Chapitre 14 : Elena

Par Zoju
Notes de l’auteur : J'aimerais beaucoup avoir votre avis sur les réactions d'Elena dans ce chapitre. J'espère que l'histoire continue à vous plaire. De mon côté, je prends toujours autant de plaisir à l'écrire ! Bonne lecture ! :-)

Enroulée dans mes draps, le visage enfoui dans mon oreiller, j’ai fini par me calmer, mais ce n’est que pour mieux m’enfoncer. Une vérité ne cesse de m’assaillir et elle me terrifie. Je n’y arriverai pas. Je n’arriverais pas à tenir. Entre ces murs, j’ai découvert quelque chose de pire que la peur, le doute. Je pensais connaitre la douleur physique ou mentale. Que j’étais naïve ! Ici, la souffrance est beaucoup plus perverse. Elle s’infiltre en vous en douceur pour ensuite mieux vous broyer de l’intérieur. Comme pour me protéger, je me recroqueville sur moi-même et tente d’apaiser les tremblements qui me parcourent. Je n’arrive plus à être forte. On est bien loin de l’Elena qui est sorti avec fierté devant Tellin en se jurant que ces monstres payeront. J’émets un rire bref. Au fond, ce n’était que du vent comme toujours. Il a fallu d’un instant pour que ma détermination s’écroule. Je n’y arriverai pas. La tête me tourne alors que les souvenirs des tests d’Assic défilent sous mes yeux. Je plaque mes mains sur mes paupières comme pour stopper ces images qui m’envahissent. Je ne veux pas revivre ça et pourtant que je le désire ou non cela recommencera aussi longtemps qu’ils le souhaiteront. Ce sont ensuite des visages qui m’apparaissent, Tellin, Assic, Hurtz, Enrik, Loïs et, pour finir, mon père. Tous me fixent avec un mélange de dégout et de dédain. Je ne suis rien pour eux, juste du bétail que l’on envoie à l’abattoir. Hans ne devait n’être probablement rien de plus pour eux. De toute façon, nous serons toujours facilement remplaçables. J’ouvre la bouche et avale une goulée d’air bruyamment, mais cela n’apaise en rien ce sentiment d’étouffement qui m’oppresse. Je n’y arriverai pas. Alors que je sombre de plus en plus, une rumeur dénotant avec le silence habituel me sort de ma torpeur. Dans un premier temps, je n’y prête pas attention, trop lasse pour réagir. Rapidement, une voix s’élève à son tour et répète plusieurs fois mon prénom. Je reconnais immédiatement celle de 67. L’entendre semble déclencher un déclic chez moi. Comme pour remettre de l’ordre dans mes pensées, ma main gifle violemment ma joue. Contrairement à la douleur d’Assic qui m’annihile, celle-ci réveille ma détermination qui s’effondrait. Une réalité s’impose dans mon esprit. Et terminer comme 67 ? À moitié folle ? Jamais cela ne sera le cas ! Vivement, je quitte mon lit et me dépêche de m’accroupir au niveau de la trappe. La froideur du sol me fait frissonner, mais je n’y prête pas attention. L’instant d’après, j’ai soulevé la petite ouverture. Mon regard croise immédiatement les iris bleus délavés de ma voisine. Un sourire s’élargit sur ses lèvres. 

- Elena, répète-t-elle.

Contente de la voir réveillée, je souris à mon tour. Malheureusement, ce soulagement disparait quelque peu quand je remarque la teinte violacée qui s’étend sur sa tempe droite.

- Ça va ? demandé-je en désignant l’endroit où se trouve son bleu.

Surprise, 67 appuie sur sa blessure comme pour s’assurer qu’elle est bien là avant de grimacer. Je me passerais de commentaire.

- On fait avec, se contente-t-elle pour toute réponse avant d’enchainer directement après. Je suis heureuse de te voir. Je craignais que tu ne veuilles plus me parler comme les autres.

- Comment ça ? m’étonné-je. Tu m’avais pourtant dit que tu étais seule dans tes cellules.

- Je t’ai menti, m’avoue-t-elle d’une petite voix.

Elle se tasse sur elle-même de plus en plus gênée.

- J’avais peur que tu me rejettes toi aussi.

- Pourquoi cela serait-il le cas ?

- Tu as bien vu hier, murmure-t-elle si bas que je crains de ne pas avoir bien compris.

Elle se tait, roule des yeux avant de reprendre un peu plus fort, mais toujours hésitante :

- On m’a dit que je n’étais pas normale.

- Ils ont tort, affirmé-je, même si en exprimant ces mots, je me trouve particulièrement hypocrite. N’ai-je pas pensé cela hier en la découvrant.

67 semble percevoir mes doutes.

- Tu dis ça pour me faire plaisir, me rétorque-t-elle tremblotante.

Elle se tait avant de poursuivre d’une voix gorgée d’amertume :

- Vous dites tous cela ! Et comme les autres, tu m’abandonneras.

Elle continue à m’assaillir de reproches, mais je passe outre. Au fond, je les mérite. Elle dit vrai. Je l’ai regardé comme si elle était folle, comme si elle ne pouvait pas comprendre ce qui nous arrivait. Mais, elle a tort sur un point.

- 67, articulé-je, doucement.

Elle m’ignore. Je l’appelle une nouvelle fois. Elle finit par se calmer. Je plante mes yeux dans les siens et déclare avec toute la sincérité dont je suis capable :

- Libre à toi de me croire ou non, mais je ne te laisserai pas tomber.

Le silence s’installe entre nous. 67 ne réagit pas et se contente de me fixer méfiante. À l’évidence, elle n’est pas dupe. D’un côté, comment lui en vouloir ? De moi, elle ne connait rien et je n’ai pas spécialement aidé. Il serait peut-être temps que je cesse de réclamer sans donner. Comment ai-je pu oublier ce qu’Hans s’est efforcé avec peine à me faire comprendre ? La confiance n’est pas quelque chose à sens unique, mais surtout elle n’existera jamais si elle a pour base un mensonge.

- Moi aussi, je t’ai menti, avoué-je soudainement.

Une expression d’incompréhension se dessine sur le visage de ma voisine.

- Tu ne t’appelles pas Elena ? me surprend-elle à me demander.

Je ne peux contenir le rire qui traverse mes lèvres en entendant sa remarque.

- Sur ce point, je t’ai dit la vérité. Non, mon mensonge vient du fait que je venais d’arriver ici. Cela ne t’évoquera sans doute rien, mais laisse-moi te raconter mon histoire.

- J’aime bien les histoires, me dit-elle toute innocente.

Décidément, je ne m’y ferai jamais à ces sauts d’humeur et pourtant j’ignore pourquoi, mais je trouve dans ses propos quelque chose de réconfortant. À ces mots, j’ai l’impression de me revoir plus petite quand ma mère adoptive s’asseyait aux bords de mon lit et me lisait son livre de contes. Luna ne cessait de répéter qu’elle était trop grande pour des gamineries pareilles et toutefois, elle avait beau fanfaronner, mon ainée finissait toujours par me rejoindre sous les draps chauds en se blottissant contre moi pour écouter Magda nous narrer mille et une aventures. 67 s’est installé et a croisé ses bras sous son menton. Je ne vois en elle plus aucune trace d’hostilité et je note à ses yeux brillants qu’elle attend la suite. Je suis soudainement prise d’une hésitation. C’est la deuxième fois que je vais me dévoiler autant. Mon cœur se tord en me remémorant ces souvenirs. La première fois, c’était avec Hans. Ces moments de confessions n’ont pas été très agréables et malgré ça je donnerai n’importe quoi pour les retrouver et échanger à nouveau avec mon compagnon. Mes poings se serrent tandis que je tente de reprendre courage. Je dois arrêter de regarder en arrière, me reproché-je intérieurement. La solution ne se trouve pas dans le passé, seul le présent compte. À contrecœur, je m’efforce de revenir à mon interlocutrice qui patiente toujours sans rien dire et m’oblige à retirer toute la tristesse qui pourrait se lire en moi. Je m’accorde un instant pour me ressaisir. Lorsque je me sens prête, je relève la tête et porte mon attention sur la personne en face de moi. Après une ultime respiration, je me lance enfin.

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