s’était pas encore trop interrogé à ce sujet mais toutes les Sentinelles n’étaient-elles pas des Maîtres ?

Solange fit le premier pas vers eux puis, à la surprise générale, il s’inclina devant Nathan. Les Isorians ne cessaient pas de surprendre ce dernier, ni de le gêner.

« Mon prince, je vous prie d’accepter les excuses du vieillard désespéré que je suis. Ma foi me fait défaut depuis les terribles événements ayant condamnés votre défunt père, homme extraordinaire et regretté que les Sophians respectaient comme un père de famille, marié à une femme égale en dignité. Mes mots sont émoussés face au tranchant de ma hache, et je gage que celle-ci est à votre service, autant qu’à celui de la Reine des reines. »

Nathan ne sut que répondre à un tel serment d’allégeance, mais Rose lui porta secours :

« Appose la paume de ta main sur son épaule, et pardonne-le. Il n’a pas dit de choses plus sensées ce dernier siècle, il le mérite amplement. »

Un discret rictus apparut au niveau de la ligne des lèvres de cet homme au comportement d’ours, signifiant qu’il avait entendu la remarque mais que, de toute évidence, il ne se sentait pas blessé dans son honneur. Après que Nathan avait suivi le conseil avisé qu’on lui avait offert, Solange se releva, soulagé. Les paroles éloquentes n’étaient pas son fort, mais il devait faire un effort. Pour ce jeune homme qui ramenait un peu d’espoir. Pour Sophie.

« Bon, Fylynx dit, récupérons cette épée et filons d’ici. Cette déclaration publique aura peut-être attiré l’attention. Nous attarder serait contre-indiqué. Pressons. »

Ils trouvèrent un forgeron à l’ouvrage, travaillant l’acier chaud maintenu par sa main gauche gantelé, et le frappant avec le marteau qu’il tenait fermement de sa main droite. Ce savoir-faire peu répandu fascina Nathaniel quelques instants, et cela se refléta dans ses pupilles. Dans l’Autre Monde, cela faisait justement partie de ces métiers difficiles qui se perdaient, comme celui, par exemple, des maréchaux-ferrants.

Solange annonça de façon à être entendu de la totalité du groupe, y compris l’ouvrier:

« J’ai eu l’opportunité de commencer les négociations avant votre arrivée, étant en avance. – Rose, arrête de faire cette tête d’étonnée, ce n’est pas la première fois que je suis en avance dans ma vie et ce ne sera pas la dernière. Non, il ne va pas pleuvoir, cesse de me regarder ainsi ! – Ce cher commerçant m’a affirmé qu’il possède une lame d’exception qu’il serait prêt à céder pour un prix honorable.

— Et pourrait-on déjà voir ladite lame, demanda Rose au forgeron, toujours avec une petite étincelle dans les yeux, non seulement par curiosité mais aussi parce que Solange l’amusait sérieusement.

— Mais très certainement, madame. La voici. »

Il sortit l’objet évoqué de son inventaire et entreprit de vanter ses qualités. Le pommeau, entièrement noir, ainsi que la fusée en bois de chêne, prenaient environ un quart de la rapière. La garde, toute d’argent, n’offrait pas de coussin mais une protection sur le contour complet de la main du détenteur. Les trois éléments étaient aussi de grande facture, le commerçant n’avait pas menti. Nathan la saisit par le fourreau, étui aussi sombre mais dont la chape et la bouterolle étaient dorées. C’est sans surprise qu’il mania une lame d’acier d’une légèreté hors du commun. L’arme serait un redoutable et élégant outil de bataille, à la guerre comme à la cour. Elle correspondait tout à fait aux attentes de Rose, et dépassait bien davantage l’image mentale que s’en faisait Nathan.

Gravée dans le métal, il remarqua une inscription, elle aussi couleur or, qu’il lut à haute voix :

« Plume Sanglante.

— Tel est le nom de l’arme, monsieur. Elle sera toujours dévastatrice, tuant chaque guerrier qui s’opposera à vous. Cette plume toutefois, possède un pouvoir destructeur, mais aussi créateur. Le sang coulera, puisqu’elle l’exigera de vous, mais vous seul devrez choisir à quelles fins. Bonnes ou mauvaises, cela ne dépendra que de vous. »

La déclaration du forgeron s’imprima toute entière dans la conscience de Nathan. Cet objet magnifique serait une bénédiction au même titre qu’une malédiction. Donner la mort n’est pas quelque chose que sa mère lui avait enseigné, ni même aurait pu lui transmettre. Il est des choses en ce monde que l’on ne peut expliquer avec des mots, car l’expérience uniquement peut les faire comprendre à ceux qui s’y intéressent.

« Où as-tu trouvé cette épée, forgeron, demande brusquement Rose. Et ne me dis pas que tu l’as forgé toi-même. Je ne te croirai pas, ce n’est point chose possible.

— Comment osez-vous ?! Remettriez-vous en question mes compétences ? Je suis tout à fait…

— Ne me fais pas perdre mon temps, forgeron. Tu ne serais pas capable de forger cette épée même si tu étais le plus grand forgeron que l’Isoria ait connu. Qui ?

— Allons, Rose, intervint Solange, même si c’est le cas, tu ne vas pas insulter l’homme qui te vendra cette épée. Tu me dis souvent d’être raisonnable mais…

— Tais-toi Solange, laisse-moi gérer cette affaire. Ne vois-tu pas qu’il faudrait au moins un Maître pour créer un objet d’une telle finesse ? Te laisses-tu aveugler par sa beauté ? Parle, forgeron. Et dépêche-toi, ma patience s’épuise. »

La Sentinelle Originelle fit un petit geste de la main, feignant qu’elle s’apprêtait à sortir sa propre épée de son fourreau.

« Calmez-vous madame, je vous en conjure, je vais parler ! Attendez, attendez, s’il vous plaît ! Ce n’est pas ce que vous croyez, je ne l’ai volée à personne.

— Si tu ne l’as pas volée, comment l’as-tu obtenu ? Personne ne serait assez fou pour vendre un tel bien, et encore moins pour le donner. Nous prends-tu pour des imbéciles !? »

Rose avait prononcé ces derniers mots en appuyant si fort dessus que des passants s’étaient retournées. Naturellement, l’attention commençait doucement à se concentrer sur le petit groupe en pleine négociations.

— Ccchhhut, je vous en prie, madame ! Moins fort, et je vous dis tout. Écoutez, car voilà la vérité, et vous devez absolument me croire !

« Vous avez raison, cette arme est certainement magique et, foi de Thorkan le Fort, je ne suis pas celui qui l’a forgé. Elle est faite d’un alliage magique que je serais bien incapable de reproduire, mais par la déesse, je ne l’ai pas volée, je vous le jure. »

Celui qui s’appelait en fait Thorkan regarda nerveusement autour de lui, comme s’il s’apprêtait à raconter quelque superstition ou proférer des paroles proscrites. Il reprit ensuite avec un ton bien plus mesuré, presque des chuchotements.

« Je suis en route pour les Territoires de Sophie. Je n’avais en vérité aucune intention de m’arrêter pour vendre des armes à Nordys, ce n’est pas mon point de vente de prédilection. Je préfère fournir Sofys, mais permettez-moi de ne pas le dire trop fort ici. Il vous faut comprendre que je n’entendais pas m’arrêter à Nordys mais, tant que je foulais paisiblement les routes de la Nouvelle Orden, une aventure invraisemblable m’est arrivée.

— Nous connaissons plutôt bien la définition d’invraisemblable, l’ami, tu peux nous raconter ton anecdote sans crainte, dis Solange en riant.

— Madame. Messieurs. Cette fois, je doute. Je crains que vous ne me croyiez pas. Avez-vous déjà rencontré des légendes ?

— Des légendes ? À quelques occasions… »

Solange et Rose étant des légendes incarnées, il était plutôt cocasse de devoir répondre à une telle question, mais ils n’étaient tout de même pas au bout de leurs surprises.

— Qu’entends-tu par légende, forgeron ? le relança Rose.

— Comme je vous le disais, j’étais sur la route qui descend de la Chaîne du Nord, en direction de Nordys, il y a bien huit jours de cela. Oui, cela doit faire huit jours. C’était un peu avant que des rumeurs circulent sur l’afflux de magie au Bois du Passé et que des mouvements de troupe soient remarqués à l’ouest. J’étais sur le point d’activer mon cheval pour qu’il tire ma carriole un peu plus énergiquement lorsque j’ai vu un individu encapuchonné. Il était en plein milieu de la route et je ne voulais pas prendre le risque d’embourber mes roues en le contournant. Je ne savais pas trop qui c’était, si je devais craindre quelque bandit de grand chemin qui opérait seul, ou si le malfrat avait des compères cachés plus loin. Il n’empêche qu’il était là et qu’il me bloquait la route. Je m’approchais doucement, jusqu’à ce qu’il lève la tête et positionne sa main de sorte que je comprenne que je devais arrêter ma voiture. Je pus alors entrevoir les traits d’un homme sous le capuchon. Un homme que je ne pensais pas voir un jour.

— S’est-il présenté, le coupa Rose.

— Oh, mais vous le connaissez madame, j’en suis convaincu. Car il vous connaissait, lui. Lui, qui porte bien des noms. Encore enfant, je me rappelle lorsque mes parents me disaient que le Pippo hanterait mes cauchemars si je n’obéissais pas et que je ne fermais pas sagement les yeux. Maintenant que j’ai moi-même des enfants, je suis parfois si épuisé que je comprends que certains parents cèdent à raconter ce genre de balivernes, mais maintenant que je l’ai vu… je ne sais plus quoi en penser.

— Vous dites que c’est lui qui vous a vendu cette épée.

— Pour sûr que c’est lui qui me l’a donnée, madame, ou alors j’aurais imaginé la chose entièrement ! Il me l’a donnée aussi sûr que je vous parle là tout d’suite, madame, croyez-le bien. Mais ce n’est pas tout !

— Il vous a donné d’autres objets mythiques, c’est ça, railla Rose.

— Mais pire que cela ! Il m’a dit ‘Thorkan’ – c’est le premier mot qu’il a prononcé, car l’homme connaissait mon nom, voyez-vous – ‘Thorkan, je te connais, tu es un honnête forgeron.’ Il me parlait avec un ton étrangement solennel et je ne le prenais pas trop au sérieux en le voyant de loin, mais je lus rapidement quelque chose d’à la fois respectable et de terrifiant dans ses yeux. Je compris instantanément que, quoi qu’il me dirait, je le ferais. Je sentais que je n’avais pas le choix. Il me dit encore ‘Thorkan, aujourd’hui le sort du monde est entre tes mains. Voici une des plus fines lames que j’ai eu le plaisir de forger. Prends-là. Dans huit jours, à cette heure précise, une femme, un chat et deux hommes, viendront t’acheter une épée. Tu ne leur en montreras aucune autre que celle-ci. Elle deviendra l’arme de prédilection du jeune homme, comprends-tu ?’

— Vous savez comme moi que l’on ne dit pas non à une légende, alors me voici. »

Pragmatique, Solange reprit les négociations.

« Et quel prix a-t-il donné à l’épée lorsqu’il te l’a transmise ? Ce serait un bon présent de ma part pour Nathaniel, symbole de ma sincérité et du lien qui nous unira pour les siècles à venir, et plus si Sophie nous donne de vivre jusque là. »

L’annonce de Solange étonna une nouvelle fois Rose et son phénix, mais ils demeurèrent muets, de sorte de ne pas discréditer la démarche de ce partenaire de longue date. Celui-là même qui désirait une nouvelle cause à défendre depuis trop longtemps, et venait de la trouver, Sophie soit louée pour sa magnanimité. Le tavernier ne manquait pas de moyens financiers pour acheter un tel bijou, elle ne l’insulterait donc pas en lui proposant son concours.

« Oh, mais mon bon monsieur, il ne m’en a pas donné de prix. Je voulais essayer de vous la vendre, peinant encore à croire ce que j’avais vu et craignant aussi les futures difficultés financières que nous pourrions endurer. Les temps sont si incertains… Mais je vois bien que c’est la destinée qui vous a conduit jusqu’à moi et j’offenserais Sophie si je vous vendais un bien que j’ai moi-même obtenu gratuitement. Ce sera un honneur pour moi que d’être l’instrument de la Providence et de vous l’offrir. »

Il tendit alors l’arme à Nathan et c’est de cette manière que celui-ci fit l’acquisition de sa rapière, ainsi que d’une bandoulière que le forgeron leur offrit de bon coeur, lorsque la Sentinelle en devenir exprima sa préférence. De cette façon, il pouvait la ranger dans son dos sans qu’elle ne le gênât à sa ceinture. Ce serait plus confortable, si ce n’était pas vraiment plus pratique en définitive.

Après cela, le collectif se dépêcha de terminer les affaires le retenant en ville. Une fois qu’ils eurent également récupéré la monture de Solange, ils se dirigèrent vers les écuries de l’auberge où Rose et Nathan avaient laissé leurs chevaux, pour les équiper mais également pour retrouver la Mémorianne. En chemin, la discussion s’orienta naturellement sur l’arme de la Sentinelle du Commencement.

« Je n’ai que très rarement changé d’épée, dit Rose en réponse à la précédente question de celui qu’elle voyait comme son disciple. Je n’achète que lorsque je suis sûre de la qualité de l’outil, et c’est généralement pour d’autres. On s’attache trop vite à ces choses là, et ce ne serait pas simple de changer régulièrement. En ce qui me concerne, je préfère créer mes propres armes. Celle-ci est un présent de Sophie, liée magiquement à moi depuis près de sept-cents ans. Elle l’a créée pour célébrer un millénaire de collaboration, mais surtout d’amitié.

— Comment se nomme-t-elle ?

Épine Rougeoyante. Sophie a toujours aimé les jeux de mots, mais celui-ci est tout à fait adapté je crois. Je suis la seule en Isoria à pouvoir la manier. Elle piquerait la main de quiconque s’y essaierait sans mon approbation.

— Mortellement ?

— Je ne saurais dire, personne n’a encore jamais essayé.

— T’en es-tu souvent servie, demanda encore Nathan, curieux.

— Honnêtement, les occasions sont rares. Ceux qui me connaissent n’oseraient jamais me provoquer. Quant à ceux qui n’ont pas cette chance, disons que… le combat à mains nues ou l’assistance de Fylynx suffisent dans la plupart des cas. J’évite autant que possible d’utiliser ma magie, car on pourrait facilement me reconnaître. Les Isorians ne sont pas bêtes et les rumeurs se répandent comme une traînée de poudre. Une personne de mon âge excite forcément curiosité et imagination, deux choses dont les espions du roi ne savent que trop tirer parti. Je ne peux prendre un tel risque.

— Dis Rose… Cela n’a rien à voir ma je m’interrogeais et ce que tu disais m’y a fait penser… Les Sentinelles aspirent-elles à la neutralité ? Vous comptez m’aider à reprendre le pouvoir, mais qu’est-ce que cela fait de nous en tant que Sentinelles ? En quoi les Sentinelles maintiennent-elles l’équilibre d’Isoria ?

— Mon coeur me dit que t’aider est juste. L’assassinat de ton père ne l’était pas, ni celui de mes sœurs, ni le massacre des Sophians. Les Sophians ont toujours été une majorité en Isoria, cela ma semble juste de rétablir un équilibre en leur faveur.

— Tu veux dire en faveur de Sophie ? »

Solange, déjà en selle, se pressa de revenir sur un sujet moins polémique :

« Personnellement, j’préfère la hache à l’épée. C’est bien plus efficace, et bien plus impressionnant. Ses larges mouv’ments instillent la peur dans le coeur de mes adversaire les plus féroces.

— Ta hache respire la vulgarité, répliqua Rose d’une voix neutre, laissant ses auditeurs incapable de déterminer si ce n’était qu’une raillerie ou un commentaire qu’elle pensait vraiment. Mais elle est efficace, ça, personne ne le niera ! »

La conversation prit finalement la tournure nécessaire à la suite de l’aventure des cinq personnages. Les routes à risque ne manquaient pas autour de Nordys, même les plus fréquentées. La Gardienne de Temporys disparue, personne ne savait ce qu’il adviendrait du territoire isorian dans les mois à venir. Cette incertitude causait un état de panique constant assombrissant les âmes nobles, corrompant davantage les pensées des intéressés, convaincus de l’existence d’une meilleure place dans cette société en pleine transformation.

Ils décidèrent d’éviter les sentiers battus. Ils couperaient à travers champs et forêts, parfois feraient escale dans des villages mais ils éviteraient la civilisation autant que possible. Rose s’opposa fermement à passer par Sofys, capitale des Territoires de Sophie. Nordys serait la dernière grande ville qu’ils sillonneraient, les Sentinelles craignant trop que leur réputation de défenseurs des croyances ancestrales ne les rattrape.

Tandis qu’ils conversaient, leurs membres s’activaient à équiper les chevaux et remplir les sacoches de provisions que Sarah avait achetées quelques instants plus tôt. Panser et seller se fit sous le regard oisif d’un Solange fin prêt. Les retardataires, même s’ils ne se percevaient pas de cette façon, se dépêchèrent toutefois, de manière à ne pas le faire trop attendre. Lorsque tout fut en ordre, plan de bataille et équipement confondus, les cinq amis quittèrent la Bonne Ordenoise.

Leur objectif : Témérys, la Cité des Mille Périls.

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